"Le bestiaire comme un répertoire où humanité et animalité se fondent..."

« Je cherche à représenter l'animal de façon très stylisée, de le symboliser par le trait, par la forme, voire par le choix du matériau (…). ce qui m'intéresse, c'est partir du vivant et d'essayer de

parvenir à la plus grande sobriété, au plus grand dépouillement. Si je ne pouvais faire que deux arrêtes tendues... » ainsi s'exprime Suzel Galia.

Cette tension vers l'impossible et vers l'énigme, chaque art la redéploie à sa façon. Le centre de gravité du bloc s'éprouve comme en son propre corps rapporte Suzel comme elle raconte à ce propos son amour des pierres et de la vie qu'elle y fait jaillir pour traduire « l'amour, les émotions, la fuite du temps ».

Ainsi que l'ont fait avant elle des générations de sculpteurs (on ne peut s'empêcher de penser au maître Brancusi) qui visent à l'épure, Suzel s'attache non à représenter mais à figurer ; se tenir à l'essentiel, se maintenir sur cette ligne de crête où la forme signifie, recueille, déploie le murmure du monde.

Quoi de plus immatériel auquel viendraient se confronter lignes, surfaces polies, solidité pour inscrire dans le rassemblement du symbole, ce qui est prompt à s'envoler, fuir, agir avec toute la

grâce animale ?

Frôler l’indicible avec la pierre, s'arracher au sensible pour dire courbes, graphisme, nudité, dépouillement. Ce je ne sais quoi ôté de la chair et du marbre, pour dégager une âme propre et retrouver l'esprit – qui meut l'oiseau, la tortue, la chimère autant que l'imaginaire de l'artiste – , atteindre la forme, comme au cœur, de cette animalité insaisissable qui nous regarde.

Dans le regard de l'animal, ce sont les frontières de l'homme qui défaillent, ce que le ciseau frappant la pierre ne manque pas de sonder.

A quel règne appartient l'élan qui fait vivre le chat, le dragon, le toucan, l'éléphant... sinon à celui que Suzel vient signifier dans son geste et reconnaître du vivant, ce que le minéral avec ses arrêtes et la perfection de leur puissance expressive embrasse avec passion et force le respect du sculpteur ?

« Le minéral dicte sa loi » affirme Suzel. L'artiste se soumet à cette loi pour mieux en appréhender l'espace intime, sculpte avec les sillons, la vie qui se creuse, la forme par où le geste advient pour accomplir ce qu'elle en imagine. Bientôt le bestiaire se lit comme un répertoire où humanité et animalité se fondent, où s'arrêtent la tendresse, la compassion, l'attitude, entendues comme cet instinct de l'espèce, puisant au plus profond, s'arrachant au destin de la matière pour devenir « figuration de ce que nous sommes » comme l'a écrit Gérard Mordillat, à propos des œuvres de l'artiste.

Hélène Jacquier - Août 2015

Le crapaud © Suzel Galia - photo Yves Breton

L'escargot © Suzel Galia - photo Yves Breton