C'est au point du jour malgré la célébration de la veille, que Dadjingits et Emile s'extirpèrent sans bruits de leur couche. Dans le village Haïda, seule quelques femmes s'activaient, ici à raviver un feu, là à remonter de l'eau de la rivière, tandis que la rosée se muait à peine en brume. Une des jeunes femmes proposa un peu de nourriture aux deux hommes tout absorbés par leurs préparatifs. Ils décidèrent de prendre une monture supplémentaire pour charger leur matériel et la proposer à Henri lorsqu'ils l'auraient retrouvé. Dad souhaita prendre un itinéraire plus discret pour retourner à Revelstoke où il ne doutait pas qu'un comité d'accueil devait les attendre de pied ferme. Il interrogea une femme pour savoir si les berges de la rivière Shuswap étaient praticables à cheval et décida d'emprunter le sentier de ruisseau-loup. Il pensait ainsi pouvoir éviter d'être trop à découvert, comme ce fut le cas lorsqu'ils avaient quitté la ville quatre jours plus tôt. Ils entamèrent la route à sept heure et demi du matin et cheminèrent en silence jusqu'à l'embranchement du sentier qui longe, comme sont nom l'indique, un ruisseau. Cette route s'avéra difficile à pratiquer tant le passage à travers la végétation était parfois étroit. Se faisant toutefois, c'est en cherchant son chemin que Dad aperçut quelque chose bouger sur la crête au loin devant eux. Il se hissa sur un roc en surplomb et déplia sa longue-vue pour détailler le paysage.
Dans le disque que la loupe découpait sur les montagnes, Dad finit par apercevoir la silhouette de cinq cavaliers occidentaux, armés de fusils, se déplaçant en file indienne. Comprenant que le cortège était sur le même sentier qu'eux et qu'il allait à leur rencontre, les deux hommes décidèrent de se cacher pour l'observer passer. Le pisteur se mit en retrait avec les chevaux tandis que l'archéologue s'allongea dans la végétation suffisamment prés pour avoir une chance de les voir. L'attente fut brève avant que les sabots des cinq chevaux ne se fassent entendre. Ils progressaient en silence et Emile, en se contorsionnant pour tenter d'apercevoir leurs visages à travers les branchages, fit plus de bruit qu'il n'aurait dû. L'un d'eux, en tête de file fit signe aux autres de s'arrêter. Il mit pied à terre et s'avança, fusil armé, dans la direction où se tapissait le Français. Comprenant la tournure dangereuse que prenaient les évènements, l'indien saisit l'opportunité qui s'offrait à lui lorsqu'il distingua le pelage d'une martre dépassant d'un buisson. D'un geste sec et précis, il projeta un caillou sur le derrière de l'animal qui détala, effrayé, en direction du chemin. Alors qu'Emile était sur le point d'ouvrir le feu sur son trop curieux inconnu, le petit mustélidé lui passa sous le nez, détournant l'attention du cavalier qui en abandonna son inspection. Quelques minutes plus tard, le mystérieux cortège avait repris sa route. Les deux compères, eux, décidèrent de ne pas traîner dans les parages pour ne pas prendre de risque inutiles. En effet, réflexion faite, le scientifique pensait bien avoir reconnu les bottes de "Fingers" aux pieds de celui sur qui il avait failli devoir tirer. Il étais seize heure lorsqu'ils arrivèrent en vue de Revelstoke. L'archéologue ne souhaitant pas s'aventurer en ville de jour laissa son comparse faire un premier tour d'inspection, histoire de prendre la température. Dad commença par rendre visite à la famille Lovett qui tenait le magasin général. Il commença par demander à Andy, le propriétaire, de lui préparer quelques rations. Pendant ce temps, il engagea la conversation avec Valery, sa femme. Celle-ci s'avéra assez prolixe et eu le temps avant que son mari ne revienne de l'arrière boutique d'apprendre à l'indien que:
-quatre hommes rappelés de Fond-de-coppe montaient la garde en ville.
-Noël avait fait acheté de grosses réserves de provisions, sûrement dans la perspective d'accueillir des visiteurs.
-et que bien que le Caporal Brown n'ait rien pu prouver, les Français étaient soupçonnés par tous d'être lié à l'incident nocturne de dimanche dernier.
Andy interrompit brutalement sa femme comme pour lui signifier sa désapprobation. Il confirma à son client qu'il ne goûtait que très modérément les commérages dont sa femme se faisait volontiers l'écho.
Passant donc son chemin, Dad poursuivi en se rendant au Shuswap Creek. Il y découvrit, attablés derrière un verre de bière, deux des hommes d'Avranche. La surveillance semblant définitivement très décontractée, l'indien s'invita au comptoir d'Erwine Lowedge, le propriétaire de l'hôtel. Moyennant une modeste contribution à la santé du bilan comptable de l'établissement, il obtint les clefs de la chambre de Frederick Atkinson le représentant de la société Kraft. Il avait effectivement appris que l'homme avait quitté l'hôtel lundi dernier et qu'il n'était pas reparu depuis. Malheureusement Dadjingits ne trouva rien de probant dans la chambre du prospecteur et avant de se résigné à quitté l'hôtel, tenta vainement une incursion dans la chambre toujours réservée au nom de Lepoil. Désappointé par tant d'infortune le pisteur décida de continuer son enquête directement auprès de l'homme le plus au fait des faits divers en ville, le Caporal Brown en personne. Le policier se montra malheureusement coopératif mais moins prolixe qu'à son habitude. Les évènements semblaient l'avoir inciter à la prudence et l'irruption dans cette affaire d'un nouveau protagoniste ne fit que le conforter dans cette posture. Dad compris rapidement que le seul soucis du représentant de la loi était de maintenir un semblant de quiétude en ville.. et que pour se faire il acceptait de nombreux arrangements avec la morale. En désespoir de cause, et avant de retourner retrouver son comparse, l'indien rendit une brève visite au maréchal-ferrant, Cleeve Stevenson. Il avait dans l'idée de s'arranger avec lui pour faire garder les chevaux mais il se ravisa rapidement devant la mou renfrognée du vieil homme. Il faisait manifestement partie de ce faible pourcentage d'occidentaux encore réfractaires à la présence des autochtones sur leurs propres terres.
En retrouvant Emile, le pisteur lui fit part du peu d'informations qu'il avait glané et notamment du fait que le comité d'accueil pressentie n'était pas au rendez-vous. Restant sur ses gardes l'archéologue proposa d'attendre la tombée de la nuit pour aller rendre visite au docteur Thomasson. Depuis l'histoire des livraisons de morphine, il était convaincu que le maire de Revelstoke jouait un double jeu et il souhaitait découvrir lequel. La progression se révéla, comme prévue, facilitée par l'obscurité mais alors qu'ils contournaient deux gardiens passablement éméchés, ils se trouvèrent mis en difficulté par un imprévu. "Old Boy! Old boy!" Emile avait déjà entendu cette litanie lors de sa première nuit au Shuswap Creek. Un homme sifflant et appelant son chien sans relâche dans les rues de la ville. Il venait maintenant sur eux et risquait si bien de les faire découvrir qu'ils durent se réfugier dans l'église toute proche. Tandis qu'ils l'écoutaient déambulant de plus en plus prés de leur cachette, l'indien eu l'idée incongrue d'imiter brièvement une clabauderie pour attirer son attention. Le subterfuge fonctionna a merveille et l'inconnu investi le sanctuaire d'où il avait cru entendre aboyer son animal de compagnie. Il fut à peine surpris d'y trouver les deux hommes et engagea la conversation sans détour.
De fait Marvin, puisque c'était son prénom, ne devait pas être facile a décontenancer puisque la sénilité semblait s'en charger en permanence. Il répondait à côté des questions qu'on lui posait, changeait de sujet au milieu de ses phrases et perdait systématiquement le fil de sa propre pensée. Mais le vieil homme, qui catalogua ses nouveaux amis comme clochards, amena la discussion sur un sujet qui les interpella. Il lui semblait en effet reconnaître, à travers les traits d'Emile, l'ethnologue Andrew Scott qui avait mystérieusement disparu de la région six ans auparavant. Il avait visiblement sympathisé avec lui lors de son bref passage à Revelstoke, et il était surprenant, considérant son état mental, de constater à quel point il semblait en conserver le souvenir. Malheureusement, ça n'était ni l'endroit ni le moment pour mener plus en avant l'enquête. Marvin pris donc congés des deux hommes à l'instant où ils lui reparlèrent de son chien. Une fois loin, profitant de se que le vieux fou détournait l'attention des gardes, Emile et Dad se plantèrent sur le perron de la maison du maire et toquèrent à la porte. Bien en mal de discerner les visages des importuns dans l’entrebâillement obscur de sa porte d'entrée, le médecin afficha une mine soulagée lorsque ses visiteurs lui déclinèrent leur identité. Alors même que les deux hommes s'étaient préparés à devoir faire usage de la force pour obtenir les informations qu'ils souhaitaient, ils se retrouvaient confortablement installés dans le salon du docteur Thomasson. Tout en leur servant un verre de whisky, le maire s'avoua rasséréner de les savoir encore en vie, et comme pour faire bonne mesure, la conversation qui s'en suivie fût riche d'enseignements. Tout d'abord, c'était bien une opération "coup de poing" que s'apprêtait à mener Avranche dans la région. Selon lui, une trentaine de mercenaires devaient débarquer en ville dés mardi prochain. Il expliqua ensuite combien il en voulait au gangster d'avoir ainsi gangrené son rêve, sa ville. Il attendait, depuis plus de trente ans, le moment opportun pour se débarrasser de l'intrus. Depuis tout ce temps il avait progressivement adopté une attitude de plus en plus soumise pour éviter d'avoir à subir la Némésis du truand. Il en était même arrivé au point d'accepter de lui livrer une importante quantité de morphine que son diplôme de médecin lui permettait d'approvisionner sans éveiller les soupçons. Se faisant toutefois, il s'était lui-même mis hors-la-loi et était devenu encore un peu plus l'esclave de son oppresseur. Il savait que désormais pour faire tomber Avranche, il allait falloir trouver une infraction mineure. Un délit sans rapport avec ses activités criminelles, pour lesquelles il ne savait que trop bien se protéger. Une fois coffré, même pour une courte durée, le chef de l'exploitation minière perdrait son bien le plus précieux. Tous les prétendant à sa succession ne mettrait guère plus de quelques semaines a s'entre-tuer. Et si par le plus grand des hasards la nouvelle se répandait malencontreusement. Ils devraient faire face a une fronde des mineurs qu'ils ne seraient plus en mesure de contenir. Il ne fait aucun doute que ce business juteux serait rapidement repris en main par l'état. Thomasson pense que les parties fines qu'organise Noël ou bien le fait que des enfants travaillent à la mine, pourrait constituer d'excellents chefs d'accusations mais il lui manque toujours des preuves. Revenant au sujet de leur visite, Emile intéressa le maire à son problème concernant la disparition de leur compagnon de route Québécois. A ce sujet Andrew répondit qu'il soupçonnait Noël de retenir ses prisonniers dans une cabane de chasse qu'il lui avait lui-même vendu quelque année auparavant. Il semblait en effet plausible que le patron de la mine préfère éviter de donner une raison supplémentaire aux mineurs de lui en vouloir en s'affichant ouvertement comme le tortionnaire qu'il était. La fatigue commençait à se faire sentir et comme les deux hommes projetaient maintenant de partir aux aurores pour se rendre à la cabane de chasse de Noël, le médecin leur proposa de passer la nuit chez lui. Avant de monter se coucher et alors qu'il nettoyait les verres qu'ils avaient vidés ensemble, il les invita à prendre garde de ne plus boire ce qu'on leur offrait à l'avenir. En effet, il leur fit part de la visite toute récente de Cédric Cobec, l'homme de main de Noël dont Emile gardait un cuisant souvenir, qui était venu lui extorquer plusieurs flacon de laudanum. Fort de cette nouvelle information, l'archéologue et le pisteur s'avisèrent de redoubler de précautions et décidèrent d'établir une garde sommaire en dormant à tour de rôle. Le Français tomba de fatigue mais ne dormi pas d'un bon sommeil. Il fit plusieurs rêves étranges.
Dans l'un d'eux, il se voyait visitant une maison inconnue, pénétrant une pièce pratiquement vide, au milieu de laquelle seul gisait un matelas vétuste. Les deux prostituées qu'il avait vu se faire malmenées par Avranche étaient là aussi. Leslie déguisée en infirmière et Mapita en danseuse. Toutes les deux prirent soin de lui après l'avoir, dans une étrange chorégraphie, inviter à s'allonger sur le lit. La situation était des plus voluptueuse jusqu'à qu'Emile ne remarque que les filles ne portaient un masque à gaz. Soudain inquiet de la tournure que prenait les évènements, il n'eut que le temps de se rassurer en constatant qu'il en portait un aussi, avant que les deux gourgandines ne l'emprisonne en le roulant dans le matelas. Ainsi prisonnier, l'archéologue eut le sentiment de devenir un véritable homme canon lorsqu'elles eurent redressé l'ensemble dans une danse toujours parfaitement synchronisée. La menace balayant finalement toute forme de sensualité, l'homme de science parvint à quitter son univers onirique et se réveilla en sursaut de son étrange cauchemar. Le reste de la nuit fut relativement calme et c'est donc avant que le soleil n'embrase les cimes que la petite équipe se mit en route pour rejoindre l'ancienne cabane de chasseur du maire de Revelstoke. Le chemin était tout tracé, sur l'autre rive de la Shuswap, et c'est sans doute la fatigue mêlée à un excès de confiance qui leur fit manquer l'embranchement menant à l'endroit indiqué sur la carte par le docteur. Rebroussant chemin, les deux hommes arrivèrent finalement en vue de la cabane sur les coups de dix heure.
Noyée dans les hautes herbes d'une prairie, couverte de mousse, adossée à la forêt, la vieille bâtisse semblait peu entretenue et inhabitée. Emile resta tout de même en retrait, épiant la scène à la lunette de son Withworth, tandis que Dad se glissait furtivement au milieu de l'herbage. Il contourna la maison, observant l'ensemble à une vingtaine de mètres avant de s'approcher d'une fenêtre aux persiennes closes. Il écouta attentivement et décela la présence de plusieurs individus. Se décalant légèrement, il examina l'enclos entouré de thuyas et découvris trois chevaux attachés. Poursuivant sa visite, il passa derrière le bâtiment où il trouva, fort logiquement à côté d'une baraque de chasse, un séchoir à viande. Il entendit aussi indistinctement le son d'un ruisseau qui devait couler non loin de là et c'est en cherchant à détailler l'origine de ce bruit qu'il en perçut un autre. Un homme était en train de creuser un trou, en pleine forêt, à une centaine de mètre de lui. L'indien qui savait que l'archéologue ne le quittait pas des yeux, lui fit un signe pour le prévenir qu'il s'aventurait en forêt. Sachant qu'il allait le perdre de vue, Emile progressa prudemment pour venir se placer dans l'axe de la porte d'entrée de la maison. Il trouva une position de tir idéal et s'y installa sans se faire repérer. Dad eu moins de chance et à l'instant où il parvint en sous-bois, il éveilla l'attention de l'inconnu en faisant craquer une branche. L'homme, qui était en train de reboucher un trou de la taille d'un homme guettait les environs sans parvenir à distinguer l'indien qui s'était instantanément effacer derrière un arbuste. Il serrait sa pelle contre lui l'air inquiet tout en se rapprochant dangereusement de son fusil posé contre un arbre. Dad ne souhaita pas lui laisser le loisir de s'en emparer et décocha une flèche qui manqua son but de peu. Le bandit, affolé, lâcha sa pelle et se précipita vers son arme qu'il eu tout juste le temps d'épauler avant qu'une seconde flèche ne lui transperce la cuisse. Il s'effondra instantanément en déchirant le silence qui régnait jusqu'alors d'un beuglement si fort qu'Emile comprit qu'il devait poser son index sur la détente du fusil. L'instant suivant il vit un homme sortir en courant de la cabane tandis qu'il devinait l'ombre d'un second qui le couvrait depuis une fenêtre sous les combles. L'archéologue, qui était dans l'axe de la course du premier homme constata avec satisfaction l'efficacité de son fusil lorsque, le nuage de fumée dissipé, il distingua sa cible à terre décapitée. Mais tout à sa satisfaction, Emile ne réalisa que c'était précisément le petit nuage de poudre brûlée qui venait de le trahir qu'au moment où une balle siffla à ses oreilles. Heureusement, le tireur embusqué à l'étage ne disposait pas d'une aussi bonne arme que le Français qui ré-épaula immédiatement pour riposter de manière incertaine à travers le bâti en bois. Le son du coup de feu se trouva un étrange écho émanant de la forêt où Dad, ne prenant pas de risque, venait d'achever le blessé qui ne cessait d'hurler. Il s'en suivi un long silence inquiétant, à l'issue duquel la silhouette du tireur embusqué apparu glissant doucement par l'encadrement de la fenêtre, puis tombant mollement comme un fruit trop mûre. Une fois qu'ils se furent assurés d'avoir bien éliminer toutes les menaces potentielles, les deux hommes fouillèrent la cabane de fond en combles et y découvrirent une trappe dissimulant un petit sous-sol. C'est à cet endroit, qui semblait faire office de prison, qu'ils découvrirent un bouton de la veste de leur comparse disparu. Leur inquiétude pour le comptable ne cessant de croître, c'est avec fébrilité que l'archéologue et son ami déterrèrent le corps à demi enseveli dehors. Mais ce n'était pas Lepoil là-dessous, c'était Laurent Fraiville, le jeune insoumis qui s'était évadé de Fond-de-Coppe suite au décès prématuré de son père. Sa mère, la pauvre femme, était venue spécialement de Québec pour retrouver les siens. Désespérés par tant de violence, le Français et son compagnon Wekneeg durent prendre sur eux pour décider de ne pas achever le triste fossoyeur qui gisait à côté d'eux et des narines duquel s'échappait encore un léger souffle. Une inspection rapide des montures des hommes de paille d'Avranche leurs permirent de récupérer trois masque à gaz. Il était midi maintenant mais ils n'avaient pas plus faim l'un que l'autre. Ils enterrèrent les deux victimes d'Emile et le jeune Fraiville pour lequel ils prirent le temps de creuser un trou plus loin par respect pour sa dépouille. Ils décidèrent enfin de se remettre en selle sans plus attendre avec en tête l'idée de retrouver les traces du cortège de cavaliers qu'ils avaient croisés la veille et dont Dad avait réussi à repérer les empreintes prés de la cabane. Ils espéraient atteindre Ruisseau-loup pour déterminer l'itinéraire du mystérieux équipage avant que la nature n'en efface toutes traces. Cheminant en forêt, il eurent tous deux un mauvais pressentiment lorsqu’un vent inhabituellement froid leur parcouru l’échine sans explication météorologique.
Il leur fallut une bonne demi-heure de route pour atteindre les berges de la Shuswap où une barque les attendait. Sur la rive opposée une barge permettant de passer du matériel et des chevaux était échouée. Profitant de ce que l’indien traversait une première fois la rivière pour la ramener du bon côté, Emile s’offrit un moment de détente en se baignant. Ses abutions terminées, il aida son ami à charger l’esquif de leurs montures puis à le manœuvrer dans le courant relativement fort de la rivière. A mi-chemin, ils aperçurent une colonne de vapeur plein sud dans l’axe du cours d’eau qui annonçait l’arrivée du bac se rendant à Fond-de-Coppe. Les deux hommes s’activèrent et remirent à leur place toutes les embarcations avant de se poster en retrait pour observer le passage du bateau. A leur grande surprise, ce dernier marqua une halte à leur hauteur pour déposer sur la rive opposée, celle d’où ils venaient, un cavalier. A l’aide de leur longue vue, ils parvinrent à identifier un des hommes de mains d’Avranche avec qui les Français avaient déjà eu maille à partir. Il s’apprêtait manifestement à se rendre à la cabane de chasse où il ne manquerait pas de découvrir le carnage laissé par le passage des deux hommes. Inquiet à la perspective de le voir donner l’alerte trop rapidement, ils décidèrent d’abattre son cheval. Ils firent feu de concert mais se fut l’indien qui fit mouche. En s’effondrant, l’animal manqua d’écraser son cavalier, qui, sous l’effet de la surprise eut bien du mal ne serait-ce qu’à tenter d’observer d’où provenaient les coups de fusil. Repartant sans plus attendre, Emile et Dad, suivant la piste encore lisible des chevaux emmenés par Finger, parvinrent rapidement à rejoindre Ruisseau-loup. Le sentier progressant le long du dit ruisseau, l’indien n’avaient aucune difficulté à observer les empreintes laissées dans les alluvions. Il interrompit toutefois sa traque lorsque son regard croisa les traces toutes fraîches laissées par un cougar. La bête avait manifestement croisé le cours d’eau très récemment et ne s’était pas arrêté pour boire. Cette surprise laissa le pisteur dans l’expectative. Il fit part à l’archéologue de son désir de ramener ce trophée comme le dernier peut-être de sa carrière de chasseur. Celui-ci dû malheureusement doucher ses illusions en lui désignant les nuages menaçant qui poignaient à l’horizon. La sensation de froid qui les avait fait frissonner deux heures plus tôt en forêt, se faisait à nouveau sentir avec moins d’incongruité qu’auparavant toutefois. Le chemin sur lequel ils se trouvaient sinuait au fond d’une vallée aux parois escarpées. Des troncs d’arbres entassés en hauteur laissaient présager d’un potentiel danger lorsqu’une pluie importante s’abattait sur les montagnes. Convenant du risque, Dad se remit sur sa piste. A mi-chemin, alors que les nuages commençaient à obstruer la lumière du soleil, le Français, conscient de ralentir l’allure de l’indien, proposa à son coéquipier de le devancer pour remonter la piste au plus loin avant qu’elle ne soit délavée par la pluie s’annonçant. L’indien s’exécuta et disparu au galop… là où l’archéologue progressait difficilement au pas. Froissé dans son amour propre, Emile tenta malgré tout de forcer l’allure. Malheureusement pour lui le déluge tant redouté eu lieu avant qu’il ne soit sorti du sentier et le lit de la rivière gonfla si vivement qu’il fût submergé et emporté par les flots avec sa monture. Le contact de l’eau froide lui fit l’effet d’un électrochoc et il réalisa comme s’il se réveillait d’un seul coup que la rivière était devenue rouge. Rouge sang. Pris de panique, il trouva malgré tout les ressources pour attraper une branche et s’extraire miraculeusement du flot écarlate et glacial. Hagard, épuisé, le scientifique repris son souffle sur la berge un instant, suffisamment longtemps en fait pour percevoir l’odeur fétide du Wendigo qui lui avait jusqu’alors échappée. Il entreprit de mettre son masque lorsqu’il aperçut son cheval en difficulté une trentaine de mètres en aval, il se précipita donc à son secours. Malheureusement le premier essai s’avéra infructueux la bête se débattant lamentablement dans le courant était incapable de se redresser. Le français, comprenant l’impasse dans laquelle il s’engouffrait, s’écarta du cours d’eau pour prendre le temps d’enfiler son masque avant de retourner tirer la bride de sa monture. Il lui fallut s’y prendre à trois reprise avant de parvenir, dans un effort commun avec l’animal a le soustraire au courant toujours plus puissant. Le cheval, totalement effrayé, ne s’était par miracle rien brisé et pu suivre Emile dans le bois à l’écart du sentier désormais englouti par le torrent. Il s’y postèrent tous deux pour attendre la fin de l’averse sans pouvoir avancer tant hors du chemin le terrain était impraticable. Fort heureusement pour eux, les nuages finirent par se dissiper et le soleil refît aussitôt son apparition. Le français était prostré, détrempé, il ne leva la tête que lorsqu’il senti un rayon de soleil chauffer sa nuque. Il observait le ciel désormais clair et la cime des pins couverts de perles d’eau brillantes. Ce spectacle aurait dû lui réchauffer le cœur s’il n’avait abrité un énorme cougar posté sur un arbre, prés à se ruer sur lui.
La bête était probablement la même que celle que Dad avait repéré un peu plus tôt. Emile put à peine se redresser alors que le félin cherchait ses appuis pour descendre de son perchoir. L’instant qui suivi, le Français dégaina sans sourciller son précieux Luger pour ouvrir le feu sur l’animal qui le chargeait. Le projectile rata sa cible mais la peur avait changée de camps. Le prédateur fit volte face. De rage, Emile tira à nouveau mais sans plus de succès sur l’animal qui détalait. A une centaine de mètres de là, Dadjingits, qui était revenu chercher son ami, entendit les deux détonations et se précipita aussitôt au secours de l’archéologue. Lorsqu’il parvint à sa hauteur, la bête était déjà partie et le Français, toujours dissimulé sous son masque était encore fébrile, pointant son Luger dans le vide. Rassemblant ses esprits, rassuré par le retour du pisteur, Emile baissa son arme et commença à expliquer ses mésaventures. Il n’avait pas fini de lui expliquer que l’indien s’était lancé à l’assaut du cougar. S’en était trop pour le Wekneeg qui avait déjà laissé filé une première occasion. Il n’eut pas le temps de lancer un galop avant d’être sur les talons de la bête. Il ne la voyait pas encore mais il la savait terrée à proximité. Les traces du prédateur étaient passées de la course à la marche et Dad savait que ces animaux étaient avares en énergie. Il mit pied à terre et arma son arc. Se déplaçant silencieusement, il observait un taillis propice à dissimuler sa proie. Il se coucha et eu à peine le temps de percevoir un frémissement dans son dos. Il était pris à revers et contre toute attente l’animal l’attaqua. Se comportement, proprement inhabituel pris le pisteur de cours qui tenta désespérément de tirer une flèche avant que le félin ne fonde sur lui. Mais dans sa position inconfortable, il manqua son tir et se trouva plaquer au sol par le puissant animal.
Emile eut juste le temps d’entendre un cri déchirer la forêt. Il suivi le son du hurlement de douleur, son arme à la main. Il fut sur la scène en une poignée de seconde, ne prit pas le temps d’ajuster et tira. Cette balle, la troisième à destination du monstre toucha au but. En fait et lui perfora l’échine de part en part et la bête s’effondra comme foudroyée par la mort… laissant sa victime sanguinolente gésir. L’archéologue dégagea le cadavre et entrepris de soigner rapidement le pisteur qui perdait de grandes quantités de sang. L’aller et retour aux chevaux pour récupérer son matériel de soin, lui paru une éternité. Livrant certainement les meilleurs soins qu’il n’eût jamais donné, le Français parvint à arrêter l’hémorragie et à nettoyer les innombrables blessures qui couvrait le corps meurtri de son ami inconscient. Il savait que l’indien ne survivrait pas longtemps à de telles meurtrissures aussi décida-t‘il de jouer le tout pour le tout et de partir quérir l’aide d’Hector ou de Yagun à Skung Gwaï. Il se savait capable de rejoindre le village avant la tombée de la nuit et incapable de délivrer de meilleurs soins que ce qu’il avait déjà réalisés. Nous étions le samedi 8 aout 1925, et Emile s’élançait sans plus réfléchir dans une folle course contre la montre. Il n’eut toutefois pas le temps d’arriver jusqu’au village Kungahaï…
Joué avec David et Gabriel le mardi 07 et le jeudi 16/09/2010.