S'avisant que le lac faisait office de frontière tel que décrit dans le traité de paix Kungahaï, Dadjingits proposa d'installer le bivouac sur la rive opposée de la pièce d'eau; en zone pacifiée. Alors que les Français s'atellaient à l'intendance, l'indien partit repérer les alentours. Pendant sa ronde, il pressentit, plus qu'il ne vue, la présence du Kungahaï signalé par Laurent Fraiville. Exténués, les quatre hommes mangèrent en silence avant de décider, malgré la fatigue, de s'attribuer des tours de garde. La nuit tomba sur les montagnes, amenant une fraicheur annonciatrice d'une sévère chute de température. L'obscurité avec son cortège de sons discrets, à peine altérée par la lueur et le crépitement du feu, était propice à la réflexion. Firmin, qui avait pris le premier tour de garde, maudissait le froid qui gagnait régulièrement du terrain sur son dos. La lune était encore trop pleine pour profiter pleinement du ciel étoilé mais c'est tout de même la tête en l'air, que l'ethnologue fut tiré de ses rêveries par un petit bruit. Un cerceau de bois dévalait l'herbe jusqu'à ses pieds où il chut dans un mouvement circulaire oscillant typique. C'était un de ses jeux d'enfants que l'on s'amuse à pousser d'un bout de bois. Firmin, surprit, ne chercha pas à voir d'où venait l'objet et se dirigea directement vers la tente avec l'intention de réveiller Dad. Toutefois, alors qu'il soulevait le pan de tissu faisant office de porte, il aperçut un enfant à l'orée du bois. Le gamin, âgé de sept ou huit ans, habillé en tenue citadine, se tenait là, debout, immobile, comme s'il n'osait venir récupérer son jouet. La surprise laissant place à l'inquiétude, le scientifique rentra, comme il s'apprêtait à le faire, dans la tente, mais cette fois-ci, autant pour reprendre ses esprits à l'abri que pour tirer un de ses comparses de son sommeil. Ce qu'il ne parvint d'ailleurs étrangement pas à faire. En effet, il avait beau remuer les couvertures, s'égosiller en chuchotements alarmistes... Pas un dormeur n'ouvrit l'oeil. Le spectacle auquel il venait d'assister échappant à toute logique, il hésita un instant à faire plus de bruit. La situation devenait ridicule et c'est en en prenant conscience que l'ethnologue essaya de rationaliser. Il sorti la tête pour vérifier si l'enfant était toujours là et constata avec consternation qu'il n'avait bougé d'un pouce et l'observait toujours avec le même air effarouché. A ce moment, une ombre se profila derrière le gamin. Une femme arriva à son tour, guettant les alentours comme si elle cherchait quelque chose. Tout d'un coup, elle s'écria:
-"Viens Firmin, tous le monde te cherche!"
Effaré d'entendre son nom sortir de la bouche de cette inconnue, l'ethnologue chercha dans les ruines de sa mémoire à qui pouvait appartenir ce visage doux et harmonieux. Ne sachant quoi répondre, il vit, l'instant suivant, l'enfant tourner les talon et se diriger vers la femme. Il comprit alors que l'enfant était lui-même une vingtaine d'année auparavant et que la femme était sa mère. Il entendait ainsi sa propre voix sortir de ces bois ténébreux, réclamant son cerceau à sa mère. Il hésita un instant à ramener l'objet à l'enfant mais ne parvint pas à maitriser sa peur et se contenta de le jeter à l'endroit approximatif où il avait vu son jeune alter-ego sortir de la frondaison. Il décida donc d'achever son tour de garde en guettant le retour éventuel de son hallucination. Mais rien ne bougea plus dans la forêt endormie. A l'heure prévue, il se leva pour passer le relais à Emile. Il le réveilla cette fois-ci sans problème et tenta de lui expliquer ce qu'il venait de voir. Mais son récit sibyllin se heurta à l'esprit embrumé de l'archéologue qui l'invita a se coucher sans délai. Ce à quoi il consentit avec philosophie. Il ne trouva pas pour autant le sommeil et ce n'est qu'à la relève du tour de garde d'Emile, qu'il obtint de son remplaçant, Hector, d'aller inspecter les environs à la recherche du mystérieux jouet. Le naturaliste s'acquitta sans succès de cette tâche en soulageant un besoin naturel et Firmin parvint enfin à s'endormir.
Le soleil dardait ses premiers rayons lorsque Dad réveilla les Français avec une agréable odeur de café chaud. Dans la quiétude du petit jour, les quatre hommes se laissèrent aller à exprimer leurs maux. Interprétant le rêve éveillé de l'ethnologue, et son rapport avec l'amnésie dont ils étaient tous victimes, ils convinrent de se livrer à une introspection collective sur le modèle de la thérapie de groupe, telle qu'elle était expérimentée par des psychiatres autrichiens. Et le constat ne fut pas reluisant. Firmin livrant le fruit de ses réflexions nocturnes arrivait tous juste a ressituer le pique-nique au cours duquel il avait vécu la scène du cerceau étant petit. Hector dû se résoudre à admettre que l'amnésie s'étendait jusqu'au pré carré de ses immenses connaissances scientifiques. Dadjingits ne parvenait à se remémorer aucun autre visages que ceux de son mentor et de son frère. Et Emile, qui savait connaître Paris comme sa poche, se rendait compte qu'il n'en avait plus en tête que les images d'Épinal pour touristes que l'on trouve, sur les cartes postales bon marché, jusque dans l'arrière boutique du magasin général de Revelstoke.
Passablement résignés, ils ne leur restaient qu'à vivre avec l'espoir de trouver un remède à ce mal qui semblait avoir pour cause l'étrange gaz par deux fois inhalé. Alors que Firmin et l'indien levait le camps, Emile et son ami profitèrent du lac pour se décrasser. Pendant leur ablutions, il ressentir dans l'eau glacée un courant tiède parcourant erratiquement la surface. S'intéressant au phénomène ils s'interrogèrent sur l'origine de l'eau qui remplissait ce bassin et se proposèrent de faire le tour de la pièce d'eau pour mieux en cerner la topographie. Se faisant, Dad parvint à apercevoir l'homme qui les épiait. De manière très furtive, il discerna la silhouette d'un indien, au moins aussi habile et discret qu'il ne l'était lui-même. Quelques mètres plus loin, ils découvrirent une cabane confectionnée de planches agencées à la hâte. De-ci de-là pendaient des bouquets de plantes, au sol un feu éteint depuis peu indiquait qu'il s'agissait probablement de l'abri du Kungahaï qui les épiait depuis la veille. Continuant leur reconnaissance des lieux, les savants et leur guide parvinrent à trouver une des sources qui fournissait le lac en eau. Une rivière souterraine semblait déboucher ici avec une force produisant d'important remous. En y trempant la main, Emile constata qu'il s'agissait d'une eau glacée très probablement alimentée par les glaciers surplombant le bassin. Il s'essuyait les mains lorsqu'il aperçut une forme obscure à travers l'eau claire de la rive. En fait les quatre hommes la virent presque au même moment et cette vision les pétrifia.
Le corps recroquevillé d'une créature humanoïde momifié gisait sur le limon. En fait il avait tous les attributs morphologiques d'un Homo Sapiens à l'exception du crâne étonnamment oblong. Partagés entre la curiosité instinctive des scientifiques et la crainte de commettre un pas de clerc au regard des us et coutumes Kungahaï, ils hésitaient à sortir le corps de l'eau. Ils se savaient encore observés mais cédèrent tout de même à la tentation. Firmin et Emile se chargèrent d'extraire le cadavre et de le ramener sur la berge.
Détaillant l'équipement qui lui restait, ils récupérèrent un poignard et une poignée de pierres noirs qu'ils identifièrent comme étant de l'obsidienne. Firmin fit très justement remarquer que ce genre de pierre n'était pas présente à l'état naturel dans la région. Emile, en bon archéologue, récupéra les artefacts. Alors que les scientifiques se demandaient s'ils fallait effectuer un examen anatomique plus poussé, voir une nécropsie, l'indien Kungahaï qu'ils avaient sur les talons depuis la veille se fit enfin connaitre.
Du moins se fit entendre, car il restait à couvert une trentaine de mètres en retrait lorsqu'il proféra une menace de malédiction si "l'esprit du lac" ne lui était pas rendu. Enfin, c'est ainsi que Dad interpréta son avertissement, il ajouta d'ailleurs que pour dire ce genre de chose, ils devaient avoir à faire à un chamane. Se pliant à sa volonté, les scientifique laissèrent leur ami Haïda opérer la transaction tandis qu'ils reculaient pour signifier leur respect. Dadjingits ayant déposé ses armes à terre espérait parvenir à engager le contact mais le Kungahaï en avait décidé autrement et finit par prendre la fuite devant son insistance. Contrariés par cet échec, ils se résignèrent à attendre le retour du chamane, bien groupés, à distance respectable de la momie. Il ne se fit heureusement pas trop attendre et s'avança délicatement vers l'étrange macchabée. Il s'accroupit et le prit dans ses bras en lui chuchotant des choses comme ont l'eût fait avec un nourrisson.
Une fois ce moment de recueillement écoulé, il se dirigea vers sa cabane en invitant les étrangers à le suivre. Sur place, ils le virent revêtir un masque, raviver le feu, y jeter des plantes et disposer la momie au-dessus. Il commença alors un étrange rituel que Dad reconnu comme celui de purification des morts coupables d'avoir offensés le grand esprit, le même, ou presque, que pratiquait le chamane de sa tribu. Une fois la cérémonie terminée, l'indien récupéra le cadavre et l'emmena dans une clairière non loin de là pour l'y enterrer. Lorsque ce fût fait, il engagea la conversation avec les quatre hommes qui l'avait suivi et observé en silence tout du long. Dad se fit interprète.
Il leur dit s'appeler Yagun et leur demanda se qu'ils voulaient ce à quoi ils répondirent qu'ils souhaitaient rencontrer sa tribu pour l'avertir du grand danger qui pesait sur elle. Il leur demanda ensuite pourquoi ils avaient profanés l'esprit du lac. Ils firent amende honorable en expliquant qu'ils avaient pêchés par ignorance. Le Kungahaï se fit alors plus méfiant et les questionna sur leurs motivations a vouloir sauver ses frères. La réponse un peu compliquée des scientifiques s'acheva sur le fait qu'ils agissaient suivant des préceptes moraux. Instantanément, et comme pour les mettre en porte-à-faux, le chamane leur demanda pourquoi ils avaient "dérobés" les objets que possédait l'esprit du lac. Il n'y avait pas de réponse à cette question, sinon qu'il ne fallait pas rester dans le champs lexical du vol et rendre sans afficher de regrets le couteau et les pierres. Et c'est exactement ce que fit Emile en commettant toutefois l'impair de tenter de s'approcher du Kungahaï toujours aussi prudent. Malgré tout Yagun semblait plus à l'aise, aussi lorsqu'il demanda à ses interlocuteurs pourquoi il devrait croire qu'ils avaient le coeur pur, Dad essaya de faire jouer la solidarité ethnique... sans succès. Il n'obtint qu'un aveu de respect pour sa tribu d'origine, les Wekneeg. Mais tout cela ayant attiser sa curiosité, il s'enquit des compétences et activités des blancs.
Comme il n'employa pas le terme de métier, qui n'avait pas de traduction en langue Haïda, l'ethnologue dû mal comprendre et, pour lui montrer l'artisanat de son peuple, il lui offrit son couteau Laguiole. Le chamane, très heureux, accepta le cadeau et lui rendit le poignard de la momie en retour. Hector, qui avaient toujours beaucoup à dire lorsqu'il s'agissait de la liste interminable de ses connaissances, se résolu à ne retenir que son activité de naturaliste. Mais c'est finalement dans la description du métier de l'archéologue que Yagun sembla trouver un argument en faveur du bien fondé des motivations de ces étrangers... du moins tel que présenté par Emile qui expliqua oeuvrer pour que l'on oubli pas les civilisations du passé. Le ton de la conversation était désormais cordial mais le Kungahaï dû reconnaitre ne pas pouvoir les guider jusqu'à son village en expliquant qu'il n'en avait tout simplement pas le droit. Et il poursuivit en parlant de choses apparemment sans rapport, comme de ses potions qu'il savait préparer, qui lui permettaient d'aiguiser les sens au point d'entendre le train passer dans la vallée à une vingtaine de kilomètres du lac. Il disait ainsi savoir faire siennes la vue de l'aigle, l'ouïe du serpent ou la vivacité du cougar. Les Français commençaient à ne plus trop écouter ses explications fastidieuses jusqu'à ce que Dad insiste en remarquant qu'il semblait essayer de leur transmettre des informations de manière détournée. Il commença par expliquer que lorsque le dernier train de la journée traverse les montagnes, il sait qu'il est temps de rentrer au village s'il veut y arriver avant la nuit car il y a tout de même deux monts à franchir. Puis il insista sur le peu de chance que les étrangers avaient de repérer le campement tant il était habilement dissimulé à flanc de montagne, dans une prairie d'herbes hautes, entouré de gros rochers. Il s'arrêta là mais avec ses informations, les quatre hommes en avaient assez pour déduire la position du camp. Il expliqua pour finir qu'il allait les quitter et leur demanda de bien vouloir quitter la clairière qu'il désigna comme le sanctuaire où il enterrait les esprits du lac sacré pour calmer le Wendigo. L'interrogeant tout de même rapidement au sujet de ce dernier, il répondit qu'il vivait ici avec les Kungahaï depuis la nuit des temps et que comme les quatre précisaient l'avoir rencontré, ils leurs faudrait recevoir des soins spécifique qu'il n'accorde qu'aux siens. Il les mit en garde finalement de savoir montrer patte blanche à ses frères s'ils parvenaient à leurs campement, faute de quoi ils seraient sacrifiés au monstre qui leur avait déjà ôté la majeur partie de leur souvenirs. Dans cette perspective il leur fit don d'un attrape-rêve.
Joué avec David, Arnaud, Louis et Gabriel le jeudi 13/05/2010.