Pour le seconder dans l’expédition Emile décida de faire appel à son ami zoologiste Hector Malone. C’est pour l’archéologue une manière de joindre l’utile a l’agréable puisque Hector possède un appareil photographique, qu’il sait s’en servir et qu’il est d’une compagnie fort agréable.
L’heure du départ a donc sonné pour les deux compères qui, même s’ils ne sont plus de la première jeunesse, conservent cette espièglerie du rat de bureau a qui le monde tend enfin les bras. C’est dans cet état d’esprit que les emplettes préparatoires de l’expédition furent menées, sans regarder à la dépense et avec un luxe parfois superflu en regard du travail qui les attend. Mais il vaut toujours mieux pêcher par excès de prudence; c’est d’ailleurs le discours que leur tint Edouard au téléphone lorsqu’il les appelle ce soir du vendredi 17 juillet à l’hôtel des Amériques, au Havres où ils viennent d’arriver après une sympathique journée de voiture sur les routes de France :
« J’ai des nouvelles… pas les meilleures qui soient. D’après une source, que je tiens pour assez fiable, il y a de gros enjeux autour de notre expédition. Le gouvernement Britannique, par l’intermédiaire des autorités Canadiennes semble bien déterminé à être tenu au courant de vos moindres faits et gestes. Je ne sais pas ce qui les incitent a prendre de telles mesure mais je vous invite a faire preuve de prudence dans vos pérégrinations, et de subtilité dans vos agissement… Nous allons faire en sorte que la mission échoue mais il va falloir être crédible dans l’échec.»
La soirée se poursuit très agréablement en « tapant le carton » dans la chambre après le repas. Le lendemain, c’est sous un ciel couvert qu’à neuf heures Emile et Hector se présente sur la passerelle d’embarquement des troisièmes classes du paquebot France.
L’université n’ayant pas eu les moyens de leur fournir les très onéreux billets des classes supérieures, ils comprennent que la croisière de rêve risque fort de tourner au cauchemar lorsqu’une femme et ses deux enfants en bas âges s’installent dans la même cabine qu'eux.
Les marmots sont turbulent et passent leur temps à mastiquer une nouveauté venue des Amériques et très en vogue à bord : « la gomme à mâcher », en avoir une dans la bouche c’est déjà un peu être aux Amériques.
L’esprit cartésien et pratique des scientifiques les invitant à prendre les choses avec philosophie, Emile et Hector se rendent sur la coursive pour une partie de carte. Evidemment passé les premières minutes d’émerveillement maritime, la perspective d’une semaine dans cette promiscuité leur donne l’envie d’en savoir un peu plus sur les opportunités offertes par les étages supérieurs. Au bureau des renseignements du paquebot où une employée leur fait l’article alléchant des avantages réservés aux premières et secondes classes du navire, Emile et Hector se font interpeller par une jeune femme juste derrière eux dans la file d’attente.
Elle dit s’appeler Seridipe, et se propose de leur offrir deux précieux sésames de première classe en échange d’un « petit » service. Devant la circonspection des deux hommes, la jeune femme se lance :
« - Croyez-vous en la voyance messieurs ? »
Les scientifiques, bien que confondus par le risque de décevoir leur nouveau mécène, ne peuvent s’empêcher de répondre par la négative.
« Très bien, parce que moi non plus. Mais voyez-vous mon problème c’est que j’exerce la profession de voyante à bord du paquebot et que j’ai parfois besoin d’obtenir quelques informations au sujet de mes victi.. clients avant de les prendre en charge pour réussir a me les mettre dans la poche. »
Elle leur explique ensuite qu’elle travaille d’habitude avec un acolyte qui n’a pas pu venir et que si elle ne veut pas faire ce voyage « à vide », elle va avoir besoin de leur aide. Le marché fut vite conclu et le soir même, Hector et Emile se trouvaient logés en première classe, chambre 414. Les termes de l’accord stipulaient un rendez-vous quotidien le soir autour d’une bonne table dans la grande salle à manger lors duquel Seridipe transmettrait le nom de la personne à espionner. Les informations découvertes devraient être livrées le lendemain à la même occasion. Tant que le travail des investigateurs satisferait Seridipe, leur séjour parmi les grands de ce monde se verrait prolongé… un seul chou blanc mettrait un terme à leur collaboration. De leur côté, les scientifiques se virent offrir en prime un costume élégant loué par Seridipe au tailleur du bord le temps de la traversée.
La première cible des enquêtes quotidiennes de la fine équipe fut donc Elijah Compton-Levy un mystérieux et élégant quadragénaire Londonien. Une première tentative d’infiltration dans sa cabine échoua le soir même. Notre homme ne semblant pas très enclin a quitter son bureau. Le lendemain matin, dimanche 19, au petit déjeuner, la chance leur sourit quand ils découvrent Elijah seul, assis devant un copieux breakfast. La décision fut vite prise pour Emile d’essayer ses talents de crocheteur sur la serrure de la chambre 411 tandis qu’Hector se chargerait de surveiller les déplacements de l’Anglais. La porte refusant de céder à ses manipulations, Emile eu une idée. Sa cabine étant seulement a deux chambre de celle qu'il désirait investir il y avait probablement moyen de passer par l’extérieur, le long des baies vitrées. Profitant de la relative absence de monde à cette heure de collation matinale, il parvint à escalader les petites terrasses jusqu’à la chambre d’Elijah. Sur place, exploitant le peu de temps qui lui restait avant le retour du client de Seridipe, il découvrit tout un attirail de rabbin plus ou moins habilement dissimulé ainsi que des textes en hébreu, une carte de l’atlantique avec une croix au milieu et un échange de lettres portant sur des études de la Kabbale et des dix Sephirot. Interrompu dans ses recherches par le signal convenu au préalable avec Hector à la porte (quatre coups, deux coups), Emile retourna dans sa chambre comme il en était venu. Ayant accompli leur part du contrat en découvrant le secret de la victime de la voyante, les deux hommes purent mettre a profit leur après-midi en se livrant à leur passe-temps favoris… dans la bibliothèque très convenablement fournie des premières classes.
Le soir venu fut l’occasion d’honorer leur second rendez-vous d’affaire avec la jeune diseuse de bonne aventure.
Cette fois ci son client était un industriel Belge fortuné répondant au nom de Pierre Lange. Faisant, sans plus attendre, un tour à proximité de la cabine (N° 336) dudit Mr Lange, Hector surprit des éclats de voix provenant de la suite du millionnaire Wallons. Une altercation opposait le PDG à un proche collaborateur qui reprochait à son patron d’avoir courtisé sa femme et de lui avoir transmis la syphilis. S’en suivirent de nombreux noms d’oiseaux jusqu'à se qu'un duel soit convenu entre eux à trois heures du matin sur le pont arrière. L'affaire étant réglée, le mari trompé quitta la chambre en claquant la porte. Comme il leur sembla plus sage d'attendre l'affrontement pour pouvoir agir les mains libres, Hector et Emile firent un tour au casino pour tuer le temps... Qui ne fut pas perdu! en quelques heures, en effet, Hector remporta la coquette somme de 260 Fr, Emile eut moins de chance mais ne perdit pas tant d’argent que n’en gagna son comparse. Lorsque l’heure fut venue, Emile se posta à l’angle du couloir, attendant que Pierre Lange quitte sa chambre tandis qu'Hector investit le pont arrière. Le zoologue fut surpris de constater qu’un nombre conséquent de badauds se pressaient à cette heure en cet endroit. La nouvelle s’était rapidement propagée et l’odeur du sang attirait toujours une foule de curieux que le scientifique se mit en devoir de faire partir en… sortant son appareil photo. L’effet fut radical mais assez peu apprécié. Seul allongé sur un transat il patienta donc quelques instants avant de voir arriver Ernest Fougerolle armé d’un fleuret et accompagné de sa femme en pleurs. Mr Lange ne se fit pas trop attendre et menaça sur-le-champ son adversaire. Hector intervint alors en rappelant aux belligérants les condamnations encourues par les duellistes et que comme il se faisait tard, il pourrait tout aussi bien faire un détour auprès des autorités concernées avant de regagner son lit. Goûtant modérément les sarcasmes de Malone, Pierre Lange se fit menaçant... et injurieux comme a son habitude. Ernest tenta de l’interrompre en relevant la pertinence de la remarque mais il récolta pour seule réponse une taillade à la joue qui le fit s’effondrer. Sans pour autant se calmer le sinistre personnage jeta son fleuret pour en découdre à mains nues avec celui qui avait écourté son duel. Le scientifique, avec un aplomb surprenant, lui éclaira le visage de sa lampe torche, ainsi ébloui par le faisceau lumineux Pierre Lange marqua le pas. Il n'en fallu pas plus pour permettre à son ancienne maîtresse de s'agripper furieusement à lui. Excédé par la tournure que prenait les choses le chef d'entreprise écarta la furie d'un violent revers de main. Hector se précipita alors aux côtés de la dame pour l’aider à se relever. Prise au dépourvu par tant d’altruisme, peut-être écoeurée, la brute préféra tourner les talons en se répendant une dernière fois en jurons infamants. Après un court instant de flottement, une fois le calme revenu, le scientifique accompagna le blessé et sa femme à l’infirmerie où il put obtenir d’Eléonore (c’était son prénom) les informations qu’il attendait au sujet de l’industriel : Mr Lange était un fils à papa, écumant assidument les bordels d’Amsterdam, dans lesquels il avait d'ailleurs contracté la syphilis, et faisant péricliter l’entreprise de son père aujourd’hui à deux doigts de la faillite. Pendant ce temps, Emile fit chou blanc et manqua de perdre une main en tentant une effraction dans la suite du Belge qui y avait laissé son chien de garde.
Nous sommes le lundi 20 juillet 1925, il est 4h30 du matin et le bateau s'endort enfin.
Joué avec David et Arnaud le jeudi 04/02/2010.