INSTINCTOTHÉRAPIE : SUR UNE MÉTHODE ALIMENTAIRE RÉVOLUTIONNAIRE
On dit généralement que l’homme a perdu son instinct alimentaire. Il est clair que se laisser aller à ses envies devant un buffet garni, ou face à la table familiale, peut conduire à de graves déséquilibres. À chaque instant surgissent des tentations qui nous poussent à manger ce que nous savons être nuisible pour notre santé, à rejeter les aliments qu’on nous déclare les plus sains, à détruire nos dents à force de sucreries ou notre foie à force d’alcool… Si nous nous laissons aller, ce sont les spectres de l’obésité, des maladies cardiovasculaires, du cancer qui nous menacent et nous ramènent à l’ordre quand tout va bien.
Il n’y a certes rien d’instinctif dans les corrections de l’hygiène alimentaire que nous enseigne la diététique, ce sont au contraire le mental, le raisonnement, la maîtrise des appétences, voire les calculs de composants alimentaires qui sont censés assurer notre équilibre nutritionnel.
L’animal dans la nature a manifestement moins de problèmes. Tous les spécimens d’une espèce que vous passeriez sur la balance respecteront le même équilibre staturo-pondéral, il n’y aura ni de trop maigres, ni de trop gros, contrairement à ce qui se passerait si vous passiez sur la même balance les différents spécimens de l’espèce humaine. À peu près quatre fois plus d’irrégularités (d’écart-type dirait le statisticien). La différence est notable.
S’explique-t-elle par une meilleure génétique ? Les animaux sauvages sont exposés à toutes sortes de dangers, et seuls ceux qui ont les meilleures performances survivent et se reproduisent. On peut donc penser que le génome des espèces qui vivent dans la nature, sans les facilités de la civilisation tels que protection contre les prédateurs, apport automatisé de nourriture, survie et reproduction garanties par la médecine, doit être plus performant que le nôtre après quelques millénaires de "progrès" en tous genres. La civilisation abaisse la pression de sélection, et favorise la dégénérescence de l'espèce...
Cette belle explication s’effondre toutefois lorsqu’on domestique une espèce sauvage et qu’on lui impose une alimentation plus ou moins semblable à l’alimentation humaine. Le surpoids apparaît en quelques semaines ou quelques mois. Inversement, si l’on alimente des spécimens de notre espèce humaine sur le même mode que l’animal sauvage dans la nature, c’est-à-dire sur le mode instincto, les trop gros perdent rapidement leurs kilos inutiles, et les trop maigres gagnent en musculature (pour autant que la méthode soit bien appliquée). L’IMC moyen (indice de masse corporelle) tourne autour de 20 kg/m² en moyenne chez les instinctos de longue date et la composition corporelle (rapport du poids des tissus adipeux à celui des tissus vitaux) est nettement meilleur.
L’instincto faisant par principe abstraction de toute limitation ou recommandation diététique, il faut bien admettre l’existence d’une autorégulation assurant des apports caloriques appropriés. Or, qui dit autorégulation, qu’il s’agisse d’animal ou d’être humain, dit ipso facto « instinct », du moins lorsqu’on définit celui-ci comme un ensemble d’automatismes visant à assurer l’équilibre vital de l’organisme.
Il apparaît du même coup que cette autorégulation ne fonctionne pas correctement dans le contexte culinaire. L’expérience montre par exemple qu’un animal domestique auquel son maître donne sa propre nourriture sans limitation des rations engraisse anormalement, alors que la même bête recevant des aliments bruts, également sans limitation, rétablit en quelques semaines un poids normal. Même observation avec le propriétaire : s’il passe à l’instincto, son surpoids commence rapidement à se résorber, et s’il reprend l’alimentation cuisinée, il remet ses kilos superflus.
Quelle conclusion logique tirer de ces quelques constatations ? 1°) Qu’il existe un instinct alimentaire garantissant spontanément la régulation staturo-pondérale, aussi bien chez l’être humain que chez l’animal; 2°) que cet instinct est mis en défaut par la préparation culinaire; 3°) qu'il est adapté génétiquement aux aliments primitifs et que les autres fonctions de la nutrition pourraient l'être également.
Voilà qui n’est qu’à demi-surprenant : l’art culinaire consiste à rendre les aliments meilleurs qu’à l’état brut ; s’il existe une régulation des prises alimentaires à partir de la perception des saveurs, des saveurs améliorées conduisent spontanément à manger davantage. Le rôle des saveurs est manifeste, une saveur répulsive poussant à rejeter un aliment, et une saveur attractive poussant à le consommer. C’est donc par essence que l’art culinaire met en défaut les mécanismes de régulation gustatifs.
Cette petite démonstration s’est vue conforter depuis les années 70 par la définition de l’alliesthésie alimentaire. Les odeurs et les saveurs changent en fonction de l’état du corps. Des travaux plus récents ont montré que le basculement alliesthésique de l’agréable au désagréable est plus flou lorsqu’un aliment est apprêté. Il est donc logique de penser que la régulation assurée par le sens gustatif est perturbée dans le sens d’une suralimentation par la préparation culinaire.
L'alliesthésie gustative n’est toutefois pas la seule à réguler la prise alimentaire : les sensations de réplétion, indépendantes du volume occupé par l’aliment dans l’estomac, jouent également un rôle capital. La réplétion est moins perturbée par les aliments préparés, mais l’observation montre qu’elle n’est pas aussi fiable. L’abstention de toute préparation culinaire semble donc indispensable pour la réhabilitation du guidage alliesthésique, pièce maîtresse de l'instinct alimentaire.
La question se pose alors de savoir dans quelle mesure cet instinct est capable de garantir une régulation nutritionnelle adéquate, non seulement du point de vue des apports caloriques, mais de l’équilibre entre les différents nutriments : glucides, lipides, protides, vitamines, minéraux et oligo-éléments ?
L’expérience quotidienne montre que les appétences, notamment les attirances olfactives et gustatives pour des aliments riches en protéines augmentent après une période d’abstention. Un manque de protéines se traduit par un renforcement des attractions, et également par un sentiment de satisfaction proprioceptif (bouche, œsophage, estomac) au moment de la consommation. De même pour les aliments riches en lipides, ou riches en sucre.
Ces variations, régulièrement observables, ne garantissent pas en soi une autorégulation idéale. Elles pourraient ne corriger que partiellement les surcharges ou les manques antérieurs, ou n'intervenir que dans les cas de carence extrême. La question se pose de manière encore plus aiguë et complexe pour les apports de vitamines, minéraux et oligoéléments. Une double réponse empirique est apportée :
1°) par le calcul des apports quotidiens à partir des rations consommées et des tables de composition alimentaires.
2°) par une surveillance des carences notamment lors de pratique à long terme.
Les résultats semblent concluants, dans la mesure où les pratiquants
· disposent d’un approvisionnement suffisant,
· dépassent les aversions acquises antérieurement ou lors d’expériences maladroites,
· appliquent les règles pratiques issues de l’expérience.
Il peut paraître contradictoire de dire que le fonctionnement de l’instinct nécessite l’application de règles tirées de l’expérience. Les automatismes devraient se manifester spontanément sans qu’on leur impose aucune limitation. La réponse est que ces règles ne constituent pas des limitations, mais définissent des conditions dans lesquelles les automatismes instinctifs peuvent se manifester et se déchiffrer correctement.
Dans des conditions naturelles (absence de dénaturation culinaire), l’enfant traverserait une période d’apprentissage où il pourrait faire toute une série d’expériences, chaque réaction correcte aux indications des sens apportant un bien-être et chaque erreur se traduisant par un malaise (facilement compensé grâce au lait maternel). Ce conditionnement constituerait dès les premières étapes du sevrage un apprentissage précoce, bientôt recouvert par l’amnésie infantile, mais restant actif dans l’inconscient sous forme de réflexes, de sensibilisation à certaines perceptions, de prévision des effets de chaque erreur.
L’enfant qui traverse cette période d’apprentissage avec des aliments dénaturés ne peut enregistrer les rapports entre variations alliesthésiques (insignifiantes du fait de la dénaturation) et conséquences sur l’état du corps. Il souffrira d’une « cécité alliesthésique », c’est-à-dire d’une incapacité de lire dans les variations perceptives l’utilité ou la nocivité de l’aliment consommé. Il ne prêtera simplement pas garde aux indications des sens, confondant par exemple quantité de plaisir et qualité de plaisir, il recherchera la satisfaction dans la sophistication des préparations au lieu de la chercher dans l’adéquation de l’aliment à ses besoins véritables, il ne développera pas la sensibilité naturelle des sens de l’odorat et du goût. C'est pourquoi toute une série de règles, constituant un véritable apprentissage a posteriori, s'est avérée indispensable.
Pour résumer, on peut dire ceci : l'instinct alimentaire existe encore chez l'homme, il est comme tout instinct déterminé génétiquement, mais il ne peut s'exprimer correctement que dans un contexte alimentaire suffisamment proche des conditions primitives qui ont présidé à l'élaboration du génome. De plus, il nécessite comme tout instinct une part d'apprentissage ; celui-ci n'étant pas réalisé dans la période précoce, ou se trouvant dévoyé par les dénaturations culinaires, un réapprentissage est indispensable a posteriori afin de récupérer au moins partiellement l'autorégulation instinctive de l'équilibre nutritionnel.
Et peut-être le principal : l'instinct s'exprime par le plaisir...
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