A leur réveille ce vendredi 7 aout 1925, Hector et Firmin apprirent que leur compagnons d’infortunes étaient déjà partis à la recherche du petit comptable de Quebec. S’auscultant, laissant les femmes se charger de remplacer leur pansements, les deux hommes prenaient lentement la mesure des dégâts. Le naturaliste sentait qu’il était incapable de se redresser seul et l’ethnologue se savait à peine plus vaillant. Ils firent comprendre aux femmes qu’ils souhaitaient parler au sage du village, qui comprenait leur langue. Ce dernier vint rapidement. Il leur apprit que Kaïganis lui-même allait venir ici et réunir un conseil pour déterminer avec eux les moyens à mettre en œuvre dans le cadre de leur expédition. Se reposant avant l’arrivée du conseil, ils convinrent qu’il serait judicieux de s’administrer une dose d’arpédine chacun avant de partir en expédition. Le médicament à base de morphine qu’Hector avait récupéré chez le docteur Thomasson leur permettrait de tenir le coup.
Ils somnolaient tous deux lorsque le conseil se présenta. Il y a avait Kaïganis biensûr, le chef de la tribu, mais aussi sa femme Yatza, le sage Howkan, un pisteur prénommé Kunkia et le shaman Yagun. Tous ensemble, s’asseoir prés des occidentaux et laissèrent le chef prendre la parole. Il fut déterminé qu’un équipage composé de trois pisteurs emmenés par Kunkia conduirait les deux hommes à travers les montagnes pour qu’ils puissent voir les totems qui les intéressaient tant. Puisque les blancs étaient blessé, le chef assura que deux femmes leurs serviraient de cavalière et qu’ils leurs suffiraient de monter en croupe. Yagun prit ensuite la parole pour expliquer qu’il n’était pas favorable à un départ ce jour. Il souhaitait s’occuper des blessés et leur imposer une journée de repos pour qu’ils fussent en mesure de sortir le lendemain. Mais les deux scientifiques ne voulurent rien entendre et, confiant dans l’efficacité de leur antalgique, insistèrent pour monter la première expédition l’après-midi même. Ils tâchèrent ensuite d’établir un itinéraire. Kunkia leur expliqua que la région était autrefois quadrillée d’innombrables totems de pierre mais qu’il n’en restait aujourd’hui plus que cinq. Hector déroula sa carte et le pisteur y positionna les différents repères : - Au sud-est se trouvait celui que le sage désigna comme étant probablement le plus difficile d’accès.
- Au sud-ouest il en positionna un en précisant qu’il était le plus grand des cinq.
- Au nord-est se trouvait le mieux conservé et sans doute le plus récent. A en croire ses dires, il en connaissait même le message.
- Au nord-ouest se dressait un totem entièrement noir que les indiens, sans pouvoir indiquer de date, précisait avoir connu d’un ton pierre habituel dans un passé lointain.
- Et enfin, au nord le plus ancien mais aussi le plus proche du village… dans un état déplorable semblait-il.
S’enquérant des temps de déplacement auprès de Kunkia, ils leur sembla judicieux de monter la première expédition l’après midi même en direction du totem noir. Le trajet devait pouvoir être bouclé avant la tombé de la nuit. Ils poursuivraient la campagne d’étude le lendemain avec pour objectif le totem le mieux conservé en passant par le plus ancien au nord.
Pour les préparatifs à proprement parler, les scientifiques interrogèrent longuement leurs nouveaux guides sur le Wendigo. Ils apprirent que cette chose était dans la région depuis la nuit des temps, qu’elle n’était pas domestiquée par les Kungahaï, bien qu’ils surent en user à leur profit dans certaines circonstances, notamment pour réfréner les ardeurs guerrières et conquérantes des tribus voisines ou pour punir les étrangers trop curieux. Howkan insista aussi sur la nature exclusivement réactive du mauvais esprit. Jamais cette chose ne semblait œuvrer par elle-même, la présence d’un homme semblait invariablement requise pour que le mal opère. Cette relation, par ailleurs, symbolise bien toute l’ambivalence de cette malédiction, qui à l’instar d’un parasite semble se nourrir de ce qu’elle détruit… Dans ce cas précis des Kungahaïs. En fait c’est ce sentiment que leur peuple succombe aux derniers assaut du monstre qui les poussent aujourd’hui a accorder leur confiance à une aide extérieur. Pour mettre en garde les Français, Kaïganis prit la parole pour expliquer que lorsqu’on sentait l’odeur très particulière qui caractérisait la présence du danger, on était pas le plus exposé. Cela signifiait seulement que l’on était dans le périmètre d’action du Wendigo. Lorsque celui-ci décidait de s’attaquer à quelqu’un, la sensation ressentie était plus celle d’un souffle glacial avec en commun dans tous les cas un engourdissement progressif. Peu de ceux qui on perçut ce vent froid on pu en témoigner. Pour éviter d’en arriver à de tels extrêmes, le chef demanda à ce que quelques règles soient observées. Il leur demanda de ne jamais passer plus d’une minute à étudier un totem mais aussi de faire une chasse aux rapaces nocturnes avant toute investigation et surtout de ne jamais se déplacer de nuit. Les scientifiques acquiescèrent et lorsque les derniers détails furent réglés, commencèrent à mettre sur pieds tout un protocole d’opérations expérimentales à mener sur les lieux de leurs investigations. Ils convinrent d’effectuer des prélèvements d’échantillons, de faire des essais pyrotechniques à l’aide de torches, de vérifier d’éventuelles perturbations magnétiques en se servant de leur boussole et même d’établir un compte-rendu clinique des effets liés au contact avec la créature. L’ethnologue, se demanda même si cette chose n’était pas un gaz. Autrement dit le cartésianisme des universitaires commençait à reprendre le dessus. Frémissant d’impatience à l’idée de réaliser et de disséquer les résultats des expériences à venir, les deux hommes décidèrent de s’administrer une dose d’Arpedine et d’aller questionner Jarvis. L’étrange guide britannique qui n’eut jamais le loisir de remplir la mission qui lui avait été confiée croupissait depuis plusieurs jours dans la maison du grand esprit. C’était une sorte de prison située sur une crête surplombant le village. Les Kungahaï y sacrifiaient leurs ennemis au Wendigo. L’homme qui y était enfermé aurait, ils n’en doutaient pas, beaucoup de choses à leur apprendre… au moins au sujet du monstre. La montée s’avéra très pénible pour les deux blessés mais il en aurait fallu plus pour entamer la détermination qui les animait désormais. En s’approchant de la cabane, et tout en goutant la quiétude des sommets, ils commençaient à se demander si l’Anglais avait survécu. Une fois arrivé, ils soulevèrent l’épais madrier qui bloquait l’unique porte de la bâtisse et le relâchèrent aussitôt dans un claquement sec car l’homme à l’intérieur n’était pas encore mort. Il avait dû les entendre arriver et tenté de s’évader en bondissant au moment opportun sur l’issue qui s’entrebâillait. Fort heureusement pour les Français, le bougre devait être affaibli et incapable de pousser une porte retenue par deux hommes… fussent-ils convalescents. De dépit, le condamné poussa un long râle tout en frappant rageusement la porte avant de retourner dans le silence d’où il venait de s’extraire. Conscient de ne pas être en mesure d’affronter la démence du sujet, Hector, qui avait trouvé un interstice dans la structure de la cabane pour l’observer, proposa de lui jeter un cachet de somnifère. L’idée relevant suffisamment de l’expérimentation eut de quoi séduire Firmin mais sa mise en application doucha l’optimisme des scientifiques. Tout d’abords, le forcené manqua de s’évader à nouveau lorsqu’ils entrouvrir la porte pour jeter le médicament. Mais surtout, la pilule n’intéressé pas le moi du monde Jarvis qui restait nu, prostré et accroupi au milieu de sa cage de bois. Devant tant d’infortune, les deux hommes se résolurent à rebrousser chemin tout en se promettant d’y revenir plus tard, lorsque le pauvre homme serait plus docile… voir décédé. Une fois redescendu au village, ils ont à peine le temps de manger que le groupe de pisteur les invites à se mettre en selle. Ou plus exactement en croupe puisque leur chevaux sont montés par des cavalières auxquelles ils auront juste besoin de se tenir. C’est bien évidemment Kumshewa qui s’acquitta de cette tâche pour l’ethnologue toujours aussi apprécié de la jeune femme. La chevauchée, du fait des effets conjugués de l’Arpédine, de la qualité des pisteurs ainsi que de la sollicitude des cavalières, se déroula pour le mieux. Dans un silence pastoral, seul couvert du bruissement des insectes d’été, ils atteignirent leur objectif en moins de quatre heures. C’est dans une petite clairière, au milieu d’une forêt de pin que se dressait l’étrange totem noir.
Ils le voyaient maintenant de loin et commençait a échangé des regards avec les indiens. Le traducteur Kungahaï étant absent c’est sur la base des seules compétences de l’ethnologue que les échanges eurent lieux ensuite. C’est donc non sans quelques difficultés que l’intervention fut préparée puis exécutée mais au final, tout ou presque se passa sans anicroche. En effet, les pisteurs de Kunkia s’affairant à chasser les oiseaux de la zone virent leur tâche considérablement facilitée par l’initiative d’Hector qui tira un coup de feu en l’air. Le geste n’eut pas l’air de plaire au chef d’expédition mais en dehors de cela, tout alla pour le mieux. Le naturaliste réalisa quatre magnifiques clichés, Firmin exécuta un prélèvement du produit noir qui le recouvrait ainsi que de divers éléments présents au sol. Lorsqu’ils se furent enfin éloigné de l’objet de leur convoitise, ils purent souffler de satisfaction et réalisé ce qu’il venait de voir. Le totem mesurait environ trois mètres de haut, il était sculpté de formes rappelant un amoncellement de corps humains, l’ensemble était recouvert d’un matériau que l’ethnologue identifia comme étant du bitume. Les indiens, comprenant le succès de l’opération, en voyant l’air satisfait des occidentaux leur rappelèrent l’importance de ne pas s’appesantir et d’être de retour au village avant le coucher du soleil. Cette précautions s’avéra superflu tant le retour se déroula avec une égale promptitude à l’allée.
En chemin toutefois, Hector eut un frisson lorsqu’il aperçut furtivement un loup les observant de loin. La bête disparue si vite que le naturaliste ne su s’il devait accorder du crédit à son observation et décida finalement de la garder pour lui. De retour à Skung Gwaï, ils apprirent qu’en leur absence des guerriers du village avaient capturé un blanc que personne ne semblait connaître. Kaïganis, qui commençait à être prudent maintenant qu’il avait accepté des occidentaux dans sa tribu, demanda aux Français de bien vouloir rencontré le prisonnier pour lui faire savoir s’il avait à faire à un ami ou à un ennemi. Les deux hommes, malgré la fatigue, allèrent à la rencontre du nouvel arrivant qui s’avéra être Henri Lepoil, le petit comptable de Québec que leurs comparses étaient partis sauver. Il se tenait assis dans un coin. Il était méconnaissable, visiblement fatigué et très stressé, ses vêtements étaient sales et abîmés. Il sembla infiniment soulagé de voir arriver les Français et ne se fit pas prier pour leur conter par le menu l’effroyable histoire qui fut la sienne depuis leur séparation. L’après-midi même du jour de leur départ, Henri expliqua avoir reçut la visite des hommes de main d’Avranche. Ils étaient nombreux et l’invitèrent à les suivre d’un ton qui ne laissait guère de place à la discussion. Ils l’amenèrent jusqu’au repère du gangster où il eu une longue discussion avec le chef de la mine. Il souhaitait savoir qui était les Français, ce qu’ils étaient venus faire ici et pourquoi ils l’avaient cambriolé. Se heurtant à l’ignorance du gratte-papier, Noël fini par perdre patience et laissa ses hommes de mains lui donner une sévère correction. Si sévère en fait, qu’il en perdit connaissance. Il fut alors chargé sur un cheval et emmené hors de la ville dans une sorte de cabane de chasseur. Il était séquestré en sous-sol avec un autre malheureux, un jeune homme s’appelant Laurent. Il parvint néanmoins à se soustraire à al vigilance de ses gardes et parti en courant à travers la forêt. Il marcha de longues heures avant d’être capturé par d’affreux sauvages, comme il les appelait, qui le conduisirent sans ménagement jusqu’à leur village… L’histoire se tenait même si elle semblait parsemée de nombreuses zones d’ombres. Une fois son récit terminé, il s’enquit auprès des scientifiques de savoir s’il allait bientôt être possible de rentrer à Québec. Il était terrifié a l’idée de croupir plus longtemps dans cette maudite région et sembla fort déçu par la réponse peu encourageante que lui fourni Hector. Il s’intéressa alors à l’histoire du cambriolage qui lui avait valu l’ire des truands de Revelstoke. Il semblait notamment très inquiet de se que l’éventuel butin, que ne lui confirmèrent pas les Français, soit bien à l’abri. Jamais avar de précautions, Hector lui répondit en noyant le poisson comme il savait si bien le faire. Fimin, flairant le mauvais coup, surenchéri en baratinant le comptable tant et si bien que son embarra rougissant laissa rapidement entrevoir sa duplicité bégayante. Si ce n’était à cause de la fatigue, la conversation aurait probabalemnt tournée à l’interrogatoire mais ils n’en avaient de toutes façon pas le cœur. Lepoil était très certainement manipulé, ils décidèrent d’en resté là pour le moment et lui souhaitèrent bonne nuit. En sortant de la cabane et avant de profiter d’un repos bien mérité, Hector demanda au chef Kaïganis de prendre soin du nouvel étranger comme il le faisait pour eux même. Le chef Kungahaï accepta et les invita à allez dormir. Ils rentrèrent donc dans leur cabane, changèrent leur pansements et se préparèrent à se coucher lorsqu’ils entendirent des cris de panique. Les gens du village tout entier semblaient affolé et Frimin, qui avait quelques rudiment en Haïda compris qu’ils parlaient d’un incendie. Une fois dehors, les scientifique découvrir que la maison des sacrifices, où ils avaient essayé de voir Jarvis le matin même, était la proie des flammes. L’ethnologue parvint a trouver Howkan, le sage, et obtint de lui que le feu avait pris si rapidement que l’espoir d’en venir a bout était bien mince. Dans leur état, les deux hommes auraient bien été en mal de venir en aide aux Kungahaï qui s’efforçait de former une chaîne pour ramener de l’eau de la rivière à la crête. Le geste était désespéré mais les indiens ne semblait pas pouvoir accepter la catastrophe sans agir. Le naturaliste profita de la confusion pour s’approcher de la zone rocailleuse entre le village et la rivière. Il y cherchait un rocher à sa convenance dans lequel il dissimula l’étui hermétique qu’il avait dérobé à Avranche avec Emile. L’objet commençait à exciter un peu trop les convoitises à son goût. Le calme revint sommes toutes rapidement à Skung Gwaï lorsque, faute de combustible, le brasier s’éteignit.
Le lendemain c’est aux aurores qu’Hector se réveilla tant le programme de la journée le stimulait. C’est la raison pour laquelle il eut du mal a dissimuler sa joie lorsqu’il découvrit que Firmin l’avait précédé. Les deux hommes étaient donc parfaitement prêts à partir, et même dopé à l’Arpédine, lorsqu’il fut l’heure de partir. L’équipage, enrichi de la présence du sage, se mit en branle à neuf heures du matin sous un ciel couvert. Le premier voyage se passa particulièrement bien. Howkan expliqua aux deux hommes que l’origine criminelle de l’incendie de la veille ne faisait plus de doute. Il leur expliqua qu’on n’avait pas retrouvé le corps du prisonnier et que le chef Kaïganis était très en colère car le guerrier Huados et ses hommes étaient resté introuvables toute la nuit alors même qu’ils auraient dû être là pour prêter main forte a la communauté. En arrivant à proximité du totem, l’ethnologue fut pris d’un étrange sentiment. Il scruta l’horizon et aperçut un loup noir au loin.
Tout comme son coéquipier la veille, l’apparition fut si brève qu’il ne pu être certain de ne pas avoir eu une hallucination. Revenant au sujet de l’expédition, les hommes s’installèrent à bonne distance du sujet de leurs investigations et se préparèrent pour l’opération qui devait suivre le même rituel que la veille.
Première surprise, le totem était couché. Il semblait passablement plus long que l’autre et aussi manifestement en très mauvais état. En revanche il était d’une couleur de roche clair qui devait révéler plus de détails. L’intervention se passa, comme la veille, sans souci majeur. Dans le temps impartis, Hector parvint à réaliser 4 excellents clichés tandis que Firmin prélevait un échantillon de roche totémique et de matériaux organiques poussant à proximité. L’aspect même de la roche les étonna. De plus prés on y distinguait, comme dans du bois, des nervures parallèles. Or il s’agissait bien d’une pierre solide. Laissant toutefois cette énigme de côté avec les nombreuses autres qui s’accumulait dans leur mémoire défaillante, les Français se remirent en selle. Le groupe s’apprêtait à repartir lorsque Kunkia interrompis le mouvement : un des pisteurs manquait à l’appel. La situation sembla éveiller chez les indiens un profond malaise et bien qu’Hector proposa de suspendre le cours de l’expédition pour partir à la recherche du disparu, Howkan trancha et demanda à Kunkia d’envoyer un de ses hommes sur ses traces. Le groupe se remit donc en route. Mais à peine avaient ils parcouru trois cents mètres que l’autre pisteur les interpella, il avait trouvé leur frère manquant. Le spectacle n’était pas beau à voir et la surprise était d’autant plus glaçante que tout semblait si bien se dérouler jusqu’à présent. L’homme gisait dans une marre de sang, affalé à côté de son cheval. L’animal, aussi au sol, convulsait silencieusement faisant clapoter le sang autour de lui. Hector descendit de cheval et s’approcha du pisteur pour l’ausculter. Il était bien entendu mort. Son corps avait été littéralement lacéré de toutes parts. Et le naturaliste n’eut pas trop de mal à reconnaitre les blessures qui avaient déchiré la chair. C’étaient des morsures de loup. Le spectacle, dans toute son horreur avait quelque chose de fascinant. Comment cet homme avait-il pu subir un tel sort si prés d’eux sans qu’ils ne l’entendent ? Les indiens, en train effrayés cherchait un raison de ne pas céder à la panique et c’est Hector qui la leur donna. Il usa de son bagout habituel en leur proposant de continuer l’aventure avec de nouvelles règles. Il s allaient désormais chevaucher toutes torches allumés et surtout en veillant a rester bien groupé. Cette idée, qui n’avait rien de révolutionnaire suffit à redonner du courage aux pisteurs et aux femmes. De plus les présences d’Howkan et de Kumshewa, déterminés à aider les Français, avait un effet très rassurant sur les autres. Kunkia se contenta de détacher un de ses hommes en lui confiant pour mission de ramener le cadavre de leur frère à Skung Gwaï. Le Kungahaï s’exécuta non sans une appréhension visible tandis que son chef achevait le cheval avec sa lame. La couverture nuageuse s’épaississait alors que les cinq chevaux et leurs sept cavaliers se remettaient en route pour le totem le mieux conservé, celui qui se trouvait être au sud-est. La route était longue et les amena bien malgré eux à s’aventurer en forêt.
A l’orée des bois, Hector aperçut à nouveau un loup noir qui semblait les épier. Pour s’assurer qu’il n’hallucinait pas, le naturaliste décida de fixer l’animal sans détourner le regard. A l’instant où il prit cette décision, il vit la bête se lever et disparaitre dans la frondaison. Le groupe se resserra encore un peu plus alors qu’il progressait sous les arbres. Ils pouvaient tous sentir un vent froid inquiétant qui s’insinuait sous les vêtements, provoquant des frissons comme le ferait de la fièvre. Se sentant de plus en plus en danger, tous les membres du groupe redoublaient de vigilance. C’est ainsi que Kunkia manqua de peu une chouette qu’il n’aurait pas remarqué habituellement. Les félicitations du sage quant à son acuité redonnèrent un dernier souffle au groupe qui parvint en milieu d’après-midi devant leur troisième totem.
La pluie s’invita au même moment, et l’averse qui ne faisait que commencer s’annonçait copieuse. Alors qu’ils se préparaient au plus vite pour passer avant le déluge, la cavalière qui chevauchait pour Hector poussa un cri d’effroi. Elle était restée un instant en retrait du groupe pour s’occuper des chevaux et elle était tombée inconsciente. Hector tenta vainement de la ranimer et, pour ne pas perdre plus de temps, laissa Kumshewa s’occuper d’elle alors qu’il se lançait à l’assaut du totem. Une fois n’étant pas coutume, et ce malgré des circonstances délicates, le photographe réalisa d’excellent clichés. Firmin en revanche, passa plus de temps à s’assurer de la réussite des prises de vues qu’à prélever des échantillons comme il était sensé le faire. La pluie tombait drue maintenant qu’il remballait le matériel et repartait pour Skung Gwaï. Ils savaient que la route était encore longue et que le Wendigo ne les avait pas oublié. Ils partir donc en toute hâte et sans délai en direction du nord pour rejoindre au plus vite la voie de chemin de fer et le chemin vers le village. Dans la précipitation, les pisteurs en panique commençaient à se faire difficile à suivre. Le problème venait surtout de ce que le véritable rideau de pluie qui s’abattait sur la forêt réduisait la visibilité à quelques dizaines de mètres. Réalisant soudainement que le cheval de Kumshewa et Firmin n’était plus derrière eux, Hector tira un coup de feu en l’air pour attirer l’attention de leurs guides. L’idée s’avéra judicieuse tant l’ethnologue égaré avec la jeune femme était en délicate posture. En effet, quelques secondes après avoir perdu la trace du groupe, Kumshewa commis l’erreur d’arrêter le cheval pour prévenir Firmin qu’elle avait perdu la trace du groupe. Alors même qu’elle s’était retournée pour essayer de se faire comprendre du Français, celui-ci aperçut une ombre dans son dos à une trentaine de mètres devant le cheval. Plissant les yeux, il comprit qu’un énorme loup noir s’avançait vers eux.
Dans geste sûre et rapide, Firmin oublia la jeune femme et revêtit son masque avant de dégainer et de tirer sur la bête. Dans cet intervalle de temps trop long, le prédateur était parvenu à s’approcher tant et si bien qu’il était sur le point de bondir lorsque le coup de feu d’Hector au loin retenti. Le bruit perturba brièvement le mouvement de l’animal et laissa le temps à Firmin d’ajuster son tir. La balle de son colt toucha le monstre de plein fouet. Il s’effondra instantanément sans même avoir le temps d’émettre le moindre cri de douleur. Plus que satisfait de sa réussite au tir, le Français tourna les yeux vers sa cavalière qui semblait pétrifiée elle aussi à la vue de quelque chose dans son propre dos. Il n’eut pas le temps de réagir qu’elle le poussa violemment au sol. Tombant sur le dos, Firmin vit un autre loup fondre sur Kumshewa et la désarçonner à son tour. Alors qu’elle se débattait au sol, aux prises avec la bestiole enragée, l’ethnologue comprit que la fille venait de lui sauver la mise en le soustrayant de la trajectoire de l’animal. A ce moment, alors qu’il s’assurait de toujours avoir son arme en main, il entendit un coup de feu et vit l’animal s’effondrer sur sa victime. Hector, Kunkia et l’autre pisteur venaient de les retrouver et de tirer sur le loup qui gisait maintenant la carcasse perforée de deux flèches. L’ethnologue, cherchant du regard d’autres prédateurs, scruta les fourrés et vit l’étrange créature qui les observait sous la pluie.
C’était, à n’en pas douter le Wendigo, et le Français ne dut son salut en cet instant qu’au fait d’avoir eu la présence d’esprit de mettre son masque quelques secondes plus tôt. Jouissant décidément d’une volonté de vivre implacable, il trouva en lui des ressources insoupçonnées et parvint malgré sa blessure à la jambe à remonter sur le cheval. Les pisteurs étaient déjà en train de recueillir la fille gravement blessée quant Firmin passa devant eux en criant « Wendigo », le petit groupe s’activa et prit le large avec une vivacité insoupçonnable. Les hommes portaient maintenant tous leurs masques, Kumshewa était chargée sur le cheval d’Howkan, et Firmin était monté en croupe sur le cheval du pisteur de Kunkia. La course effrénée qui s’en suivi était une fuite. Sans jamais se retourner, ils parcoururent une dizaine de kilomètres d'un seul trait. Les Français trouvèrent des ressources insoupçonnables pour surmonter leurs blessures encore vivent. Mais, à dire vrai, le corps soumis au stress d'une peur innommable, libère des hormones au moins aussi efficaces que la morphine elle-même. A bout de souffle, c'est tout de même le naturaliste qui mit un terme a cette chevauchée effrénée en s’arrêtant une heure après le déluge, à mi-chemin. Parvenant à la hauteur du sentier appelé Ruisseau loup, il décida de demander au petit groupe de faire une halte pour qu’il puisse apporter les premiers soins nécessaires à la jeune blessée qui perdait trop de sang. Il finissait de lui apporter son aide lorsqu’un cavalier déboula du sentier adjacent. C’était Emile, seul et manifestement au moins aussi paniqué qu'eux-mêmes.
Joué avec Arnaud et Louis les dimanches 03 et 10/10/2010.