Raconter un événement traumatique ou douloureux : pas si simple
« Aidez-moi à coucher sur le papier le récit d’un moment difficile » : c’est une demande que l’on me fait régulièrement, souvent avec l’espoir que cette démarche permettra au narrateur de se libérer d’un passé douloureux (une fois dits, écrits et rassemblés dans un livre, les « mauvais » souvenirs seront « en boite », on les posera sur une étagère et on pourra passer à autre chose, pense-t-on).
Des mises en garde
À cette requête, je réponds chaque fois avec beaucoup de prudence, en formulant plusieurs mises en garde. J’explique notamment :
- que je ne suis pas thérapeute. Je retranscris ce que l’on partage avec moi ; je ne soigne pas ! (Si mes interlocuteurs sont suivis par un professionnel, je leur conseille d’ailleurs d’interroger ce dernier sur l’opportunité de leur projet avant de se lancer...).
- que l’entreprise risque d’être douloureuse en elle-même et les séances de travail émotionnellement très intenses (elles ne pourront pas se faire entre deux portes, il faudra les programmer à des moments calmes). Parfois, on recourra à des parades.
- que je ne peux évidemment pas garantir que l’objectif poursuivi (« aller mieux ») sera atteint à la fin de notre collaboration.
- que ce genre de situation impose que la confiance entre le narrateur et le biographe soit totale. Plus encore que dans une configuration « classique », il faut s’apprécier l’un l’autre ; sans quoi cela ne marche pas. De même que je déclinerai une demande si je sens mon interlocuteur trop fragile ou si j’ai l’impression que je pourrai lui faire plus de mal que de bien, il faut que le narrateur ait envie de travailler avec moi et qu’il ou elle se sente avec ma personne un maximum d’atomes crochus.