Aucun des cinq investigateurs n’avait jamais connus cette condition laborieuse de simple employé. On aurait pu penser qu’il allait être difficile à des hommes par nature si indépendants de se soumettre aux règles et à l’autorité d’une entreprise comme les établissements Crameu, mais tel ne fut pas le cas. En fait, et ce en dépit de l’arduité du labeur, ils y prirent un certains plaisir. Non point par une quelconque forme de masochisme mais bien au titre du détachement qu’ils pouvaient se permettre de prendre en pareil situation. C’était une expérience pour eux et en tant que tel ils n’eurent aucun mal, dés les premières heures de travail, à jouer la comédie pour mieux s'imprégner de l'atmosphère. Ils firent donc mine de s’intéresser, comme n’importe quel ouvrier, aux futures élections des représentants syndicaux. Ils apprirent ainsi que l’homme en place, leur commanditaire, Monsieur Corbier, avait de plus en plus mauvais presse auprès des employés. Hormis le fait qu’il ne faisait preuve que d’une présence quasi figurative, certains salariés, les lessiveurs notamment, portaient au grief de Maxime la non reconnaissance de leur affection. Ils souffraient en effet d’un étrange mal qu’ils avaient baptisés “galle du blanchisseur” et dont leur épiderme portait les affreux stigmates. Cette maladie, si l’on se fiait aux quintes de toux récurrente qu’on entendait dans les ateliers, semblait aussi atteindre les voies respiratoires. Les origines incertaines du mal avaient récemment été imputées à la composition du détergent utilisé et dont Maxime était le maître d’oeuvre. Ce faisant, bien entendu, la côte de popularité du délégué de la SFIO tendait a s’affaiblir. Probablement conscient du problème, il avait obtenu que les employés puissent bénéficier d’un examen ainsi que d’un suivi médical complet à la charge de l’entreprise. Mais les ouvriers ne semblaient plus accorder grand crédit à ce système qui les déclarait, en dépit du bon sens, systématiquement apte au travail. Néanmoins ce sujet de mécontentement était, jusqu’à peu, resté cantonné à la quarantaine d’ouvrier de l’atelier de lessivage. Et de ce fait, par le biais d’un manque patent de solidarité ouvrière, il n’avait jamais véritablement pu mettre en danger sa candidature. Or Firmin, qui oeuvrait avec les repasseuses, comprit que la galle se propageait peu à peu la petite centaine d’ouvrières du plus important service de l’usine. Ce faisant, le nombre de voies échappant à l’ancien patron de Jin croissait lentement mais sûrement pour dépasser celui en mesure de le maintenir en place. Mais se ne furent pas là les seuls informations que l’ethnologue obtint auprès de ces dames. Car ce n’était pas la lessive qui causerait tant la perte de Maxime que l'arrivée d’un nouveau prétendant a son poste. Celui-là même, représentant de la CGT-SU, qu’ils avaient pour mission d'écarter de son chemin: Samuel Lordian.
Et Samuel semblait être tout ce que Maxime n’était pas. Beau tout d’abord, du moins à en croire les électrices séduites par son charisme de jeune premier. Mais aussi investit dans son poste d’intendant et attentif comme l'attendait ses électeurs éblouis par son cursus prestigieux. Bref un parangon de délégué syndical, prenant soin des salariés sans ménager la direction. Le paradoxe étant, qu’à l’inverse de Maxime, il en fasse partie sans que cela ne sembla jamais surprendre quiconque. Mais l’argument ultime de Monsieur Lordian étaient que contrairement à son rival, il reconnaissait la nocivité de la préparation utilisée et qu’il proposait, outre les protections adéquat, qu’on dédommagea les employés exposés. Inutile de préciser qu’à l’aune de ces nouvelles, Firmin, qui se savait être au bon endroit pour ça, jugea utile de lancer sans plus attendre une rumeur de scandale sexuel sur le compte de Samuel. Cela ne serait peut-être pas suffisant mais, comprenant l’ampleur de la tâche qui les attendait, l’ethnologue s'avisa qu'il n'allait pas falloir faire dans la demi-mesure pour faire baisser la popularité du nouveau candidat.
Vint donc l'heure du repas et comme Firmin s’investissait avantageusement dans la mission confiée par leur commanditaire, il convint avec ses compagnons d'aller personnellement tenter de faire connaissance avec Samuel. Il s'avança donc vers la table ou mangeait l'intendant et profita de se qu'une place se libéra pour s'asseoir à côté de lui.
Ce premier contact lui permis de corroborer tous les témoignages concernant le nouveau candidat. C’était un homme affable, intelligent et, bien que définitivement trop propre sur lui, profondément charismatique. L’ethnologue n’apprit en revanche rien de plus et alors qu’il s’apprêtait à quitter la cantine, il fut appelé avec Emile et Hector à se rendre au bureau de Monsieur Chontran, le responsable du personnel. L'homme qui les avaient introduit à leurs nouveaux postes le matin même, souhaitait les voir pour leur “rendre” leurs papiers d’identités. Il leur expliqua qu’un employé bienveillant les avait trouvé parterre et avait jugé opportun de les lui ramener pour qu’il puisse les retourner à leurs propriétaires. En l’observant faire, ils remarquèrent que l'homme sortait les documents d’un coffre-fort sous son bureau qu’il ouvrit à l’aide d’une clef qu’il portait en pendentif. Bien qu’ils ne furent point en mesure d’en distinguer le contenu, la présence de l’objet aiguisa leur curiosité et ils échangèrent instantanément un regard entendu. Munis désormais de leur faux papiers, ils retrouvèrent Dad et Jin dans la cours et à l’heure où les ouvriers s’apprêtaient à reprendre le travail. Ils décidèrent qu’ils en avaient suffisamment appris pour l’instant et qu’ils se devaient de consacrer le reste de la journée à d’autres desseins. Il fut donc établi que Firmin et Dad iraient se procurer un véhicule pour pouvoir filer Lordian à sa sortie du travail tandis qu’Emile, Hector et Jin iraient à Paris. Les trois hommes souhaitaient en effet, faire un tour du côté du Museum d’histoire naturelle où avait travaillé le naturaliste.
Sur place toutefois, ils se trouvèrent assez penaud, lorsque, bien en évidence à l’entrée du parc, ils trouvèrent une statue à l’effigie d’Hector. Au pied du bronze était apposé une plaque portant cette inscription: “A notre ami, mort pour la science. Edouard Louis Trouessart”. Les lieux leurs apparurent immédiatement moins accueillant et, ne souhaitant pas prendre le risque que le héros ne fut reconnu, ils rebroussèrent chemin. Cependant, la proximité de l’établissement scientifique mit sur leur route un magasin de matériel de chimie qui devait leur permettre de trouver ce dont ils avaient besoin pour effectuer les essais in situ en forêt de Mortcerf. Ils y firent donc une halte et s’en trouvèrent fort bien inspiré en découvrant que le commerçant proposait en outre une remarquable trousse, dite “forensique”, comme celles utilisées par la police moderne pour élucider certains crimes.
Elle contenait, en sus du matériel nécessaire au prélèvement et a l’étude des empreintes digitales, différents petits livrets riches d’enseignement sur les dernières avancées en matière forensique:
“Datation post-mortem.” d’Engehard Mendelson
“Bilan toxicologique.” de Louis-Serval De Melliandre
“Recueil d’empreintes pneumatiques.” d’Arthur Agadanski
“Analyse balistique.” de Georges T.Hopkins
En prime deux réactifs, révélateurs de traces de poudre et de sang, venaient compléter à merveille l’ensemble et justifier le tarifs de ce cadeau que ne se refusèrent pas les scientifiques.
La priorité suivante à l’ordre du jour des investigateur fut de rendre visite à Louise Bréfort, l’ancienne collègue et amie d’Emile. L’archéologue désirant repérer le terrain avant qu’elle ne revienne de son travail, proposa à ses compagnons une petite effraction dont il avait le secret. Ils se rendirent donc tous les trois au 24, rue Linné. Sur place Emile éprouva un indicible sentiment de familiarité avec les lieux. Alors qu’ils gravissaient les escaliers pour se rendre au deuxième étage, l’archéologue mis même en garde Jin avant qu’il ne pose le pied sur une marche qu’il savait par avance branlante. Et plus ils approchait de la porte d’entrée de l’appartement de Louise, plus il reconnaissait l’environnement. La serrure n’offrit aucune résistance à sa dextérité et ils purent commencer rapidement leur examens du logement de la conservatrice.
C’était un modique deux pièces plutôt bien exposé. Louise n’était de toute évidence pas une adepte du rangement et son intérieur ressemblait à son bureau à la CIUP. S’y amoncelait ça et là d’innombrables livres, feuilles et dossiers donnant à l’ensemble un aspect de capharnaüm étonnamment assez chaleureux. Dans son salon était exposé une magnifique toile que la conservatrice était de toute évidence entrain de préparer pour son travail. La fouille, comme on peut l’imaginer en pareil bazar s’avéra fastidieuse mais, bien que rien ne ressorti de l’étude rapide des divers documents, Emile remarqua une pipe posé sur le bureau de Louise. Il se souvenait qu’elle ne fumait pas et reconnu, en une fugace réminiscence, l’accessoire favoris de Félicien. Il s’avisa alors que la présence d’Hector et de Jin pourrait effrayer Louise et demanda à ses amis de bien vouloir le laisser seul attendre son ancienne collègue. Il s’installa dans l’unique fauteuil du salon, face à la porte d’entrée, et attendit son retour.
Les bruits de la rue remontaient par la fenêtre restée entrouverte comme l’imposait la chaleur ambiante de ce mois de septembre. L’archéologue aimait cette atmosphère et se laissait bercer par la douceur de l'instant qui l'apaisait comme il ne se souvenait plus l'avoir été depuis très longtemps. Il aurait presque faillit s’endormir lorsque le bruit du verrou de la porte le tira de ses songes. Louise entra nonchalamment, referma la porte et sursauta vivement en découvrant l’intrus. Elle était seul et Emile pouvait lire la terreur dans son regard, mais il fut surprit de voir cette expression se muer en un instant en une impassible mimique de défiance. En fait à peine eut-il le temps de s’en rendre compte qu’elle avait sorti un petit revolver de son sac à main et qu’elle le braquait. Sans se laissé décontenancer, et certains qu’elle ne lui ferait aucun mal, il lui parla de son ton le plus calme et assuré:
- “Bonsoir Louise”.
Elle paru stupéfaite, comme si le son de la voie d’Emile l’avait plus troublé que sa simple vu. Mais, toujours effarouchée elle lui rétorqua sèchement
- “Qui êtes-vous?”.
Il continua sur le même ton détendu, “J’ai tant changé que ça?”.
Et elle, comme pour lui signifier son incrédulité repris avec cette conviction qu'il lui connaissait:
- “Comment êtes-vous entré ici?”.
La question ne gêna pas le quinquagénaire qui n’avait pas l’intention de mentir. Il avoua avoir forcé la porte. Elle continua l’interrogatoire:
- “Comment puis-je être sûre que vous soyez qui vous prétendez être?”.
Cette dernière demande le mettait plus dans l’embarras car il savait ne pas avoir la réponse. Il choisit de lui faire part de sa découverte en lui indiquant la pipe de Félicien et en disant qu’il l’avait reconnue. Elle fronça les sourcils et nia sèchement. Elle lui déclara qu’elle n’était pas dupe et que si, qui plus est, il était qui il prétendait être, il méritait une balle dans le genoux. Comme il l’en savait capable, il lui avoua son amnésie et commença à lui expliquer qu’il lui était vital de rester discret... ce qu’un coup de feu aurait passablement compromis. Mais elle ne semblait pas avoir écouté la fin de sa phrase et le relança sur la perte de mémoire. Jouant toujours cartes sur tables, il lui dit qu’il avait été exposé à un mal étrange au Canada, une “souche biologique inconnu provoquant l’oubli.”.
Alors qu’il s’attendait en en parlant à la voir le traiter de fou, il la vit au contraire baisser son arme, céder aux larmes et se laisser submerger par l'émotion. Il tâcha de la consoler et lui proposa un verre de whisky. Elle le regardait faire et l’assaillait de questions sans même lui laissé le temps d’y répondre. Puis elle s’interrompit, les yeux encore embués, et lui demanda abruptement:
- “Mais tu ne reconnais donc même pas ton propre appartement?”.
Il resta sans voix un instant. Il comprenait tout d’un coup les sentiments de bien-être et de familiarité qu’il éprouvait en ces lieux. Puis il fut pris d’un vertige en percevant combien il avait perdu de lui-même avec son passé. Il percevait maintenant la relativité de cette notion car sur le moment on ignore se que l'on perd. Et ce n'est qu'en l'apercevant de nouveau qu'on mesure l'empreinte de la blessure. Imputant son désarroi au fait qu'elle se soit appropriée son bien, elle lui expliqua:
- “Peu avant ta mort en vingt-cinq...” elle se reprit, “peu avant ta disparition ton logement avait été cambriolé. J’ai toujours pensée que ça avait un rapport. Puis comme la banque avait récupérée l’hypothèque, je la lui ai rachetée. Je me disais que si j’avais une chance de te revoir un jour... c’était en t’attendant chez toi.”. Elle piqua alors un fard et se jeta dans ses bras. L’archéologue la serra affectueusement, puis, sentant contre toute attente que la tendresse faisait place à la volupté, il la laissa l’entreprendre. Ce n’est que lorsqu’il se retrouva le pantalon aux chevilles et qu’il réalisa qu’elle n’avait pas lâchée son arme, qu’il comprit que tout ceci n’était qu’une manoeuvre. De fait, elle fit un bond en arrière après avoir découvert sa hanche. Elle cherchait en fait une cicatrice. La trace d’une blessure qu’elle lui savait avoir gagné au front pendant la grande guerre. Et l’ayant découvert elle sembla tout à la fois soulagée et confondue. Pour dissiper le malaise elle lui laissa le temps de se rhabiller, prétextant d'aller retrouver sa croix de guerre qu’elle avait récupérée et précieusement conservée.
De retour de sa chambre avec la précieuses médaille, son regard avait changé. Elle paraissait maintenant parfaitement convaincue et lui concéda, comme pour être certaine de ne pas laisser un mensonge trop longtemps entre eux, que la pipe était bien celle de Félicien. Mais elle ajouta, et il comprit que même si elle n’en avait pas l’air elle l’avait bien écouté, que s’il cherchait à se faire discret, il en allait de même pour Félicien. Elle lui parla de ses travaux sur les artefacts Maya ramenés de Colombie Britannique. Son acharnement quasi pathologique sur cette étude qui manqua de lui coûter sa place à la CIUP. Puis elle lui raconta comment il disparu dans l’incendie de son immeuble. Comment elle fut appeler par la police pour identifier le cadavre. Et comment elle conserva la conviction, bien qu’elle n'en ai rien dit à l'officier, qu’il ne s’agissait pas de lui car l’homme carbonisé qu’elle avait vu ne portait pas le fameux corset métallique dont elle savait que l’ethnologue ne pouvait se séparer. Se faisant elle lui expliqua qu’elle avait réussi tant bien que mal à le retrouver et qu’elle le cachait car il était devenus totalement paranoïaque et convaincu qu’on lui voulait du mal. Emile lui demanda de bien vouloir arranger un rendez-vous et au moment de définir le moyen de se joindre, il se défila en spécifiant, sans lui dire où il se cachait lui-même, qu’il reprendrait contact avec elle. Elle sembla déçu par cette attitude mais ne l’exprima pas ouvertement tant elle comprenait que sa défiance du début avait dû l’échauder. Elle tenta d’ailleurs de se justifier et lui expliqua que c’était précisément Félicien qui lui avait parlé de Yum Cimil et des étranges symptômes que ne manquait pas de provoquer sa rencontre. Ainsi elle n’avait commencer à admettre qu’il était bien son vieil ami que lorsqu’il lui avait parlé de son amnésie contractée outre-mer. Elle lui proposa alors de lui préparer un repas et d’en profiter pour lui parler de son passé. Pour lui offrir, à défaut de mieux, quelques bribes de sa mémoire perdue.
Joué avec David, Arnaud, Louis et Jules le jeudi 17 novembre 2011.