« Faut me signer ça M’sieur. »
Fletcher tendait le document de prise en charge des rippers à l’intention de Monsieur Esperandieu que le ministère de la culture avait délivré à son patron. Voyant son collègue chercher son stylo, Hector voulut lui proposer le sien. Etrangement, il ne le trouva pas non plus. Et alors que Martin remisait son contrat à demi entériné par la griffe de l’archéologue, le naturaliste comprenait qu’il avait perdu son précieux plume Parker. Se remémorant les événements récents, il parvint à la conclusion qu’il avait dû le laisser tomber lors de sa malheureuse chute de la veille au soir, lorsqu’il avait été contraint de se soustraire à la vigilance des gardes d’Avranche en se faufilant dans l’église. Réfléchissant au problème, les Français commencèrent à craindre que les deux sentinelles n’aient mis la main dessus et qu’ils aient pu en tirer une quelconque conclusion concernant leur présence en ville. Emile demanda donc au chef des rippers de bien vouloir envoyer deux hommes fouiller le sol en face du ranch du vieux Stevenson. Il ajouta en aparté qu’il serait souhaitable de faire preuve de discrétion ce qui ne manqua pas de les faire tous sourire. Dans l’attente du résultat de leurs investigations, les scientifiques discutèrent avec Martin des modalités d’un plan visant à récupérer pour eux les chevaux destinés aux mercenaires. Comprenant la toute relative légalité des intentions de ses donneurs d’ordres, Fletcher leurs fit part de l’embarras qui l’envahissait à la perspective d’enfreindre les limites de sa probité naturelle. Ses états d’âmes se dissipèrent néanmoins étonnamment rapidement lorsqu’Hector lui proposa une rallonge pour couvrir ses frais éventuels. Le fils Fletcher s’avéra être dur en affaire et ne se résigna à accepter la mission que contre la très rondelette somme de vingt dollars. En échange du paiement, Martin grima Hector à l’aide d’un bleu de travail, et l’envoya en compagnie de « Sig » chercher les chevaux.
Le gaillard ne semblait pas particulièrement dégourdi mais son chef expliqua que le concernant, il ne fallait pas se fier aux apparences. Alors que les deux rippers revenaient bredouilles de Revelstoke, Hector, résigné à ne plus revoir son stylo favoris, se mit en route avec le frustre et bavard Sig. Il ne comprenait qu’un mot sur deux du flot de parole de l’ouvrier, mais il avait l’énorme avantage de ne pas avoir l’accent Français que devait guetter les gardes en ville. Après d’âpres négociations avec le vieux maréchal-ferrant, qui ne faisait que mettre son pré a disposition d’Avranche, il leur en coûta à nouveau vingt dollars pour « louer » autant de chevaux juste pour la matinée avec la soi-disant bénédiction de leur propriétaire. Concluant le marché, Hector profita de se que Sig s’interposait entre lui et le vieil homme pour vider discrètement le contenu de la fiole du docteur dans l’abreuvoir. Les deux hommes firent ensuite au plus vite pour équiper et rassembler les bêtes mais cela ne fût pas suffisant. Alors qu’ils liaient les derniers licols entre eux, deux gardes qui effectuaient leur ronde, les interpellèrent. Hector, d’ordinaire plein de ressources ne trouva aucune idée valable et envoya Sig sans autre consigne que de se débarrasser des curieux. C’est a cette occasion que le naturaliste constata toute l’ingéniosité pratique dont faisait effectivement preuve le ripper. Il submergea les deux surveillants de la mine d’un flot de parole, évoquant pêle-mêle l’autorisation d’Avranche, un service vétérinaire, une vérification de l’état de santé des chevaux, et la diligence dont on leur avaient demandé de faire preuve au regard du coup exorbitant de la consultation. Le bluffe ayant fonctionné, les employés de Noël tournèrent les talons pour aller vérifier les affirmations de Sig auprès de leur patron. Se doutant qu’il ne leurs restait pas longtemps avant que l’alerte ne soit donné et remerciant le ciel que les mercenaires ne soient pas encore arrivés, les Français demandèrent à Martin de plier ses affaires au plus vite pour décamper avant que la fête ne commence. Le fils Fletcher tira de nouveau profit de la situation pour extorquer cinquante dollars aux scientifiques mais il les laissa pantois devant l’efficacité de son équipe. Lorsqu’il donna l’ordre de plier le camps au plus vite et de se mettre en selle à ses hommes, le groupe tout entier s’agita dans un ballet parfaitement organisé et l’ensemble fut démonté, empaqueté et chargé en moins de dix minutes. La petite troupe prit donc la poudre d’escampette en suivant l’itinéraire le plus praticable pour mettre rapidement le plus de distance possible entre eux et la ville. L’effort, bien que louable, s’avéra insuffisant et au bout d’un quart d’heure à peine, des cavaliers apparurent au bout du chemin manifestement sur leurs traces. Le groupe, trop lourdement chargé ne pouvait espéré échapper aux hommes qui les talonnait au galop. Emile invita tout de même les rippers a aller au plus vite, tandis qu’il se positionnait en queue de cortège. Observant les poursuivant, il se résolu bien malgré lui, a faire de nouveau usage de la force et compte tenu de la situation décidé de faire usage des grands moyens. Il parvint très habilement à raccorder deux bâtons de dynamite à son détonateur. Il les jeta de chaque côté du chemin, progressa doucement pour dérouler la centaine de mètre de câble dont il disposait et faire en sorte que ses poursuivants fussent à hauteur du piège lorsqu’il parvenait en fin de bobine. Il déclencha alors l’explosion des bâtons de TNT qui soufflèrent littéralement le groupe de cinq cavaliers à l’instant où ils arrivaient a porté de voix et où précisément ils commençaient à héler les rippers. Emile eu du mal à maîtriser son cheval effrayé par la détonation mais le retour d’Hector l’y aida. Les deux hommes s’approchèrent prudemment des blessés. L’un d’entre eux était encore sur son cheval. Il semblait totalement hagard, et sa monture titubait. En s’approchant, l’archéologue provoqua chez lui un réflexe de défense. Il dût vouloir donner un coup de pied et tomba aussitôt de son cheval qui s’en alla au galop. Les cinq cavaliers étaient maintenant à terre. Ils étaient probablement encore vivants mais gravement blessés et pour la plupart inconscients. Alors qu’ils les ligotaient et récupéraient leurs armes, Emile reconnue Cedric Cobec parmi les victimes. Malgré son ressenti personnel envers l’homme, l’archéologue décida de ne pas aggraver ses blessures et de l’épargner. Ce faisant, il soulageait d’un fardeau supplémentaire sa conscience tourmentée par tout le sang versé depuis son arrivé en Colombie-Britannique. Ils ne trouvèrent pas de masque à gaz mais trois fusils Martini-Henry et deux colts 45 encore en état de fonctionner. Rejoignant difficilement les rippers qui avaient respectés avec une remarquable efficacité la consigne d’avancer au plus vite, ils les guidèrent jusqu’à Skung Gwaï. En chemin, à hauteur du carrefour avec Ruisseau-loup, ils entendirent des coups de feu provenant du chemin du Chou-puant. Le détour aurait été trop long aussi se résolurent-ils a ne pas chercher a savoir ce qui en avait été la cause.
Arrivant en fin d’après-midi en vue du village indien, les rippers furent invités à monter leur tente au fond de la vallée, à bonne distance des habitations autochtones. Hector resta avec eux tandis qu’Emile partait à la rencontre des Kungahaïs. En arrivant au village, il remarqua instantanément l’agitation inhabituelle qui y régnait. Il s’approcha du baraquement de Kaïganis et engagea la conversation avec la seul personne semblant lui prêter attention : Howkan. Le sage semblait heureux de revoir l’étranger, et s’enquit immédiatement de la raison de la présence du campement dans la vallée. Apparemment les indiens étaient trop préoccupés par les événements récents pour se soucier comme ils l’auraient fait habituellement des intrus. Emile expliqua qu’il n’était que venu récupérer Firmin et Dadjingits, qu’ils allaient passer la nuit à proximité du village et repartir le lendemain matin. Le sage approuva l’initiative tant la présence des blancs à Skung Gwaï devenait compliqué a gérer. Effectivement un enfant semblait malade depuis quelques jours et les symptômes rappelaient la petite vérole. Le mal que les étrangers ramenaient avec eux avait déjà décimé les Kungahaï par le passé et la crainte était grande que l’histoire ne se répète. Il prit ensuite le temps d’expliquer à son ami les tourments qui secouaient son peuple depuis le retour du guerrier Singa. Il expliqua que le chef Kaïganis avait pris la décision de devancer Huados en allant le débusquer et le défier avant que d’éventuels renforts ennemis ne viennent de Revelstoke. Inquiet pour lui, l'archéologue revint le voir en compagnie de Firmin pour lui proposer de l'aide. Le géant refusa, expliquant qu'il s'agissait là d'un problème de la tribu et qu'il devait être résolu par ses membres. Firmin insista en remarquant qu'il n'était pas certain que Huados ne fasse appel à l'aide des hommes blancs, mais le chef resta ferme. Emile, contrarié de ne pouvoir lui prêter main forte et pressentant le pire, lui offrit le sabre du capitaine Shaler en souhaitant que ça lui porte plus chance qu'à son précédent propriétaire. Au détour de la conversation, les Français apprirent que les coups de feux qu'ils avaient entendu quelques heures auparavant à hauteur du sentier du chou-puant n'avaient pas échappés non plus aux éclaireurs Kungahaï. Il leur expliqua que ses hommes avait découvert une scène de bataille qui avait opposée des gardes de Fond-de-Coppe à des mineurs et que les belligérants semblaient s'être entre-tués. Puisque l'information les intéressait, les investigateurs obtinrent de la bouche même d'un des homme de Kunkia qu'il avait dénombrés trois cadavre de gardes. Les deux hommes laissèrent les Kungahaïs entre eux et s’empressèrent d’aller rejoindre leur ami convalescent. Confrontés à l'animosité latente des indiens, les investigateurs ne durent d'avoir de quoi manger qu'à la visite aussi impromptue que bienveillante d'une Kumshewa blafarde et claudicante. La soirée, qu'ils savaient probablement être la dernière à Skung Gwaï, fut laborieuse. Dad émergeait de plus en plus longtemps de ses périodes de sommeil et Firmin, les yeux injectés de sang pestait a côté de lui sur son décryptage. Il avait perdu une bonne partie de la journée sur une mauvaise piste et il était entrain de s’en rendre compte. Il persévéra malgré la fatigue et à l’aide d’un demi comprimé d’Arpédine. Il interpréta ainsi la suite du plus vieux totem. La partie « Langage / arme / bijoux / inconnu » parlait bien de la culture étrange des visiteurs a tête longue venus du sud, de leurs armes de pierre, de leur bijoux verts et jaunes, et de leur langue incompréhensible. Et pour finir, avant de tomber de fatigue, l’ethnologue parvint à traduire une autre partie qu’il avait commencer a décrypter avec les vocables suivants : « Guerre / nuit / fuite / passage / glacier / piège / froid ». Cela parlait d’une bataille entre les Kungahaï et les étrangers qui eût lieu la nuit même de leur arrivée. Les indiens ne parvenant pas a prendre l’avantage, usèrent d’un subterfuge pour repousser les intrus vers un glacier dans un passage spécifique en hauteur qui semblait constituer un piège sans issus où le froid devait achever de tuer les survivants.
A l'autre bout de la vallée, sous le barnum des rippers, on entendait des rires et des chants. Martin avait autorisé ses employés a ouvrir quelques bouteilles pour oublier la proximité des sauvages avec lesquels les excentriques scientifiques Français avaient l'air de bien s'entendre...
Joué avec David,Arnaud et Louis le jeudi 25/11/2010.