Pourquoi un "chemin rural de Saint-Agnan à Suze" ?

Roland Niaux

(2001)

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Cette dénomination apparaît au plan cadastral napoléonien de l’ancienne commune de Saint-Léger-de-Fourches (devenue Champeau) et aussi à celui de Liernais. Elle suggère quelques réflexions.

Il semble improbable que Saint-Agnan et Suze aient été réellement les termes d’un même chemin au début du XIXe siècle. Ces deux localités, séparées l’une de l’autre par 30 km à vol d’oiseau, n’ont chacune qu’une importance minime. Saint-Agnan n’était, au XIIe siècle, qu’une grange de l’abbaye de Fontenay. Elle ne devint paroisse qu’en 1560, paroisse sans bourg n’ayant sous sa juridiction que quelques fermes isolées de ce coin aride du Morvan.

Saint-Agnan ne justifie sa survie en tant que commune que grâce à son magnifique plan d’eau et aux activités touristiques et sportives qui en découlent, mais ceci seulement depuis le dernier tiers du XXe siècle.

Suze n’est qu’un hameau de quelques maisons situées sur la commune de Marcheseuil, qui eut sans doute quelque importance dans l’antiquité de par sa situation à un carrefour de routes et au passage à gué d’une rivière de même nom, affluent de l’Arroux.

Saint-Agnan et Suze n’ont aucun rapport économique ou historique et se situent dans deux terroirs différents. Leur liaison ne paraît répondre à aucune nécessité. Pourquoi alors cette appellation dérisoire ?

Examinons les termes de ce chemin. Chacun se situe à un carrefour important de la voirie gallo-romaine.

Au Nord-Ouest, Saint-Agnan est au croisement de voies attestées allant sur Montsauche et sur Saulieu, mais ce n’est pas le véritable terme : celui-ci est la voie romaine d’Autun à Auxerre par Quarré-les-Tombes, rejointe 3 km un peu plus à l’Ouest, en pleine forêt. Au Sud-Est, Suze est aussi un carrefour de voies allant vers Saulieu, Autun, Arnay-le-Duc.

Notre « chemin rural de Saint-Agnan à Suze » est donc probablement le successeur, aux temps modernes, d’une ancienne voie de jonction entre diverses voies romaines issues d’Autun et dirigées vers le Nord et le Nord-Est : voies d’Autun à Auxerre, à Alésia, à Langres…

Plus récemment, on a dû voir simplement dans ce parcours une liaison entre Morvan avallonnais et Auxois.

Voyons maintenant son tracé. Depuis Saint-Agnan, notre chemin tend vers le Sud-Est sous le couvert de la D 225. Il correspond d’abord à la voie romaine de Saulieu à Quarré-les-Tombes[1]. Quittant Saint-Agnan et passant en Côte d’Or la commune de Champeau, la D 225 devient D 106, laquelle D 106, avec quelques variantes, se termine à Suze. Mais reprenons la D 106 à son origine. Arrivée au hameau d’Eschamps, elle bifurque vers le Sud jusqu’à l’emplacement de l’ancien château des évêques d’Autun, à Champeau, puis oblique vers l’Est. Il existait un raccourci (et il existe toujours) qui joignait en ligne droite Eschamps à la Croix de l’Homme Mort. On y retrouve la D 106, dont le parcours a certainement subi des rectifications aptes à le rendre compatible à la circulation automobile. Il passe devant l’ancienne église de Saint-Léger-de-Fourches, où le Ternin prend sa source. C’était autrefois le chef-lieu de la commune de Champeau. On le retrouve devant l’ancien château d’Island (du moins son emplacement) puis devant celui de Conforgien. La D 106, à partir de Conforgien, a un tracé peu cohérent, qui ne correspond peut être pas au tracé initial. On la suit, avec des changements de directions peu justifiées, à Saint-Martin-de-la-Mer, Villars, Cenfosse, Veullerot, Chappe, Reuillon, Diancey, Jonchery, Les Bordes et Suze.

Ce pourrait bien être un tracé médiéval : presque toutes les localités énumérées ont possédé des maisons fortes ou châteaux qui se trouvaient réunis au plus court, ce qui devient une justification des changements de direction reconnus.

On peut reconnaître, à partir de Conforgien, un tracé beaucoup plus logique et qui serait beaucoup plus ancien, parce qu’empruntant largement la voirie gallo-romaine. De Conforgien, en effet, des chemins ruraux nous conduisent au hameau de la Mer, puis à la grande voie d’Agrippa, atteinte en limite communale à la cote 532, sous l’important site gallo-romain des Chaseaux. La voix d’Agrippa, absolument rectiligne, est ici recouverte par la D 15, puis par la D 106b, puis par la D 17 suivant le même axe Nord-Ouest – Sud-Est.

A la ferme des Cras, sur la commune de Brazey-en-Morvan, la voie se dirigeant vers Autun oblique vers le Sud-Ouest, mais la direction initiale Nord-Ouest – Sud-Est, avec quelques aléas dus au relief, est maintenue jusqu’à Vianges et Marcheseuil. C’est celle qu’empruntait la voie protohistorique, puis romaine, de la vallée de l’Yonne à la Saône.

De Marcheseuil à Suze, c’est encore une voie romaine qui est suivie. Elle est dite, au plan cadastral de Marcheseuil, « voie d’Arnay », ce qui précise bien quel est le terminus Est du "chemin rural de Saint-Agnan à Suze" lequel ne serait en réalité qu'un tronçon de la voie de Quarré-les-Tombes à Arnay-le-Duc.

© Roland Niaux 2001 (Publication électronique : Mai 2006)

[1] L. Olivier, Le Haut Morvan Romain : voies et sites, Dijon, Académie du Morvan, 1983, p. 139.

viviane niaux, éditeur

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