Sévérian le vampire3

Lorsque les Grands Rois partirent conquérir Jérusalem au main des paiens , je me joignis a eux . La ferveur était dans tous les coeurs et l’ on enviait cette jeunesse fleurie partant verser son sang a la gloire du Christ .

Les maures n’ y étaient pour rien , nous avions l’ impression de vivre la grande aventure de la chrétienté ; Les sectateurs de l’ islam ne représentaient rien pour nous ; ils étaient l’ Epreuve qui allait assoir la supériorité de notre foi sur le monde . Nous n’ allions pas les pourfendre avec l’ épée , mais restaurer ,presque revivre les écritures . Nos glaives , meme nous semblaient a l’ image de la croix .

Et moi -meme qui avais été maudit dans ma chair et mon ame , je ne me sentais pas différent des autres . La rédemption me semblait tout particulièrement adressée . Les étapes de la passion , évoquaient ma propre histoire et parfois la chair mourante du Sauveur me rappelait ma peau marmoréenne . Le sang qu’ Il avait versé , je le buvais tous les soirs .

Avais - je pensé aux prétres , si habiles a repérer la marque du démon ?

Avais - je pensé a la morsure du soleil , plus forte en afrique qu’ ailleurs ?

Avais - je pensé aux carnages de sang , si promps a réveiller ma propre soif et révéler a mes frères que je n’ étais pas de leur monde ni d’ un autre ?

Non ,bien sur je partais a ma propre rencontre .

Et voila pourquoi je trouvai un autre au bout de mon périple .

Voila pourquoi , les chariots sur les routes puis les vaisseaux sur la mer conduisirent mon corps inerte pendant le jour ,en compagnie des croisés .

De fidèles serviteurs , asservis par mon empreinte obscure éloignèrent les curieux , prétendant que j’ étais souffrant . Et le soir , je me présentais fiévreux a l’ hospice pour prendre mon du parmi les malades .

J’ avais étendu mon aile sur tout et tous et nul ne s’ offusqua des prodiges qui émailllèrent notre traversée .

Lorsque nous parvinrent en Afrique , les bruits et odeurs se mellèrent en moi avec une intensitè surnaturelle . La canicule régnait , mais elle me fut épargnée et le soir me révélait mille teintes pastelles sous le sourire enjoleur de la lune . Une mer de tentes multicolores encadrait le lourd castel ou siégaient les banières de trois rois .

C’ est la que je les vis . Les arabes qui servaient fébrilement les chrétiens et avaient embracés notre foi ne m’ évoquaient nullement le démon sombre et pansu des relliures . Leur chair sombre et musclée contrastait sous les manteaux blancs . Je me rendis compte que le sang avait le meme gout en ce point du monde qu’ en l’ autre .

Moi - meme , lorsque la chasse me prenait , je cachais mes traits démoniaques sous ces voiles blancs . Il me plaisait pourtant de voler la vie chez ces hommes que tout opposait a nous ; je crois bien que je les aimai déja .

Je me vis infliger de cruelles blessures par des lames courbes et j’ admirai leur ruse et leur courage . Ils regardaient la mort en face quand je les étrégnai . Ils nous étaient supèrieurs . Quelle cruelle allait étre notre défaite !

Je vis des traitres parmi les hommes du sable , mais jamais je ne les dénonçai . Je riais de lire la rage sous leur regard placide . Leurs femmes surtout me plurent ; on ne devinait rien d’ elles . Leurs maris préfèraient la mort au deshonneur de voir leur compagne dans les bras d’ un autre . Je décidai de respecter ce supème mystère et n’ en tuai pas une .

Me prenant moi -meme pour un maure , on jugeait comme une insulte mon maintien trop digne sous mon manteau et j’ échappai aux rixes avec mépris .

Le camp était une vraie ruche , les gardes croisaient les échansons , les soldats les catains , les chevaliers les prètres , dans une promiscuité et une fureur qui n’ épargnait personne , du valet au prince .

La fébrilité nous gagnait tous , et je me prenais a fourbir mes armes , moi un vampire , moi un damné . Il est faux de dire que ceux de notre race sont immortels : nous sommes juste morts et l’ outrage qui nous est fait ne vaut pas plus que la profanation d’ une tombe .

J’ avais beaucoup de mal a calmer ma soif , et je me sentais parfois une vierge espérant le nuit de noce .

Je crois que cela valait pour tous , et les capitaines avaient grand mal a éloigner le vin , les épices et les catins du repos des soldats .

Tout se tendit au point que l’ on sentit le sel du sexe , meme dans la démarche d’ un vieux curé . Et tout cela pour les écritures . Nous vivions une extase ou se mellait le charnel et le sacré et j’ entendais parfois une putain orientale apostrophée comme Marie- Madeleine.

Un soir , les rois se réunirent devant le camp en assemblée et annoncèrent la bataille pour le lendemain . On ne les voyait pas plus gros que des tetes d’ épingles , le pourpre et l’ or des broccards luisant sur le crépuscule , mais une clameur inouie leur répondit , qui fit meme trembler les pierres du vieux castel .

Toute la nuit , j’ enrageai ; je maudissais meme mes serviteurs qui partiraient sans moi et ma fureur en tua beaucoup . Mais ma soif n’ était pas appaisée et la vue de leur sang sur les coussins d’ orient décupla ma fureur . La bataille aurait lieu sous le zénith du soleil .

Je m’ endormis comme les trompettes sonnaient le rassemblement avec l’ image de mille sarassins périssant sous ma lame .

La bataille dura un mois. Chacun apprenait combien la valeur de l’ autre avait été méprisée .

Le soir , je prenais les prisonniers et blessés et lisai dans leur regard le reflet de ses sublimes batailles .

Il sembla bien vite que la chrétienté allait vers la défaite , comme l’ ardeur des guerriers se brisait sur la fureur sacrée de nos ennemis .La morosité s’ était étendue sur le camp et je fouillai les ombres a la recherche d’ un peu de vie .

Un soir , l’ armée ne rentra pas . Le camp était presque désert . Pris d’ un espoir fou , je sellai un étalon fougueux et le fit s’ élancer loin du camp , vers la fureur et les cris vers les imprécations et la mort , vers la vie .

Mais bien sur j’ arrivai trop tard . Le champ de mars s’ était mué en carnage ou seuls les vautours et les hiènes trouvaient bonbance . De maure ou de chrétien vivant , il n’ en restait pas. Je poussai un hurlement insensé qui effraya ma monture et celle - ci partit sous le vent et le sables , vers les dunes millénaires d’ orient .

Mes éperons cruels s’ enfonçaient dans ses flans et le sang qui maculait mon cheval exaltait ma folie .

Quand celle -ci s’ écroula , morte sous moi , je tombai a terre et bus son sang . Jamais je n’ avais bu le sang d’ une bete , mais il ne fit que augmenter mon immense faim .

Quand je me redressai , je constatai que j’ étais en la place d’ un petit hameau .

Les gents assemblés autour de moi , a la fois stupéfaits et horifiés . Ainsi maculé de sang et de sueur , engoncé dans un jaseran sombre je devais ressembler a un chevalier des enfers , révélant par mon visage la bète qui couvait toujours en moi .

Ils ne pouvaient pas bouger , et je ne reconnus pas la mon propre pouvoir ténébreux , car quelque chose en moi voulait leur mort .

Je hurlai et menaçai , je suppliai et sussurrai , mais cette chose en moi grandissait et je tentais de la proscrire en invoquant les saints et les démons .

Enfin ils fuirent , mais il était trop tard , et ce gloussement insensé , ce soupir bestial n’ était certainement pas moi . Maintenant je leur en voulai de la mort que je leur infligeai . Je les eusse voulu forts ou laches , mais ils ne purent empécher leur destin . En un instant je les tuai tous et ma soif de sang ne fut appaisée que quand je vidai le sang de l’ ultime survivante , une enfant cachée derrière un puit .

Je pris un temps inoui pour voler son sang , et je sentis sa résistance la quitter si lentement .Quand sa main tomba , je ne sus si c’ était de volupté ou d’ abandon .

Je crois que la folie m’ avait prise et je ricannai comme un simple d’ esprit attendant le soleil , les hommes ou Dieu .

Mais ce fut lui qui vint a moi .

Je crois meme qu’ il avait tout observé et pourtant il n’ avait rien fait .

Il portait la marque de la mort , et celle - ci sublimait la finesse de ses traits de renard du désert . Car c’ était un maure .

Mais en cet instant ,il était surtout un vampire .

Il sortit un cimeterre damasquiné d’ or et j’ écartai les bras .

Comme la lame perforait mon coeur , je l’ étreignai et il m’ embrassa sur les lèvres .

Je ne sentais pas meme le sang jiclant a mes pieds , mais je l’ étraignai avec une force insensée , et lui -meme répondit a mon étreinte passionnée . Quand je m’ écroulai , il me traina dans le sable , sous un olivier . Et il me laissa la comme le soleil se levait , ses grands yeux cyanosés énigmatiquement voilés .

Contre les dunes de l’ horizon , le soleil se levait , et je le regardai avancer vers moi , vers ma mort , vers ma libération . On a toujours vu le soleil comme un astre de feu , mais j’avais l’ impression d’ une mer de lumière allant m’ engmoutir .

Et la lumière fut sur moi . Mais j’ étais sous l’ ombre du peuplier et elle ne me brula qu’ a moitié . Pourtant ma peau fumait ,et ma chair naguère si ferme se couvrait de cloques immondes . Je crois que je hurlai . Je restai ainsi prostré et la douleur dépassait tout ce que j’ aurais pu imaginer . J’ étais rejetté en moi- meme , les yeux clos sur ma propre noirceur , le corps recroquevillé sur ma faiblesse . Cela dura un temps interminable , et je sus que je ne pourrai plus quitter l’ ombre en moi . Alors je m’ abandonnai et mes yeux s’ ouvrirent . Un instant ,juste un instant et je vis . Pas la lumière , pas le soleil qui ne sont que l’ ombre du visage de Dieu . Non je vis et je gardai dans l’ écrin de mon coeur .Cela ne m’ a pas changé , je ne suis ni meilleur ni différent , mais c’ est en moi . Et je le transmettrai ; a ce moment la oui ,je mourrai , sans le vouloir sans le pouvoir et je te rejoindrai mon amour . Tu vois les nuages m’ ont révélé ton visage . Je verrai ta présence en toutes choses , Hellene ; Et j’ aimerai je t’ aimerai ; tu m’ as libéré .

Le soir , je me réveillai sous une couverture sombre . L’ ermite véilla sur moi pendant un moi ; et ce n’ est ni son sang ni le lait des chèvres qui ont ranimé mon corps calciné . Non , sa sagesse m’ aguérit comme une source ou j’ ai bu passionnément ; Car ma soif était grande .

Bien que soufiste ,il connaissait les évangiles . Il m’ apprit de nombreuses choses .

Que les branches du mont des oliviers peuvent détruire notre peuple , que les nécromants volent notre sang comme nous volons celui des hommes . Il me dit que l’ on offre toujours un hollocauste a la gloire de Dieu et que c’ est toujours soi- meme que l’ on immole a l’ éternel.

Les lauriers de la victoire avaient laissé la place a la couronne du Christ .

Il me donna l’ espoir insensé de réveiller Hellene ; cela était possible .

Je ne l’ oublierai jamais l’ homme du désert ; je n’ ai pas pu sauver Hellene , mais il m’ a rendu l’ espoir . Plus jamais je ne craindrai la vie , plus jamais je n’ appelerai la mort .

Quand elle viendra dans un grand char ou avec une faux , je l’ accueillerai avec amour , car elle aura ton visage .

Des marchands juifs ramenèrent mon corps torturé dans un grand chariot . Parmi les étoffes et les épices je reposai . Les jarres de sang étanchèrent ma soif et je ne pris aucune vie avant d’ arriver en terre chrétienne .