Petite note d'histoire régionale

Roland Niaux

(1990)

Les données contenues dans ces pages sont mises à la disposition de tous : chercheurs, archéologues, historiens ou amateurs. Merci de respecter le code déontologique de la recherche et de ne pas utiliser ces textes sans en indiquer la provenance ni leur auteur.

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De la fin de la Monarchie à l’Empire, malgré les Lumières du siècle finissant, les aspirations à la liberté, à l’égalité et à la fraternité n’ont pas adouci les mœurs. Leur dureté étayée par une réglementation minutieuse et tatillonne, apparaît dans tous les faits de la vie quotidienne.

Quelques documents administratifs, recueillis dans des archives privées ou publiques, attestent du conservatisme défensif et paternaliste de nos proches ancêtres mais aussi de la sincérité de leurs convictions successives et contradictoires.

- « Engagez-vous, rengagez-vous ! ». Cette invitation encore présente sur les murs de nos gendarmeries, était déjà d’actualité sous l’Ancien Régime. En 1781, Monsieur de Nansouty de Beauregard « premier Lieutenant au Régiment de Guienne, employé en Recrue dans toute la province de Bourgogne, demeurant Rue du Collège, à Dijon » recrutait pour son régiment de Guyenne « en garnison en Provence ». Dans un « Avis à la belle jeunesse », l’Armée de Sa Majesté, n’acceptait que les jeunes gens de « bonnes et honnêtes familles » et offrait à ces recrues de « très-bons Engagemens » sans oublier « pour leur route, quarante sols par jour jusqu’à la garnison ». Les rabatteurs qui lui procureraient « de beaux Hommes » seraient « généreusement récompensés ». (1)

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- Vint la République. On peut lire sur les assignats de l’An deux – monnaie pourtant peu convoitée – : « La Loi punit de mort le contrefacteur ; la Nation récompense le dénonciateur ». Dura lex, sed lex. L’ordre moral est républicain et révolutionnaire. Le civisme doit être encouragé... (2)

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- Sous l’Empire, l’organisation administrative atteint la perfection. « Veillons au Salut de l’Empire » chantaient les Grognards. Les règlements militaires étaient d’une précision extraordinaire dans leurs exigences en matière d’enrôlement (3). Seuls, certains corps avaient vocation à recevoir les enrôlés volontaires, le volontariat étant gage de fidélité. C’était le cas pour la Garde Impériale. Mais d’autres corps ne les acceptaient point. Ainsi, les bataillons de pionniers ne recevaient que « des conscrits ou militaires qui s’étaient mutilés ou feignaient des infirmités en vue de se soustraire au service. » On devine que le sort réservé à ces derniers, tant à la caserne qu’au combat, ne devait pas être enviable. On était extrêmement pointilleux en ce qui concernait la taille des engagés. Pour chaque corps, une taille minimum, précisée au millimètre, était imposée. Les jeunes gens les plus grands pouvaient postuler une place au corps des carabiniers de la Garde : il devaient mesurer au minimum un mètre et 785 millimètres, ce qui, au début du XIXe siècle, était une taille peu courante. Les plus petits, admis seulement aux chasseurs et hussards, pouvaient ne mesurer qu’un mètre et 597 millimètres. Entre ces deux extrêmes et mis à part les pupilles (sorte d’enfants de troupe, élèves trompettes de 14 à 18 ans), seize étages de taille étaient prévus suivant les corps et les fonctions. Quelques particularités : seuls pouvaient être enrôlés dans les régiments des flanqueurs de la Garde, les fils, frères et neveux de gardes forestiers. Les conscrits destinés aux tirailleurs et voltigeurs de la Garde « devaient savoir lire, écrire et connaître les quatre règles de l’arithmétique ». Sans doute avaient-ils vocation à fournir de futurs gradés.

- Nous avons découvert un épisode amusant de l’épopée impériale : le mariage obligatoire et programmé, à une date fixée par décret impérial du 25 mars 1810, d’un vétéran de la Grande Armée, dans chaque arrondissement de justice de paix. L’heureux élu devait être désigné par une commission. On ne lui demandait pas son avis, semble-t-il, pas plus que celui de la jeune épousée puisque celle-ci ne connaissait l’identité de son futur mari qu’après décision préfectorale ! Il s’agissait, en fait, de récompenser les bons et loyaux services d’un brave militaire en lui garantissant une bonne épouse (4).

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- La chute de l’Empire entraîna l’occupation du territoire national par des troupes étrangères. L’occupant imposa sa monnaie (espèces d’Autriche et espèces de Prusse) avec un taux de change qui lui était évidemment favorable (5).

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Durant cette sombre époque, il y eut des « collaborateurs » et des « résistants ». En témoigne la proclamation faite aux habitants de La Comelle par le général Comte de Franquemont (6). Elle fait suite au meurtre d’un soldat autrichien (les indications entre crochets indiquent des parties manquantes ou mal lisibles dans la copie laquelle a malheureusement été tronquée sur les bords du document) :

HABITANS !

Il a été commis dans la commune de la Comelle un assassinat contre un militaire du Corps d’armée sous mes ordres. Le malfaiteur fut justicié sur-le-champs : sa maison a été détruite, il n’en reste plus de vestiges.

Voilà le sort qui attend tous ceux qui, sourds à la voix de leurs Autorités, de la Religion, l’on peut dire du bons sens et de leur propres intérêts, persévèrent dans les criminelles intentions provoquées par un Gouvernement usurpateur, qui tâchait de substituer aux devoirs du paisible citoyen le parjure, la trahison et l’assassinat.

Habitans ! Pour qui portez-vous encore les armes, tandis que votre armée même a renoncé unanimement à la cause du Perturbateur de tout ordre social ? Et contre qui cette soudaine résistance ? Contre des Soldats, qui, le billet de logement à la main, ne demanderont autre chose que d’être nourris, d’être reçus sans qu’on leur montre ni de la pusillanimité, ni de la répugnance, et qui sous peu, je vous en réponds, mangeront à la même table avec vous, et vous aideront dans vos récoltes, dans vos occupations casanières.

Est-ce par des meurtres individuels que vous croyez nous forcer à quitter votre territoire ? Est-ce en fuyant dans les bois, en abandonnant vos propriétés au gaspillage et à la dévastation que vous pensez alléger les charges inévitables de la guerre ?

Habitans ! Rentrez dans vos habitations ! Déposez toute espèce d’armes chez votre Maire ! Revenez à la confiance que doit vous inspirer le retour d’un Gouvernement paternel et de toutes les Autorités légales ! Reprenez vos fonctions domestiques et vos travaux ruraux ! C’est là l’unique moyen de vous assurer la protection de chaque Commandant militaire, et de permettre à l’ordre et à l’équité de s'établir à la place de la violence et des actes arbitraires dans les fournitures et réquisitions.

J’ai nommé pour chaque Commune un Commandant d’armes, qui fera droit avec justice et rigueur aux plaintes fondées, portées par les Habitans. En outre, je fais faire [par] des Officiers supérieurs, nommés pour cet objet, des rondes continuelles même dans les cantonnemens les plus éloignés afin de surveiller au maintien de la plus stricte discipline.

Mais en revanche, j’ai ordonné et j’ordonne que tout habitant sur qui on trouvera des armes, soit traduit devant un Conseil militaire. Tout Habitant qui aura été saisi [...] acte ou tentative de meurtre ou d’assassinat, subira irrémissiblement la peine de mort.

Tout Habitation, dont les propriétaires ou Habitans ne seront pas rentrés au bout de huit jours, à dater de la présente publication, sera vendue à l’enchère au profit de la Commune ou au dédommagement des voisins qui avaient dû supporter la charge pour l’absent.

Fait à Autun, ce 1er Août 1815.

Le Général d’Infanterie, Commandant en [chef]

par intérim le 3e Corps d’Armée,

Comte de Franquemont.

Mise à part la grandiloquence d’époque, ce sont les mêmes menaces de représailles que celles qu’on put lire, entre 1940 et 1944, sur les murs de nos villes occupées par l’armée allemande.

- La Révolution avait aboli les anciennes mesures régionales de poids, longueur, capacité... pour leur substituer le système décimal. Ainsi apparaissaient dans la vie courante les mètres, les francs, les litres, les stères, leurs multiples et sous-multiples. Les problèmes posés par la prochaine introduction de l’euro ne sont rien en comparaison de ceux ressentis alors par nos ancêtres. Il leur fallut bien des années pour intégrer dans leurs habitudes le système métrique. Jacques-Gabriel Bulliot, cent ans après la réforme, parle encore fréquemment, dans ses comptes rendus de prospection, de lieues et de pieds pour estimer distances et dimensions. Un Tableau comparatif des mesures anciennes et nouvelles établi le 19 novembre 1810 par la mairie de Saint-Léger-sous-Beuvray nous apprend, d’une manière peu claire, comment s’y retrouver. C’est ainsi, entre autres, qu’une ouvrée de vigne de 45 perches, 9 pieds, 6 pouces de côté (il y avait alors de la vigne à Saint-Léger-sous-Beuvray) valait désormais 4 perches métriques, 28 mètres, 5458. Une corde de bois de 128 pieds cubes se mesurait maintenant en 4 stères 387490 !

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- Dans les mêmes temps, l’impôt indirect prospérait. Il n’y avait pas encore de TVA mais un droit d’octroi – sorte de péage – sur les marchandises transportées à l’entrée de chaque ville. Un arrêté du préfet de Saône-et-Loire, daté du 19 ventôse, An 9 de la République fixe les droits d’octroi à percevoir dans la ville d’Autun. Peu de produits d’usage courant y échappaient, sinon les légumes et fruits que chacun récoltait dans son propre jardin. Ainsi étaient prévues des taxes sur les têtes de bétail, les céréales, le vin, le bois, le fer, le sucre, les cuirs, le café et tous les matériaux de construction (7).

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- Malgré l’abolition des privilèges, certains « acquis » d’Ancien Régime étaient fermement défendus et ce, jusqu’à une époque très récente. En témoigne un Procès-verbal de reconnaissance des cantons défensables en date du 3 avril 1950, signé de l’Inspecteur des Eaux et Forêts d’Autun et autorisant les habitants d’Autun, Antully et Marmagne à faire pâturer leur bétail, du 1er avril au 31 octobre, en certains cantons de la Forêt domaniale de Planoise, en vertu d’un titre d’origine émanant du Duc de Bourgogne en date du 18 janvier 1270 ! A ce jour, ce droit n’a pas été aboli. Seules, les pratiques actuelles d’élevage l’ont fait tomber en désuétude.

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Nous avions évoqué la sincérité de nos ancêtres, dans leurs convictions successives et contradictoires, durant ces périodes troublées. En voici deux exemples, concernant des acteurs de premier plan de notre histoire locale :

- Pierre-Antoine-Victor de Lanneau de Marey, né le 25 décembre 1758 à Bard-les-Epoisses, était un aristocrate. Il souhaitait une carrière militaire mais sa famille le fit entrer dans les ordres. Il s’affilia à la congrégation des Théatins, voués à l’enseignement et devint préfet des études au collègue de Tulle. C’est de là qu’il fut appelé comme vicaire épiscopal à Autun en 1791 par l’évêque constitutionnel, Jean-Louis Gouttes, qui avait succédé à Talleyrand. Très vite, Lanneau donna dans les idées les plus révolutionnaires, spécialement anticléricales. Élu maire d’Autun en 1792, il se maria et, de ce fait, fut exclu du conseil épiscopal. Il fut nommé Agent National et, à ce titre, inaugura le culte de la Raison à Autun. Il envoya dix accusés devant le Tribunal Révolutionnaire dont six furent guillotinés, parmi lesquels sont ancien évêque et deux de ses anciens confrères prêtres. Poursuivi après Thermidor pour avoir participé activement à la Terreur, il disparut d’Autun. On le retrouva peu après à Paris où, comme au début de sa carrière, il se consacra à l’enseignement. D’abord sous-directeur du Prytanée, il restaura ensuite le collège Saint-Barbe dont il devint directeur. Il y demeura jusqu’en 1823 et mourut à Paris en 1830. Tout le monde ignorait alors son passé révolutionnaire. Il était au contraire apprécié pour sa grande piété. Son curé admirait son assiduité et sa tenue aux offices. Sans doute fut-il toujours sincère, jusque dans ses plus grands excès, car rien ne l’obligeait, dans sa vieillesse, à simuler une foi de convenance. Victor de Lanneau a toujours une dédicace élogieuse aux portes du collège Saint-Barbe dans le 5ème arrondissement où une rue porte encore son nom.

Portrait de Pierre-Antoine-Victor de Lanneau (1917)

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© Musée national de l'Éducation - CNDP

- L’Empire avait remis en honneur, au profit ds anciens révolutionnaires, les titres nobiliaires et le langage de l’Ancien Régime. Admirons l’épitaphe d’Hugues Nardon, inscrite sur le socle d’une croix anciennement érigée devant l’église de Saint-Didier-sur-Arroux et aujourd’hui partiellement détruite : « croix élevée le 8 avril 1812 par Hugues Nardon, administrateur général de la Province de Cuenca en Espagne, Ancien Préfet de Maine-et-Loire, membre du Collège électoral de Maine-et-Loire, Baron de l’Empire, chevalier de la Légion d’honneur et de l’ordre royale de S.P. ». Ce personnage très fier de ses titres était né le 10 janvier 1768 à Saint-Didier-sur-Arroux où son père était notaire. Il fit ses études au Collège d’Autun en compagnie de Joseph Bonaparte avec qui il se lia d’amitié. A la Révolution, il fut un ardent défenseur des « idées nouvelles », comme l’on disait alors mais sut évoluer en même temps que les événements. Nommé sous-préfet d’Autun au Consulat, il fut préfet d’Angers en 1802, préfet de Parme en Italie en 1805, baron d’Empire en 1809 et appelé en Espagne par son puissant protecteur Joseph Bonaparte devenu roi. Nommé « Grand d’Espagne » en 1810, il y périt en 1812, assassiné au cours d’une émeute populaire. Hugues Nardon est le type même de l’administrateur opportuniste dont les convictions – étaient-elles sincères ? – évoluaient de telle sorte qu’il demeurait toujours à même de servir le pouvoir en place.

© Roland Niaux 1990 (Publication électronique : Août 2006)

Bibliographie consultée :

A. de Charmasse, Jean-Louis Goutte, évêque constitutionnel de Saône et Loire, M.S.E., XXV, 1897, p. 217 et s.

P. Montarlot, Les députés de Saône-et-Loire aux assemblées de la Révolution, 1789-1799, M.S.E., XXXII, 1904, p. 250 et s.

P. Muguet, Recherches historiques sur la persécution religieuse dans le département de Saône et Loire pendant la Révolution (1789-1803), Châlons-sur-Saône, L. Marceau, 1897, p. 285 à 293.

(1) Avis à la Belle Jeunesse, 1781, Archives privées J. Leballeux.

(2) Assignat de 25 livres, Archives privées D. Avoscan.

(3) Instruction du Ministère de la guerre, Paris, le 10 août 1813 (Archives de l’Armée).

(4) Le Sous-Préfet d’Autun à Monsieur le maire de Curgi, 4 avril 1810 (Archives de la mairie de Curgy).

(5) Ordre du jour 27 décembre 1813 signé par le Maréchal Prince de Schwarzenberg. Loerach,.

(6) Habitans !, Proclamation du Général comte de Franquemont aux habitants de la Comelle en date du 1er août 1815, Autun, Dejussieu, 1815.

(7) Préfecture de Saône et Loire : Tarif des droits d’octroi à percevoir dans la ville d’Autun, conformément à l’arrêté du préfet du département de Saône et Loire, du 19 ventôse an 9 de la République fraçaise [sic], Mâcon, Impr. Chassipolet, An IX.

viviane niaux, éditeur

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