Akashite

- Maître , je n’ y arrive pas ...

Pour une fois , le visage du sensei était impassible .

Roland cherchait en vain d’ y lire quelque émotion , et cette indifférence provoqua un surcroît de tristesse .

- C’ est trop dur ; je ne peux arpenter la Voie .

- Je comprends .

C’ était dit sans aménité , presque une constatation ; Roland se sentait presque trahi .

Il avait vu dans le vieillard plus qu’ un simple maître ; Parfois un ami , presque un familier .

En son coeur , il lui semblait qu’ il décevait le vieux maître .

La ou il avait attendu des conseils , encouragements , une oreille ou s’ épancher , il ne recevait qu’ indifférence .

A son tour , il commençait a juger son maître indigne ; et s’ il s’ était fourvoyé ...

- Je respecte ta décision , sempai . Mais pour te libérer de ton engagement a mon encontre , tu dois faire une dernière chose ...

S’ il ne s’ agissait que de ça ; Roland était prêt a tout pour en finir , retrouver un peu de sa dignité .

- avant que tu te retires , tu te rendras a midi dans la ruelle de la venaison .

Roland savait ce que cela signifiait : relever le défi de l’ école Yagyo , ennemi de la sienne .

Dans un tel défi , il ne saurait être question de l’ emporter . Le maître l’ envoyait a la mort .

Pourtant , par fierté il acquiesça et se retira . Mille émotions se bousculaient en sa poitrine .

Il ne prit pas son sabre , pas même son bokken . Il s’ imaginait se suicider .

Dans la rue , sous un soleil de plomb , entouré d’ une foule industrieuse , il lui semblait être seul . Il contemplait ses baskets avec commisération . La bouche d’ égout lui parut le gueule d’ un monstre .

Lorsqu’ il ressortit , il contait les minutes qui lui restaient a vivre .

Prenant une ruelle latérale , il s’ attendait a une embuscade a tout instant . Il comptait se laisser faucher sans résister . Un grand calme l’ envahit ; il se revit plus jeune .

Pourtant , parvenu dans la venelle , lorsqu’ il fut devant le barabbi , son coeur se serra .

Petit et trapu , les moustaches sombres entourant son visage d’ un pli ironique , maître Fujita était venu en personne .

C’ était la un adversaire pour le sensei , pas le sempai ; Et s’ il risquait le déshonneur de l’ école .

- Es - tu prêt a être initié ? dit le japonais d’ une voie calme .

- Maître , n’ insultez pas le style Kajita ; Je peux mourir , mais il n’ est pas question de trahir la famille Kajita .

- tu es venu sans sabre ; tu crois que je compte simplement te tuer ?

Roland se rendit compte qu’ il avait doublement failli . Le barabbi ne voulait pas sa vie , mais son âme .

Quelque chose roula sur le sol : un wakisashi .

- Puisqu’ il faut mourir , autant mourir en se battant se dit Roland ; Il ramassa le petit sabre avec un infini respect , et s’ avança a pas mesurés vers le maître .

Grâce a la discipline mentale , le calme revint . Mais quelque chose le fuyait ; la position du barabbi était trop calme , décontractée . Mille ouvertures se présentaient a lui .

Il comprit : le barabbi le troublait par des feintes , des tentations pour son sabre .

Il sut ou frapper .

Dans une gerbe de lumière , son arme s’ abattit avec toute la force et l’ habileté d’ un expert sur le seul point protégé de son adversaire .

La terre , le ciel , la terre ; un choc d’ une violence inouïe .

Roland comprit que le barabbi avait saisi son poignet et l’ avait envoyé voler contre le sol .

Seule sa charpente d’ acier et les divines techniques d’ ukemi lui avaient permis de survivre sans blessure .

Il se releva : Il eut plus de respect encore pour son maître ; la valeur de son entraînement , de ses faiblesses et souffrances prenaient forme en son esprit .

Une position parfaite l’ aida a retrouver le calme ; Il ne vit plus son adversaire , il ne craignait plus pour sa vie ou l’ honneur de l’ école , tout était si simple ; le doux vent sur sa peau ; dans un arbre , un rossignol chantait ; il crut a un satori ; il souriait .

Il croisa son adversaire en souriant ; il ne sut même pas s’ il avait frappé .

Un rire le sortit de sa transe .

Il vit la lame moqueuse de son adversaire ;

Il vit le sang sur sa poitrine .

Il sentit ;

Il s’ écroula .

Le rêve s’ était fait cauchemar . Au moment ou il recevait la révélation , son adversaire le terrassait .

Ainsi blessé au flan , il ne pourrait plus l’ emporter .

Il calma son coeur dans sa poitrine , le sang dans ses tempes , le souffle oppressant .

Maître Fujita était au - dessus de lui , l’ épée levée .

- Adjure le style Kajita et tu vivras .

- Je préfère mourir .

- Au moment ou tu viens de comprendre ? Tu viens d’ être éveillé ; la ou ton maître a échoué en 10 ans , j’ ai réussi en 10 minutes . Si j’ ai triomphé , c’ est que le style Yagyu est supérieur . C’ est lui qui a vaincu , incline toi devant mon sabre .

Avec un infini respect , Roland saisit le Tachi de son adversaire . Sans réfléchir , il baisa doucement la lame pleine de sang , pleine de son sang .

Et avant que le barabbi ait pu faire quelque chose , il retourna la lame et l’ enfonça dans son coeur en disant :

- le sabre m’ a vaincu ; je m’ incline devant le sabre .

Il perdit connaissance comme son sang coulait .

Le barabbi par acuponcture calma le flot de sang et sauva Rolland .

Puis reprenant sa véritable apparence et embrassant son élève , le vieux maître dit .

- dors bien sempai ; Boudda vaut bien une petite illusion .