L1 Les origines du pouvoir 4/4
D'après J.-P. Bois, La guerre en Europe, Belin Sup. 1996, et des articles sur L'Encyclopédie Universalis.
La république des Provinces Unies apparaît plus complexe dans le domaine de l’origine du pouvoir. En effet, le soulèvement issu d’un amalgame de mécontentements aboutit au rejet de la Couronne d’Espagne. La république se targue de s’être appuyée sur des fondements religieux pour faire sécession, mais c’était du Sud que provenaient les protestants calvinistes les plus fougueux, donnant des impulsions dont le Nord tirait profit. Dès 1566 et la fureur iconoclaste, le titulaire du trône, Philippe II, se lance dans une répression contre les calvinistes, qui exigeaient la liberté de culte, chose impensable pour la monarchie catholique. La répression est violente, et près de 2000 protestants sont exécutés. L’union des villes de Hollande et de Zélande donne naissance, en juillet 1572, à un gouvernement : l’Assemblée des Etats de Dordrecht, dont le Prince d’Orange, Guillaume dit le Taciturne, représente le pouvoir royal. Elle tient tête au duc d’Albe, envoyé par Philippe II[1], et mène le jeune pays à la Pacification de Gand (1576), qui constitue un compromis sur les questions religieuses et d’autorité centrale, ainsi que le retrait des troupes. Trois années plus tard, l’Union d’Utrecht permettait aux régions calvinistes du Nord, ainsi que la Flandre et le Brabant, de se séparer de celles, catholiques, au Sud, unies par l’Union d’Arras.
Les états généraux cherchent alors un souverain, Philippe II ayant été répudié lors du Placard d’Abandon, en 1581, au nom de la légitimité du soulèvement contre la tyrannie, mentionnée dans les privilèges. Devant le refus de Charles d’Anjou et d’Elisabeth Ire, ils pensent avoir trouvé leur roi en la personne du Prince d’Orange, mais il est assassiné à l’instigation de Philippe II, par Balthasar Gérard. Ainsi, chacune des sept provinces devient souveraine, pour créer la fédération d’Etat de la république des Provinces Unies : Hollande, Zélande, Utrecht, Gueldre, Overijssel, Frise et Groningue. Les années 1580 sont alors marquées par une réorganisation militaire derrière le Stathouder général, Maurice de Nassau, fils de Guillaume, stathouder de Hollande et de Zélande dès 1585, d’Utrecht, de Gueldre et d’Overijssel en 1587, et son cousin, Guillaume-Louis de Nassau, stathouder en Frise et Groningue. Un autre personnage marque de son sceau une importance certaine dans les Provinces Unies : le Grand Pensionnaire Johan van Oldenbarnevelt, équivalent du Ministre des Affaires étrangères. Trois instances se partagent donc le pouvoir : les Etats généraux, les stathouder et les pensionnaires.
A- Les Etats généraux
Les États généraux des Pays-Bas étaient une assemblée des états provinciaux des Pays-Bas, initialement convoquée par les ducs de Bourgogne, soit pour connaître l'opinion de leurs sujets, soit pour consolider une décision, en particulier en matière d'impôts. La première rencontre fut à Bruges dans le comté de Flandre, en 1464. Parce que, plus tard, en général, il y avait seize ou dix-sept délégations présentes, on a commencé à parler des Dix-sept Provinces. Différemment des États généraux en France, l'assemblée néerlandaise ne restait pas une assemblée d'exception. Elle avait un statut permanent à Bruxelles et elle continua à se réunir sous la règne de Charles Quint et de ses successeurs Habsbourgs.
Au cours de la guerre de Quatre-Vingts ans, le 26 juillet 1581 les États généraux proclamèrent formellement l'abjuration du roi d' Espagne comme souverain des différents pays. L'assemblée s'était déplacée vers La Haye, parce que la "capitale", Bruxelles, était toujours sous contrôle du roi. Dans les années suivantes, tous les Pays-Bas méridionaux furent reconquis par l'armée royale. Il se produisit alors une scission politique dans les États généraux :
Ø Au Nord, à La Haye, les États généraux des sept Provinces-Unies devenaient pour longtemps le gouvernement de la République. Ils occupaient également le rôle d'états provinciaux dans les pays de la Généralité, c’est-à-dire les parties de la comté de Flandre et du duché de Brabant, qui étaient restées sous contrôle de la République. Les États généraux avaient aussi la gestion de la VOC et la WIC, les deux compagnies des Indes orientales et occidentales.
Ø Au Sud, à Bruxelles, les États généraux des neuf ou dix pays restants des Pays-Bas espagnols, puis Pays-Bas autrichiens, continuaient à représenter les états envers le souverain ou ses gouverneurs. En 1790 les États de la majorité des provinces des Pays-Bas autrichiens proclamèrent leur indépendance de l'Autriche et leur union sous le titre d'États Belgiques unis.
B- Rôle du Stathouder
Il est l’équivalent du latin médiéval locum tenens (lieu-tenant). Sa fonction s’exerce sur une province, par délégation et au nom du souverain, dès le XIIIe s, mais est codifié sous Charles Quint. Le changement a lieu à la fin du XVIe s., lorsque Guillaume, en conflit avec Philippe II, est démis de ses fonctions, jusqu’à ce que les états réunis à Dordrecht le reconnaissent comme seul stathouder. A partir de 1581, la scission avec le roi d’Espagne est définitive, bien que certains stathouders aient encore été nommés par les états généraux « au nom du roi d’Espagne » pour mener la révolte contre ce dernier. En 1584, les états de Hollande et de Zélande nomment Maurice de Nassau stathouder de leurs provinces, charge qui est confirmée par les états généraux en 1586, en plus du stathoudérat d’Utrecht, d’Overijssel et de Gueldre.
Une ambiguïté est alors rapidement perceptible, lorsqu’il paraît fréquent que ce soient les états provinciaux qui choisissent le stathouder. En effet, ce dernier avait droit de regard sur la nomination des magistrats et échevins des villes[2], donc sur la nomination de ses maîtres, car les états d’une province se composent des délégués des villes. Maurice de Nassau tire profit de la Guerre de Quatre-Vingts Ans (1566-1648) pour accroître la fonction du stathouder : de traditionnellement gouverneur des provinces, le voici capitaine général et amiral général.
Le successeur de Maurice de Nassau, son demi-frère Frédéric-Henri, exerce, notamment après 1630, un pouvoir presque monarchique, allant jusqu’à organiser un principe d’hérédité. En 1631, en effet, les provinces de Hollande, Zélande, Utrecht, Gueldre et Overijssel dont il était stathouder concèdent à son fils, Guillaume, futur Guillaume II, le continuité du stathoudérat. En 1639, elles lui ajoutent la capitainerie générale. La mort de Guillaume II, après un court stathoudérat, en 1650, inaugure une première période sans stathouder, les cinq provinces n’en ayant nommé aucun.
Toutefois, la guerre franco-hollandaise de 1672 contraint les états à nommer un stathouder qu’ils trouvent en la personne de Guillaume III, la charge de commandant unique des forces armées revenant à ce titre. Bien que les provinces de Hollande et de Zélande lui avait octroyé dès 1674 une charge héréditaire, le stathouder ne put en profiter, mort sans descendant : la seconde période sans stathouder est inaugurée.
C- Rôle du Pensionnaire
Dès la seconde moitié du XVIIe s., les états généraux ont décidé de se passer, à plusieurs reprises, de stathouder et de confier tout l’exécutif à un Grand Pensionnaire. Plusieurs noms sont associés à cette fonction : Oldenbarnevelt (mort en 1619) ou Jean de Witt.
Le terme de pensionnaire rappelle la locution latine de pensionarius, et désigne le fonctionnaire principal du magistrat, ou le conseil des villes dans les agglomérations les plus importantes. Le terme est employé en raison de la pension qui est fournie au titulaire du titre. Les premiers pensionnaires apparurent au XVe s., à Dordrecht (1468) et Haarlem (1478). Chaque ville peut choisir différentes fonctions qui leur sont propres, mais certaines restent attachées à la fonction, comme les fonctions d’avocat, de conseiller juridique et de porte-parole de la ville. De ce fait, il intervient lors de l’assemblée municipale (secrétaire) et lors de la députation qui représente la ville dans les états de la province. Il est le seul membre permanent du conseil et peut, à ce titre, exercer une influence considérable (à l’exemple de Grotius, pensionnaire de la ville de Rotterdam).
Au sein de la province de Hollande, ce statut est particulier. En effet, sous Oldenbarnevelt, le titre d’avocat de Hollande était indissociable de la fonction de pensionnaire, ce qui permettait à Oldenbarnevelt de diriger les délibérations, préparer les résolutions, tenir les dossier des affaires. Il occupait ainsi le poste de ministre de la Justice et des Finances.
Dès 1619 et l’exécution de Oldenbarnevelt ordonnée par Maurice de Nassau[3], la fonction d’avocat est supprimée, et un poste quinquennal de conseiller-pensionnaire est alors instauré, appelé Grand Pensionnaire. Cette fonction est paru plus prestigieuse lors de la première période sans stathouder, lorsque Jean de Witt occupa le poste de Grand Pensionnaire, de 1653 à 1672. A ce titre, Jean de Witt permit de mener le pays lors des deux conflits opposant les Provinces Unies à l’Angleterre (1652-1654) et 165-1667), ainsi que lors de la guerre nordique contre la Suède (1655-1660).
[1] Le roi d’Espagne avait d’ailleurs mis Guillaume d’Orange hors la loi : « Nous interdisons et défendons à tous nos sujets de quelque état, condition ou qualité qu’ils soient de vivre, parler ou communiquer avec lui, de le recevoir ou loger dans leurs maisons, ni de luis donner des vivres, à boire, du feu ou autres nécessités. Mais nous permettons à tous nos sujets de l’empêcher et de s’assurer de sa personne, même de l’offenser dans sa personne et sa vie, exposant à tous ce Guillaume comme ennemi du genre humain. » (J.-P. Bois, La guerre en Europe, p. 59).
[2] En raison de son statut de « ministre du souverain », en l’occurrence des états provinciaux.
[3] Les deux hommes s’étaient affrontés lors de la querelle théologique opposant les Gomariens et les Arménianistes.
Créé en janvier 2008