Ayant consenti à aider Monsieur Corbier, les investigateurs durent accepter de jouer le jeu jusqu’au bout et quittèrent son établissement pour ne pas prendre le risque qu’on le vit en leurs compagnie. Ils se retrouvaient donc à la rue ce vendredi soir dans les quartiers les plus animés de la ville de tous les noctambules mais, en bon scientifiques, se firent surtout la réflexion qu’ils n’avaient pas la plus petite idée du lieu où ils allaient pouvoir dormir. C’est par conséquent dans le souci d’exploiter utilement le temps qu’ils ne pouvaient consacrer au repos qu’il décidèrent de profiter de l’obscurité pour effectuer une opération qui réclamait de la discrétion. Il y avait une foule d’endroits qu’il leur fallait explorer dans la capitale mais celui qui leur apparaissait comme le plus important était la cité universitaire internationale. C’est en effet de là que tout avait commencé. C’est là-bas que devais travailler les seules personnes de son passé dont Emile se souvenait encore. Et c’est aussi cet établissement qui était sensé avoir accueilli les fruits de leur expédition en Colombie-Britannique. Il fallut, pour s’y rendre, traverser la ville de part en part en pleine nuit mais cela ne les rebuta pas. On aurait pu qualifier leur empressement de précipitation, mais pour des gens ayant perdu en une nuit huit années de leur vie, la question de l’urgence ne se posait plus.
Qui plus est le sort leur donna raison. La saison étudiante n’était pas encore entamée et en cette veille de week-end le complexe universitaire était comme désert. Ils purent ainsi tout à loisir déambuler dans les allées, constatant avec effarement l’ampleur qu’avait pris le projet. Les deux modestes pavillons de l’inauguration étaient aujourd’hui entourés de quatorze nouvelles constructions originaires des quatre coins du monde. Interpellés par l’architecture dépaysante des bâtiments et les merveilles que semblaient contenir leurs collections, les investigateurs firent preuve de sagesse en se concentrant sur la fondation Émile et Louise Deutsch de la Meurthe. C’est dans ce pavillon en effet que se trouvait les bureaux administratifs et les éventuels documents susceptibles d’intéresser l’archéologue. Alors qu’ils cherchaient une porte annexe pour s’introduire dans le bâtiment, ils s’aperçurent qu’ils n’étaient pas seuls. Un gardien, pas vraiment alerte, semblait prendre l’air dans les allées plus que de véritablement effectuer une ronde. Un instant de silence vite passé et la serrure sur laquelle s’affairait Emile depuis cinq minutes céda enfin. Pêchant peut-être par excès de confiance, les cinq hommes manquèrent passablement de discrétion dans les corridors du pavillon et finirent par attirer l’attention d’un second vigile. Cette fois-ci, le veilleur alerté par les indélicatesses des intrus, s’attendant probablement à surprendre des étudiants occupés à quelques mauvaises blagues, gravissait les escaliers avec circonspection mais détermination. Si bien que Jin fut contraint de faire usage de son art consommé du corps-à-corps pour, dans une prise d’une vivacité étonnante, cueillir le curieux en haut des escaliers. La gorge enserrée par l’avant-bras du chinois, le corpulent gardien posa genoux à terre sans pouvoir laisser échapper le moindre cri. L’avertissement qu’il lui glissa à l’oreille porta ses fruits au-delà de ses espoirs et tandis que la vessie du pauvre homme le trahissais, Jin pu relacher son étreinte sans craindre qu’il ne donna l’alerte. Un ruban fut noué autour de son crâne pour l’aveugler et les investigateurs profitèrent de leur capture pour obtenir des informations sur les lieux. C’est ainsi qu’ils trouvèrent le bureau de Louise Bréfort, l’ancienne collègue d’Emile qui l’avait suivi du musée Carnavalet à l’affectation à la cité universitaire. Elle y était théoriquement en charge de la gestion des collections, travail pour lequel elle avait toujours montré d’excellentes dispositions. Dans les tiroirs de Louise, Jin très en verve ce soir là trouva les documents afférents à l’expédition menée par l’archéologue. Il y était fait mention du fait que l’intégralité des artefacts ramenés en France n’avaient pas de liens avec la culture Canadienne et qu’ils avaient donc été directement remis au musée du Louvre, sous la responsabilité de Félicien Piquette. Dans l’agenda de la conservatrice, ils trouvèrent son adresse personnelle à Paris, le 24 rue Linné dans le cinquième arrondissement. Satisfait d’avoir recueilli ses informations, les investigateurs retournèrent demander au gardien captif l’officine contenant les documents en rapport avec le personnel de l’université. L’homme répondit laconiquement et, manifestement toujours aussi terrifié, prévint Jin du fait que son collègue Marcel allait arriver sans tarder pour “taper le carton”. Ne souhaitant prendre aucun risque, les cinq hommes choisirent d’expédier au plus vite leur recherches pour prendre la tangente avant l’arrivée du second vigile. Leur aisance naturelle et toute leur expérience s’exprima en cet instant et ils parvinrent à mettre la main sur les dossiers de quatre anciens collègues d’Emile. Ils apprirent tout d’abord que Louise travaillait à la cité depuis son ouverture, et qu’elle était sous le coup d’une sanction disciplinaire en rapport avec l’agression d’une étudiante, fait dont elle semblait coutumière. Une autre chemise étrangement barrée de rouge, portait le nom de Félicien Piquette. Il apparaissait que l’homme était vraisemblablement, bien qu’il n’y ait été mentionné aucune date, décédé depuis tout au plus deux ans. Le dossier suivant était celui d’Anatole Fournier qui avait quitté la cité en 1926 pour un poste au Louvre. La quatrième et dernier fichier concernait Martin-Louis de Berbafond. Il était apparement toujours salarié. Il portait le titre de professeur honoraire qui l’obligeait à venir dispenser a peu prés un cours par mois. Travail pour lequel il se voyait gratifié de la somme mirobolante de mille-trois-cent francs, soit environ trois fois le salaire de Louise. N’ayant pas le temps d’en découvrir plus, ils délivrèrent, non sans l’avoir lourdement mis en garde des conséquences funeste d’un éventuel témoignage de leur passage, le gardien au pantalon souillé.
Épuisés par cette éreintante journée, ils décidèrent de profiter de la douceur de la nuit pour dormir à la belle étoile dans un endroit calme du tout proche parc Montsouris. Le lendemain, ils quittèrent Paris aux aurores pour retourner à Mortcerf. Sur le chemin, ils effectuèrent une escale à Bondy pour visiter brièvement la blanchisserie Crameu. Ils s’aperçurent que monsieur Corbier n’avait pas encore eu le temps de les faire ajouter à la liste des employés et durent se contenter d’observer les ouvriers franchir le portail au compte-gouttes. Jin avait eu l’idée que la chaux produite à Mortcerf était susceptible de faire partie des matières premières consommées par l’établissement et, bien que cela ne démontra rien de plus qu’un rapport commercial entre ces deux entreprises, il souhaitait en avoir le coeur net. Les investigateurs interpellèrent donc pour l’interroger un homme dont la tenue vestimentaire laissait a penser qu’il était membre de l’administration. Manifestement importuné par la question, il botta en touche en expliquant qu’il ne savait pas et que ce genre d’information était le problème du responsable des achats, un certain Monsieur Vimeu. Mais cette réponse ne suffisant pas a décourager Jin, le rond-de-cuir ne fut que trop content de lui désigné l’infortuné qui passait justement la grille à ce moment là pour pouvoir lui fausser compagnie et être à l’heure au bureau. Le chinois ayant décidément plus d’un tour dans son sac et se doutant bien que l’acheteur de l’usine ne donnerait pas le nom d’un de ses fournisseurs à un inconnu, prêcha le vrai pour l’entériner. C’est donc en mentionnant Mortcerf au responsable des achats qu’il compris à demi-mot que c’était bien de là que provenait la chaux de la blanchisserie. Ils en restèrent là, laissant la foule compact des travailleurs se ruer à leur postes respectifs en ce beau samedi de septembre.
De leur côté, ils reprirent le train en direction de Mortcerf pour honorer leur rendez-vous à dîner avec le garde forestier bien que cette entrevue gastronomique n’avait rien pour réjouir les investigateur qui flairaient le traquenard. Mais ils jugeaient que, se sachant menacés, ils sauraient éviter le danger et que d’un point de vue stratégique il eut été fort peu diplomate de faire défaut à la table de Monsieur Frangié. Cette entrevue devant, qui plus est, être l’occasion d’en apprendre un peu plus sur le mystérieux fonctionnaire des eaux et forêts, ils s’attelèrent à la préparer pour parer a toute éventualités. De retour à la maison de l’écrivain, ils dissimulèrent les huit lingots sous la charpente, derrière des tuiles et retirèrent l’échelle menant au grenier. Se faisant Jin s’accorda avec Emile sur la marche a suivre pour débiter les lingots en pièces d’environs cents grammes. Ils convinrent de les découper à la scie à métaux et de récupérer les copeaux pour les refondre une fois le travail effectué. Hector de son côté commença, non sans une certaine espièglerie, à installer son laboratoire au sous-sol de la maison. L’heure du repas venue, seul le chinois devait resté en dehors du manoir. Il était convenu qu’il se terre aux abords de la bâtisse, attendant un signe de ses coéquipiers pour intervenir si le besoin s’en faisait sentir.
Le garde forestier s’étonna succinctement de son absence mais la cordialité qui caractérisait son attitude vis-à-vis d’eux depuis la veille ne lui permis pas d’exprimer plus que de la déception. Acceptant d’entrer dans son jeu, Emile lui assura en un pieu mensonge que leur collègue les rejoindrait avant la fin du repas. Il les invita alors a entrer dans sa surprenante demeure dont ils ne virent que le hall d’accueil, l’escalier principal et la grande salle à manger. Il leur demanda en chemin comment s’était déroulé leur séjour parisien mais ne récolta qu’une réponse évasive. Il n’insista pas et les invita a s’installer confortablement tandis qu’il laissait son majordome ouvrir une bouteille de champagne en leur honneur. Circonspect quant aux motivations de leur hôte, aucun des invités ne trempa ses lèvre dans le vin avant qu’il en ai lui-même bu une gorgée. Après s’être extasié sur la finesse de la pétillance de son Damery, il s’intéressa au sujet de leur étude. Hector répondit qu’un ver découvert en Papouasie était susceptible d’avoir infecté les arbres de la région et qu’il s’efforçait de faire progresser la science pour le bien de la forêt. Le maître de maison s’inquiéta de savoir si l’étude prendrait du temps mais ils lui firent comprendre qu’en ce domaine il ne fallait pas être pressé. Alors que la jeune domestique remplissait à nouveau les flûtes, Thierry proposa à ses hôtes une partie de chasse. Il disait être sur la piste d’un magnifique sanglier dont il pensait avoir repéré la souille et conjecturait que la traque de l’animal serait pour ses hôtes l’occasion de découvrir la forêt. Il semblait enthousiasmé par son propre projet et guettait fébrilement l’acquiescement de ses convives. Mais Emile, qui ne l’écoutait que d’une oreille car il avait une question en tête, accepta machinalement la proposition pour pouvoir changer de sujet de conversation. Il pensa donc prendre le fonctionnaire par surprise en lui demandant de but en blanc pourquoi il s’était montré aussi craintif à leur égard lors de leur première rencontre. Thierry ne sembla pas le moins du monde déstabilisé et répondit en souriant qu’il était d’un naturel peu sociable, presque ermite, et qu’il se méfiait toujours trop des inconnus. Puis il les invita a terminer les petits fours qu’il avait presque dû manger à lui tout seul tant les investigateurs rechignaient a se détendre. Décidé à enfoncer le clou, Emile s’enquit de savoir se qui avait provoqué son changement d’attitude et l’avait rassuré les concernant. Et c’est là que, le plus simplement du monde, l’archéologue s’entendit répondre que c’était la vérification de leur accréditation auprès du Museum d’histoire naturelle qui l’avait convaincu de leur bonne foi. Il ne pouvait en croire un mot bien entendu puisque ce mandat était une fabulation, et restait, comme ses compagnons, passablement dubitatif face à la fausse naïveté du garde forestier. Rompant le silence, ce dernier poursuivi en demandant aux investigateurs de lui indiquer en quoi il pourrait leur être utile. Sur ce point, Firmin avança les interrogations qu’ils avaient concernant l’usine de chaux. Et plus particulièrement ses éventuels rejets toxiques. Mr Frangié, souriant, dédouana instantanément Mr Cardon. Le directeur de l’usine était, selon ses dires, quelqu’un de vertueux, et de charmant qui avait beaucoup fait pour le village. Son établissement, implanté dans la région depuis plus de cinquante ans, n’était à l’origine d’aucun problème sanitaire, et, en outre, fort bénéfique aux finances de Mortcerf. Comme venait le moment de déguster l’entrée, l’ethnologue rebondit sur le thème des revenus en s’étonnant du train de vie pour le moins fastueux du garde forestier. A ceci, entre deux noix de Saint-Jacques, Thierry répondit qu’il avait placé dans cette confortable demeure les dividendes d’un confortable héritage. Sa situation professionnelle, surprenante pour un homme dans sa situation, était le fruit d’un choix personnel. Le choix d’un fhomme aspirant a une vie paisible et retirée du tumulte citadin. En parlant de ville, Thierry relança ses invités sur leur excursion Parisienne. Comme il semblait s’imaginer qu’ils y avaient fait du tourisme, Hector lui expliqua que dans le cadre de leur travail, ils étaient souvent amenés à rencontrer des collègues scientifiques pour échanger leurs connaissances et que cela avait été le but de leur déplacement. Avant que le plat de résistance n’arriva, Monsieur Frangié faussa compagnie quelques instants à ses convives pour se rendre aux commodités. Il revint en évoquant le cadre de leur travail, et en les questionnant sur l’existence d’un quelconque directeur de recherche qui aurait commandé leur mission ici. Le naturaliste pris son air le plus sentencieux pour lui répondre qu’il était, dans le cadre de cette étude, seul maître à bord. Comme s’il avait été par conséquent rassuré de s’adresser au meilleur interlocuteur, le fonctionnaire demanda plus de précisions concernant le parasite qui faisait le sujet de la recherche. Hector, pour donner le change, lui inventa un nom scientifique, le “Scaramorphus”, qui suffit à le convaincre de ne point trop en demander au risque d’être rapidement enseveli sous des considérations techniques rébarbatives. Le repas touchait désormais à sa fin. Alors que la domestique apportait le dessert, monsieur Frangié reparla de sa proposition pour la chasse en donnant des détails sur le matériel à apporter et le déroulement des opérations. Il plaisanta sur le fait qu’avec un appétit tel que le leur, le mâle solitaire de deux-cent kilos qu’il se proposait de traquer devrait pouvoir les nourrir tout l’hiver. Souriant poliment, ne sachant trop comment décliner l’offre, Emile le complimenta pour la qualité du repas en lui assurant, qu’à charge de revanche, la prochaine fois ils l’inviteraient chez eux. Thierry rétorqua, sur le ton de la plaisanterie, que la maison allait avoir bien besoin d’une petite restauration elle aussi avant de pouvoir accueillir du monde à table. Et comme il amenait ce sujet, avant de le laisser à ses affaires, les investigateurs lui demandèrent s’il avait connu l’ancien propriétaire de cette demeure abandonnée. Il resta évasif mais les assura qu’il serait en mesure de leur retrouver son nom d’ici la partie de chasse de ce soir.
Joué avec David, Arnaud, Louis et Jules le jeudi 20 octobre 2011.