Autour du Hameau de Charmasse

PROMENADES ARCHEOLOGICO-ROUTIÈRES AUTOUR DU HAMEAU DE CHARMASSE SUR LA COMMUNE DE MESVRES

par Roland Niaux

(2000)

Les données contenues dans ces pages sont mises à la disposition de tous : chercheurs, archéologues, historiens ou amateurs.

Merci de respecter le code déontologique de la recherche et de ne pas utiliser ces textes sans en indiquer la provenance ni leur auteur.

Accueil

Au début de notre ère, Charmasse, aujourd’hui simple domaine agricole, était une carrefour routier au pied des contreforts sud du Mont Jeu dont les pentes étaient habitées de nombreux agriculteurs et artisans gallo-romains[1]. Cette population a laissé, au Bois de Magne, 5 000 mètres carrés de ruines émergeant sous l’humus. Dans la terre des Vignes, deux stèles funéraires ont été découvertes, ainsi qu’aux Brenots, avec les vestiges d’un atelier métallurgique[2] et encore deux autres stèles dans la levée de l’étang de Bois-Renaud, ainsi qu’au Champ-Chopin, le tout couvrant une superficie d’environ 75 hectares. Au centre du dispositif, dominant carrefour et ruisseau, se dressait la résidence seigneuriale de la « Sarmatica villa »[3] ainsi désignée au Moyen-Âge, peut être parce que les colons des IIIe ou IVe siècle furent des lètes Sarmates, guerriers capturés que le pouvoir impérial installa sur des terres abandonnées après le siège et la destruction d’Augustodunum en 276.

Les bâtiments des maîtres de la villa firent place, à une date indéterminée, à une motte de terre entourée de fossés mis en eau par des sources ou par le ruisseau voisin. Leur défense s’en trouva facilitée durant les époques troublées du Haut Moyen-Âge.

Cette motte s’appelait la « Motte des Choux », nom que portait son seigneur. Le dernier d’entre eux, Hugenin des Choux ,vendit la motte en 1401 et elle fut abandonnée.

Durant les premiers siècles du christianisme, la région étant sécurisée par le maître de Charmasse, un prieuré s’installa un peu à l’écart, comme il était de coutume, sur les bords du Mesvrin, à quelques 2 km de la villa. C’est autour de ce prieuré, dont l’existence est attestée au IXe siècle mais l’origine précise inconnue, que se groupèrent de nouvelles habitations : elles devinrent village et paroisse de Mesvres. A quelques siècles de distance, il advint sans doute de Charmasse et de Mesvres ce qu’il advint de Bibracte et d’Augustodunum, toutes proportions gardées, bien entendu.

Ce qui nous conduit à penser à une antériorité de Charmasse sur Mesvres, c’est l’organisation du réseau routier de cette basse vallée du Mesvrin.

Les routes rayonnant autour du bourg de Mesvres paraissent d’origine médiévale et surtout moderne. Elles existent pour desservir le prieuré, sans lequel Mesvres n’existerait pas. Il en va tout autrement de Charmasse. On en acquiert la conviction en notant par exemple les toponymes des chemins accédant à Charmasse, sur les plans cadastraux du début du XIXe siècle. Ce sont, du point de vue de la toponymie, des documents extrêmement conservateurs.

Cette conviction est renforcée par l’examen visuel global du paysage dessiné sur la carte IGN au 1/25 000e (n°2825 Est-Autun). On n’a aucune peine à matérialiser des chemins pour la plupart disparus, se révélant par la continuité de certains segments, avec de simples dessertes et limites cadastrales ou communales.

De Charmasse, un chemin rural se dirige vers le nord-ouest, Champ Marchand, Bois de Magne, Runchy, etc. Prenons-le en sens inverse depuis son origine, au cœur du Morvan, et nous allons voir qu’il s’agit d’un chemin, peut être d’origine proto-historique, du Morvan au Charollais et Mâconnais. On le repère au sud-est de Château-Chinon (d’où il vient probablement) au Magnes[4]. On le suit sur toute la commune d’Arleuf, avec une belle constance directionnelle nord-ouest – sud-est, et sur une distance de 12 km. Il passe, entre autres, à Bost, aux Cheintres, à la Pirotte, aux Barats, devant l’actuel château de la Tournelle, à Fosse. Les mottes médiévales de Beauregard et de la Tournelle, toutes deux bâties, comme celle des Choux, sur de riches constructions gallo-romaines, le surveillent de part et d’autre à quelques centaines de mètres. A la Pirotte, le chemin est dit « La Fosse » et à l’entrée de la forêt du Grand Montarnu, c’est le dernier hameau traversé qui porte le nom de « Fosse »[5]. Entre la forêt du Grand Montarnu et celle de Folin, en limite de Bourgogne et du Nivernais, notre chemin traverse, toujours en ligne droite, un hameau abandonné, Les Maçons, près duquel le savant géologue du XIXe siècle, Marlot, a reconnu de nombreuses excavations circulaires groupées, interprétées maintenant comme de possibles exploitations aurifères proto-historiques[6]. Après avoir traversé la forêt de Folin, notre chemin franchit l’étroite vallée et la rivière la Canche, sur la chaussée d’un ancien étang réputé gallo-romain, l’étang aujourd’hui asséché de Crézançon[7]. Il est à remarquer qu’entre les Magnes et la Canche, l’alignement permet de mesurer exactement 5 lieues gauloises de 2 415 mètres, les repères intermédiaires étant, à 5 sur 6, des carrefours tout à fait significatifs.

Sur la rive droite de la Canche, compte tenu du relief, notre chemin abandonne provisoirement sa direction initiale. Il prend, pour traverser la forêt domaniale de Glenne, le chemin dit « de la Croix des Trois Lieues », faisant limite entre les communes de la Grande-Verrière et de Roussillon, puis de la Grande-Verrière et de la Celle-en-Morvan. Ce faisant, il contourne par le nord et par l’est, entre deux et trois km, l’éperon barré de Glenne, devenu place forte gallo-romaine, puis médiévale. Dans ce parcours, il croise, au Grand Mort (possible tumulus), l’un des itinéraires Bibracte-Alésia[8]. Celui-ci va devenir, en croisant à Reclesne la voie d’Agrippa, la voie romaine d’Autun à Alise.

Notre chemin arrive maintenant sur la commune de Monthelon qu’il traverse, sur une légère ligne de crête et sur une longueur de 5 km 1/2 , toujours à peu près en ligne directe. Il passe aux « Cheminots » (toponyme caractéristique) et arrive perpendiculairement à l’Arroux qu’il franchit au Gué de Chevannes, à l’intersection de trois communes. Ce gué était protégé par une butte fortifiée gallo-romaine, puis médiévale[9]. Dans sa traversée nord de Monthelon, notre chemin porte au vieux cadastre le nom de « Chemin de Chevannes à Milliore » (Milliore est un important carrefour sur la voie gallo-romaine Autun-Orléans[10], aujourd’hui un hameau insignifiant). Dans la partie sud de Monthelon, il porte, à ce même cadastre, le nom de « Chemin de la route de Lurzy (aujourd’hui N 81) à Mesvres ». Voilà qui ne laisse aucun doute sur l’objectif final de ce chemin que l’on va maintenant avoir parfois quelque mal à suivre sur la carte.

Passé le Gué de Chevannes, on entre sur la commune de Brion. Notre chemin porte alors le nom de « Rue Saint Pierre ». Il limite Brion et Laizy sur 1 200 mètres. A 400 mètres aux Arbres, R Goguey a vu, en prospection aérienne, une plate forme fossoyée médiévale qui commande le passage, face à la butte de Chevannes de la rive droite[11]. Après Charmoy, où l’on croise la voie romaine d’Autun à Feurs, le tracé de notre chemin se réduit à de simples limites parcellaires. Notons toutefois, au nord de Charas, le passage entre deux parcelles nommées, au vieux cadastre, « Les Murailles » et « La Pierre Saint Martin ». Le chemin se retrouve en suite en direction de La Longine, Runchy, puis Charmasse.

Nous avons énoncé au départ qu’il s’agissait d’un chemin reliant le Morvan au Charollais. Il faut donc lui trouver son prolongement au sud-est de Charmasse et rejoindre, sur la rive gauche du Mesvrin, une voie ancienne longeant cette vallée au pied nord de la Certenne. La traversée de la vallée, sur 1 500 mètres, n’a laissé d’autres traces que celles d’habitats gallo-romains et de toponymes très évocateurs de lieux de passage : les Brenots (stèles gallo-romaines), le Pré St. Jean, le moulin du Dulchet (ancien moulin banal des seigneuries environnantes), le Paradis (possible cimetière) et les Angles. Aux Angles, un pont aux culées anciennes, un petit habitat gallo-romain voisin, une voie ancienne bien caractérisée par des vestiges de pavages et d’ornières : c’est celle de la rive gauche du Mesvrin. En direction de l’est, elle passe au Maupois, puis à Marnay où l’on reconnaît les vestiges d’une maison forte médiévale. Là, elle se rattache à une autre voie venant du nord, la voie gallo-romaine d’Autun à Belleville-sur-Saône[12]. Après Marnay, elle arrive à Saint-Symphorien-de-Marmagne, où, prenant la ligne de crête entre Marmagne et St. Symphorien, elle rejoindra Montcenis, Mont-Saint-Vincent, Suin et le Mâconnais. Notons que la direction initiale nord-ouest – sud-est est tout au long maintenue sous réserve des quelques contraintes locales dues au relief.

Revenons à Charmasse, et considérons maintenant un autre cheminement en direction du nord-est. Il n’apparaît pas avec évidence sur le terrain, assez peu sur la carte IGN, mais très nettement au plan cadastral de 1831 où il est nommé « Chemin de Charmasse à Autun par le Tronchet ». Ce devait être surtout un chemin piétonnier. Entre Charmasse et le Tronchet, la pente moyenne est de 13% avec quelques à-coups un peu supérieurs. Il a pourtant dû être couramment utilisé et assez longtemps.

A défaut, pour se rendre d’Autun au prieuré de Mesvres, il fallait soit emprunter la voie (anciennement romaine) d’Autun à Toulon et opérer un retour à angle droit vers l’est depuis Étang-sur-Arroux, soit la voie d’Autun à Belleville-sur-Saône et opérer depuis marnay un retour vers l’ouest. Il ne faut pas oublier que la route actuelle directe (D 46) n’a été construite qu’à la fin du XVIIIe siècle dans le but d’unir Autun à Toulon-sur-Arroux par Mesvres et La Tagnière[13], l’ancienne voie romaine suivant la vallée de l’Arroux n’étant à cette époque plus praticable.

Notre vieux chemin de Charmasse passait donc près de la Chaume où - sauf erreur d’homonymie - on rendait autrefois la justice, au Tronchet (où les travaux forestiers ont révélé vers 1985 un habitat gallo-romain voisin de la ferme rénovée actuelle), aux Montagnes (maisons ruinées depuis un demi-siècle), entrait un peu à l’ouest de la « Porte de Broye » dans l’actuel parc de Montjeu, et se rattachait à l’ouest du « Haut des Bouts », à la voie déjà nommée d’Autun à Belleville-sur-Saône.

Revenons encore une fois à Charmasse, et découvrons, à l’opposé du chemin allant au Tronchet, un tracé d’une parfaite continuité nous conduisant à Mesvres, puis à Toulon-sur-Arroux, par un parcours différents de celui de l’ingénieur Gautey (qui allait sur La Tagnière). Le tracé se révèle avec évidence sur la carte IGN. Au départ de Charmasse, c’est d’abord un ancien chemin formant la chaussée de l’étang aujourd’hui asséché de Bois Renaud. Ce chemin se rattache, à la cote 296, à la D 61 qui en est le prolongement parfait jusqu’au bourg de Mesvres. Au sud-ouest de Mesvres, après la traversée du Mesvrin, on retrouve sur le même axe un chemin qui se dirige sur la Plaine, Lavault, Les Mouillons. Après avoir coupé la D 275, il sépare les communes d’Étang sur Arroux et de la Chapelle-sous-Uchon sur 2 km. Il disparaît alors de la carte, sur 700 mètres, sauf un rappel par les limites parcellaires. On le retrouve ensuite coupant la D 224, gagnant la Bussière (motte et vestiges gallo-romains), puis Corfeuil, Lavault et un second Lavau à la limite de Dettey sur la D 47. On suit à nouveau une série de limites parcellaires, dont la chaussée d’un étang asséché, pour se retrouver au carrefour des Rendards où était jadis une Maison Dieu et sa chapelle[14]. Ensuite, se difigeant vers le sud, on reconnaît dans le même axe plusieurs segments de chemins à l’ouest de la montagne de Vareille, puis à l’est de Plaige, sur la commune de la Boulaye, en lisière du Bois de Chaumont, à la Croix, au lieu-dit significatif « Broche d’Autun », à la Gaîté et à la Tour du Soir[15] (maison forte médiévale) puis Toulon-sur-Arroux.

Ce tracé est tout à fait distinct, quoique parallèle, de la voie romaine d’Autun à Feurs par Toulon-sur-Arroux. Ils ne coïncident que sur les derniers kilomètres à partir de la Tour du Soir ou peu avant.

S’agit-il d’un doublage de la voie romaine ou d’un chemin plus récent ? La seconde hypothèse paraît plus vraisemblable, les sites traversés étant tous connus au XIVe-XVe siècles et n’ayant pas ou très peu laissé de vestiges gallo-romains.

Encore à partir de Charmasse, il faut signaler une liaison directe avec Toulongeon, la vieille forteresse d’Alone. Cette liaison demeure entre Charmasse et le Mousseau. Ensuite, on en voit des traces entre le Mousseau et la Planche de Chevanne et on a à nouveau un chemin complet jusqu’à Toulongeon par les Mallots. Il n’est sans doute pas hasardeux de rechercher ensuite une liaison jusqu’à la maison forte de la baronnie d’Uchon, suzeraine de toutes les petites seigneuries de la région.

© Roland Niaux 2000 (Publication électronique : Avril 2006)

[1] Anatole de Charmasse, ancien Président de la Société Éduenne, était issu d’une vieille famille autunoise, les Desplaces, notables titulaires de charges depuis le XVe siècle, et anoblis. L’un de ses ancêtres acquit le fief de Charmasse dont il conserva le nom, joint à celui de Desplaces. A. de Charmasse publia dans les Mémoires de la Société Éduenne les « Annales historiques du Prieuré de Mesvres » où sont puisés l’essentiel des renseignements historiques concernant l’origine de ce terroir et les vestiges archéologiques qui le parsèment. Tous ont été vérifiés sur le terrain entre 1980 et 1990. Les stèles funéraires découvertes au XIXe siècle ont été déposées en leur temps au Musée Lapidaire d’Autun.

Annales historiques du Prieuré de Mesvres (M.S.E., IV, 1875, p. 1 à 106 et M.S.E. VI, 1877, p. 321 à 394).

[2] « Paturat de la Forge », près de « l’Ouche des Murailles » (Terrier de Toulongeon, 1774, Mme Bouhéret).

[3] J.-G. Bulliot, Essai sur le système défensif des romains en Pays Éduen, Paris-Autun, Dejussieu, 1856, p. 97 ; 183-186.

[4] Hameau de Magnes au départ, bois de Magne à l’arrivée, deux toponymes d’origine gallo-romaine, issus de “mansio”, conservés dans le langage médiéval pour désigner des ruines (ailleurs Maine).

[5] Fosse, toponyme pouvant évoquer des travaux de terrassements, aussi bien d’assainissement que défensifs ou miniers (fréquents le long des routes romaines).

[6] C. Gourault, Etudes scientifique sur le Morvan et la Bourgogne : Les Gîtes minéraux du Morvan et de ses bordures, Société d’Histoire Naturelle d’Autun, Bulletin n°102, 3e trimestre 1982, p. 42.

[7] C. Lorenz ; R. et J. de la Comble, L’aménagement hydraulique du bassin de la Celle par les Romains : le canal d’Autun, Société d’Histoire Naturelle d’Autun, Bulletin n°124, mai 1988, p 5-20.

[8] Cf. R. Niaux, La Guerre des Gaules, M.S.E., LIV, fasc. 4, 1984, p 277.

[9] J.-G. Bulliot, Op. cit., p 103.

[10] L. Olivier, Le Haut-Morvan romain : voies et sites, Académie du Morvan, 1983, p 98.

[11] R Goguey a pris une photo (non éditée ?) du 20/07/1977.

[12] E. Thévenot, Voies romaines de la Cité des Éduens, 1969, p. 241-246.

[13] Route tracée par l’ingénieur Gautey en 1764, exécutée en 1766 (Mairie de Mesvres. Archives).

[14] A. de Charmasse, La Maison Dieu des Quatre Frères, M.S.E., 1902, p ; 69 et s.

[15] J.-G. Bulliot, Op. cit., p. 103.

ACCUEIL