Il est 12 46, et je débarque à Kazan, ca fait plaisir, car je retrouve une vraie météo russe, le paysage est tout blanc, il neige de gros flocons, température extérieur -5°. Je me dirige vers le centre-ville pour manger un bout, Albina, qui me reçoit ce soir, me conseille d’aller manger à « Dobraya Ctolovnaya » un self service low cost, repas complet pour 97 roubles soit moins d’un euro cinquante. En fait, c’est plutôt une cantine universitaire, car je dois être le plus vieux de la salle.
Kazan est une ville multiculturelle, puisque musulman et orthodoxe s’y mélangent. C’est également le chef lieu de la république du Tatarstan. En 2005, il a été créé l’une des plus grande mosquée d’Europe à l’intérieur du Kremlin. C’est d’ailleurs dans cette direction que je me dirige. C’est vraiment étonnant de voir une église orthodoxe et une mosquée presque côte à côté. Albina vient de terminer les cours et m’y rejoint.
Albina est Tatar donc musulmane, elle a 21 ans et elle est venue s’installer à Kazan pour ses études en écologie. Elle est originaire de Sarapul et contrairement à ses parents (dont elle m’a parlé), elle est très ouverte d’esprit : ne porte pas de voile et boit de l’alcool. Elle a également déjà voyagé au Etats Unis.
On se dirige vers chez elle pour que je me débarrasse de mon sac. On boit un thé, pour changer. Et on repart en vadrouille, elle me fait déguster quelques très bonnes spécialités Tatars et apprendre quelques motsen Tatar :
Ochepchmac : Pain fourré de pomme de terre, oignon et bœuf
Elech : pain fourré de pomme de terre, oignon et poulet
Gobodia : Pain fourré de riz, raisin sec et fromage blanc cuit (léger gout sucré, pas mon favori)
Chakchak : dessert en forme de boule constituée de pate à tarte avec du miel
Puis on se rend, au Big Twin Bar, un bar rock’and roll, où se déroulait une soirée un peu particulière sur le thème de la « santé », un mouvement ressemblant fortement à Movember, sauf qu’au lieu de laisser pousser la moustache en novembre, il faut se laisser pousser la barbe en décembre et tout le monde devait la couper pour la soirée. Forcement, je n’étais pas au courant et je débarque avec ma grosse barbe de quelques semaines, je me sens vraiment seul. Durant la soirée s’alternaient, de courts concerts ainsi que des activités loufoques. La première est surement la plus absurde, le concourt de la plus belle barbe! Albina me pousse à y aller, en même temps il n’y avait que 3 barbus dans l’audience. Je remporte facilement le premier prix, en surnommant ma barbe « La voyageuse », et je gagne… une taille de ma barbe, dans un Barbershop. Et un peu plus tôt dans la journée, j’avais dit à Albina qu’il fallait que je taille ma barbe car elle commencait à se faire longue. Comme quoi, il n’y a qu’à demander! Puis les animatrices lancent une lambada, on est une dizaine à faire le tour de la salle en attendant que la musique se lance, ce qui n’a jamais été le cas, un moment de grande solitude. Et comme dernière animation, on participe un cours de danse irlandaise. Un vraie soirée « What the Fuck » mais très très bonne ambiance.
On the rails again ! Et pour trois jours « non stop » avec une escale de six heures à Ekaterinbourg !!
Comme d’habitude, j’achète mon billet au dernier moment, et il était moins une pour que je ne prenne pas place dans le train, car j’ai acheté la dernière place dans les deux trains. Ce sont les places les moins cher mais forcement les moins bien placées… En haut et prêt des toilettes, ce qui signifie des allers retours incessants et des portes qui claquent. Mais c’est ça, le prix de la liberté !
Une fois les billets en poche, je me presse d’aller au Barbershop, « Medved » soit L’ours, qui est situé en périphérie de la ville. Je remercie encore une fois Google Maps qui est mon très fidèle guide. Je commence à me présenter, et le barbier m’interrompt pour me dire qu’il m’a vu la veille. L’équipe est vraiment cool et Illias s’occupe très méticuleusement de ma barbe, et de ma coupe de cheveux, c’est un vrai pro. Je suis vraiment satisfait de son travail, je file manger un coup une « Ctolvanya » pour faire le plein de ces délicieuses spécialités Tatars. Je file rapidement faire un dernier tour dans le centre et hop c’est parti pour treize heures de train !
Je commence aujourd’hui, certainement, l’un de mes plus longs trajets en train. Environ 50h consécutif, à vrai dire, je n’ai pas fait le compte exact, car tout d’abord, je ne suis plus à 3 heures près et surtout je suis un peu perdu avec les décalages horaires entre chaque ville russe. Si je compte bien, nous venons de prendre une heure en plus depuis notre passage à Omsk et d’ici Irkutsk il faudra en rajouter encore une, soit +5 heures par rapport à l’heure de Moscou, et +èh par rapport à Paris. C’est d’ailleurs par rapport à l'heure Moscovite que toute les gares russes se calent.
J’ai 6 heures devant moi pour découvrir Ekaterinbourg, J’en profite pour en faire un tour. Il est 6 du mat, lorsque je sors du train, il fait complètement nuit et je ressens une très forte vague de froid. En me baladant, je tombe sur un panneau affichant -13°, c’est à peine si j’arrive à respirer tellement l’air est froid, et me gèle l’intérieur du corps. Heureusement, que mon cache coup, me permet de réchauffer l’air que je respire. Je décide de marcher vers le centre, sans vraiment savoir où aller, la ville est belle avec comme toujours de magnifiques édifices soviétiques. J’ai l’impression que peu importe la ville où je me rends, je trouverai toujours ces imposants bâtiments, avec leur architecture si particulière mais si caractéristique de la Russie. Je marche dans le froid, musique à fond pour me motiver, je suis heureux. Après plus de deux heures dans la rue. Je m’octrois une pause, il est 8 heures, et seul le Mac Do est ouvert, je me prends un Mac Morning (à 8h il n’est toujours pas fini). Il y fait chaud, ca fait du bien et en plus il y a internet, j’en profite pour terminer mon blog et lancer quelques invitations. Deux voisins, m’interpellent, me questionne sur ma venue en Russe et me demande comment j’ai autant de force pour voyager seul. Je réponds « je crois en moi », à cela , il me demande si je crois en Dieu, je dis : « Non, mais que je crois en ma bonne étoile », ils m’offrent un livret sur la religion orthodoxe en russe et espèrent me convertir. Pour faire plaisir à César, je me prends un Chickenburger, l'un de mes repas universitaire par excellence lors d'un précédent passage à Moscou. Il est déjà temps de repartir en direction de la gare, en métro cette fois-ci. Et comme tous les métros russes, ils se ressemblent, et celui la ressemble beaucoup trop à l’ancien de Moscou, et même sur le jeton qui sert de ticket, il y a écrit « Métro de Moscou ». Je fais mes provisions, pour tenir plus de deux jours dans le train : noddles, pain, fromage, bananes, muesli, jus de fruit, eau et bière (ca peut toujours servir) .
Je m’installe de le train à côté d’une babouchka, elle ouvre la discussion directement, en me racontant sa life, je comprends un mot sur trois, et puis au bout d’une heure je vais me poser dans ma couchette du haut, je m’assoupi deux bonnes heures. Elle descend du train à Tioumen ainsi qu’un autre de nos voisins.
Deux nouveaux compères s’installent. Nicola, commence à me parler, (ça fait plaisir, cela fait deux voyageurs qui s’intéressent à moi). Puis il continue la discussion avec Victor l’autre nouveau voisin. Je n’écoute et ne comprends rien, jusqu’au moment où j’entends « Kozlov » je rétorque que c’est mon nom de famille. Et Nicola aussi ! C’est vraiment invraisemblable !! On s’échange nos passeports, la seule différence est l’écriture V contre FF. Autrefois mon nom s’épelait avec un V, mais en immigrant, notre nom de famille s’est transformé en Kozloff.
Nicola et Victor continuent leur discussion, et je les sens de plus en plus chaud. « Boukhayen » entends-je, en tapant de l'index sur la machoire, je commence à prendre peur et me dire que, ça y est, il va être l’heure de boire dans le train, et je ne plus écouter les conseils de ma chère et tendre grand-mère, Natacha. Nicola sort une bouteille d’eau minérale, à l’intérieure tout sauf de l’eau, c’est du « Samagon » eau de vie distillé par son père. Il en sert un verre à Victor, puis à Vladimir (le 4ème compagnons de compartiment), puis vient mon tour, je trempe à peine mes lèvres de dedans, ce n’est pas mauvais et j’avale un bout de pain de « Kalbasa » saucisson. Mais Nicola me regarde étrangement, comme si le devoir n’était pas entièrement accompli. Il termine mon verre, et par fierté je lui demande de m’en resservir un, pour ne pas passer pour une lopette. Et glou ! Trois minutes après, c’est partit pour une 2ème tournée, comme on dit on russe « Un court temps entre le premier et deuxième verre » Ma bouche, gorge et oesophage commencent chauffer mais je trouve cet alcool plutôt bon. Dix minutes s’écoulent, et c’est parti pour une nouvelle tournée. En moins d’une heure, nous avons terminé le litron de sa potion magique. Je sors les deux bières que j’avais achetées. L’ambiance commence à monter et nos voix aussi. On commence à déranger les autres voyageurs, ce que nous fait remarquer une première fois la « Provodniki » la contrôleuse . Le train s’arrête dans un patelin paumé du nom de « Ichim », et je vois mes compères se précipiter dehors, l'arrêt dure 5 minutes, pile poil le temps d’aller chercher une nouvelle bouteille de vodka et de la bière. « Vodka bez Piva, eto dengi na veter » La Vodka sans Bière, c’est de l’argent pour le vent, traduction littérale de cette expression que je n’ai pas encore tout à fait comprise. Je me dis que cette histoire va mal terminer… Et c’est reparti un shot, deux shot, trois shot,… A chaque fois que la contrôleuse passe, on cache la bouteille, car il est interdit de boire dans le train (en revanche dans le restaurant c’est possible). On fait de plus en plus de bruit. La contrôleuse nous demande si on boit, on rétorque bien entendu « Niet, Niet » on ne fait que manger du saucisson et boire du café. Elle nous prévient que si on continue à faire du bruit on se fera sortir au prochain arrêt, à Omsk. C’est d’ailleurs là, que Victor et Vladimir sortent et étrangement c’est eux qui font le plus de bruit… La contrôleuse repasse, je commence vraiment à me dire que je vais me faire déloger par les flics. On arrive à Omsk dans 10 minutes, je vais me cacher dans ma couchette, Kozlov en fait de même, on s’en le traquenard arriver. On salue nos deux compagnons de voyage. Et voilà, la Milice locale rentre dans le train, je ferme les yeux, Kozlov aussi. Ils commencent à le réveiller, j’entrouvre les yeux pour regarder la scène. Ils commencent à l’embrouiller, il bafouille trois mots comme s’il venait de se réveiller. La Milice répète une dernière fois de ne plus faire de bruit, sinon on sera débarqué à la prochaine sortie et amener en cellule pour la nuit. Ils s’en vont, le train redémarre, on se regarde et on explose de rire ! Je suis soulagé, et je vais pouvoir dormir sur mes deux oreilles et continuer ma route en direction d’Irkutsk !
Je me réveille la tête un peu en vrac et je ne suis pas le seul, Kozlov est dans le même état mais après un peu d’eau sur la gueule et un bon thé, tout va mieux.
Mes voisins changent et ne se ressemblent pas : un petit vieux s’installe, ne quittant pas son chapeau et son gros manteau d’hiver. On lui aurait prédit, une longue vie jusqu’à plus de 130 ans. Puis un autre, je rentre de la train à Vladivostok, il est arrive sur chaise roulante, il sort de l’hôpital, il a un peu moins la forme… Le train s’est arrêté une heure à Vladivostok, ce qui permet de se dégourdir les jambes et respirer de l’air très très frais. J’en profite également pour acheter une bouteille d’eau, dans un kiosque sur le quai de la gare. La femme me passe la bouteille à travers son hublot, et gèle quasi instantanément. Le thermomètre de la gare affiche -18°. Plus je m’enfonce dans la Sibérie et plus je me pose des questions sur ma résistance au froid.
C’est la panique dans notre wagon depuis ce matin, les toilettes ne fonctionnent plus…
Les estomacs remplissent, sans pouvoir ce vider… Dans le wagon, un régiment entier de soldats faisant leur service militaire, ne se posent pas de question, et laissent les toilettes dans un état pitoyable. Le machiniste tente en vain de réparer les WC, tout le monde s’impatience et va devoir encore patienter. Car on nous laisse pas aller dans le wagon voisin. Comme le dit si bien Kozlov, « Russkaya Zizn», la vie Russe.
C’est bon j’ai compris, et je referais plus la même erreur. Pour dormir correctement dans le train, il faut boire ! Car sinon la nuit est longue, très longue… Ce qui a été mon cas cette nuit, impossible de dormir sur ma couchette, de plus mon matelas, neuf de quelques années, est de mauvaise qualité et penche sur le côté. En ayant acheté mon billet au dernier moment, je me retrouve sur la couchette du haut, la moins bonne place mais la moins cher. Cela signifie que si l’on veut s’asseoir, lui faut squatter la banquette du bas, si le voisin du dessous n’est pas en train de dormir... Une expression russe décrit très bien cette situation, « Sidet na spine » ce qui signifie s’asseoir sur le dos. Ce qui a été mon cas une bonne majorité du temps, sauf lorsque c’est l’heure de boire : thé ou vodka.
Encore une dizaine heures, et je vais pouvoir me dégourdir les jambes, j’en ai vraiment besoin, je vis depuis quarante heures sur une zone 3m2.
La vie à bord du train est simple : Boire, Manger et Dormir ! Moi qui pensait passer le temps en jouant au « Dourak » notre jeu de carte favori en France, je me suis totalement trompé, car tout le monde connaît le jeu mais personne n’y joue, ca me manque,…
Je propose à mon compère, Nicola, d’aller faire un tour au restaurant, car j’ai vraiment besoin de bouger. Et il me dit « pour quoi faire ? », je l’invite donc pour une bière. Le wagon restaurant est vraiment classe, service grand luxe, deux serveuses s’occupent de nous, on peut même y commander du vin français du nom de Yves Rocher (j’ai du mal à croire d’un français l’ai nommé de la sorte), mais pas de vodka à la carte, étrange étrange. Ca fait du bien de changer de décor et d’être assis sur de vrais sièges. Je lui raconte mes divers voyages à travers le monde. On s’en commande une 2ème. On arrive à la gare de Zima, il nous faut aider notre voisin à sortir du train, il sort d’un mois à l’hôpital, il est vraiment mal en point. On est dehors par – 4° et Kozlov s‘enfuit, je sais très bien pour quoi faire. Il revient avec un grand sourire et trois nouvelles cannettes. Il me dit « Paidu pozvanyt » soit littéralement, je vais passer un coup de fil, je le regarde avec étonnement et sans vraiment comprendre et il me simplement qu’il veut dire aller pisser !
J’essaie d’appeler, ma Natacha, j’ai peur qu‘elle se rende compte que j’ai un coup dans le nez. Nicola me dit de lui répondre de la sorte :
« - pil ? : Tu as bu ?
- Niet na khleb mazel : Non je l’ai beurré sur du pain»
Les russes ont moultes et moultes expressions différentes, pas toujours compréhensible mais très drôle pour la plus part !
Je commence à m’habituer à la vie dans ce train, il va déjà même me manquer. Les heures passent et se ressemble, mais au final le temps passe, surtout avec un coup dans le nez. Ca va faire presque trois jours que je suis enfermé dans cette petit boite de conserve.
Je retrouve, le contrôleur du wagon voisin, Serguei, que j’avais déjà rencontré sur le quai d’une gare hier. En à peine trois mots, je comprends vite que c’est un mec en or. Il revient tout juste de l’ascension de l’Annapurna au Népal, et de l’Indonésie où il a plongé à -30 mètres. Il souhaite venir cet été pour gravir de Mont Blanc. Je lui dis que je ferais parti de l’aventure, si je rentre en France, bien entendu…