Loubier Guy

Une grande vérité souvent oubliée : les personnes âgées sont des lumières allumées. Ces femmes et ces hommes d’expérience ont emmagasiné bien de souvenirs, parfois absents de nos monographies et archives. Un jour, un de mes informateurs me lance, à travers tout un témoignage :« Un membre de la famille de mon grand-père est revenu à pieds des États-Unis. Ils avaient participé à la Guerre de Sécession, qui a sévi aux USA entre 1861 et 1865. À peine âgé de17-18 ans, il avoue candidement à son père : Avoir su que l’on tirait des vraies balles, je n’y aurais pas été!» Parfois, des souvenirs longtemps imprégnés dans la mémoire familiale deviennent ordinaires pour certains et très précieux pour d’autres.

Ainsi, en décembre 2010, suite à mon courriel, Guy Loubier (1931-2013) me répond :

«Bonjour M. Garant,

Au sujet des Bohémiens dans l’article mentionné, il s’agit ici de l’évocation d’un enfant de 8 ou 9 ans à la fin des années 1930. À cette époque, peu de personnes à Beauceville auraient su que le mot bohémien tirait son origine de la Bohême. D’autres qualificatifs comme gypsy, tzigane ou romanichel étaient alors complètement inconnus.

Ma mère nous parlait parfois des Bohémiens dans des contes et elle me racontait que dans les petits villages, les gens avaient une frayeur instinctive des Juifs colporteurs à longue qui s’aventuraient parfois dans les villages. Il y avait alors une méfiance instinctive à l’égard des étrangers et de ce qui échappait aux normes connues.

Au sujet de Chapman, j’ai habité à Beauceville à la fin des années 1930 et au début des années 1940. Il y a plusieurs années, mon frère Raymond qui habitait à Beauceville depuis toujours, m’avait montré la plaque sur la maison de Chapman, rue où j’ai vécu, près du Collège, où j’ai fait quelques années de primaire.

Vous savez sans doute que Chapman avait écrit un long poème intitulé Le trappeur dont le personnage se nommait Loubier. Chapman avait été traducteur à Ottawa, et avait espéré pouvoir un jour remporter le Prix Nobel.

Je suis un traducteur retraité et j’écris souvent des chroniques dans le RIAQ (Réseau d’information des aînés du Québec) et dans planete.qc.ca»

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Née en 1929, Anne-Marie Lacombe, fille de Henri Lacombe de Beauceville, se souvient et confirme la présence de Romanichels à Beauceville :

«Vers 1937, de ténébreux Bohémiens séjournaient une fois par année au Platin. On ne savait rien d’eux. On en avait peur! Nos mères craignaient les enlèvements d’enfants en se rappelant peut-être leur enfance …Ils avaient l’air bizarre dans leurs grands charriots de pionniers. Ce petit coin de paradis, près de la rivière du Moulin, les attirait. Ces Romanichels coupaient-ils les oreilles des enfants?»

(Source : Beauceville, 1re Ville en Beauce, 1904-2004, page 422, André Garant)

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Guy Germain dit Guy Loubier (1931-2013) est né à Saint-Benjamin de Dorchester le 6 avril 1931. Il est le cadet des treize enfants du Beaucevillois Adélard Loubier (Beauceville 1891-1934 Saint-Benjamin, Dorchester) et de Clara Veilleux (Saint-Éphrem, Beauce1896-1986 Beauceville). Adélard Loubier est propriétaire d’un moulin à scie à Saint-Benjamin .Le 11 juillet 1960, dans la paroisse Immaculée-Conception de Montréal, Guy Loubier épouse Jacqueline Huard. Guy Loubier décède à Gatineau le 14 juillet 2013.

Son avis de décès nous apprend :

«Originaire de Beauce où il a grandi avant de vivre à Montréal dans les années 1950, Guy Loubier s’était établi en Outaouais au début des années 1960 pour faire carrière comme traducteur au Conseil économique du Canada. Lecteur avide et philatéliste averti, il a tenu une chronique de philatélie dans Le Droit pendant douze ans, et au cours des dernières années, il signait des chroniques en ligne dans le site Planète Québec tout en prenant part à des groupes comme le Réseau d’information des aînés du Québec (RIAQ). Il a aussi cheminé avec son épouse au sein du néo-catéchuménat durant les années 1990. Homme sensible et généreux, animé par des valeurs de justice sociale et de partage, soucieux de venir en aide à son prochain, Guy Loubier fut un citoyen engagé, contribuant à de nombreuses causes et œuvrant comme bénévole au sein de plusieurs organismes, dont certains qu’il a cofondés, tel Animation 55 +. La famille invite parents et amis à lui offrir leurs condoléances le dimanche 28 juillet 2013 de midi à 14h, au salon de la Coopérative funéraire de l’Outaouais située au 95 boulevard Cité-des-Jeunes à Gatineau (secteur Hull). » http://www.cfo.coop/avis-deces/defunt.php?id=31785&s=init

Il était une fois des bohémiens (Guy Loubier)

«Un jour d’été, peu avant la Guerre, une charrette tirée par un cheval poussif, montait péniblement la côte ardue menant à l’Hôpital de Beauceville. Y prenait place une ribambelle d’enfants, aux visages have et dénués d’expression. Un patriarche à longue barbe blanche faisait claquer son fouet, mais le vieux cheval n’en avait cure. C’était paraît-il des bohémiens. D’où venaient-ils? Personne n’en savait rien. Pourtant, ils suscitaient de la méfiance et même une certaine frayeur. Certains se signaient à leur passage.

Ce n’est que depuis 1971 que le nom ROM est reconnu comme le nom légitime de ce peuple, qui, par ailleurs, s’applique à plusieurs ethnies. Ces nomades ont été connus à diverses époques et dans divers pays sous les vocables de romanichel, bohémien, gypsy gitan et tzigane. Même si beaucoup d’entre eux sont analphabètes, ils sont assez nombreux dans certains pays à parler plusieurs langues, notamment le romani, l’albanais, le serbo-croate et le turc.

Toutefois, il est très difficile de chiffrer leur population totale, du fait que lorsqu’ils sont pleinement intégrés dans un pays, ils cessent d’être ROMS et sont ainsi comptabilisés dans les données officielles. C’est pourquoi l’on estime que leur population totale peut varier entre 6 et 13 millions. On en trouve dans les pays suivants : France, Italie, Espagne, Turquie, de même qu’en Bulgarie, Tchécoslovaquie, Roumanie et Hongrie. Ils sont généralement orthodoxes, catholiques et musulmans. La plupart des historiens qui ont étudié ces ethnies, sont d’avis qu’ils sont originaires de l’Inde, et qu’ils auraient ensuite essaimé en Iran, en Turquie, et au Moyen-Âge dans les pays d’Europe. La littérature les évoque sous les traits d’Esméralda dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, et de Carmen de Prosper Mérimée, devenu un célèbre opéra. L’Espagne leur devrait également le flamenco. D’aucuns les disent descendants de Caïn, alors que pour d’autres, leur ancêtre serait Cham, fils de Noé.

Mais ce qui distingue particulièrement ces populations que l’on peut qualifier d’apatrides est une misère viscérale qui ne semble par les avoir quittés depuis leur apparition dans l’histoire du monde. Méprisés, chassés, tenus à l’écart et 200 000 d’entre eux exterminés dans les camps de concentration, leur sort ne s’est guère amélioré comme le montre l’exemple qui suit.

Dans le petit village de Vizuresti, près de Bucarest, vivent des ROMS dans des huttes dot le sol est boueux. L’un d’entre eux, Mihai Sanda, habite avec six membres de sa famille dans une seule chambre à coucher, l’autre chambre étant réservée aux poulets. La poussière et la senteur, le manque d’eau, d’électricité et d’égouts sont leur lot quotidien. L’analphabétisme est aussi de la partie. On cite le cas d’une femme de 34 ans, mariée à 15 ans, et qui n’a jamais fréquenté l’école. Mère de huit enfants dont quatre ne sont jamais allés à l’école, deux d’entre eux n’ont pas de certificat de naissance, car elle croit ne pouvoir les obtenir du fait que son document d’identité est expiré. A l’heure actuelle, on estime que 84% des ROMS en Bulgarie, 8% en Roumanie et 91% en Hongrie¸ vivent sous le seuil de la pauvreté. Plus les années passent, plus les ROMS s’éloignent de la modernité, sans compter qu’ils n’ont jamais eu un pays véritablement à eux. Aussi récemment qu’au cours des années 1850, on en trouvait encore qui étaient vendus comme esclaves dans les monastères. Un vieillard de 84 ans exploite un parc à ferrailles où des chevaux apportent des piles de métal rouillé précairement entassé. Tout est trié à la main et vendu à une usine métallurgique, Évidemment pas de gants, ni lunettes de sécurité, et ce propriétaire analphabète ne pourrait guère se conformer à une quelconque inspection.

En Europe de l’Ouest, les ROMS sont souvent considérés comme des pickpockets, des mendiants, des voleurs et pis encore. En excluant des millions de ces personnes de la population active, dont les familles comptent plus d’enfants que la moyenne¸ l’Europe elle aussi rattrapée par le vieillissement de sa population, gaspille un énorme potentiel humain.

Et pour finir, une anecdote révélatrice de l’état d’abandon de ces populations errantes : Ion Nila, est le directeur d’une école qui ne s’embarrasse pas de l’absence de documents pour inscrire les enfants à l’école, Des enseignants passent de porte en porte chaque matin pour inciter les parents à envoyer leurs enfants à l’école. Souvent, les parents n’ont pas d’argent pour acheter des chaussures à leurs enfants, Le directeur voudrait leur offrir comme stimulant un repas chaud le midi, mais il lui faut trouver l’argent pour le faire. La formation des instituteurs, les manuels scolaires et un programme spécial d’été, visant à préparer les 20 enfants les plus pauvres et leurs parents à la vie scolaire, sont des initiatives lancées par des organismes de bienfaisance, et non par l’État, comme l’on aurait pu s’y attendre.

Ce texte ne donne qu’une bien faible idée de la misère millénaire de ces populations. D’autres que moi, pourraient vouloir s’y intéresser. »

André Garant

Sources :

Dossier personnel

http://www.riaq.ca/?id=167&mnu=4

Beauceville, 1re Ville en Beauce, 1904-2004, page 422, André Garant