livre

Qu'est-ce qu'un livre ? 

1. Livre emprunté dans une bibliothèque municipale. 2. Livre fac-similé par Afour Rhizome (voir  « Ceci n'est pas un livre »). 3. Livre en numérisation.

Le papier en tant que support où s’inscrit l’écriture est comme la peau laissant l’arbre décortiqué. C’est une étape dans laquelle il n’est ni en vie ni en mort mais en transformation. Par l’inscription des mots, cette peau s’éveille et commence à parler. Le livre numérique est une toute autre chose. L’appareil du livre numérique me semble être une urne funéraire. Les mots mis dans cette urne sont proches de ceux de la mort comme la cendre. Cependant, devant cet objet, je me sens léger comme ma vie, courte devant la mort où le temps et l’espace sont infinis. D’une certaine manière, le livre numérique peut libérer le livre papier comme « la photo a libéré la peinture »*. Mais ce n’est pas encore le cas. L’usage du livre comme matériau de l’art plastique se limite à une dimension plutôt décorative. De plus, la technologie avance plus vite que le temps nécessaire pour analyser suffisamment, tester et valoriser un support, le papier. La potentialité de ce support n’est même pas encore totalement découverte mais il est déjà en train de perdre son statut de média du savoir. Cette libération concerne alors non seulement l’usage variable du papier du livre mais aussi la redécouverte de la potentialité du papier et de la philosophie du livre. 

*« Comme la photo a libéré la peintre du devoir de ressemblance, la télé a libéré le cinéma de ses devoirs documentaires — disons des « sujets de société » et de la quotidienneté social. Banalisant l'image, le médium le plus léger oblige son aîné plus lourd à renchérir dans l'extraordinaire pour justifier son existence. Photo ou télé, la petite sœur, à la fois stimulante et concurrente, est la meilleure propagandiste du grand frère qu'elle déclasse. La complice principale est aussi l'ennemie intime. La photo a permis la revue d'art, l'ouverture à tous des collections particulières, le transport à domicile de l'œuvre inaccessible, la démocratisation du goût. Ainsi, par le biais de l'achat des droits de diffusion, la télé soutient financièrement la production, convertit en trésor un portefeuille de films démultiplie l'audience. Elle apporte dans le tiers-monde, avec la vidéocassette, le cinéma au domicile des plus défavorisés, comme la reproduction entreposait la musée dans la chambre de l'étudiant. » Régis Debray, Vie et mort de l'image, Gallimard, Paris, 1992, p. 330. (le mot-clé de fiche : télé)

Référence pour le site

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« La propriété littéraire est d’utilité générale. Toutes les vieilles législations monarchiques ont nié et nient encore la propriété littéraire. Dans quel but ? Dans un but d’asservissement. L’écrivain propriétaire, c’est l’écrivain libre. Lui ôter la propriété, c’est lui ôter l’indépendance. On l’espère du moins. De là ce sophisme singulier, qui serait puéril s’il n’était perfide : la pensée appartient à tous, donc elle ne peut être propriété, donc la propriété littéraire n’existe pas. Confusion étrange, d’abord, de la faculté de penser, qui est générale, avec la pensée, qui est individuelle ; la pensée, c’est le moi ; ensuite, confusion de la pensée, chose abstraite, avec le livre, chose matérielle. La pensée de l’écrivain, en tant que pensée, échappe à toute main qui voudrait la saisir ; elle s’envole d’âme en âme ; elle a ce don et cette force, -virum volitare per ora- ; mais le livre est distinct de la pensée ; comme livre, il est saisissable, tellement saisissable qu’il est quelquefois saisi. (On rit) Le livre, produit de l’imprimerie, appartient à l’industrie et détermine, sous toutes ses formes, un vaste mouvement commercial ; il se vend et s’achète ; il est une propriété, valeur créée et non acquise, richesse ajoutée par l’écrivain à la richesse nationale, et certes, à tous les points de vue, la plus incontestable des propriétés. Cette propriété inviolable, les gouvernements despotiques la violent ; ils confisquent le livre, espérant ainsi confisquer l’écrivain. De là le système des pensions royales. Prendre tout et rendre un peu. Spoliation et sujétion de l’écrivain. On le vole, puis on l’achète. Effort inutile, du reste. L’écrivain échappe. On le fait pauvre, il reste libre. (Applaudissements) Qui pourrait acheter ces consciences superbes, Rabelais, Molière, Pascal ? Mais la tentative n’en est pas moins faite, et le résultat est lugubre. La monarchie est on ne sait quelle succion terrible des forces vitales d’une nation ; les historiographes donnent aux rois les titres de "pères de la nation" et de "pères des lettres" ; tout se tient dans le funeste ensemble monarchique ; Dangeau, flatteur, le constate d’un côté ; Vauban, sévère, le constate de l’autre ; et, pour ce qu’on appelle "le grand siècle", par exemple, la façon dont les rois sont pères de la nation et pères des lettres aboutit à ces deux faits sinistres : le peuple sans pain, Corneille sans souliers. (Longs applaudissements) » Hugo, Victor, Discours d'ouverture du Congrès littéraire international de 1878, 1878, via inlibroveritas.net et gallica (le mot-clé de fiche : livre)

« Le livre, c'est à la fois le dispositif et le moment d'échéance qui nous obligent à interrompre le processus de l'ordinateur, à y mettre fin. Cet arrêt nous dicte la fin, on nous arrache la copie : "voilà, maintenant il faut en finir", il y a une date, une limite, une loi, un devoir et une dette. Cela doit passer sur un autre support. Il faut imprimer. Pour l'instant, le livre, c'est l'instant de cet arrêt, l'instance de l'interruption. Le jour vient, il va venir, où l'interrupteur, qui ne disparaîtra jamais (c'est par essence impossible), ce ne sera plus l'ordre d'un autre support, le papier, mais un autre dispositif audiovisuel, le CD-Rom peut-être. Ce sera comme un autre marché des interrupteurs. Le mot "interrupteur" n'a pas à mes yeux de signification négative. Il faut des interrupteurs, c'est la condition de toute forme, la formation même de la forme. 

Pour moi, je puis dire qu'à la fin j'accepte la mutation. Et du même coup un certain fétichisme du livre, que la raréfaction ne pourra que servir. De la grammatologie nommait et analysait la "fin du livre" mais ce n'était pas du tout pour la célébrer. je crois à la valeur du livre, à ce qu'il garde d'irremplaçable à la nécessité de se battre pour le faire respecter. Heureusement, ou malheureusement, je ne sais comment dire, on assistera à ce qu'on pourrait appeler, en déplaçant l'accent, une nouvelle religion du livre. Une autre bibliophilie suivra le livre à la trace partout où il devra céder la place à d'autres supports. » Derrida, Jacques, « La machine à traitement de texte », in Papier Machine, Galilée, Paris, 2001, p. 161-162. (le mot-clé de fiche : fin du livre)

« Je crois que le destin des langues est lié au rapport entre moralité et écriture. Peut-être que le livre va disparaître, en tant que forme concrète de la connaissance dans nos sociétés. Il est fort possible que le livre meure et que dans trente ans les lecteurs (des livres) se constitueront en sectes des catacombes, réprouvés par la morale publique. Il est possible que, dans cette perspective, les livres soient d'ores et déjà des réceptacles à peu près clandestins de l'organicité des langues et que la publicité  des langues, leur éclat audiovisuel, soit déjà une publicité de codes, un peu comme le code de route, le code gastronomique, etc. Les langues s'appauvrissent. Mon espoir est que cette espèce de fragrance, de variances, d'infinie multiplicité des contacts, des conflits de langues, donnera naissance à un nouvel imaginaire de la parole humaine qui peut-être transcendera les langues. Je ne veux pas être prophète, mais je pense qu'un jour la sensibilité humaine tendra vers des langages qui dépasseront les langues, qui intégreront toutes sortes de dimensions de formes, de silences, de représentations, qui seront autant de nouveaux éléments de langues. » Glissant, Édouard, Introduction à une poétique du divers, Gallimard, Paris, 1996, p. 126-127. (le mot-clé de fiche : destin des langues)

« Or ce qui se passe aujourd'hui, ce qui s'annonce comme la forme même de l'à-venir du livre, encore comme livre, c'est d'une part, au-delà de la clôture du livre, la disruption, la dislocation, la disjonction, la dissémination sans rassemblement possible, la dispersion irréversible de ce codex total (non pas sa disparition mais sa marginalisation ou sa secondarisation, selon des modes sur lesquels il faudrait revenir) mais simultanément d'autre part, le réinvestissement constant du projet livresque, du livre du monde ou du livre mondial, du livre absolu (c'est pourquoi cette fin du livre, je la décrivais aussi comme interminable, sans fin), le nouvel espace de l'écriture et de la lecture de l'écriture électronique voyageant à toute allure d'un point du monde à l'autre, et reliant, par-delà les frontières et les droits, non seulement les citoyens du monde sur le réseau universel d'une universitas potentielle, d'une encyclopédie mobile et transparente, mais tout lecteur comme écrivain possible ou virtuel, etc. Cela relance un désir, le même désir. Cela ré-induit la tentation de considérer ce dont la toile mondiale du WWW est la figure comme le livre ubiquitaire enfin reconstitué, le livre de Dieu, le grand livre de la Nature, ou le Livre-Monde dans son rêve onto-théologique enfin accompli, alors même qu'il en répète la fin comme à-venir. » Derrida, Jacques, « Le livre à venir », in Papier Machine, Galilée, 2001, p. 27-28. (le mot-clé de fiche : à-venir du livre)