Sur le chemin du retour, aux abords de l’hôtel, Jin remarqua deux hommes postés devant une camionnette. Un observateur peu averti les aurait imaginés attendant quelqu’un mais le chinois n’était pas de ceux-là. Il connaissait cette attitude alerte et nonchalante. Il expliqua à ses coéquipiers que ces hommes étaient en train de faire le guet pour couvrir les arrières d’une quelconque activité frauduleuse en rapport avec le véhicule stationné prés de l’hôtel. Les investigateurs, intrigués par ce manège, demandèrent à Jin de rentrer dans l’hôtel pour essayer de trouver un point d’observation depuis lequel il pourrait tenter de comprendre de quoi il retournait exactement. Pendant ce temps, ils s’avisèrent qu’il serait judicieux de les garder à l’œil et restèrent fumer une cigarette sur le front de mer. Jin monta les cinq étages du bâtiment en toute hâte et trouva un escalier menant sur le toit en terrasse. De là, en toute discrétion, il se positionna juste au-dessus de la camionnette et glissa un coup d’œil furtif. Il aperçu un homme affairé à décharger des caisses en bois par une porte dérobé au sous-sol de l’immeuble. Le temps de redescendre, la livraison était terminé. Comme le chinois leur avait appris, entre autres actualités, que la prohibition aux Etats-Unis était tout juste terminée, ils conclurent qu’il avait probablement été témoin d’un trafic clandestin d’alcools. La fin de cette interdiction devait en effet être du pain béni pour les revendeurs de spiritueux. Mais les états, à travers les taxes douanières, ne manquaient à coup sûre pas de rendre ce commerce beaucoup moins rentable. N’ayant que faire de cette découverte dans l’immédiat, ils décidèrent de prendre une table à la salle à manger et de s’offrir un bon repas pour fêter leur retour en France. En trinquant, ils se posèrent la question de savoir pourquoi, comme le leur avait raconté Lily, Edouard semblait descendre si régulièrement dans cet établissement.
A ce sujet, et tandis qu’Hector commandait une andouillette frite, Emile se rapprocha du patron de l’hôtel. Profitant de se que Lily avait réservée la chambre au nom de Lebillu, il lui demanda s’il pouvait retrouver pour lui la chambre dans laquelle il avait, naguère, l’habitude de descendre. Le propriétaire, plutôt réticent, lui fit comprendre qu’il avait des registres des réservations depuis 1919 et que la tâche risquait d’être trop ardue pour être accomplie lors du service de ce soir. L’archéologue lui laissant néanmoins entendre qu’il avait conscience qu’un tel travail se devait d’être rétribué, il sembla enclin à faire l’effort demandé durant la nuit. Insatisfait de la tentative de son ami, Firmin se proposa d’essayer à son tour. Il se leva de table et se dirigea avec une mine déterminée vers le directeur rétif. Il joua la carte de l’enquête en se faisant passer pour un détective privé mais ce subterfuge ne fit que braquer un peu plus le tenancier qui semblait ne pas porter les gens de cette profession en odeur de sainteté. Frustré d’avoir manqué son coup, l’ethnologue proposa a ses collègues de visiter les caves de l’hôtel après le repas pour obtenir des preuves de son trafic et lui forcer la main en lui mettant ces preuves sous le nez. L’idée, qui aurait semblée audacieuse à des citoyens ordinaires, leur apparu comme excellente et, en hommes d’actions aguerris, ils poursuivirent leur repas en se délectant du digestif à venir. La nuit tombée, ils se séparèrent en plusieurs groupes de manière à couvrir les arrières d’Emile pendant qu’il crochète la serrure. L’exercice, sans difficulté pour une équipe aussi bien rôdée, mena l’archéologue dans les corridors sombres des sous-sols de l’hôtel. Là, il trouva rapidement une caisse de Dom Pérignon millésimé cuvée 1921. Il s’empara de deux bouteilles et, estimant avoir de quoi convaincre le patron, il retourna avec ses amis dans le hall d’accueil. L’effet désiré par Firmin fonctionna au-delà de leurs attentes. Sans ciller, le propriétaire déballa ses registres et leur donna l’information qu’ils cherchaient. Edouard était bien descendu à l’hôtel une douzaine de fois entre mars 1920 et juin 1925. Il passait systématiquement une nuit sur place, toujours dans la même chambre : la 453. Un arrangement fut rapidement conclu pour l’obtention à titre gracieux de la dite chambre durant cette nuit et une bouteille fut même négociée au cinquième de sa valeur, pour quarante francs.
Les sens plus aiguisés que jamais, l’esprit affuté par l’excitation, ils se rendirent en tout hâte au quatrième étage. La curiosité des scientifiques lorsqu’ils poussèrent la porte de la chambre 453 fut à la hauteur de leur déception lorsqu’ils l’eurent fouillée. Elle ne contenait tout simplement rien qui vaille la peine d’être mentionné. En proie a un désarroi bien légitime, ils s’installèrent finalement tous dans cette pièce, débouchant le champagne et rassemblant leurs force de déduction pour comprendre ce qu’Edouard pouvait bien être venu faire ici tous les six mois. Tergiversant, ils finirent par supposer que le mentor d’Emile devait régulièrement venir honorer un rendez-vous. Lorsque les deux bouteilles furent vidées, ils retournèrent demander les registres au patron. Feuilletant ceux-ci assidument, ils ne trouvèrent malheureusement aucun nom ne venant étayer cette hypothèse, mais Hector releva que la chambre attenante, la 455, n’était jamais réservée. Les investigateurs renouvelèrent donc l’expérience précédente avec toujours la même fébrilité enthousiaste. Et cette fois-ci leurs efforts furent récompensés. Non pas qu’ils aient trouvé quelque indice d’un lointain passage d’Edouard mais plutôt celui de la présence improbable, effroyable et persistante du responsable de leur affection mnésique. Selon toute vraisemblance, cette chambre d’un hôtel du Havre avait un rapport avec le Wendigo. En effet, à peine en eurent-ils forcés la serrure qu’une épouvantable odeur de moisissure envahie l’atmosphère. A l’intérieur, une pièce totalement condamnée, recouverte de poussière et de toiles d’araignées, avait l’apparence d’un vieux grenier abandonné. Détaillant chaque meuble, chaque décoration et chaque recoin, ils découvrirent à l’angle ouest des murs de nombreuses traces de griffures semblables à celles qu’ils avaient déjà vu au fond de la grotte du Wendigo à Fond-de-Coppe. A ceci prés qu’elles n’avaient rien d’humain. Hector pris un cliché des marques et ils quittèrent la chambre, non sans un certain soulagement tant l’air y était irrespirable. S’informant une dernière fois auprès du directeur de l’hôtel, ils apprirent que la 455 était condamné depuis 1919 à cause des émanations de chancissure qu’aucun traitement n’était parvenu à traiter. Par acquis de conscience et dans un dernier élan de courage, le naturaliste pris en note les noms de la vingtaine de personnes qui avait occupé cette chambre avant qu’elle ne soit fermée. Il se faisait tard maintenant et tous s’accordèrent que quelques heures de sommeil seraient les bienvenues avant de prendre le train le lendemain matin pour Mortcerf.
Le trajet fut fort agréable, du moins pour les français qui voyaient tranquillement défiler sous leurs yeux les campagnes du pays de leurs aïeux. Il n’y avait plus là aucun stigmate de la grande guerre, cette France leur offrait un visage apaisé. Arrivés à la gare, les investigateurs suivirent Jin à travers le petit village de Seine-et-Marne pour prendre leurs quartiers dans leur nouveau repère. Il s’agissait d’une ancienne maison bourgeoise abandonnée situé en lisière du bois de la Malmaison dans le massif forestier de Crecy. L’ensemble était vétuste, traversé de courants d’air et dépourvu de mobilier mais spacieux et bien conçu. Le rez-de-chaussée avait été investi par Jin qui y vivait à proximité du poêle à bois. Les deux étages, le grenier comme la cave étaient restés inexploités, en l’état depuis des lustres. Comme à leur habitude désormais, le premier réflexe des Français fut d’inspecter les lieux dans leurs moindres détails. C’est ainsi qu’il découvrir que l’ancien locataire avait laissé derrière lui quelques notes griffonnées de symboles ésotérique qu’ils reconnurent pour en avoir vu de semblable ornant un obélisque sur la route menant à Villeneuve-le-comte. Ils mirent aussi à jour, un bric-à-brac d’instruments de chimie entreposé au sous-sol. Le naturaliste se souvenait en avoir déjà utilisé de tel et avança l’hypothèse qu’on était la dans le domaine de la biochimie, qu’il pouvait s’agir d’un laboratoire et que donc ce lieu n’avait pas été fréquenté que par des littéraires.
Joué avec David, Arnaud, Louis, Gabriel et Jules le jeudi 22 septembre 2011.