Ce texte qui présente les particularités géologiques de notre village a été rédigé par Bernard Veaux et constitue l'un des chapitres de "Trésors et secrets de nos villages" édité par le Syndicat d'initiative de Culles-les-Roches. Préfacé par Gérard Ferrière, conservateur du Muséum d'Histoire Naturelle de Dijon, c'est un ouvrage indispensable pour qui s'intéresse à notre région.
Certains noms de lieux auquel il est fait allusion ne parleront peut être pas au lecteur qui ne connait pas la toponymie du village.
Il est prévu d'intégrer prochainement une carte sur laquelle ils seront répertoriés. [ Retour au sommaire Géorama ]
Roches et fossiles à Culles-les-Roches
Tous les villages n’ont pas la richesse géologique de Culles-les-Roches sur une superficie somme toute modeste. Mais cela peut quand même donner à chacun le goût de fouiller. Pour mieux comprendre.
Devant le paysage, devant la vallée, les coteaux et les roches de notre village surgit la question : que s’est-il donc passé autrefois pour que nous soient parvenus ces vestiges, ces formes, ce relief ? On peut rêver. De la « lave » des toits on passe alors aux volcans, et des volcans infernaux aux diables qui ont laissé leur empreinte sur telle ou telle roche jadis en fusion. Il y a peut-être là de la poésie. La science en tout cas est ailleurs, et elle n’est pas non plus sans intérêt ; elle nous ouvre à bien des merveilles, elle aussi. Son cheminement est parfois aride, d’une technicité rebutante. Nous nous efforcerons d’un donner ici un aperçu accessible à tous et susceptible d’éveiller des curiosités nouvelles.
Promenade sur le terrain : les Roches
On appelle « roche » en géologie, les matériaux constitutifs du sous-sol (en-dessous de la terre arable). Ces matériaux sont souvent durs, mais ils peuvent aussi bien être tendres : sable et argile du sous-sol sont donc eux aussi des « roches ».
Pour être le plus clair possible, commençons notre inventaire par les roches les plus anciennes. Nous les trouvons sous l’église, dans le «dessus de Culles», la vallée de la Mouille et les Coirattes. Il s’agit du socle cristallin, granitique, qui a tendance à se désagréger superficiellement pour donner du « cran » (arène granitique) et d’énormes rochers arrondis, souvent entassés de façon chaotique (cf au-dessus du lavoir de la Mouille, dans la vallée de la Vauzelle, le Pré Curé …). Quand une tranchée relativement récente donne une coupe de la masse rocheuse (cf au bord de la route départementale près de l’ancien « quai »), on voit que le granite est une roche massive, parcourue de fissures qui se croisent : des fissures découpent le massif granitique en blocs anguleux entre lesquels circule l’eau d’infiltration ; peu à peu (sur de périodes de quelques centaines de milliers d’années) ces blocs s’arrondissent, se désagrègent, donnant naissance à du sable. Et quand se présente une occasion favorable, ce sable est emporté et il ne reste plus qu’un amas de grosses boules granitiques.
Dans le détail, ces roches se présentent comme un agglomérat de trois éléments de petite taille : des cristaux de quartz (gris), des cristaux de feldspath (surtout rose chez nous) et des paillettes de mica noir. Il n’y a aucun fossile dans ces roches. Elles se distinguent nettement de toutes les autres, notamment des roches sédimentaires (c’est-à-dire qui se sont formées par un dépôt progressif de diverses substances).
Ce qui est plus récent se trouve normalement au-dessus de ce qui est plus ancien, surtout quand il s’agit d’un dépôt. On trouvera donc les roches sédimentaires les plus vieilles juste au-dessus des granites : c’est le cas des rochers de grès noir qui affleurent dans le sentier menant « sur la Roche », derrière la maison Connord-Revel, et en montant « sur la Bruyère » par le chemin de la « Chemiau ». Le contact entre grès et granite est encore plus visible tout près de l’entrée du tunnel ; là on voit bien les couches de sable, gravier et grès provenant de l’usure des granites ; on peut même calculer la pente (ou pendage) de ces couches, ce qui nous sera utile plus loin. Cette couche, d’aspect varié, qui repose sur le socle cristallin est nommée « Trias ». Elle a quelques dizaines de mètres d’épaisseur. La datation la plus probable donne à cet ensemble l’âge moyen respectable de 220 millions d’années (environ !) C’est dans les calcaires de ce Trias qu’a été trouvée par Maurice Veaux, vers 1980, l’empreinte du pas d’un reptile, communément mais indûment appelé « dinosaure » de taille assez respectable, au lieu-dit « le Champ Dessus ». Dans ce même étage géologique on trouve d’assez importants gisements de gypse, qui furent exploités au Mt Bouzu (en profondeur) pendant plusieurs années.
Les couches de calcaire dur de la fin du Trias et du début du Lias forment la crête du Benchot, de l’Ormeau et de la Grand’Croix ? Si nous cherchons à voir ce qu’il y a encore au-dessus, il faut continuer vers l’ouest sur la commune de Bissy … ou bien, curieusement, aller dans le « Bas de Culles », « sur la Pie Medon », où nous trouvons des roches du même âge que sur l’Ormeau (au moment du remembrement vers 2005, on trouvait des quantités de fossiles identiques sur l’Ormeau et sur la Pie Medon). La position basse s’explique, on le verra, par des cassures qui ont fait s’effondrer toute cette zone (du cours inférieur de la Mouille jusqu’au Mt Bouzu, en, passant par les Roches).
Les calcaires de la Pie Medon et les argiles qui s’intercalent entre elles sont particulièrement riches en fossiles : les gryphées (coquillages de 4 cm environ) sont des milliers, et leur entassement constitue parfois la presque totalité des grosses pierres noirâtres dont sont enclos les champs du Pellut. Il y a aussi des ammonites (dont le diamètre va jusqu’à 30 ou 40 cm) et des bélemnites qui se présentent sous la forme de grosses balles de fusil, noires.
Pour étudier les roches suivantes, nous allons à nouveau remonter la pente. On a d’abord une roche relativement tendre qui correspond au coteau viticole. Puis c’est la falaise, l’abrupt taillé dans les roches « jurassiques » qui domine la vallée de ses 30 à 50 mètres. Là nous avons affaire à une roche calcaire blanche ou légèrement jaune. Cette roche est très résistante, mais la bordure s’effrite et donne lieu à d’importants éboulis et pierriers. A noter les trois grosses excroissances gris clair qui forment comme des piliers très visibles dans le paysage : il s’agit de calcaire corallien, formé de façon très localisée dans les lagons tropicaux de jadis.
Au-dessus de l’abrupt, « sur Chautemps » on retrouve une roche plus tendre qui donne un petit replat où poussent de la vigne et des céréales. Couche suivante, très dure : c’est là qu’on a ouvert des carrières, notamment pour la construction de la voie ferrée à la fin du XIX°s. Enfin, d’autres couches calcaires plus récentes, mais toujours « jurassiques » (environ 150 millions d’années) viennent couronner le tout en portant le Mt Bouzu à 464 m d’altitude.
Pour être complet, il faudrait noter encore d’autres détails, concernant notamment l’argile à silex de la route de St Gengoux et des Grands Bois, et surtout le grès rose de la Bruyère. L’argile à silex semble appartenir à l’ère tertiaire (il y a de 1 à 80 millions d’années). Quant aux roches très « chahutées » que l’on trouve près de la gare, roches qui ne sont pas à leur place « normale », elles s’expliquent par les éboulements et glissements de terrain qui se sont opérés après les grandes cassures au temps du soulèvement des Alpes …
Consultation des spécialistes
Pour bien expliquer une affaire, certains croient utile de remonter « au Déluge », au risque de faire perdre patience à leurs auditeurs… Pour expliquer la formation du relief de Culles-les-Roches nous serons malheureusement obligés de remonter beaucoup plus loin que le Déluge !
A l’époque précambrienne, époque où il n’y avait pas encore de fossiles (il y a plus d’un milliard d’années), la croûte terrestre se refroidit. De ce fait elle est soumise à de puissantes contractions qui se traduisent en surface par d’énormes plissements, peu à peu arasés à la suite d’une érosion intense. Les sédiments arrachés à ces montagnes sont soumis à de grandes pressions, repris dans de nouveaux soulèvements de fonds marins, et profondément transformés par métamorphisme sous l’effet de la chaleur intense, donnant naissance à des micaschistes, des granites… Voilà déjà un socle pour faire reposer Culles-les-Roches.
A la fin de l’ère primaire, lors de la formation d’un continent unique, une chaîne de montagnes se forme. En France, c’est le plissement hercynien : Bretagne, Massif Central et son prolongement le Morvan. Les chaînes sont orientées sud-sud-ouest nord-nord-est. Le climat favorise le développement des grandes forêts, qui formeront bientôt la houille (période carbonifère). Dans les creux la houille continue à se former et est protégée de la destruction, contrairement à ce qui se passe sur les sommets, abondamment érodés : à 25 km de Culles, cela nous a laissé le bassin minier de Montceau. De cette époque très lointaine (230 millions d’années) nous sont parvenus quelques fossiles qui donnent une idée de la vie à cette époque.
Au début de l’ère secondaire (il y a 220 millions d’années), l’emplacement de notre village se trouve dans une zone intermédiaire (cf croquis n°1) : à l’ouest le Massif Central, largement arasé, à l’est de vastes mers. Au gré des grands mouvements de la croûte terrestre, ces mers se retirent ou viennent au contraire à l’assaut des restes du Massif Central. Au trias (220 millions d’années) se forment des dépôts de grès, de marnes, de calcaire, de gypse (ceux que nous avons repérés sur le terrain), tantôt sous les eaux marines, tantôt à l’air libre dans des lagunes. Le soleil qui brillait alors a laissé chez nous une trace : les craquèlements de l’argile sur ce qui est devenu un bloc de pierre et qui porte en même temps l’empreinte de trois doigts d’un grand reptile : c’est l’empreinte dont nous avons parlé plus haut, trouvée au Champ Dessus.
Au jurassique (180 millions d’années), la mer envahit largement le pays (croquis n°2), déposant des couches calcaires de quelques dizaines de mètres d’épaisseur. Les couches précédentes (y compris les empreintes qui s’y étaient conservées par hasard) disparaissent sous cet épais manteau.
Ne nous figurons en rien le relief actuel. Simplement, sur les granites, les grès… des couches plus ou moins compactes et épaisses de calcaire s’amoncellent pendant quelque 20 à 40 millions d’années : ainsi se préparent les matériaux qui donneront un jour « les Roches », le Mt Bouzu (croquis n°3).
Après une régression de la mer, c’est une nouvelle invasion, au « Crétacé », mais l’érosion ultérieure ne nous a presque rien laissé de cette époque. Pendant l’ère secondaire, des animaux nouveaux sont apparus, oiseaux et mammifères notamment. On trouve beaucoup d’ammonites, de bélemnites, gryphées … à l’étage géologique inférieur (Lias).
Au Tertiaire, quelques dépôts minimes ont encore lieu, mais l’événement essentiel est le retentissement du plissement alpin. C’est la période où se soulèvent les Alpes, les Pyrénées, et plus loin le Caucase … Le plissement se fait sentir à plusieurs centaines de kilomètres à la ronde : l’est du Massif Central est soulevé, cassé ; des volcans entrent en activité le long des principales fissures ; les Vosges du sud sont soulevées et un grand effondrement les sépare de la Forêt Noire : ce sera l’Alsace.
Entre l’actuelle vallée de la Saône et la bordure des Monts du Charolais, les terrains sédimentaires maintenant émergés se gondolent légèrement, formant une sorte de dos d’âne allongé en gros nord-sud, au-dessus de l’actuelle vallée de la Grosne (cf croquis n°4). De là vient la pente des terrains observée à l’entrée du tunnel. Mais sous l’effet de nouveaux coups de boutoir, des failles se produisent et toute la partie élevée du dos d’âne s’effondre par immenses gradins parallèles, orientés grosso-modo SSO-NNE. A Culles tout un bloc s’effondre d’environ 140 mètres : c’est le bloc représenté par le Mt Bouzy, « sur la Roche », le coteau des Roches jusqu’à la Pie Medon (une grande partie de ce bloc domine maintenant le paysage ; nous expliquerons plus loin pourquoi).
Des gradins diversement abaissés (encore 80 m de plus que le bloc des Roches) découpent en bandes nord-sud les terrains situés « dans les bas » (Champs Ragond, Châtenay, Teurot de Champ Lain, côte de Saules). Mais c’est surtout en bordure de l’actuelle plaine de la Grosne que se produit l’effondrement principal : un sondage réalisé à St Boil vers 1939 fait apparaître un effondrement de 520 mètres ! Du côté de l’actuel Tournugeois, la même chose se produit, symétriquement.
Le résultat est bien sûr la formation d’une sorte de grand fossé bordé, à l’ouest et à l’est , par des gradins plus ou mains réguliers (cf croquis n°5).
Au fur et à mesure que s’opéraient les cassures, l’érosion attaquait vigoureusement les blocs les plus élevés, tandis que les débris recouvraient les régions basses et les mettaient du même coup à l’abri de toute atteinte. A Culles, le bloc resté le plus élevé correspondait à la zone qui s’étend de l’église à Bissy, et des Coirattes à Champagne. Comme il relevait « du nez » à l’est, c’est ce bloc qui a été le plus décapé, et ceci au point de mettre au jour les granites, pourtant enfouis auparavant sous des dizaines de mètres de roches sédimentaires. Ainsi, toujours dans cette partie ouest de la commune, toute la masse calcaire du même âge que celle des « Roches » a été rabotée, et elle n’a subsisté, dans ce bloc, que dans sa partie la plus basse qui correspond à la Roche de Bissy.
D’après P. Rat, géologue de l’Université de Dijon, il pouvait se produire des glissements de terrains importants lorsque les abrupts étaient grands et lorsque les roches inférieures argileuses jouaient le rôle de savonnette. C’est ainsi qu’on a retrouvé en Bourgogne du nord des couches quasi à la verticale dont la position ne s’explique que par un basculement progressif d’énormes blocs détachés de l’abrupt principal. C’est pour cela que la carte géologique indique des débris au pied de la cote des Gargouilles et du « Plan ». Et c’est dans ces débris, en creusant un petit amphithéâtre au-dessus de la piscine, que l’on a retrouvé des fossiles du lias (bélemnites notamment) qui ne devraient pas se trouver là si la roche était en place.
Avant dernière étape : à la fin d’une longue période d’érosion l’allure génale est celle d’une pénéplaine aux reliefs peu marqués. Cette « surface d’érosion » se serait produite au Miocène, il y a 20 millions d’années (cf croquis n°6 a et b).
A Culles, à force de s’abaisser sous les attaques de l’érosion, le bloc ouest avait fini par rejoindre le niveau du bloc est, pourtant affaissé de 140 mètres, mais protégé jusque là par le manteau de débris venus de l’ouest.
Quand arriva une nouvelle vague d’érosion (la pluie, le gel … ne se lassent jamais !) les deux blocs cullois, maintenant de même altitude furent attaqués avec le même vigueur ; mais comme le bloc des « Roches », une fois débarrassé de ses débris, présentait un calcaire très dur, il a résisté beaucoup mieux que son voisin où des couches plus tendres avaient été mises au jour (revers du Champ Dessus, de la Fontaine au Vernay). Ceci donne donc l’impression, vu du Mt Bouzu, que « les Roches » sont le bloc le plus élevé (croquis n°8). Ceci est vrai topographiquement (les altitudes sont plus grandes) mais faux du point de vue tectonique et géologique : il suffit pour s’en convaincre, de chercher à quelle profondeur se trouve le granite sous « les Roches » ; il est évidemment très profond … alors que dans le bloc voisin, il affleure dans tout le haut du village.
L’essentiel des bouleversements était fait. Il ne restait plus que quelques petits millions d’années pour sculpter le détail du relief que nous connaissons aujourd’hui.
Sculpteurs au travail
A défaut d’imagination, l’érosion a au moins trois points communs avec les sculpteurs : elle diminue et cisèle un bloc grossier, tout en accumulant des débris ; elle tient compte de la matière qu’elle travaille ; et elle attaque cette matière plus ou moins activement suivant le burin dont elle se sert. Regardons-la travailler à partir de la fin de l’ère tertiaire, et replaçons-nous devant ces grands blocs hérités des dépôts, des ondulations, des fractures, et aussi des érosions anciennes.
A la fin du Miocène (il y a 15 millions d’années environ) on a une surface à peu près plane (cf croquis ci-dessus). Les eaux n’ont plus grand chose à gratter, car leur niveau de base (mer ou lac) n’est pas très bas, et les ruisseaux n’ont donc presque pas de pente. Or on sait que le ruissellement est un des principaux agents d’érosion : il suffit de regarder comment les montagnes s’usent tandis que les plaines subissent peu de changements.
A la suite d’une baisse du niveau de base des eaux (soit par baisse du niveau de la mer, soit par une légère remontée du socle) l’érosion reprend son travail. L’eau ruisselle à nouveau avec une certaine force. En surface il se forme tout un réseau de filets d’eau, de « mouilles », de ruisseaux.
A la faveur de pluies abondantes, les « roches » friables (surtout les argiles et les sables) sont creusés et leurs débris emportés, comme on peut s’en rendre compte encore après les orages. Par ailleurs le ruissellement s’attaque aussi à tous les points faibles de la carapace : par exemple les zones de fracture, surtout lorsque les failles ont mis côte à côte des roches de nature très différente ; par exemple aussi tous les lieux exposés et non protégés : escarpements, hauteurs isolées. Il s’agit d’une érosion dite « linéaire », parce qu’elle s’exerce en suivant des lignes, celles que dessinent sur tout le sol les multiples ruisselets.
En même temps s’exerce une érosion chimique. L’eau en effet ne se contente pas de s’écouler en surface : elle imprègne plus ou moins les roches, en tenant compte de leur degré de perméabilité, et elle les désagrège ou les use peu à peu. Prenons un exemple caractéristique : les granites. Nous en avons parlé au cours de notre promenade dans la Vauzelle ou la vallée supérieure de la Mouille. Les eaux de pluie, chargées d’acide carbonique, décomposent les feldspaths (silicates doubles d’alumine et de potasse …) et les micas (silicates d’alumine, de magnésie et de fer). Les grains de quartz, eux, restent intacts, mais le pourrissement des grains voisins les libère et en fait du sable. L’érosion mécanique ou « linéaire » peut alors jouer son rôle, tandis qu’auparavant la dureté de la roche lui opposait une vive résistance. Le « cran » est peu à peu emporté et restent les boules plus ou moins dégagées en chaos, notamment sur le flanc des vallées et près des ruisseaux, là où les filets d’eau ont une certaine force.
Pour les calcaires, l’érosion chimique a aussi une grande place. Le gaz carbonique contenu dans l’eau dissout peu à peu le carbonate de chaux, donnant du « bicarbonate de chaux » soluble.
Tant que l’équilibre chimique se maintient dans l’eau, le calcaire est évacué par les sources et les ruisseaux sous forme de bicarbonate de chaux.
Lorsque, pour une raison quelconque (pression, proportion gazeuse ou température différentes …), l’équilibre chimique est rompu, le bicarbonate se transforme partiellement en carbonate de chaux et se dépose. Cela donne les stalactites, les sources pétrifiantes (celle par exemple que nous avons vue aux Fontenottes) ou encore des tufs (cf les tufs qui tapissent le bas du village, à 1 ou 2 mètres sous la terre arable, et qui ont été dégagés notamment lors de la pose des poteaux électriques il y a quelques années.
Sans que cela se voie, des milliers de tonnes de calcaire quittent ainsi les montagnes et les collines et s’en vont peu à peu rejoindre les mers.
Comme le calcaire est une roche très dure, il résiste beaucoup à l’érosion mécanique, mais il est progressivement rongé de l’intérieur : cela donne le monde fantastique des grottes et des avens bien connus.
L’eau s’infiltre dans les fissures de la roche et les élargit peu à peu. Elle descend de façon irrégulière (elle remonte même parfois dans des siphons) jusqu’à un niveau plus imperméable, et là elle commence à chercher une sortie à l’air libre.
Suivant le nombre de fissures, le caractère compact de la roche, suivant sa disposition, l’eau crée ainsi un réseau de galeries plus ou moins important. Cette érosion chimique s’exerce depuis des millions d’années, et une bonne partie précède les fractures dues au plissement alpin. Ainsi peut-on rendre compte de la grotte de Culles dont l’entrée n’est vraisemblablement qu’une galerie ancienne subitement tronquée par une faille.
Le résultat de cette érosion est surtout visible à l’extérieur quand la voûte d’une grande salle s’effondre ou quand la roche est apparente : à Culles, on voir bien, à la Roche Percée, le travail de l’eau qui s’est attaquée aux fissures diverses de la roche et qui a évidé, avec l’aide du gel, les parties les plus solubles et les plus friables.
Il reste néanmoins que le calcaire est une roche dure et que, même taraudé de l’intérieur, il résiste fièrement, donnant des escarpements dans le paysage : « les Roches », la Roche de Bissy.
Certaines roches contiennent du calcaire, mais sont moins compactes que d’autres, ou plus solubles. Cela amène donc toujours une gamme de résistance à l’érosion. Ainsi certains dépôts crayeux ont complètement disparu, ne laissant que les rognons de silex (fort utiles aux hommes préhistoriques de Culles !) et les résidus argileux qu’ils contenaient (chemin du viaduc, route de St Gengoux), tandis que d’autres roches ont tenu bon et, sans avoir la fierté des « Roches », manifestent clairement qu’elles sont là : c’est le cas notamment pour le coteau du Benchot et de la Grand Croix.
Enfin, entre les couches dures, se glissent des argiles, des marnes, que l’érosion mécanique déblaie sans cesse (transport de débris, glissements de terrain). Comme elles servent de piédestal aux calcaires durs, ceux-ci sont à proprement parler des « colosses aux pieds d’argile » ! Lorsque le dégagement des roches tendres devient important, l’abrupt est mis de plus en plus en surplomb, jusqu’au jour où il s’écroule. Alors les débris sont attaqués de diverses manières, puis le processus reprend, et les lignes d’escarpement reculent ainsi peu à peu.
Ces escarpements composés par la succession de dépôts tendres et de dépôts durs se nomment « cuestas » ou « côtes » en langage géographique. Toute la partie orientale du Bassin parisien est barrée ainsi de « côtes » concentriques : Côtes de Moselle, de Meuse, des Bars, de l’Ile de France … Plus modestement, à Culles, sur quelques centaines de mètres ou sur quelques kilomètres nous avons : le petit escarpement du Champ Dessus à la sortie du village, le Benchot, la Roche de Bissy ainsi que les promontoires de St Martin-du-Tartre et de St Clément-sur-Guye. De l’église de Culles à l’entrée de Germagny, la route suit d’ailleurs fidèlement la structure du soubassement géologique tel qu’il est figuré dans le croquis ci-dessous (n°9).
Les « Roches » ne sont pas à proprement parler une « cuesta », mais un escarpement ou « abrupt de faille ». Elles évoluent actuellement comme une « côte », en reculant peu à peu, mais leur origine est dans les fractures qui sillonnent le pays, notamment la faille qui va de la maison Connord au moulin, et les failles nord-sud qui prennent ensuite le relais vers Saules et Chenoves.
Tout ce lent travail d’érosion se voit peu, mais il avance inexorablement, et particulièrement sous certains climats, plus excessifs que ceux d’aujourd’hui. Depuis des millions d’années le sculpteur est à l’œuvre. Il frappe sans se lasser, uniformément, mais la diversité des roches et leurs boule-versements à l’ère tertiaire ont bien suppléé son manque de génie.
Souterrainement se préparait le visage si étonnant de notre village.