Sévérian le vampire2

Je pensais vivre ma dernière nuit ;

Vivre , est - ce bien le mot ?

Le désespoir vient parfois que l’ on sait ne pouvoir survivre jusqu’ au jour dernier .

Et pour cela , les écritures sont d’ un grand secour .

Mais moi , j’ avais en meme temps que l’ étreinte été bani du peuple de Dieu .

Je n’ étais plus ce berger qui conduit le troupeau , mais bien un prédateur toujours affamé et qui ne chasse que la nuit .

Ainsi , ne pouvant mourir , mon désespoir était plus grand que celui qui sait ne pas pouvoir contempler la prochaine aube .

Il eut fallu me tuer une seconde fois . Et je comptais bien ajouter a tous mes crimes , le plus abominable qu’ on imaginat alors .

Me tenant alors sur un haut rocher de Sénart , je contemplais la mer végétale en - bas .

Des oiseaux de nuit semblaient parfois jaillir de la cime des arbres , ondulant au grès des vents . Et les lucioles répondaient en secret au clignement des étoiles .

Je crois que je caressais en secret l’ espoir de la rèdemption . Et quand la lune dévoila son visage poupin , j’ avançai dans le vide .

Mon corps s’ écrasa dans l’ herbe verte , le sang maculant le sol , mais une vie impie continuait a m’ habiter ; c’ est en vain que l’ on tente de tuer ce qui est déja mort .

La souffrance était immense pourtant ; non celle de mes membres brisés et de mes os rompus , car la force ténébreuse qui m’ habitait prenait soin de moi et ne souhaitait pas ma disparition . Non , mais je ressentais le gout amer de la défaite et une infinie lassitude .Mon corps était devenu une prison ou ma culpabilité ne pouvait s’ enfuir ; Meme la douleur rédemptrice de la chair m’ était refusée . J’ imaginais dans le manoir familial ma soeur Viviane se livrer a une orgie de sang . Les invités devaient danser une danse bien macabre maintenant ; et seuls les animaux contempleraient l’ agonie de ceux que ma seur avait gorgé de viandes et de vins afin de vitaliser leur sang . Incapable de supporter un massacre de plus , auquel je ne pourrai m’ empécher de prendre part , j’ avais laissé la réception .

Et la , gisant dans le sang et la terre , j’ attendais le soleil . J’ avais l’ intuition que le chant du coq détruirait définitivement cette enveloppe malsaine , mais pourrai - je rester jusque la dans l’ attente de l’ aube sans que la terreur de Dieu et de son jugement prochain ne me fasse décamper hurlant vers quelque grotte obscure ou je pourrai me terrer jusqu’ au soir ?

La tete contre le sol , je pris conscience de l’ arrivée de chevaux dont les fers battaient le sol . Mon corps n’ était que partiellement remis , mais la soif était née en moi , cette immonde rétribution de mon immortalité . Je me prenais a prier tous les saints que leur route évite cette clairière ensanglantée , et en meme temps je goutais par avance leur sang dans ma bouche . Une troupe entière n’ eut pas suffi a me calmer .

Mais quelque main charitable guida les voyageurs vers moi . Ils étaient une douzaine , revéttus de capes et coiffes sombres , une épée battant fièrement le flanc de leur destrier . Pire que tout une donzelle d’ une grace et douceur inouie semblait a elle seule illuminer la foret . Mon coeur s’ embrasa a sa vue , je me prenais a réver de ses mains caressant mon corps tourmenté et me libérant du malheur ; je révais surtout de son sang ; les veines bleutées palpitaient sous ses cheveux d’ or , comme une source pour se désaltérer et se laver des impuretés du monde . Je crois qu’ en l’ absence de la dame j’ eus pris leurs vies sans hésitation . Mais cette sublime offrande était comme un défi a ma souffrance .

Je luttai pour ne pas les dévorer et oubliai tout sauf cette volonté qui se tend , qui brouille la vue et occulte les tentations des sens . Je sentis confusément qu’ on me parlait et transportait sur un cheval .

Je priai que leurs pas ne les mènent vers cette ultime demeure du diable , l’ antre de ma soeur mais bien sur les chants , les rires et la lumière attirèrent leur attention .

Ma soeur n’ avait pas consommé son festin . Elle avait pris l’ habitude ,sans doute inspirée par ma conduite masochiste de résister a l’ appel du sang jusqu’ au moment ou l’ extase que nous ressentions se mellait a l’ agonie de nos proies . Plus d’ une fois , une victime hurla de plaisir sous nos baisers de morts et nous avions l’ impression d’ etre inspirés par dieu .

Mais lorsque la fureur retombait , et que notre masque démoniaque se lissait ,nous nous écroulions hagards dans la salle de réception . Mes larmes venaient alors maculer de pourpre le visage des morts , le dégout était en moi , et si je l’ avais pu , j’ aurais vomi . Ma soeur se saisissait d’ un éventail , et lissait ses cheveux défaits ; elle avait alors l’ air d’ un convive repu contemplant les restes d’ un festin . A ses moments , si l’ idée du fratricide ne m’ avait pas autant révoltée , je crois que je l’ aurais battue a mort . Je la surprenai contempler mes veines saillantes et me jeter des oeuillades équivoques ; Je crois que ma mort lui eut posé moins de problème et qu’ elle caressait l’ idée de boire le sang d’ un vampire . Heureusement , son sommeil était plus long que le mien et je me prenai au réveil a contempler son corps que quittait le gangue de la mort . A ses moments la , j’ en eu été capable moi aussi et peut - etre est -ce la raison pour laquelle j’ avais décidé de me supprimer .

Mais ma soeur avait accueilli agréablement les voyageurs et conversait avec la donzelle , lui proposant de se joindre a la fete . Avec un regard entendu a mon encontre elle balaya toute objection et leur assura que je serai remis dès le dessert . Ses intentions étaient évidentes et pourtant son charme vénéneux et surnaturel opérait . En mon fort intèrieur je maudissais ses imbéciles qui protégeaient mal leur maitresse et je tranchai leurs cous en pensée .

Heureusement on m’ amena dans mes appartements avant que la soif me submerge . Je tentai de reprendre une certaine contenance . Je caressai en secret le projet d’ emmener mon invitée loin de ce purgatoire , en un lieu ou je pourrai lui dévoiler mes tourments et mon ame . Je l’ imaginai consoler mes pleurs sur un giron maternel . Je mellai le lait de la passion et le sang du tourment .

Les rires se faisaient si forts en bas , la curée n’ allait pas tarder .

Une main si douce et si fraiche se posa sur mon front ; M’ avait - elle entendu délirer ?

Son visage était serain ,une vrai madone . Elle parlait calmement a mon oreille . Son nom franchit le maelstrom de mon crane : Hellene , forcément .

Je l’ attirai contre mon coeur et elle vit dans cet acte la demande d’ un réconfort chaste .

Ses cheveux d’ or avaient la meme texture que Viviane , pourtant aucun crime ne les avait souillés . Une femme d’ une telle pureté qu’ elle lut la souffrance dans ce geste famillier , une telle femme avait une force dont nous ne serions jamais capable . Le désir et la violence se calmaient comme par magie et la paix se fit en mon coeur .

Je me rendis compte que le sommeil l’ avait envahie , elle était la mon enfant , sous ma protection et ma main se prenait a caresser ce front veiné d’ or .

En bas , la musique s’ était tue Le massacre allait commencer .

Je serrai ma femme contre moi et priai que les cris ne la réveillent pas . Ma soeur prenait parfois plaisir a terroriser ses victimes avant de les tuer , je ne voulai pas croire que seule la peur véhiculée par le sang nous nourrissait .Comme le carnage commençait et que l’ odeur du sang me parvenait je serrai ma compagne contre moi .

- Ne te réveille pas , mon amour ou tu es condamnée . Rien ni personne ne pourra te sauver de ma soeur et de ma propre villenie . Je ne te laisserai pas partir car tu es l’ oiseau du bonheur venu nicher dans l’ antre du serpent et ta lumière peut dissiper les ténèbres .

Elle semblait faire un cauchemar , ses adorables sourcils se crispant et je baisai ce front devenu soucieux . Son odeur était si douce , si belle si pure. Je n’ entendais plus les cris , je ne sentais plus le sang .

- Je vais te donner la vie éternelle mon amour et nous arpenterons les Elysées main dans la main . Vois j’ ai assez de force pour nous deux ; je te protègerai de tout et tous .

Je me rendis compte que ma seur m’ observait avec délectation ; a genoux comme a l ‘ Eglise je buvais a son cou le calice du bonheur . Il y avait quelque chose d’ obscène dans ma soeur nous épiant . Peut - etre voulait - elle savoir comment on enfante dans la nuit . Je puisai des forces infinies pour me libérer de ce cou si gracieux , et finalement j’ y parvins .Quand je levai la tete , ma soeur était partie .Ce fut un effort incroyable , le plus grand que j’ avais fait depuis un siècle . Las , Pourquoi faut -il que cette suprème victoire devint mon pire cauchemard . Ma soeur , tu avais maudit notre baiser . La vie avait quitté Hellene , mais elle n’ était pas entrée dans la mort . Je poussai un hurlement effroyable et tentai de ranimer ma bien - aimée . Je me serai voulu le Christ appelant Lazarre , mais j’ étais maudit . J’ ouvris meme mes poignets et répandai mon sang sur son corps , le pourpre maculant ses voiles blancs . Mais la mort ne voulait pas la quitter . Je l’ insultai et la gifflai , je renversai le mobilier et brisai les statues ; Finalement je posai la tete sur son ventre ajoutant les larmes au sang . En moi ,quelque chose grandissait , quelque chose de mauvais et pur qui allait faire de moi le maitre de la nuit , et je ne luttai que pour lui permettre de prendre de l’ ampleur . C’ était ma soif et ma fureur mellés ; Le don ténébreux , muselé pendant un siècle me possédait .Un rire bestial s’ éleva . Etait - ce moi ? Je filai comme le vent a travers les pièces pleines de corps a la recherche de ma soeur . Mais le manoir était vide , je le sus en un instant .

- Merci , ma soeur ; tu as oté de mon ame tout apitoiement , toute faiblesse , tout remord . Maintenant oui , je suis un vampire . Tu m’ as fait plus que moi je ne t’ ai fait . Merci ,ma soeur , dorénavent je ne vivrai que pour te détruire .

La semaine passa . Seul dans le manoir , je nettoyai le sang et brulai les corps . Surtout , auprès d’ un grand arbre , j’ enterrai Hellène et agenouillé devant mon épée , je suppliai le Seigneur de m’ accorder la vengeance avant de prendre mon ame .

Quand la foret me murmura l’ echo de pas assurés , j’ étais prét . Mais , ce qui vint ,encore une fois n’ etait pas prévu . Oh ma soeur , tu es pleine de ressource ; J’ aurai plaisir a boire ton ame a la santé de Lucifer .

Un grand paysan roux , une hache sur l’ épaule s’ avançait vers moi . Il portait les stigmates de la mort ; Je compris alors que ma soeur m’ avait doublement humilié . Elle avait par jalousie tuée la seule femme a qui j’ avais donné mon coeur . Surtout , elle m’ avait volé le secret que j’ avais toujours refusé de lui révéler : comment le baiser de mort pouvait se faire étreinte de vie .

Il avait l’ arrogance de celui qui voit sa force déja impressionnante renforcée par les ténèbres . Les joues rosées indiquaient le vampire gorgé de sang avant l’ affrontement .

Pourtant il parla avec l’ humilité du hobereau s’ adressant au seigneur .

Ma soeur l’ envoyait en gage de paix ; elle souhaitait la réconciliation . Elle n’ était pas responsable de la mort d’ Hellene . Elle avait juste voulu savoir ce qu’ elle m’ avait tant supplié de lui révéler . Elle demandait le pardon .

Je restai silencieusement , contemplant sombrement mon adversaire . Son assurance démentait son humilité . Quand je sentis sa peur et que sa prise se raffermit su la hache , je bondis . J’ avais franci la prudente distance qu’ il avait instaurée entre nous en un instant et mon épée s’ enfonça dans son torse puissant , le clouant a un arbre .

Puis ,je m’ abritai sous la tonelle et attendit .

Je ne le regardai pas ni écoutai , mes fixai l’ horizon . Je ne sais s’ il me menaça ou supplia , je guettai le ciel . Et quand le firmament commença a palir , je tournai enfin mes yeux vers lui . Le sang avait maculé l’ herbe . Comment avait - il pu en boire autant ?

Comme la lumière s’ avançait vers nous , je lui demandai ou était ma soeur et il me répondit .

Je m’ avançai pour le libérer , mais déja le sommeil me prenait et la langueur engourdissait mes membres . Mes yeux se refermèent sur son corps embrasé ; on eut dit un christ de lumière . Il souriait .

Bien sur , ma soeur était partie . Le hurlement de son ephémere compagnon l’ avait - il allerté de mon ire ? Je préferrai croire qu’ elle l’ avait envoyé vers un atroce trépas pour se laisser le temps de fuir . Elle ne pouvait pas ignorer que je ne tolèrerai aucun vampire issu d’ elle . Comment aurai - je pus la laisser faire après son effroyable forfait . Je jurai sur la tombe d’ Hellene de ne plus enfanter et de détruire toute la progéniture de ma soeur . Mais les serments sont toujours parjurés et les jardins profanés . Ma haine avait pris quelque chose de froid . Je continuai d’ aimer ma soeur mais je n’ en désirai pas moint la détruire . Elle avait plus que profité des ténèbres . Nul remord coupable n’ entacherait plus mes actes . Comme le grand manoir brulait , je quittai Sénart , oubliant ce siècle ou j’ avais été sous l’ emprise du mal .