Thème III - Idéologies et opinions en Europe de la fin du XIXe siècle à nos jours
Question II – Médias et opinion publique
Introduction :
Un média : c'est un moyen qui permet de porter des informations à la connaissance du public quel qu'en soit le support : presse écrite, radio, télévision ou internet
Opinion publique : C'est l'ensemble des convictions et des valeurs plus ou moins partagées, des jugements, des préjugés et des croyances de la population d'une société donnée.
A la fin du XIXème siècle, le régime républicain s'enracine, ce qui renforce les libertés fondamentales tout en les encadrant. D'ailleurs, la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 garantit la libre expression des opinions et lève l'autorisation préalable à la diffusion des journaux mais surveille strictement leur parution. Au XIXème siècle, le développement de la presse ouvre un espace favorable aux débats et à la formation de l'opinion publique. La diversification des médias au XXème siècle renforce le poids politique de l'opinion publique. L'histoire des relations entre médias et opinion publique s'inscrit donc dans le champ du politique, et les crises politiques sont des moments privilégiés pour mettre en évidence le rôle des médias à la fois dans lexpression et dans le formation de l'opinion publique.
Problématique :
Comment médias et opinion publique interagissent-ils dans un régime démocratique ?
I. Médias et opinion publique au début de la IIIème République (1894 – 1918)
A. L’Affaire Dreyfus (1894 – 1906), un moment déterminant dans l’histoire des rapports entre médias et opinion publique.
L'Affaire Dreyfus, un embrasement médiatique et le déchirement de l'opinion => ICI
L'Affaire Dreyfus est l'archétype d'une guerre de la presse qui permet aux deux camps (dreyfusards et antidreyfusards) de s'affronter à travers éditoriaux, articles, enquêtes et images. Avec cette affaire, la presse écrite s'impose dans une fonction médiatrice entre le citoyen, l'Etat et les forces partisanes.
B. La Grande Guerre (1914 – 1918), un contrôle des médias et de l’opinion ?
1. La Censure.
La France est en guerre le 3 août 1914 mais dès le 2 août 1914, l'activation de la loi sur l'état de siège suspend la liberté de la presse. Le 5 août, un organe de censure est crée. Il s'agit d'interdire :
- la publication d'information sensibles,
- toute nouvelle pouvant agir négativement sur le moral de la population.
Les articles censurés sont laissés en blanc, faute de temps pour refaire la mise en page du journal après le passage des ciseaux d'Anastasie.
2. La propagande.
Des campagnes de presses officielles sont lancées pour orienter l'information. Il s'agit soit de désinformation destinée à exagérer les succès ou minorer les revers français soit de propagande visant à convaincre et à mobiliser la population. Journaux, affiches, actualités, cinéma, manuels scolaires participent donc à la propagande et au bourrage de crâne au dépens de leur indépendance et de la vérité.
II. Médias et opinion publique entre crises et guerres (1918 – 1945).
A. La crise du 6 février 1934 : une crise politique influencée par une presse écrite puissante et la radio.
La presse contribue à renforcer la défiance de l'opinion publique vis-à-vis de la classe politique. Les journaux populaires exploitent les scandales politico-financiers comme l'affaire Stavisky. Désormais, l'opinion publique est incitée à aller au-delà d'une sanction électorale et à provoquer un changement de régime. Les journaux deviennent instruments du débat politique et enflamme l'opinion.
B. Les médias et la Seconde Guerre mondiale : la défaite de 1940 provoque une rupture
Avec la Seconde Guerre mondiale s'ouvre une période de contrôle des médias et de l'espace public par l'occupant allemand et le régime de Vichy. La censur est rétablie avant l'entrée en guerre. La défaire fait des médias les instruments d'une propagande officielle. Jusqu'en 1944, la presse est muselée. En zone nord, les Allemands financent une presse "aux ordres" (ex : Le Matin, Paris-Soir). En zone sud, le gouvernement de Pétain place, dès juillet 1940, journaux et radios sous son autorité. Il laisse s'exprimer la presse antisémite. L'opinion se détache d'une information discréditée : les tirages de la presse officielle s’effondrent.
Mais, l'opinion désorientée à soif d'informations. Des parutions clandestines émergent dès 1940. Artisanales et irrégulières, elles appellent à résister et contribuent à la renaissance du débat démocratique. Elles fustigent la presse officielle au service de l'occupant. Cette presse se développe rapidement avec plus de 1000 titres entre 1940 et 1944 dont certains à fort tirage comme Combat, Franc-tireur. Elle s'organise en lien avec la Franc libre : en 1943, une Fédération nationale de la presse clandestine est créée.
La radio sert la propagande des deux camps. Une guerre des ondes s'ouvre dès 1940 : Radio Paris (sous contrôle allemand) et Radio Vichy diffusent l'idéologie la Révolution nationale et incitent à la collaboration. La BBC est le lien de la Résistance avec les Français dès l'appel du général de Gaulle, le 18 juin 1940. Le succès de Radio Londres s'accroît jusqu'à la Libération. En 1944, la nouvelle législation réaffirme la mission civique des médias.
III. Médias et opinion dans les crises sous la IVème et la Vème Républiques.
A. La crise du 13 mai 1958 pendant la guerre d’Algérie : des médias contrôlés par le pouvoir publique.
En 1944, la liberté des médias est réinstaurée. Cependant, l'Etat exerce un contrôle sur les médias :
L'Office de radiodiffusion-télévision française (RTF) est créé en 1949 et contrôle les médias.
La télévision est le monopole de l'Etat.
Les journalistes de la RTF doivent respecter un "cahier de consignes".
L'apparition par la suite de stations de radio privées ("radios périphériques") comme Radio Luxembourg ou Europe 1 sont plus tournées vers le divertissement.
Les médias et les radios périphériques jouent un rôle important dans la crise du 13 mai 1958 :
Des militaires favorables à l'Algérie française s'emparent du pouvoir à Alger. C'est le putsch d'Alger.
Les médias appuient largement le retour de de Gaulle à la tête de l'Etat qui revient et instaure la Constitution de la Ve République.
La censure est rétablie pendant la guerre d'Algérie :
Le contrôle avant parution est rétabli.
Certains journaux dénoncent la torture et critique la guerre, comme l'Express, Le Monde, les Temps modernes de Jean-Paul Sartre ou encore l'Humanité.
Des journalistes sont poursuivis, les journaux sont perquisitionnés et censurés.
Lors du Putsch des généraux de 1961 à Alger, les médias sont utilisés par le pouvoir pour régler la crise :
De Gaulle apparaît à la télévision et s'adresse à la radio. Ils lancent un appel pour ne pas suivre les putschistes.
Il diffuse en boucle son message sur les ondes de Radio Monte-Carlo qui est la seule radio que l'on peut recevoir en Algérie puisque Radio Alger est aux mains des putschistes.
Les militaires français en Algérie, équipés de transistors, reçoivent le message de De Gaulle et ne suivent pas les putschistes.
Après la guerre d'Algérie, les médias continuent d'être contrôlés par l'Etat :
De Gaulle utilise beaucoup les médias. Il fait des conférences de presse et ses voyages sont couverts médiatiquement.
B. Mai 68 : les médias contre le pouvoir et l’aspiration à une prise de parole directe et libérée.
De quels médias la crise de mai 1968 confirme-t-elle le poids ? Quelle aspiration d'une partie de l'opinion publique révèle-t-elle ?
Le média de mai 1968 fut la radio. Les affrontements du Quartier latin mobilisent les journalistes des radios périphériques de l’époque (Radio-Luxembourg, RTL, Europe 1). Ils sont au cœur des « nuits des barricades », au milieu des ouvriers en grève et des usines occupées, utilisant leur radio téléphone pour faire vivre en direct les fameux « événements ».
La télévision se limite à diffuser des images chocs restées emblématiques : aspect désolé des rues du Quartier latin après les nuits d’affrontements entre étudiants et CRS. Mais elle est un média d’Etat aux ordres du pouvoir politique sous le contrôle du ministre de l’information.
=> une opinion publique troublée : elle soutient les étudiants devant la répression des forces de l’ordre, elle approuve le mouvement social qui obtient des avancées. Mais quand l’ordre tardent à revenir, une majorité de l’opinion se détache et beaucoup rallient le retour en force de De Gaulle.
C. Médias et opinion aujourd’hui.
En 1974 et 1982, on observe une libéralisation des médias et à partir des années 1980, les médias télévisés sont en constante augmentation :
- en 1974, le nouveau président de la République, Valéry Giscard d'Estaing met fin à l'ORTF et donne l'autonomie aux trois chaînes publiques télévisées.
- à la fin des années 1970, les "radios pirates" ou "radios libres" se multiplient.
En 1982, Mitterrand met fin au monopole d'Etat sur les médias audiovisuels.
- des chaînes télévisées privées font leur apparition. Canal + et La Cinq sont créées et TF1 est privatisée en 1987.
- à partir des années 1990, les chaînes thématiques apparaissent.
- au début du XXIe siècle, l'apparition de la TNT élargit l'offre télévisée.
On observe aussi un développement d'internet :
- à partir de la décennie 1990, les ménages français accèdent de plus en plus à internet.
- en 2013, 82% des ménages ont une connexion.
Ce développement des médias audiovisuels et d'internet reconfigure le paysage médiatique français :
- La presse écrite continue son déclin. Le nombre de lecteurs diminue, notamment dans la presse d'opinion. Les journaux régionaux semblent davantage résister à ce déclin.
- mais la presse écrite s'adapte aussi. Les journaux créent des sites internet et des blogs dans lesquels les lecteurs peuvent intervenir. La blogosphère devient influente dans la formation de l'opinion publique.
- certains médias paraissent exclusivement sur internet, comme Rue 89. En 2008, Edwy Plenel crée le site Médiapart qui joue désormais un rôle essentiel en France et a permis la révélation de plusieurs affaires politiques, comme "l'affaire Cahuzac".
La multiplication des sondages modifie le rapport de la société aux médias et interroge sur les ambiguïtés de la démocratie d'opinion :
- ces sondages permettent de relayer le point de vue des Français.
- de nombreuses accusations sont émises à l'encontre de ces sondages, notamment sur l'orientation des questions posées qui remettent en cause leur neutralité.
- les sondages modifient l'action politique car les hommes politiques cherchent à adapter leurs positions sur les résultats des sondages. Ils sont attentifs à leur cote de popularité.
- Les sondages comportent une marge d'erreur non négligeable. Ils n'ont, par exemple, pas prévu l'arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2002.
L'essor de l'expression de l'opinion publique sur internet modifie le rapport de la société à l'actualité :
- les blogs, les réseaux sociaux et les commentaires sur les sites se multiplient et laissent la parole à tous ceux qui le souhaitent.
- Les citoyens peuvent alors diffuser et interpréter les informations et les crises.
=> Ce nouveau rôle des citoyens dans les médias brouille la frontière entre l'opinion publique et les médias.
Conclusion :
Les médias ont ainsi accompagné la vie politique en France et joué un rôle clé dans les moments de crises politiques. Cristallisant les opinions, ils ont ancré en France une liberté fondamentale : la liberté d'expression, et démontré, au fil des crises que la démocratie est une construction fragile et permanente qui a besoin des médias autant que les médias ont besoin d'elle.