Début d'été 1925 à Paris quartier Montparnasse.
C'est un vendredi soir et il y a foule au Bar Dingo.
C'est ainsi lorsqu'on accueille une vedette comme "Kiki de Montparnasse".
Bien avant la revue, Emile Espérandieu s'assied le premier à une grande tablée réservée en terrasse.
Il attend ses collègues pour un dîner d'affaire organisé par son supérieur et ami, Edouard Lebillu. Un homme très cultivé, très mondain, entretenant un large réseau de relations très profitable pour évoluer dans le microcosme Parisien.
Assis devant une bière Emile repense aux derniers mois...
Après tant d'années passées au musée Carnavalet la nouvelle était arrivée sans fard, par un simple communiqué du ministère de l'instruction publique signé de la main d'André Honnorat lui-même:
Edouard Lebillu, le directeur d'alors, et ses plus proches collaborateurs du musée allaient être affectés à la nouvelle administration de la futur Cité Universitaire Internationale de Paris.
Edouard conserverait son statut de directeur alors qu'Emile, l'archéologue, se verrait promus professeur d'histoire Occidentale.
Pour son inauguration prévue en septembre 1925, l'université se verrait dotées de deux pavillons:
- Le pavillon de la fondation Émile et Louise Deutsch de la Meurthe.
- La maison des étudiants canadiens.
Depuis ce jour, la routine poussiéreuse du musée a laissé place a une course contre la montre... pourtant rien ne sera prêt à temps!
Edouard cependant tient a ce que l'inauguration soit parfaite, et c'est la raison pour laquelle il a convoqué ses cinq plus proches collaborateurs a ce repas… C’est par ailleurs bien étrange comme le constate Emile a l’instant, car la table a été dressée de sept couverts.
"Bonsoir cher confrère!" C'est Anatole Fournier qui vient d'arriver et extirpe l'archéologue de ses pensées.
Anatole est un anthropologue, un ancien du Louvre spécialiste de l'Afrique, qui a rejoint l'équipe il y a à peine un mois. C’est un homme taciturne et réservé.
A sa suite, puis par ordre d'arrivée viennent se joindre à eux:
- Félicien Piquette, l'alter ego d'Emile, archéologue reconnu dans le domaine des civilisations Amérindiennes. C’est un indépendant qui se finance en écrivant des ouvrages très recherchés et traduis dans de nombreuses langues. Il pourrait nourrir un certain orgueil de son succès, et c’est bien souvent ce que l’on pense de lui lorsqu’on le voit arriver avec sa démarche altière. Mais il ne faut pas s’y tromper, c’est un corset qui maintient son dos, conséquence d’une mauvaise blessure datant de la dernière guerre, Félicien est un homme simple et humble.
- Louise Bréfort, l’ancienne responsable de la collection artistique du Carnavalet. C’est une vieille connaissance d’Emile, une fille remarquable aussi. Munie d’un don remarquable pour retrouver des toiles perdues ou des sculptures volées. Elle envisage son travail comme celui d’un inspecteur de police et c’est un fin limier dans sa partie. Son titre officiel n’est toutefois pas investigateur, mais conservateur.
- Martin-Louis de Berbafond, historien, ancien théologien officiel du Carnavalet, c’est une caricature d’aristocrate guindé et dédaigneux. Il est toutefois tellement asocial que cela ne pèse a personne. Il est versé actuellement dans la relecture de manuscrits apocryphes du XIII ème siècle.
Puis arrive en dernier Edouard au bras d’une ravissante dame que personne ne semble connaître et qui se présente comme étant Marise Lefebvre… c’est donc elle la septième et dernière convive.
A l'ordre du jour donc, et lorsque les commandes sont prisent, Edouard annonce qu’il souhaite profiter du repas pour déterminer les attributions des tâches qui incomberont à chacun pour l’été avant l’inauguration et le début de l’année scolaire.
Les discussions vont bon train autour des projets que propose Edouard et finalement Emile ne s’en sort pas si mal. Il hérite d’une mission qui devait revenir à Félicien et qui ressemble plus à des vacances au frais du contribuable qu’a une expédition scientifique.
Il s’agit en fait de partir en Colombie Britannique. Il vas falloir choisir les cadeaux offerts par la diplomatie Canadienne à l’université, pour la décoration et en guise de remerciements pour la construction du premier pavillon. Un territoire Haïdas est ainsi ouvert à la prospection pour en ramener des ouvrages indigènes. L’artisanat de ces indiens étant notoirement riche et sophistiqué, l’offre semble alléchante.
Félicien, que ses qualifications personnelles désignait d’emblé pour cette tâche refusa pourtant instantanément arguant du fait que les autorités locales se servaient de ce prétexte pour faire effectuer des travaux d’ordre archéologique sur une civilisation encore bien vivante. Cette manœuvre politicienne visait probablement à ensevelir encore un peu plus auprès de l’opinion publique un peuple avec lequel le gouvernement Canadien avait de plus en plus de mal a partager le territoire.
S’accordant sur le point de vue du spécialiste, les invités décidèrent que si l’expédition devait avoir lieu pour ménager les susceptibilités de chacun, il faudrait qu’elle soit un fiasco.
C’est donc tout naturellement que la décision fut prise de confier la mission à un archéologue non compétent en la matière. Quelqu’un dont la réputation n’aurait pas à souffrir d’un échec… D’autant moins que le délai du séjour serait raccourci de trente à douze jours.
Il n’en reste pas moins que Félicien ne voudrait pour rien au monde se priver d’une telle opportunité de découvertes et qu’il rédigera une note à l’attention d’Emile pour lui faire savoir comment orienter ses recherches lors de son court mais profitable passage dans une réserve Haïdas.
A la fin du repas tout le monde, exception faite de Martin-Louis, entra dans le bar pour se détendre en suivant le spectacle de Kiki de Montparnasse.
Se fut l’occasion pour Emile de rencontrer furtivement une des célébrités que côtoit Edouard, le poète fondateur du mouvement Dada, Tristan Tzara.
La soirée touchait à sa fin lorsque deux inconnus visiblement ivres s’en prirent violemment au poète et à Edouard. Une rixe éclata, a laquelle prit part Emile pour porter secours à son ami. Une fois maitrisés les deux hommes, qui s’avérèrent être des membres du mouvement surréaliste d’André Breton, continuèrent a invectiver copieusement et sans discernement, tous les clients du bar. L’un des deux, avec un fort accent Anglais, répondant au nom de Roland Penrose fit un signe à Emile et lui glissa un mot à l’oreille. Un message incompréhensible qui lui laissa un sentiment de malaise. Cela faisait :
Les protagonistes:
Edouard Lebillu
Anatole Fournier
Félicien Piquette
Louise Bréfort
Martin-Louis de Berbafond
Marise Lefebvre
La lettre de Félicien:
Cher confrère,
Parmi le nombre de tribus que compte l’immense territoire du nord des Amériques, le peuple Haïdas est un des plus intéressant au titre qu’il cultive un artisanat du travail de la pierre unique en son genre et qu’il est sédentaire. En effet, voyez-vous, la majorité de ces peuples très primitifs ne connaissaient, avant l’arrivée des premiers colons Espagnols, Français et Anglais, rien au travail des métaux,… figurez-vous qu’ils n’avaient pas même de chevaux ! De la même manière ce sont, pour la plupart, des structures sociales nomades suivant les troupeaux ou migrant au gré des saisons. Vous comprenez alors combien il est difficile d’étudier les origines de ces gens. Aucune trace, aucun objet, aucune archive, que de la transmission orale. Dans ce paysage triste pour nous autres fouisseurs des temps oubliés, les Haïdas présentent un intérêt tout particulier.
Ils pratiquent notamment la taille sur une pierre noire d’origine mal connue dont j’ai pu observer quelques remarquables pièces mais de faction très récente. Il est toutefois probable que des pièces existent là-bas qui aient traversées les âges. Ce sont celles là, ou du moins les motifs qui les ornent et les légendes qui pourraient leur être associées qui m’intéressent. Je vous laisse seul juge pour ce qui est de la datation.
Je ne pourrais terminer ce courrier sans vous faire part d’un élément qui prête à rêver mais sur lequel je ne fonde aucun espoir. Il m’a été rapporté par des intermédiaires, ce ne sont que des ouï-dires d’orpailleurs, que l’éventualité de l’existence de totems de pierre n’est pas à exclure. Je vous laisse imaginer l’intérêt que pourrait présenter de telles pièces pour notre connaissance des pratiques les plus anciennes de ces tribus. Ceci étant, je suis certain que vous comprenez comme moi l’anachronisme flagrant que suppose une telle aptitude technique dans des société si peu développées.
Très cordialement,
Félicien Piquette
Joué avec David le dimanche 17/01/2010.