INSTINCTOTHÉRAPIE : SUR UNE MÉTHODE ALIMENTAIRE RÉVOLUTIONNAIRE
Il est possible de distinguer quatre phases dans les variations alliesthésiques des saveurs perçues avec la plupart des aliments originels. Toutefois, ces phases ne sont pas forcément comparables d'un aliment à l'autre du point de vue de la nature des perceptions.
L'organisme est un tout complexe, et les sensations liées à la régulation alimentaire ne se déclinent pas sur un axe simple. La notion globale, que l'on peut considérer comme la résultante des différentes variations perceptives d'une odeur et d'une saveur est celle d'agrément-désagrément. C'est elle qui commande l'acceptation ou le rejet instinctif de l'aliment.
Plusieurs composantes interviennent et se combinent, un peu comme si l'organisme savait tenir compte de tous les éléments aromatiques, biochimiques, voire mécaniques constituant la perception de l'aliment en cours d'ingestion : odeur, saveur, consistance, salivation, sensations à la déglutition, réactions stomacales, postgustation… Ces différentes composantes sont aussitôt intégrées pour constituer une perception d'ensemble, reconnue comme plus ou moins agréable suivant les besoins et les capacités digestives et métaboliques.
Il faut tenir compte de cette grandeur psychologique globale d'agrément-désagrément pour assurer une bonne régulation de la prise alimentaire, et non pas se focaliser sur des composantes partielles, comme sucré, acidulé, onctueux, etc. La difficulté est que l'agrément ressenti peut interférer avec d'autres éléments psychologiques, comme les souvenirs de plaisir, de malaise, de dégoût, les croyances diététiques dans l'utilité ou la nocivité de l'aliment, les habitudes de table, etc. Le premier apprentissage à faire, si l'on veut retrouver le mode de fonctionnement naturel, est donc de mettre une sourdine à toutes les tentatives d'intrusion de l'intellect ou de l'affect, pour concentrer l'attention uniquement sur la sensation organique d'agréable ou de désagréable.
On voit ainsi que la mise en pratique de l'instinct alimentaire exige un véritable travail sur soi. Il faut apprendre à donner priorité aux signaux du corps et mettre de côté les contenus d'angoisse, de sécurisation, les conditionnements, et toutes les projections affectives, qui ont constamment tendance à influencer nos comportements. Ces différents éléments appartiennent en fait à l'ego. Le travail intérieur qui est accompli à chaque repas ne vaut pas que pour l'alimentation, il porte ensuite des fruits dans le domaine relationnel, voire spirituel, car là aussi, il est indispensable de ne pas se laisser influencer par des contenus égotiques, si l'on veut reconnaître les vraies valeurs humaines, les vraies intuitions et ne pas commettre les innombrables erreurs dont l'ego a le secret.
Comment décrire les phases gustatives ?
On peut d'abord distinguer une "phase agréable" qui, au bout d'une certaine quantité ingérée, bascule dans une "phase désagréable". La quantité d'aliment susceptible de provoquer ce basculement dépend de l'état du corps (capacité digestive, besoin métabolique…) et de l'état de l'aliment (maturité, qualité, fermentation…). Elle est de ce fait imprévisible. Pour certains, le virage survient déjà lors de la première bouchée, pour d'autres au bout de quantités qui, parfois, pourraient paraître exorbitantes. L'observation des résultats au niveau digestif comme à plus long terme, démontre pourtant que le phénomène est parfaitement bien réglé. Les quantités apparemment excessives ne paraissent excessives qu'au regard des normes imposées par la diététique, qui justement ne tient pas compte des besoins réels mais se réfère à des moyennes.
Si l'on continue l'ingestion au-delà du virage au désagréable, on constate généralement que certaines composantes deviennent insupportables : l'acidité, l'astringence, l'irritation des muqueuses semblent s'emballer, au point de rendre la poursuite de la prise alimentaire quasiment impossible, notamment avec les aliments sauvages. À ce stade, la tentation devient grande d'ajouter un peu de sel, ou de sucre, ou d'huile ou de n'importe quel condiment dont les vertus sont précisément de neutraliser l'apparente agressivité de l'aliment. La dénaturation par la cuisson a sensiblement le même effet. On peut ainsi grâce à l'artifice culinaire prolonger l'agrément au-delà du signal de danger.
L'expérience montre effectivement que cette quatrième phase correspond à un danger pour l'organisme, pouvant se manifester soit à court terme sous forme d'indigestion, de dérèglement immunitaire (tendance inflammatoire et infectieuse), causant par exemple l'explosion de maladies déjà présentes (rhume, otite, bronchite) ; soit à plus long terme, moyennant répétition, sous forme de troubles chroniques, métaboliques (par exemple l'obésité) ou immunitaires (comme le cancer ou les maladies auto-immunes).
Quel nom fallait-il donner à cette phase située au-delà du désagréable ? J'ai proposé de l'appeler "phase douloureuse", non qu'elle soit à chaque fois proprement douloureuse au niveau buccal, mais parce qu'elle se manifeste souvent, au-delà des irritations de la langue, des difficultés de déglutition, de la surcharge digestive, par l'apparition de douleurs au niveau des organes.
À l'opposé, on constate que le plaisir produit par un aliment qui répond à un besoin profond du corps, et sous réserve que ce-dernier ne soit pas trop perturbé par une alimentation dénaturée, peut s'élever à un niveau dépassant celui des meilleurs plats cuisinés. On ressent, dans ces situations, comme une sorte d'extase qui envahit le palais puis la gorge pour irradier dans l'ensemble du corps, un émerveillement organique si l'on peut dire, qui se situe loin au-dessus de l'agréable.
Ce niveau d'appel instinctif n'est pas accessible tout de suite, il faut que l'organisme fasse d'abord un peu d'ordre pour que les sensations naturelles puissent atteindre leur plénitude. Il suffit d'une simple exception, ou d'une tendance à forcer les arrêts, par exemple en allant systématiquement jusqu'à la phase douloureuse, pour émousser les sensations et se confiner à l'agréable sans plus. La capacité de jouissance semble ainsi dépendre directement du bon fonctionnement de l'organisme, présupposant l'absence de molécules perturbatrices issues des préparations culinaires, et l'absence de surcharges, dont on comprend bien qu'elles ne peuvent que réduire les attractions naturelles pour la nourriture.
Là aussi, il fallait trouver un nom pour qualifier ce niveau de plaisir. Je me suis finalement arrêté sur le terme de "phase lumineuse". L'expression dit bien ce qu'elle veut dire, en dépit d'une coloration ésotérique que certains pourraient critiquer. Comme toujours, une métaphore ne peut être comprise que si l'on connaît son contexte. Phase lumineuse n'évoque pour moi aucune illumination au sens religieux ou superstitieux, mais simplement un niveau de ressenti qui rappelle, par rapport au simple agrément, celui d'un soleil rayonnant par rapport à l'éclairement d'une ampoule électrique.
Un équilibre nutritionnel et un fonctionnement métabolique parfaits garantissent l'accès quotidien à cette phase lumineuse. Réciproquement, le fait d'y accéder systématiquement garantit une équilibration optimale. Il est toutefois facile de perdre de vue ce niveau de jouissance, sous l'effet d'angoisses poussant à forcer les arrêts, d'aliments souffrant de diverses imperfections (mauvais engrais, sélection artificielle, mauvaise conservation), ou de croyances diététiques (il faut que je mange assez de protéines, de vitamines B12, etc.). Nombreux sont les instinctos qui tombent dans ces pièges et se plaignent finalement d'arrêts flous ou de surcharge permanente, simplement parce qu'ils ont perdu en route, suite à toutes sortes de petites erreurs, la dimension "lumineuse" et qu'ils ont finalement pris l'habitude d'un niveau inférieur. Une petite période de jeûne peut parfois aider à remettre les choses en place.
En résumé :
La notion clé est celle d'agrément-désagrément, comprenant non seulement les perceptions gustatives et olfactives (notamment l'olfaction rétronasale), mais l'ensemble des données organoleptiques (consistance, jutosité, onctuosité...), ainsi que les sensations de réplétion ou de satisfaction en provenance de l'estomac, et autres sensations liées à la qualité de la digestion.
Ces différents critères ne sont reconnaissables et fiables qu'avec les aliments non dénaturés. Ils sont particulièrement nets avec les aliments sauvages. Plus un aliment est altéré, apprêté, transformé par les diverses techniques culinaires, agricoles ou industrielles, censées le rendre plus palatable ou améliorer sa conservation, plus les frontières entre les différentes phases s'estompent. L'art culinaire, la sélection artificielle et, dans une certaine mesure, les méthodes industrielles visent à faciliter la consommation en neutralisant les réactions de désagrément mises en place par la nature pour assurer l'équilibre nutritionnel. Elles conduisent inévitablement à des surcharges métaboliques permanentes dont l'actuelle épidémie d'obésité est le symptôme le plus criant.