Considérations philosophiques.
Instructions officielles de l'Education Nationale . Activités à conduire en classe.
Instructions officielles de l'Education Nationale . Activités à conduire en classe.
Les apports de la réflexion philosophique sont précieux pour l'enseignant qui veut saisir les particularités des différentes disciplines.
Des définitions des notions à caractère philosophique abordées sont à retrouver sur cette page.
1) Approche scientifique et Approche artistique et poétique. Monde intelligible et Monde sensible.
Philosophie des sciences. Epistémologie. Métaphysique Philosophie de l'art . Esthétique
La philosophie des sciences et l'épistémologie aident à distinguer les caractéristiques de ce que représente l'approche scientifique du monde. Pour le philosophe, le propre des sciences, c'est d'énoncer des lois et d'élaborer des idées générales, des concepts qui sont le fruit de l'esprit, c'est à dire de la pensée. Par exemple, le concept de forêt. Les sensations, les perceptions, si elles sont primordiales, c'est à dire au départ des premières observations, restent à considérer avec prudence car elles sont sources potentielles d' erreurs . Il n'y a de réelle confiance que dans l'usage d'instruments de mesures et dans l'expérience renouvelable mais aussi dans des formalisations verbales ou mathématiques délivrées de toute référence au corps de l'observateur. La représentation des choses et du monde tend à être objective. Autrement dit, les objets d'études sont résolument tenus à distance du sujet qui expérimente. On retrouve ici une version très cartésienne du dualisme corps et esprit. L'esprit (scientifique) est séparé du corps.
NB C'est donc à une représentation purement intellectuelle du monde ( le monde intelligible), une représentation amputée de toute référence aux sensations que les activités scientifiques contribuent à proposer aux élèves.
Il en va tout autrement dans le domaine des arts. C'est le partage du sensible qui est en jeu.
Cézanne partage en peinture sa vision, ses sensations et perceptions visuelles de la Montagne Sainte Victoire. Nous, nous partageons avec des mots nos visions de son tableau. Et nous nous apercevons qu'il y a sur la toile autre chose que l'idée habituelle de ce qu'est une montagne . Par exemple, la frontière entre des éléments constituants du paysage n'est pas aussi nette que nous l'aurions pensé. Cézanne ne trace pas une ligne claire entre ciel et montagne. Les couleurs de la montagne et du ciel s'interpénètrent... A notre tour nous pouvons essayer de partager, par exemple, en peinture notre vision de la forêt que nous apprécions et connaissons grâce aux bonnes sensations que nous en avons. A notre tour encore, nous pouvons essayer de partager en musique notre sensation, notre perception sensible et personnelle du monde sonore de la forêt que nous écoutons. ...
NB C'est donc d'abord à une présentation sensible du monde ( le monde sensible), - présentation éventuellement assortie de références aux réflexions intellectuelles- que les activités artistiques contribuent à proposer aux élèves.
Des philosophes ont exprimé cette distinction monde intelligible/ monde sensible. Voici quelques jalons historiques illustrant cette pensée philosophique.
Pour Platon (philosophe de la Grèce antique, né en 427 avant JC et mort en 348 avant JC), les choses sensibles, c'est-à-dire le monde terrestre, ne sont pas la réalité véritable ; ce n'est qu'une apparence, une ombre, une copie des choses intelligibles, seules vraies, seules réelles ; le monde sensible est aperçu par les sens ; le monde intelligible est perçu par la raison. Au livre VII de la République décrit sous forme allégorique le sensible et l'intelligible : les hommes sont comme des esclaves enchainés dans une caverne, le dos tourné à l'entrée ; ils regardent, portées sur le mur du fond de la caverne, les ombres (c'est le sensible), que projettent sur lui les objets réels placés à l'extérieur (c'est l'intelligible), vivement éclairés. Le mythe de la caverne a pour but de faire comprendre la différence qu'il y a entre la connaissance grossière qui nous vient de nos sens et nos opinions, et la connaissance vraie. (Le cheval que je vois n'est peut-être pas aussi puissant que celui qui remporterait toutes les courses hippiques. Il est en quelque sorte l'ombre du cheval parfait. L'idée de cheval que je peux forger en mon for intérieur, semble supérieurement représenter ce que peut être un cheval. L'intelligence tend à relier les réalités sensibles. Revenons à l'étymologie du mot intelligence : intel (entre) ligere relier) . Avec l'idée, ma pensée s'élève selon Platon et conduit au firmament. Une image rend compte de cette élévation : le Ciel des Idées , une image qui fera flores. Le Ciel , quasiment une religion ... )
D'autres philosophes ont adhéré à cette pensée du Ciel des Idées. Parmi eux, il y a René Descartes (mathématicien et philosophe français, né en 1596 et mort en 1650), bien sûr. Pour lui, après son expérience du doute méthodique, c'est la pensée qui définit l'être humain: "Je pense, donc je suis". Descartes place ainsi la pensée, c'est à dire la raison, au-dessus de tout. C'est par la seule raison que l'être humain est apte à saisir la réalité du monde : le monde est intelligible. Il n'est donc plus question de découvrir une réception sensible du monde dans une oeuvre artistique. Descartes renverse même ce propos. Il s'agit simplement de s'émerveiller de faire preuve d'admiration devant l'adresse et la libre invention d'un humain qu'on appelle artiste. Les émotions nommées passions sont l'admiration, l'amour, la haine, le désir, la joie et la tristesse. Elles sont conçues comme des actions du corps sur l'esprit . Il revient à la pensée de les connaitre pour mieux les contrôler. L'homme grâce à sa raison se rend maitre et possesseur de la nature.
Baruch Spinoza (philosophe néerlandais né en 1632 et mort en 1677 ) affirme le caractère entièrement intelligible de la nature ... Pour Spinoza l'âme et le corps ne font qu'un. La vraie dualité se situe entre la joie et la tristesse. Selon lui, la joie est une émotion qui est liée à notre désir de persévérer dans l'existence, c'est-à-dire de chercher à se maintenir dans un état de bien-être. Le désir, quant à lui, est une force qui nous pousse à agir pour atteindre un objectif qui nous procure de la joie. Spinoza a l'intuition que la joie et la tristesse sont des révélations mentales de l’état du processus vital.
Accorder de l'importance aux idées et davantage qu'à la réalité perçue par l'exercice de la sensibilité c'est accorder par principe une attention soutenue à l'idéalisme. Friedrich Nietzsche (philosophe et musicien prussien né en 11844 et mort en 1900 ) s'est opposé à l'idéalisme « Tout idéalisme m'est étranger. Là où vous voyez des choses idéales, moi je vois... des choses humaines, hélas! trop humaines ! ». L'idée d'une séparation de l'âme (c'est à dire de la pensée) et du corps a conduit les êtres humains à l'idée d'une survivance de l'âme après la mort du corps. Pour Nietzsche , le paradis des religions est un arrière monde imaginaire et absurde. Tout aussi détestable est selon lui, l'attitude de Schopenhauer qui pense au suicide parce qu'il déteste et refuse ce monde absurde dans lequel l'être humain souffre et finit par mourir. Nietzsche invite à retrouver l'art de vivre des Grecs présocratiques (avant Socrate et Platon), qui étaient sensibles à la pulsion vitale et essentielle symbolisée par le culte dionysiaque. Cette pulsion est toutefois pondérée, par le sens de la mesure associé au culte apollinien. Nietzsche a retrouvé cette relation au monde dans la gaya scienza (le gai savoir) des troubadours occitans. Leur musique et celle de Bizet reflètent bien cette pulsion de vie notamment sous la figure des pulsations de la musique de danse. Pour Nietzsche "la vie sans musique est tout simplement une erreur, une fatigue, un exil.".
"La rêverie poétique sympathise intimement avec le réel, tandis que l'approche scientifique est antipathique : elle prend ses distances avec la charge affective du réel", dit Gaston Bachelard (philosophe, pédagogue français né en 1884 et mort en 1962 ). Après s'être intéressé à l'épistémologie, et à la philosophie des sciences en écrivant le Nouvel Esprit scientifique, il fait oeuvre de poète avec "Psychanalyse du feu'" et "L'eau et les rêves". Il souligne l'importance de l'imagination dans le domaine des sciences alors que l'on penserait que cette forme de pensée est réservée aux poètes et aux artistes. Les théories scientifiques sont en partie le résultat de l'imagination. "On ne peut étudier que ce qu'on a d'abord rêvé. La science se forme plutôt sur une rêverie que sur une expérience et il faut bien des expériences pour effacer les brumes du songe..... Pour l'homme primitif, la pensée est une rêverie centralisée; pour l'homme instruit, la rêverie est une pensée détendue." La psychanalyse du feu, page 48. G. Bachelard.
"La science manipule les choses et renonce à les habiter... Elle est et a toujours été ... ce parti pris de traiter tout être comme ""objet en général", c'est à dire comme s'il ne nous était rien et se trouvait cependant prédestiné à nos artifices" affirme Maurice Merleau-Ponty (philosophe français né en 1908 et mort en 1961 ) . "La pensée scientifique, pensée de l'objet en général, feint d'ignorer qu'il n'y a du vrai et du faux que par ce que nous en savons par contact et par position, sur le sol du monde sensible . S'"il y a", c'est à partir de mon corps . Si les autres me hantent, c'est parce qu'ils sont des corps associés. C'est à cette nappe de sens brut que puise l'art..... Quelle est donc cette science secrète qu'il (l'artiste) a ou qu'il cherche ?" (extraits de "L'oeil et l'esprit".
Aujourd'hui, (avec son ouvrage : "L'erreur de Descartes") l'expert en neurosciences et passionné par la philosophie, Antonio Damasio (né en 1944) donne tort à Descartes qui a dit que c'est par la seule raison que l'être humain est apte à saisir la réalité du monde. Damasio donne raison à Spinoza et confirme que les émotions, les sensations, la joie et la tristesse sont comme des idées du corps qui s’efforce de manœuvrer pour atteindre un état de survie optimal ("Spinoza avait raison").
Le poète Joachim Gasquet qui adopte aussi les mots de la philosophie, a bien connu le peintre Cézanne. Un de ses poèmes est repris par le philosophe Maurice Merleau-Ponty en épigraphe à son livre "L'oeil et l'esprit" : "Ce que j'essaie de vous traduire est plus mystérieux, s'enchevêtre aux racines mêmes de l'être, à la source impalpable des sensations" J. Gasquet "Cézanne".
L'être : ce qui est, ce qui existe, ce qui apparait, ce qui m'apparait ... L'être de chaque chose, l'être de l'humain; l'être du monde.
Le mot "l'Être" désigne sans aucun doute ce dont est en quête, chacun à sa manière, l'artiste (le peintre, le poète, le musicien...) mais aussi le philosophe (JP Sartre : "l' Être et le Néant"..M. Heidegger : "Être et Temps"...) et l'homme de science.
Les concepts de réalité (qu'est-ce que la réalité des choses ?qu'est-ce que le réel ?), de vérité (qu'est-ce qui est vrai dans ce que l'on peut dire du monde, des choses et de l'être humain ?) font écho à l'ensemble des problèmes déjà posés.
Des philosophes et des personnalités de tous horizons relèvent les dangers liés au scientisme. Pour les scientistes, la science est la seule source fiable de savoir sur le monde par opposition à toute autre forme de savoir. Sont écartés tous les facteurs psychologiques, les facteurs liés à l'action humaine. Selon Jean Fourastié "La Science nous apprend à peu près comment nous sommes là; elle ne nous apprend ni pourquoi nous sommes, ni où nous allons, ni quels buts nous devons donner à nos vies et à nos sociétés."Hans Jonas mettant en avant "le Principe de Responsabilité", a critiqué la confiance démesurée dans les technosciences malgré les catastrophes qu'elles engendrent : dérèglements climatiques , armement nucléaire, pollutions ... Par principe aussi les théories scientifiques sont valides jusqu'à ce qu'une expérience ou un fait les invalident. Une confiance aveugle devant les propositions scientifiques serait absurde. Les artistes, comme les philosophes, ont à l'esprit les grandes questions. Ils les posent parfois très clairement comme Gauguin par exemple : "D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?" tel est le titre de son tableau le plus célèbre. Ils savent aussi y répondre crument et à leur manière. Gustave Courbet peint "L'origine du monde". A la question "Où allons-nous?, il propose "L'enterrement à Ornans"dans lequel il rappelle que "les petites gen"s sont concernées et sont dignes d'intérêt, en les peignant "en grand" dans un format jusqu'alors réservé aux notables.... Ces questions irriguent aussi la recherche scientifique qui reconnait son incapacité et son manque de légitimité pour répondre aux questions ultimes et personnelles.
Aujourd'hui, et on le voit déjà avec le philosophe et pédagogue Gaston Bachelard, les frontières entre approche sensible et approche intellectuelle du monde ont tendance à se fissurer. Le scientifique et astrophysicien Aurélien Barreau est aussi poète ! Le philosophe Jacques Rancière ("le spectateur émancipé") et la philosophe Arianna Fabbricatore nous présentent un spectateur (auditeur, lecteur ...) des oeuvres d'art apparaissant dans toute sa complexité, un être à la fois sensible et intelligent ...
Arianna Fabbricatore a été conférencière aux Rencontres Philosophiques de Langres le 4 octobre 2024 . Elle est intervenue sous le titre : "Au coeur de la création : l'effectivité de l'art ". Elle s'est notamment référée au travail de l'historien d'art, Daniel Arasse, qui avait été enregistré pour un podcast diffusé sur France Culture "Histoires de peintures". Daniel Arasse, homme de science de l'art, connaissait parfaitement l'objet de ses études. C'était un homme qui goutait les oeuvres d'art pleinement "dans un acte volontaire de connaissance" , un homme capable de "fruition" pour reprendre les termes employés par Arianna Fabbricatore dans un article publié dans la Nouvelle Revue d'esthétique n°29 parue en 2022 "deux concepts pour penser l'expérience de l'art : la fruition et l'actuation". Curieusement, Daniel Arasse, ce penseur du sensible dans l'art, prêtait à la peinture une qualité inattendue . Il reprenait une expression de Hubert Damisch : "La perspective ça ne montre pas seulement, ça pense ". Un jour, Daniel Arasse, toujours lui, contemplait à Dresde, le tableau de Raphaël "La Madone Sixtine" (la Vierge Marie tenant dans ses bras l'enfant Jésus inquiet) sans entrevoir quoi que ce soit de particulièrement intéressant jusqu'à ce que soudain "à un moment, le tableau s'est levé !". C'est ce qu'avait dit Daniel Arasse. Une image picturale :"La Madone Sixtine" lui avait inspiré subitement une image littéraire, une image poétique. Daniel Arasse, ce grand savant, était devenu à son tour un poète, un artiste l'espace d'un instant. Cette expérience de la possibilité de devenir artiste au contact de l'oeuvre d'art nous pouvons tous la connaitre. Ecoutons Arianna Fabbricatore : "Dans cette opération de l'esprit que l'on appelle actuation, la fruition figure comme une étape préalable. Lorsque le frueur visant la connaissance de l'oeuvre perd la distance avec celle-ci et qu'il dépasse la limite d'inhérence à l'oeuvre , c'est là qu'il s'aventure dans une expérience artistique l'entrainant vers l'inconnu, hors du temps, de l'espace, hors de l'oeuvre culturelle et dans l'oeuvre d'art. ". Le récit, une fiction, est le cadre dans lequel s'élabore l'oeuvre d'art du frueur. Ainsi, Daniel Arasse poursuit son récit : " La Madone Sixtine présente très exactement le moment de la révélation du dieu vivant, c'est à dire que c'est un tableau qui montre le dieu brisant le voile, le dieu s'exposant. Et ce qui pour moi le rend extrêmement bouleversant c'est en particulier la présence de deux petits anges situés en bas du tableau. Au fond, que font-ils là ? on n'en sait rien. On a imaginé les histoires les plus extraordinaires sur ces deux petits anges : par exemple qu'ils étaient les portraits des enfants que Raphaël aurait eus avec la Fornarina. En fait, je suis persuadé, pour des raisons iconographiques sérieuses, historiques et théologiques, qu'ils sont la figuration chrétienne des chérubins gardant le voile du temple dans la religion juive. Ce à quoi ils assistent eux-mêmes, c'est au fait qu'ils ne sont plus les gardiens du secret et du dieu invisible : le dieu s'est rendu visible. Cette espèce d'extraordinaire tragédie -car le dieu se rendant visible, signifie qu'il va mourir- est confiée à des visages d'enfants. Le trouve cela d'une puissance extraordinaire. et depuis, je n'ai plus besoin de voir La Madone Sixtine; elle s'est levée, et je garde en moi cette émotion."
Platon, n'accordant d'importance qu'aux idées, bien distinctes des représentations sensibles, avait chassé les artistes de son école et de la cité. Il avait accordé son seul crédit aux savants ;"Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre !". Platon redoutait-il un désordre , une subversion, provoquée par les artistes ? Les philosophes comme Spinoza et Nietzsche ont exprimé des pensées bien divergentes de celles de Platon. Aujourd'hui, il semble que l'on ait donné raison à Spinoza , pour dire que l'esprit et le corps ne font qu'un. Savants, artistes et philosophes, tous les êtres humains essaient de travailler de concert à l'élaboration de la cité dans laquelle il ferait bon vivre ...
Un philosophe français contemporain, Marcel Conche (1922-2022 ) , dans son livre "Présentation de ma philosophie", nous aide beaucoup à distinguer les nuances entre les notions que l'on a tendance à utiliser trop vite.
Il y a connaissance lorsqu'il y a des preuves, (Dans les sciences, en physique par exemple, des expériences prouvent la réalité des propriétés des aimants. On a ainsi une connaissance de ces propriétés . Les expériences sont à la fois des preuves et des arguments qui attestent de ces propriétés. ) . En métaphysique (au-delà de la physique), on pense, on ne connaît pas. On pense Dieu, on pense l'Infini, on pense la Nature ... En science, les preuves (celles apportées par les expériences) sont des arguments. En métaphysique, on a des arguments mais pas de preuves. Le réel du commun, c'est celui de l'homme commun et du savant : c'est ce qui s'offre (ce qui apparaît) à nos sens naturels ( la vue, l 'ouïe, le toucher...) ou à nos sens technicisés (grâce au télescope, au microscope ...) . D'après Marcel Conche, le réel du philosophe c'est ce qui est éternel : les essences (Platon), Dieu (Descartes) ... Marcel Conche réfléchit aussi au problème de l'apparence . Le monde qui apparaît , le monde auquel nous accédons par nos sens, et que nous nous représentons par des abstractions idéelles (lois scientifiques, concepts ...) existe-t-il vraiment ? Marcel Conche est attentif à la Méditation de Descartes qui précède son exposé du célèbre Cogito. Dans celle-ci Descartes émet un doute vertigineux : "qu'est-ce qui me permet de dire que je ne suis pas en train de rêver ?". Les rêves sont parfois troublants et très "réalistes" en effet. Marcel Conche pense "l'Ouvert". Ce mot signifie une structure d' ouverture dans l'homme. L'homme est ouvert à la connaissance et à l'imagination infinie. Ainsi, on peut distinguer des mondes bien différents : d'une part ceux des savants - les mondes des historiens- les mondes des astro physiciens- etc et d'autre part, ceux des artistes : les écrivains - "Le Meilleur des mondes " d' Aldous Huxley , les cinéastes - "Matrix" de Lan et Lilly Wachovski ..) etc . Le savant, compte tenu de l'état du monde expose l'éventail des possibles. L'artiste créateur invente l'avenir, il met au jour des mondes possibles nouveaux.
Voyons à présent comment les textes proposés officiellement pour présenter les compétences requises auprès des enseignants et des élèves (les programmes) concordent avec ces considérations philosophiques. On peut relever ces quelques lignes significatives :
Les compétences professionnelles des enseignants
La maitrise des savoirs enseignés et une solide culture générale sont la condition nécessaire de l'enseignement. Elles permettent aux professeurs des écoles d'exercer la polyvalence propre à leur métier et à tous les professeurs d'avoir une vision globale des apprentissages, en favorisant la cohérence, la convergence et la continuité des enseignements.
Les programmes
Le programme de cycle 3 permet ainsi une entrée progressive et naturelle dans les savoirs constitués des disciplines mais aussi dans leurs langages, leurs démarches et leurs méthodes spécifiques. Pris en charge à l’école par un même professeur polyvalent qui peut ainsi travailler à des acquisitions communes à plusieurs enseignements et établir des liens entre les différents domaines du socle commun, l’enseignement de ces savoirs constitués est assuré en 6e par plusieurs professeurs spécialistes de leur discipline qui contribuent collectivement, grâce à des thématiques communes et aux liens établis entre les disciplines, à l’acquisition des compétences définies par le socle.
L’enseignement des sciences et de la technologie au cycle 3 a pour objectif de faire acquérir aux élèves une première culture scientifique et technique indispensable à la description et la compréhension du monde et des grands défis de l’humanité. Les élèves apprennent à adopter une approche rationnelle du monde en proposant des explications et des solutions à des problèmes d’ordre scientifique et technique. Les situations où ils mobilisent savoirs et savoir-faire pour mener une tâche complexe sont introduites progressivement.
Dans le domaine des arts, de l’éducation physique et sportive et de la littérature, les élèves sont amenés à découvrir et fréquenter un nombre significatif d’œuvres et à relier production et réception des œuvres. Le cycle 3 développe et structure ainsi la capacité des élèves à situer ce qu’ils pratiquent et à se situer par rapport aux productions des artistes. Il garantit l’acquisition d’une culture commune, physique, sportive et artistique.
L'éducation nationale a pour missions d'apporter une culture humaniste à tous les élèves et de développer leur formation sensible au travers des pratiques artistiques. Cela passe par l'éducation artistique et culturelle et la valorisation des enseignements de langues et cultures de l'Antiquité.
Parce qu'ils nous font mieux appréhender le monde, parce qu'ils participent de l'épanouissement des élèves et qu'ils sont les facteurs essentiels d'une véritable égalité des chances, les arts et la culture sont au cœur de l'école. Depuis 2017, le ministère porte cette politique au rang de ses priorités en complément des savoirs fondamentaux.
Quelles conséquences pour les activités à conduire en classe ?
a) Dans le domaine des sciences, la pratique et la compréhension de la démarche scientifique est primordiale. Les obstacles épistémologiques, (les représentations individuelles erronées par exemple, mais aussi toutes les censures : religieuses -cf Galilée ! , financières et politiques) doivent être dénoncés et levés. Beaucoup de connaissances solides ont été acquises grâce aux sciences au cours des siècles passés et sont à transmettre aux élèves, ainsi que leur ordre de découverte et leurs auteurs aussi . Nous sommes passés du monde géocentré de Ptolémée au monde héliocentré de Copernic et Galilée. Nous gravitons autour du centre de notre galaxie "La voie lactée" ( qui e été mise en évidence par Wright ), comme toutes les autres galaxies (découverte de Hubble) s'éloigne d'un point qui pourrait être le point origine de l'Univers et du "Big Bang" . Les connaissances qui nous intéressent ce sont aussi les apports de la musicologie qui est la science des phénomènes sonores pris en compte par le musicien : théorie des paramètres sonores (hauteur, rythme, harmonie...), histoire des musiciens et de la musique ... C'est ainsi qu'on donne aux élèves une culture scientifique. On en a un témoignage à chaque fois qu'on les invite à s'exprimer objectivement sur les choses et les êtres qu'ils côtoient. Les élèves sont à même de comprendre que les scientifiques ne sont pas encore capables de tout expliquer. Les théories s'élaborent encore afin de saisir la nature du monde à très petite échelle et à très grande échelle et quelle physique réunirait mécanique quantique et physique relativiste. Les scientifiques sont des êtres humains pour l'immense majorité très rigoureux et honnêtes mais qui peuvent parfois se tromper et nous tromper. Les sciences humaines ne sont pas des sciences "dures" dit-on ,et, prudence : les scientifiques sont enclins, eux aussi, à tomber dans des travers, hélas trop humains. La science, la psychologie et la pédagogie, étudient et tiennent compte d'ailleurs des comportements et des possibilités des êtres humains : mémoire, compréhension, apprentissage, erreur, tricherie ... Les situations appellent des points de vue différents. "Notre cerveau est situé" rappelle Samah Karaki, docteure en neurosciences. Et elle encourage à débattre et à nous méfier de nos affects et de nos préjugés largement formatés par notre environnement médiatique et culturel. Débattre sur des situations, même quand on parle de sciences c'est développer notre sens politique . L'histoire et le droit font partie des repères qui peuvent alors guider les enseignants et leurs élèves.
b) Dans le domaine des arts, la pratique des activités qui témoignent d'une réaction sensible au monde (l'écriture, la musique, la peinture ...) est première et essentielle : l'élève est un apprenti artiste qui est invité à créer une oeuvre, un témoignage subjectif de ses réactions au monde. La confrontation avec les oeuvres des artistes reconnus lui donne l'idée de ce que l'on entend quand on parle d'oeuvre. Cette idée est liée en grande partie à l'expérience de l' émotion éprouvée. Elle est diversement ressentie par les élèves (la joie la tristesse, l'étonnement...) . Toutes les nuances émotionnelles sont possibles. On recherchera avec les élèves certaines des causes qui ont produit ces émotions : les éléments du langage artistique qui évoquent la vie et donnent ainsi de l'allant à l'oeuvre ( la pulsation, les mouvements rythmiques, l'harmonie ou la dysharmonie, le souffle de l'interprète, les différentes parties ou articulations de l'oeuvre ... pour la musique) , les éléments de langage qui traduisent la nature profonde du monde ( les ondes sonores, les particules sonores : sons détachés à hauteurs indéterminées, la musique électronique ... pour la musique) . La réception des oeuvres nourrit la pratique artistique et, réciproquement, la pratique artistique contribue à faciliter l'interprétation des oeuvres. Ici encore les obstacles doivent être dénoncés et levés ; censures religieuses, financières et politiques. L'art, le roman par exemple, mais la peinture et l'opéra aussi, explorent à leur manière les vicissitudes et les qualités inhérentes aux comportements humains. Les écrivains et les artistes communiquent ainsi des expériences de sensations tout d'abord et de pensées fruits de leur imagination. Le résultat parait souvent plus vrai que nature, ou bien complètement fantasque . En tous cas, il est édifiant. Le musicien artiste crée à partir des éléments dont la musicologie s'est saisie. Parfois le musicien crée des assemblages de sons nouveaux que la théorie n'a pas encore enregistrés. (Le plus communément le musicien en reste au premier stade de la création : il interprète à sa façon. ) Une certaine connaissance du monde et de l'être humain se développe alors. Les personnages et les objets de fictions survivent au temps et font partie de nos références à tous. Ils font partie de notre culture, de notre culture artistique plus précisément . Nous nous identifions à eux totalement ou partiellement, ou nous les reconnaissons dans les personnes de notre entourage. Nous savons tous de quoi il retourne quand nous disons de quelqu'un : "c'est un Gargantua" (nous faisons référence au personnage imaginé par Rabelais), "c'est un Candide" (nous faisons référence au personnage imaginé par Voltaire), "c'est une Carmen" (nous faisons référence au personnage imaginé en musique par Bizet mais aussi par Meilhac et Halévy qui ont écrit le livret de l'opéra). Nous savons tous de quoi il retourne quand nous évoquons "Big Brother" ou "la Novlangue"(nous faisons référence à des éléments caractéristiques de la société soumise à la dictature décrite et imaginée par Georges Orwell dans son roman "1984".) Quand nous employons l'expression imagée : "le cours de la vie", nous ne faisons pas référence à un cours d'eau à la manière dont s'y prendrait un scientifique tel le géographe . Nous sommes plutôt dans un état d'esprit tel celui qui anime le créateur du poème symphonique "La Moldau" ( cours d'eau traduit en musique de sa source à sa fin par Smétana), nous sommes peut-être dans un état d'esprit tel celui qui traverse l'auteur de "L'enfant et la rivière" (roman de Henri Bosco), nous sommes peut-être dans un état d'esprit tel celui qui irrigue le scénariste du film "Au milieu coule une rivière"(film de Robert Redford réalisé à partir du roman "La rivière du sixième jour"écrit par Norman MacLean ) ...
Le partage du sensible contribue à la formation, dans l'enfant, d'un être social qui peut rêver d'un monde meilleur. Il est souhaitable que les oeuvres fortes et sensées, les mots : Liberté, Égalité, Fraternité, Amitié , Coopération, Solidarité ... inspirent largement le pédagogue et ses élèves, artistes en apprentissage.
Par ailleurs, nous devons être conscients que les arts ( l'architecture est un art) , en jouant avec les émotions, ont la faculté d'impressionner fortement les spectateurs. Les grandes cathédrales, comme les pyramides, comme les palais, comme les châteaux forts, comme les grands stades, comme, peut-être, les réseaux informatiques (l'informatique en réseaux a ses architectes - et comme pour les réseaux ferroviaires des modélistes, on peut accorder une part de créativité artistique à ces réalisations de réseaux ) ... comme beaucoup d' architectures grandioses , toutes ces oeuvres architecturales ont une puissance sans égale pour soumettre parfois un public fragile à des dominations et des idéologies très discutables. Le cortège des peintures, des sculptures, des musiques et des récits fabuleux qui les accompagnent renforcent encore la possibilité d'une soumission que nous devons analyser avec un esprit critique aiguisé.
c) Nous devons permettre aux élèves de se cultiver et de former leur jugement en leur proposant les approches différentes du monde. La Culture des élèves se forme sur la base conjointe des cultures scientifiques, artistiques, poétiques, philosophiques, juridiques et sportives.
Nous le savons le but c'est que chaque élève, devenu adulte et émancipé, parvienne à se faire une idée sur le monde, une idée sur ce qu'est l'être humain, une idée sur la place de l'être humain dans le monde. Une idée sur sa place à lui.... Ainsi parviendra-t-il, peut-être, à donner un sens à sa vie ....
Notons, qu'aujourd'hui les scientifiques (et aussi les artistes) alertent et manifestent. Les mesures ne sont pas prises par les gouvernants pour lutter contre le changement climatique qui nuit gravement aux plus faibles (les enfants !) et les met en danger de mort . L'atmosphère se charge de plus en plus en carbone ! L'avenir de l'humanité est compromis ! Les enfants doivent être informés et éveillés aux problèmes actuels qui sont cruciaux ! J'ai alerté sciemment mais à ma façon en proposant à l'écoute et à la discussion "O bruit doux de la pluie !"...
2) Approche morale et civique .
Philosophie morale. Philosophie politique
Tous les regards portés sur le monde nous aident à discerner ce que peut être une conduite digne et juste. Les philosophes définissent à leur façon ce qu'ils appellent "la vie bonne".
Découvrons ce qu'ils en disent , cherchons les divergences mais aussi les points communs.
Nous découvrirons peut-être des leçons à retenir , qui nous conviennent et qui correspondent au monde d'aujourd'hui.
Diogène de Sinope, appelé Diogène le Cynique ( 413 avant JC- 323 avant JC ) rappelait l'état de nature , c'est à dire l'origine animale, des êtres humains. Pour lui, l'homme doit d'abord être un bon animal, à l'image du chien par exemple . Les coutumes , la culture dirait-on aujourd'hui, pervertit le comportement de l'être humain. La vie simple et frugale convient à Diogène. Il parle d'égal à égal à l'empereur Alexandre qui lui rend visite et qui souhaite exaucer les vœux de Diogène. " Ôte-toi de mon soleil ! " : tel est le désir exprimé par Diogène. Alexandre s'éloigne et confie à son entourage : " Si je n'étais Alexandre, je voudrais être Diogène. " . Diogène vivait dans une jarre et ne possédait en tout et pour tout que son habit, une besace et une écuelle. Un jour, il a vu un enfant boire l'eau de la fontaine dans le creux de sa main. Diogène alors a cassé son écuelle. Il a pris leçon auprès de l'enfant : l'enfant dans ce cas était son maître.
La Fontaine (1621-1695) l'auteur français des célèbres fables est surtout connu en tant que poète. Mais les fables de La Fontaine sont aussi celles d'un moraliste. En mettant en scène des personnages, il décrit et critique les mœurs de son époque. Il développe, à partir de là, une réflexion sur la nature, sur la nature humaine et sur la condition humaine. Dans chacune des fables, un récit est accompagné par une courte remarque ( injustement appelée "morale" ou "maxime" parce qu'elle ne s'impose pas) qui pousse le destinataire à penser par lui-même. L'attitude de La Fontaine est donc apparentée à celle d'un philosophe qui invite à une profonde réflexion. Souvent, les animaux (la cigale et la fourmi ...) , les plantes (le chêne et le roseau ... ) sont les personnages principaux des récits poétiques. Il a toujours été étrangement facile pour nous de nous identifier à l'un ou l'autre de ces personnages. Même si La Fontaine destine ses premières fables à un enfant , le fils du roi dont il est chargé de l'éducation, les adultes se sentent eux aussi les destinataires des fables. La société des animaux ressemble à la société humaine. Au passage La Fontaine ne manque pas de faire œuvre politique. Il critique le roi (sous le personnage du lion) qui reconnaît difficilement ce qu'il doit au plus humble de ses sujets ( sous le personnage du rat).
Marcel Conche, un philosophe français contemporain (1922-2022 ) se dit marqué par le naturalisme. L''être humain n'est qu'un partie de la Nature infinie. Le philosophe déplore que l'humain soit à même de détruire une partie de la nature qui lui est proche. Pour Marcel Conche il existe un Mal Absolu c'est celui que l'on fait aux enfants. Le politicien et la politique qu'il revendique se jugent aux conditions de vie qui est offerte aux enfants.