Elric le nécromant4

Il était bien maigre pour survivre a ce carnage , le frèle albinos . Mais voila , l’ épée noire était a ses cotés pour une raison que ni les hommes ni les dieux ne pouvaient comprendre .

Nul ne se souviendrait pour quelle raison les guerriers s’ étaient affrontés , et l’ Albinos moins que tout autre . Sans doute par désoeuvrement .

On ne garderait de cette tuerie que le souvenir d’ une belle bataille , que les aèdes chanteraient quelque temps .

Parmi les vainqueurs , tous avaient appris a respecter la mélancolie de l’ albinos . Combien d’ ames avait - elle fauché , et pas uniquement parmi les ennemis .

Mais le vin de Jarkor n’ apportait pas l’ oubli a Elric . Et comme les chants des libations se mellaient aux feux du camp dansait devant ses yeux l’ image d’ une femme merveilleuse : Cymoril.

A son coté , le monstre dormait paisible , mais il exigerait encore et encore le prix du sang , le prix de la liberté , le prix de la mort .

Elric était devenu le jouet de son épée monstrueuse . Se pouvait - il que quelque chose ne fut pas asservi en lui ?

Lorsque le sorcier vint le voir sur le champ de bataille , il l’ écouta longuement avant de le suivre .

Dans la tente ourlée du conte Belront , on lui servit le meilleur vin dans une coupe certie de joyaux . Mais Elric avait bu tout son soul , et pas uniquement du vin .

On le remerciait ;

On l’ avait reconnu ;

On lui demandait l’ aide de l’ antique sorcellerie pour détruire l’ arrogante cité de Thalwir .

En temps normal , Elric se serait contenté de refuser ; il n’ était pas -tout a fait - un simple mercenaire ; Mais la vision de l’ antique parchemin ranima une flamme dans son regard éteind .

Il avait reconnu l ‘ antique charme d’ Elros le nécromant , un transfuge qui avait percé les secrets de la vie et de la mort . Un espoir insensé commençait a naitre en lui .

- Ai , il va bien falloir que je vous aide , conte .

Mais comme Elric revenait en sa tente solitaire , les paroles de Sadric , son père lui revenaient . Nul ne peut voler la sorcellerie de Melnibonée sans etre de sang royal et s’ en vanter longtemps de par le monde .

Il importait peu a l’ urbicide que les secrets ataviques de son peuple soient exposés aux prophanes , mais il s’imaginait mal attendre la fin de la guerre que le parchemin lui soit remis .

Cymoril n’ avait pas perdue Imrryr , la faute lui revenait seul , mais elle valait bien un campement de guerriers , des fous , des gueux chantant leur victoire aux dieux de l’ infini .

Et déja les doigts blèmes du prince defaisaient quelque sachet de plantes rares ;

Il les jeta négligemment au feu comme son esprit s’ élevait au rythme d’ une mélopée impie .

Les guerriers de Belront avaient du entendre le chant abominable ; ils croyaient sans doute que l’ aide du prince - démon venait déja .

S’ ils avaient su que leur vie allait etre fauchée pour un parchemin moisi , vieux de quelques millénaires .

Ils ne virent jamais l’ aube se lever . Alors que le petit matin approchait , des nuées noires obscurcirent le firmament , et l’ horreur ailée fondit sur les survivants de la bataille .

Comme les hurlements s’ élevaient dans le camp , Elric ramassa ses effets et sortit .

Des formes squameuses et translucides parcouraient le camp sur les vents de la folie semant la mort et la désolation parmi les guerriers .

A la tete de sa garde personnelle , Belront se dirigeait vers la tente d’ Elric .

L’ Albinos pointa simplement sa lame noire vers le conte et les attaques convergèrent vers lui sous les hurlements et les imprécations de ses hommes .

Mi - agacé , mi - curieux , Elric parcourait le camp a la recherche du sorcier ; et parfois la lame blème s’ abattait sur un garde , sous le regard hilare et cramoisi du prince .

Les horreurs ailées évitaient l’ épée noire , conscientes qu’ un tel maléfice dépassait le pouvoir de leurs serres et de leurs vrilles .

Dans la pénombre et le vent , Elric prit conscience qu’ une forme l’ observait de l’ autre coté du camp .

Le sorcier enveloppé de sa cape verte déposait le parchemin a ses pieds . Puis il disparut , mais Elric eut le temps de reconnaitre les traits de son peuple .

- Elros ? Elric lança ce cri sans qu’ une réponse lui fut accordée .

Oubliant la bataille et les guerriers , oubliant meme les horreurs vomies par les nuées , Elric se précipita vers le parchemin .

Il le ramassa d’ une main tremblante , et le glissa sous son justaucorps .

Puis il se tourna vers le camp . Il ne restait plus guerre de combattants et déja les horreurs rejoignaient les cieux .

L’ épée décrivit des arabesques et une bète obliqua dans sa direction ; elle prit Elric dans le souffle fétide de ses serres , et emmena le prince vers l’ est , vers la mer aux dragons , vers l’ antique Melnibonée , siège de sorcelleries indicibles .

Sur une pierre nue , Elric se réveilla comme le soleil naissant éclaboussait le firmament .

A ses pieds les ruines de Melnibonée , la plus grande et fière cité des sept ages et des mille plans , Melnibonée détruite par la passion incestueuse d’ un jeune prince .

Mais le remord n’ avait pas la meme valeur pour un melnibonéen , et Elric se contenta de rire doucement .

Pourtant comme il parcourait les mausolés et les statues abatues , le sentiment d’ une vanité le prit .

“ Les dieux avaient donné ; ils avaient repris ; ils s’ étaient lassés “

Mais quand il parvint devant la tombe de Cymoril , il tomba a genoux , et pleura comme un enfant .

Les herbes folles n’ avaient pas effacé l’ inscription d’ Elric , rédigée deux ans plus tot :

“ ci - git Cymoril , princesse de Melnibonée l’ infame , que son cousin Elric aima , et qu’ il détruisit , par son Epée Stormbringer ; dors bien princesse , tu es maintenant presque une impératrice “

Elric ne préta attention ni a la faim , ni a la fatigue et étala le parchemin devant le caveau .

Il rit de désespoir ; une sorcellerie trop puissante ; jamais il ne pourrait la mener a bien .

Pourtant , il se releva et se dirigea vers les ruines de Baa’ tez’ neth , la haute tour de magie .

Elric passa un mois sur l’ ile , vivant en hermite et se nourrissant de plantes et de poissons .

Une nouvelle détermination était venue en lui ; il préférait périr plutot qu’ échouer dans son invocation .

La nuit , il dormait dans 8 pentacles concentriques , et d’ abominables cauchemars l’ assaillaient .Parfois , les ombres des anciens habitants revenaient hanter les ruines , mais ils n’ avaient pas un regard pour Elric .

Il finit par ne plus voir le soleil et la lune , mais deux coursiers d’ or et d’ argent tournant sans fin dans le firmament .

Un jour froid et pluvieux , il crut voir l’ ombre de son père recherchant quelque chose .

Mu par une impulsion , il suivit la forme .

Il parvint dans un vieux jardin envahi de lierre .

Elric était peu venu en ces lieux , pourtant il le reconnut immédiatement ; Sa mère , l’ impératrice Ph’ ee p’ ee reposait en ses lieux , morte en couches .

Il s’ endormit sur la pierre froide .

Dans la nuit , une main laiteuse et douce caressait sa joue en lui murmurant des mots tendres .“Mère “

Il revint vers la tombe de Cymoril , un feu habitait ses entrailles ;

Presque en trance , il murmura des invocations dans une langue étrange , l’ ancien idiome ; il reconnut avec horreur le parchemin d’ Elros ; Il luisait faiblement dans la nuit .

Les mains en croix , un vent bouillonnant courait sur son corps en haillon . Ses cheveux laiteux semblaient danser autour de lui . Lorsque les paroles devinrent trop abominables , il perdit connaissance . Pourtant quelque chose en lui continuait l’ invocation .

Dans la nuit de sa tourmente , des couleurs vinrent ; la cité d’ Imrryr était animée de feux , elle revivait .

Pourtant , il cherchait en vain la forme de sa bien - aimée .

Il les vit tous , ses cousins , son père et sa mère , ses sujets , mais il ne vit pas Cymoril .

Il comprit qu’ il pouvait tous les rappeler de la nuit de ses souvenirs ; mais qu’ il ne pourrait pas rappeler Cymoril , tuée par l’ épée noire .

Et il devint fou , et il les maudits tous , son peuple , ses parents , meme Cymoril .

Il pleurait a meme l’ herbe verte , et a nouveau une main douce vint sur ses épaules .

Elle était la Cymoril , plus éblouissante que le jour , plus belle que la nuit .

Elle avait une beauté qu’ elle n’ avait jamais eue dans ses souvenirs ; car elle vivait .

Ils marchèrent main dans la main , et quand le bateau vint , Elric comprit :

Qu ‘il devait la libérer de lui , de ce monde obtu et de ces dieux stériles .

Qu’ ils ne se reverraient plus , mais que Cymoril porterait un peu de sa chaleur vers les autres mondes ; et que cette chose grandirait sans la malédiction de l’ épée noire .

Elric s’ endormit paisiblement . Le ventre de Cymoril avait le galbe d’ une mère .