Sur le quai de la gare de la petite ville, les trois voyageurs étaient attendus par le corporal Matthew Brown et le constable Franklin Stuart. Cobec, l’indélicat voyageur qui parlait avec ses poings descendit de son wagon en même temps que Frederick Atkinson. Il évita soigneusement de croiser Emile et alla rejoindre un homme qui l’attendait un peu plus loin, à hauteur du port. Magda Fraiville, la presque veuve de Quebec, se dirigea directement en ville, et alors que tout se petit monde s’éparpillait, le constable Joseph Allister se joignit aux aventuriers. Il venait à Revelstoke assurer la relève de son collègue Franklin.
Le Corporal s’enquit instantanément des origines de la vilaine blessure au visage qu’arborait Emile. Manifestement, l’altercation avec Cobec n’était pas pour lui plaire et il invita les Français a faire preuve de vigilance vis-à-vis de cet homme qui logeait avec ses associés dans une maison bourgeoise au sud de la ville. Ne s'étendant pas plus sur le sujet, il accompagna ensuite tout le monde à l’hôtel « Shuswap Creek ». C’est le seul de la ville et avant de les laisser prendre leur chambre, il leur fit un rapide compte-rendu de la situation :
Tout d’abord, leur guide « Jarvis Ellroy Napier » était arrivé environ une semaine avant eux et était parti prospecter seul en forêt contre l’avis même des policiers. Il n’avait toujours pas reparu et il espérait, dans l’intérêt de ses hôtes, qu’il ne lui était rien arrivé.
Ensuite, Brown leur remis un sac contenant des pieux, un maillet et des bobines de cordelette rouge devant permettre de baliser les chemins jusqu’aux artefacts retenus par les scientifiques.
Il leur expliqua enfin que pour des raisons de sécurité liées à la présence inquiétante des indiens « sauvages » dans la région, il avait établi une règle officieuse de couvre-feu, qu’ils étaient invités a respecter comme tout un chacun dans la petite ville.
Il laissa donc les trois voyageurs entre les main d’Erwine Lowedge , le propriétaire de l’hôtel avec qui il fut convenu de prendre une chambre pour trois en demi-pension le temp du séjour. Lepoil, qui semblait très inquiet de cet aspect du voyage proposa de régler l’intégralité de la note pour pouvoir rester sur place et veiller sur les affaires des Français.
Après s’être installé dans leur nouvelle retraite, avoir fait monter un lit supplémentaire et trois bières pour fêter leur arrivée, tout le monde descendit souper avant de retourner se coucher.
Dans la soirée, Emile profita d'un moment calme pour s'écarter de Lepoil et avoir une petite conversation avec son comparse. Il lui fit part de son amertume vis-à-vis de son agresseur et de son apparente impunité. Il expliqua qu'il envisageait fortement de rendre une visite discrète cette nuit même à la maison dont lui avait parlé le caporal. Le naturaliste prit sur lui de tempérer les ardeurs de l'archéologue en mettant en avant les risques encourus... ce dont dû convenir Emile.
La nuit fut donc calme, à peine dérangée par le bruit d’un homme cherchant son chien. C’est au petit matin que le patron de du Shuswap Creek frappa nerveusement à la porte des trois hommes.
« Désolé de vous déranger messieurs mais des messieurs veulent vous parler... Ils vous attendent dehors... c'est urgent semble-t’il ! »
Hector alla vérifier par la fenêtre et constata que sur un banc de la place du village était assis un homme flanqué de deux gorilles parmi lesquels il reconnu Cobec. Le traquenard était évident mais décidant de faire face, les Français s’armèrent et descendirent tandis que Lepoil restait pour guetter à la fenêtre.
En sortant, sous le porche de l’hôtel, Hector remarqua un quatrième homme assis sur un rocking chair, qui semblait être là pour les surveiller. Il décida donc de laisser Emile se rendre au milieu de la place, s’adossant à la balustre en fumant une cigarette pour garder du recul sur la situation qui semblait pouvoir dégénrer assez facilement.
Emile s’approcha donc du banc et se planta fasse à l’homme assis qui se présenta comme s’appelant Noël Avranche. Il prit la parole en interpelant Hector:"Bonjour Messieurs! Approchez approchez ne craignez rien! Venez vous joindre à nous ! »
Emile fit un signe de tête a son compagnon qui se résigna à les rejoindre.
Noël reprit la parole :
« Soyez les bienvenus à Revelstoke! Alors qu'est ce qui nous vaut la visite du vieux continent? vous êtes venus ici pour le repos? C'est vrai l'air est doux.. tout est calme ici. C'est important le calme. Vous voyez moi mon métier c'est de préserver le calme. Pour que Revelstoke reste toujours une bourgade sympathique et accueillante. Alors.. vous devez penser que j'ai un bon boulot, parceque ici c'est calme de toute façon! Eh bien non vous voyez, vous vous trompez, il ne faut pas se fier aux apparences, il y a toujours des trouble-fêtes qui passent régulièrement, des pauvres cons qui traversent la moitié du globe pour venir m'emmerder... Alors moi je suis obligé de leur expliquer comment ça marche ici... vous comprenez. Je fais ça en douceur en général mais quand les salopard se permettent en plus de foutre la merde jusque dans mes affaires en tabassant un homme à moi alors là ... j'ai plus trop le choix. Vous voyez sinon moi aprés je perds la face, si je laisse des trouffions de touristes amocher un associé. C'est pas envisageable, je passe pour un comique, on va se foutre de ma gueule… »
Hector l’interrompit en faisant valoir que son language n’invitait pas au maintient de la sérénité soi-disant souhaité. Il repéra dans le même temps, que le quatrième laron avait quitté son fauteuil et faillit sortir une matraque de sa veste avant qu’il ne se sache découvert. La tension était à son comble. Avranche renchérit :
« Ma manière de parler ne vous plaît pas ? c’est bien ça ? Alors, écoutez moi bien, si vous voulez que ça se passe vite et bien vous allez être gentils, vous allez pas m'obliger à vous renvoyer dans votre foutu pays entre quatre planches. Vous allez me suivre chez moi. On va allez s'expliquer entre hommes. Vous aurez le service minimum... je vous promets, vous avez des bonnes petites gueules et j'aime bien les Français. On se comprend là?"
Emile éprouva de grandes difficultés à se contenir et son Luger, habilement dissimulé dans son dos commençait à le démanger furieusement. Essayant de trouver une échappatoire le naturaliste déclina dilpomatiquement l’invitation et conclu séchement en précisant :
« Maintenant, vous allez nous laisser rentrer à l’hôtel prendre notre petit déjeuner. »
Ils tournèrent les talons et se plantèrent face à l’homme à la matraque qui leur barrait maintenant le passage. La situation se trouvait dans une impasse, c’est alors que, fort heureusement, le caporal et ses hommes déboulèrent sur la place en criant :
« Attend Noel tu fais une connerie là! Il faut que je te parle. »
Les policiers se postèrent derrière leur supérieur alors que ce dernier s’expliquait à voix basse avec Avranche. Après un court instant de réflexion celui-ci se leva en faisant signe à ses hommes de retirer. Il passa devant Emile et le gratifia d’une dernière menace :
« T'as un ticket avec la volaille ma grenouille. Profite bien... mais t'avise pas de me remarcher sur les pieds parce que là t'auras pas le temps de te dire que t'as fait une connerie. Bon séjour à Revelstoke. »
Emile pouffa de rire comme pour signifier que l'intimidation ne prenait pas avec lui. Noël et ses sbires ravalèrent leur colère et disparurent comme ils était venus.
Une fois les esprits apaisés, les Français invitèrent le caporal à venir prendre un café avec eux. Il accepta et ils se retrouvèrent cinq minutes plus tard à une table du Shuswap Creek avec un Lepoil décomposé.
La conversation tourna évidemment autour de la personne de Noël qui s’avéra ni plus ni moins être le propriétaire de l’exploitation minière de Fond-de-Coppe située à quelques kilomètres au nord de Revelstoke. C’était un homme éminemment riche et puissant que la police local tentait manifestement de ménager pour ne pas provoquer trop de vagues. Emile requit du policier une protection, ce à quoi Brown consentit assez facilement. Il leur détacha donc le constable Hammon Luther, chargé de veiller a leur sécurité, dans les limites de la ville cela allait de soi.
La matinée fut consacrée à l’achat de vivres pour l’expédition et d’une Winchester calibre 30 pour Lepoil. Dans le magasin général de Mister Andy Lovett, Emile eut l’opportunité d’échanger quelques mots avec un Indien Langahan qui venait d’Illcillwaet pour faire des provisions. Il disait s’apeller Dad et travailler avec son frère pour Raoul Gewitt, un trappeur. L’archéologue obtint de Dad qu’il ne serait pas aisé de trouver un guide pour rencontrer les Kungahaï que tout le monde semblait fuire et qu’il décrivit comme étant des géants, reclus et dangereux. Dad précisa tout de même qu’à son sens, le seul moyen d’entrer en contact avec la tribu locale était de passer par Avranche qui était l’homme à l’origine de la signature de l’accord permettant l’exploitation de la mine et qui, de ce fait, était le seul à pouvoir se vanter de les avoir approché… et d'en être revenu vivant. Donnant congé à l’indien et quittant le drugstore, les trois hommes rendirent visite à Cleeve, le vieux maréchal-ferrand pour se choisir chacun un cheval. Lepoil qui semblait, contrairement aux scientifiques, avoir quelques connaissances équestres porta son choix sur une jument fougueuse nommée Trotte-la-nuit. Emile retint « Heavy Hooves » (sabots lourds), une autre jument un peu lente et rétive mais endurante et facile à monter. Privilégiant lui aussi le bon caractère de sa monture, Hector porta son choix sur un vieux cheval appelé Crin gris.
Avant d’aller manger, soucieux d'honorer l’invitation du caporal, ils se rendirent à l’église du pasteur Clark pour suivre l’office religieux qui semblait rassembler toute la population de Revelstoke, soit une bonne cinquantaine de personnes. Le sermont du révérand qui devait porter sur une lecture des actes des apôtres éveilla l’attention des hommes de sciences, et ce bien qu’ils ne fussent pas spécialistes en la matière. Le prêche n’avait aucun véritable sens, c’était un amalgame hasardeux des épitres de Paul mélangés aux évangiles de Matthieu ou de Luc. Le plus étrange étant tout de même que cette lecture incohérente ne semblait pas déranger outre mesure qui que se soit dans l’assemblée. Intrigués, les Français vinrent à la recontre du pasteur à la fin de l’office pour essayer de comprendre le sens de sa lecture mais il n’en obtinrent rien. Emile eut juste la possibilité de s’apercevoir avec stupeur que le lutrin derrière lequel le révérand avait semblé faire sa lecture était vide… Il était grand temps d’aller se restaurer au Shuswap Creek.
Joué avec David et Arnaud le jeudi 11/03/2010.