INSTINCTOTHÉRAPIE : SUR UNE MÉTHODE ALIMENTAIRE RÉVOLUTIONNAIRE
Étrange, le fonctionnement de l'esprit humain : à peine découvre-t-on quelque chose que l'on croit tout pouvoir ramener à cette nouvelle découverte. D'où des débats sans fin, des décennies d'encre et de salive gaspillées, des amours-propres blessés, au lieu de simplement tirer profit de la découverte et en voir tranquillement les limites.
Au début du siècle passé, la découverte du conditionnement ouvrait la voie au behaviorisme : il s'agissait de tout expliquer par des réflexes acquis, dans la négation quasi totale d'instincts ou de potentialités innées. Puis vint au milieu du siècle la découverte de l'ADN : cette fois, c'est l'inné qui était censé tout expliquer par l'action de gènes transmis héréditairement.
Plus récemment, on s'apercevait que l'expression des gènes était modulée par des facteurs environnementaux. Les découvertes en matière de systèmes complexes démontraient que tout n'est pas prévisible comme le sous-entendait la physique classique, et que certains phénomènes ou certaines propriétés peuvent émerger sous l'effet de facteurs impondérables dès qu'un système dépasse un certain niveau de complexité. On peut prévoir la trajectoire d'une particule lorsqu'on connaît ses caractéristiques (notamment sa vitesse et sa direction), mais on ne peut plus rien prévoir lorsqu'un système comprend des myriades de particules, soit que surgissent des processus de désorganisation (chaos), soit que se mette en place un processus d'auto-organisation sous l'effet des interactions avec l'environnement.
Du coup, certains esprits s'embarquent dans une négation de la génétique : un organisme vivant est un système hautement complexe, donc il peut être le siège de phénomènes de chaos ou de processus émergents, les gènes ne font pas tout, donc la génétique n'explique rien et il faut l'abandonner. Les lois de l'évolution, fondées sur la transmission des gènes, n'ont donc plus droit de cité, ni les notions d'instinct héréditaire. Nous revoilà donc au stade du behaviorisme : c'est l'environnement qui fait tout.
Tous ces points de vue extrêmes sont évidemment ridicules. Ce n'est pas parce que les gènes ne font pas tout que les gènes ne feraient rien. L'inné et l'acquis sont indissociables, comme le constatait par exemple Konrad Lorenz il y a bien longtemps. Mais est-ce une erreur de parler d'inné et de parler d'acquis ?
L'erreur consisterait à tout vouloir expliquer par l'acquis ou de tout vouloir expliquer par l'inné. Mais le fait de recourir à ces concepts permet d'approcher les problèmes sur une base analytique et de construire des modèles d'explication. Tout modèle reste bien sûr limité, mais il peut tout de même rendre service.
Nous sommes constamment confrontés à ce genre de dichotomie dès que nous parlons de biologie ou de psychologie. Par exemple, l'instinctothérapie fait appel à la notion d'instinct alimentaire, comprenant les mécanismes alliesthésiques et autres signaux du corps relatifs à l'alimentation. Cet instinct alimentaire est considéré comme inné, donc comme programmé génétiquement. On observe en effet exactement les mêmes mécanismes de changement de saveur chez tous les individus de l'espèce (sauf de rares cas d'anosmie). Il y a donc de bonnes raisons de penser que ces mécanismes sont transmis par voie innée.
Mais cela n'exclut pas l'influence de l'environnement. Il est clair que les premiers contacts avec l'environnement alimentaire peuvent déterminer des modes de fonctionnement différents, ou une reconnaissance psychologique différente, des mêmes mécanismes. C'est même là une des parties essentielles de l'instincto, que de retrouver le fonctionnement de l' instinct alimentaire tel qu'il se mettrait en place dans un environnement naturel (sans artifices modifiant les saveurs des aliments donnés par la nature), puis d'utiliser les signaux du corps (attirances, rejets, dégoûts, etc.) afin de régler au mieux l'équilibre nutritionnel.
Se priver des notions d'inné et d'acquis ouvrirait la voie à n'importe quelle spéculation : des propriétés émergentes peuvent surgir du système complexe auto-organisé que nous sommes. Donc nous pouvons nous adapter à n'importe quoi. Même si nous n'avons plus que des cailloux pour toute pitance, une nouvelle propriété de notre tube digestif va émerger et nous permettre de survivre. L'exemple est trivial, mais montre bien qu'il existe certaines limites qu'il n'est pas possible de dépasser.
De même, ce n'est pas parce les gènes ne déterminent pas tout que l'on ne pourrait pas raisonner en terme d'adaptation génétique. Un organisme est certes doté d'une certaine capacité d'adaptation, plus grande que ne le laissait entendre la génétique strict lorsqu'elle s'ingéniait à tout ramener à une simple série de gènes, censés déterminer chacun un fonction précise. Les mécanismes de régulation de l'expression des gènes existants (ou épigénétique) lui permet de faire face à des situations très éloignées de la situation qui a pu présider à l'évolution de l'espèce. Des propriétés émergentes ont aussi pu faire évoluer l'espèce beaucoup plus vite que les processus classiques de mutation-sélection.
Quels que soient les capacités d'adaptation d'une espèce ou d'un individu, la question de base de l'instincto reste parfaitement valable : notre nourriture quotidienne correspond-elle aux données génétiques de notre organisme ? La notion de génétique telle qu'il faut l'entendre ici comprend tout ce qui tourne autour de la génétique, notamment l'épigénétique et les surprises que peuvent réserver des systèmes complexes auto-organisés.
Le simple bon sens éviterait toutes ces digressions théoriques : tout système en interaction avec l'environnement, quel que soit ce système, dispose d'une marge d'adaptabilité aux changement éventuels de cet environnement. Mais cette marge d'adaptabilité est limitée, et la question subsiste de savoir dans quelle mesure le système sera capable de s'adapter à un changement donné, ou s'il sera soumis à des processus de désorganisation, voire de chaos, si ce changement dépasse sa marge d'adaptabilité.
C'est bien clair en matière d'alimentation : la nourriture quotidienne a vu ses caractéristiques changer profondément en quelques milliers d'années. Il s'agit donc de se demander si ces changements restent dans les limites d'adaptabilité de l'organisme humain, ou s'ils provoquent certains troubles de fonctionnement inhérents à la pathologie humaine.
En d'autres termes, les découvertes en matière d'épigénétique et de systèmes complexes ne changent strictement rien à la théorie ni à la pratique instincto. Les seules conclusions valables sont celles que l'on peut tirer d'une recherche empirique portant sur des organismes situés dans leur environnement, du fait de la complexité et de l'imprévisibilité des facteurs en présence. Sans exclure pour autant les données fournies par la recherche analytique venant infirmer ou confirmer les hypothèses de départ ou les règles pratiques tirées de l'observation.