Faisant fi des intempéries de février, nos participantes sont venues, deux week-end d'affilés, écrire à La Fonderie.
Ces journées n'ont pas été qu'écriture, elles ont également été des moments de partage, de confessions et d'échanges. Très vite, une connivence s'est crée entre elles et les échanges, aussi bien ceux informels que ceux pendant l'atelier, donnaient peine à croire qu'elles ne se connaissaient pas quelques heures auparavant.
Je m’appelle Dounia et mon prénom je le détestais quand j’étais petite. Je voulais avoir un prénom de blanche comme mes copines à l’école : Louise, peut-être, Pauline, pourquoi pas, Juliette, oui j’aimais bien Juliette.
Le mien était dur à prononcer, personne ne le respectait : Bounia ? Julia ? Parfois, je mentais, pour que ce soit plus facile dans certains contextes.
« Oui oui, Julia c’est ça ».
Puis, en grandissant, j’ai fait la paix avec. Parce que j’ai vu des visages s’illuminer de joie en le prononçant. J’ai compris qu’il y avait des gens pour qui ce prénom n’était pas une bête bizarre, mais plutôt un beau souvenir : celui de leur mère, de leur cousine, de leur fille.
Dans mon prénom il y a plein de choses : ce qu’il veut dire pour la langue arabe, la vie, ce qu’il voulait dire pour mon père, sa vie, ce qu’il signifie aujourd’hui pour moi, ma vie.
Aujourd’hui mon prénom je le porte fièrement, comme un drapeau, je l’ai même fait tatouer, juste-là, près de mon cœur.
Je m’appelle Dounia, et mon prénom j’adore le dire.
Dounia Largo
10 minutes d'écriture - Début de texte imposé
Le travail dont je veux vous parler, c’est celui que je fais pour savoir c’est quoi mon travail.
Il y a bien celui qui paie mes factures, certes, mais je ne sais pas s’il me représente complètement.
Puis il y a celui que je fais pour le plaisir, mais il ne paie pas mes factures.
Quand on nous demande ce qu’on fait dans la vie, on sous-entend souvent par-là ce qu’on fait comme travail, dans le sens de métier.
Je vous avoue que je trouve ça réducteur.
Notre identité serait ainsi définie par ce qui est estimable selon une valeur financière. Notre valeur financière même. Quand on nous demande ce qu’on fait dans la vie, on nous demande au final : comment contribues-tu à la société ?
Mais moi je vous avoue que je ne sais pas comment ce qui paie mes factures, être chercheuse, contribue à la société.
Par contre, je sais comment je contribue comme sœur, comme fille, comme amoureuse, comme amie.
Alors, quand on me demande ce que je fais dans la vie, pour rendre justice à la fois à ce qui met du pain sur ma table et à ma quête de qui je suis en dehors de ça, je réponds : je cherche.
Dounia Largo
10 minutes d'écriture - Début de texte imposé
A : Je ne supporte plus les manières de la nouvelle collègue.
B : J'ai l'impression qu'elle ne fait aucun effort pour traiter les nouveaux CV.
A : C'est clair, sa seule occupation c'est de se faire les ongles toute la journée.
B : Au moins elle prend soin d'elle...
A : Je te jure, quelle conception du travail ! Alors que nous on se casse le cul ici !
B : Peut importe la situation, tant qu'elle peut être au centre de l'attention, c'est bon pour elle.
A : Tiens au fait, tu as entendu qu'elle a aussi un business
sur le côté avec le chef des RH ?!
B : Qu'est-ce que tu entends pas business ? C'est une technique pour se faire bien voir des supérieurs ?
A : J'ai hâte qu'elle se fasse virer ! Sinon je te promets que je ferai tout pour la pousser à la démission !
Marie et Adela
Claire : Qu'est-ce que c'est que ces manières, Daphné ?
Daphné : T'as qu'à rajouter insolence sur mon CV !
Claire : Et j'indique cela à quelle rubrique ? Après "occupations et hobbies ?"
Daphné : Je te laisse le soin de choisir, c'est ton boulot !
Claire : De toute façon dans ta conception, je gère beaucoup de chose... y compris ce qui ressort de tes responsabilités !
Daphné : Tu sais quoi Claire ? J'en ai ras-le-bol de cette situation ! Considère cette discussion comme la dernière !
Claire : Encore une fois, faut pas compter sur toi pour faire tourner le business si je comprends bien . Le bateau peut bien couler, Madame regarde passer les mouches...
Daphné : Ça y est, tu recommences ta technique de culpabilité ! Mais ça ne marche plus ! Il a cas couler ce putain de bateau !
Claire : Je te vois venir... Bientôt tu vas me lâcher que tu me remets ta démission... Trop facile... Tu peux toujours courir !
Dounia et Tanja
Dialogue écrit à deux - Chaque réplique ayant un mot imposé.
La Boite à vapeur
5h : Relève du service. Damien M. remplace Damien R.
Je suis fatigué ce matin putain, qu’est-ce que je suis fatigué. Je sais pas si mon thermos de café va me suffire. Bon, comment il m’a laissé la machine ? Putain, je le savais, il laisse toujours la porte arrière ouverte ce con. J’en ai ras-le-cul. Je sais qu’on a pas le droit de se parler, mais je me disais qu’il l’avait compris dans mon regard. Il a de la chance que je puisse pas lui adresser la parole tiens, je lui aurai dit ce que j’en pense ! C’est pas pour rien qu’on ferme les portes quand même, on doit maintenir un certain niveau d’humidité, c’est comme ça, c’est notre boulot même. S’il le supporte pas, il a cas changer de taff et puis c’est tout. Qu’il aille travailler dans la chambre froide tiens, on verra s’il fera le malin dans la chambre froide !
5h08 : État des lieux : taux d’humidité 86%, température 29 degrés. Vrombissement de la machine régulier. RAS.
Je suis déjà à la moitié de mon thermos, je vais jamais tenir toute la matinée. Si je m’endors je vais me faire virer, je peux pas me le permettre, j’ai plus aucun chèque alimentaire complet, j’ai besoin de cet paie.
5h16 : État des lieux : taux d’humidité 87%, température 29 degrés. Vrombissement de la machine régulier. RAS.
C’est vraiment dur ce matin, mes articulations me font la misère. C’est cette satané humidité. Est-ce que j’ouvre la porte pour prendre un peu d’air deux minutes ? J’ose pas. Je sais pas comment il ose l’autre, c’est vraiment pas loin de l’angle de la caméra, si on me chope je risque de perdre mon taff. Oh puis merde, prochain tour de caméra je file, juste deux minutes, ça peut pas être si risqué s’il le fait tout le temps l’autre couillon.
5h24 : État des lieux : taux d’humidité 88%, température 30 degrés. Vrombissement de la machine régulier. RAS.
Ok maintenant ! Attends elle est où la caméra ? Ok c’est bon, je dois bien avoir deux minutes devant moi ? La poignée de cette porte est brûlante bordel ! Hop l ! Oh qu’est-ce que ça fait du bien nom de Dieu.
5h32 : État des lieux : taux d’humidité 86%, température 29 degrés. Vrombissement de la machine régulier. RAS.
Merde, l’humidité est retombée. Comment il fait pour maintenir le niveau l’autre ? Bon, je réouvre plus la porte moi c’est bon, je veux pas perdre mon job.
5h40 : État des lieux : taux d’humidité 87%, température 29 degrés. Vrombissement de la machine régulier. RAS.
Ok on est bon, ça remonte. Faut que je secoue mes jambes j’ai des fourmis. Je dois encore attendre deux tours avant de pouvoir m’asseoir, ça va être dur. Je vais recompter la surface. 1, 2, 3, 4, hop, 1, 2, 3, 4. C’est mon petit bureau de 8mètres de carré au final cette boîte à vapeur. Ouais parce qu’ils font les malins, ceux qui travaillent dans la salle des chiffres. Ils disent rien hein, mais je les vois à la sortie, tout propres sur eux et leur nez en l’air là. Moi aussi j’ai mon bureau tiens ! Et je l’ai rien que pour moi-même, ah !
5h48 : État des lieux : taux d’humidité 88%, température 30 degrés. Vrombissement de la machine régulier. RAS.
Ok plus qu’un tour et je peux m’asseoir, ça va le faire Damien, prends sur toi.
Putain, je commence à m’appeler moi-même Damien. Alors que... alors que je m’appelle... Je m’appelle...
12h : État des lieux : taux d’humidité 92%, température 32 degrés. Vrombissement de la machine régulier. RAS.
Allez, c’est l’heure de quitter le bureau mon bon ! Une bonne journée ça. Et dans 61 jours j’ai enfin mon matin libre, ça fera du bien ! Je me demande ce que je vais faire de tout ce temps libre ? Peut-être aller m’offrir une glace à la crèmerie du quartier principal ? C’est quand même deux tickets ceci dit... mais si on est attentifs à nos dépenses et qu’on met de côté d’ici- là ? Ce serait chouette une glace... Bon, j’y réfléchirai demain tiens, ça m’occupera la tête ! Allez, à demain cher bureau !
12h : Relève du service : Damien G. remplace Damien M.
Dounia Largo
20 minutes d'écriture - Texte à partir de 5 mots tirés au sort
Quand j’étais petite, je travaillais mon personnage. Me déguiser, prétendre, être quelqu’un d’autre, jouer.
J’enfilais mes plus beaux costumes, parfois fait de plumes et de perles, souvent fait de morceaux de bois trouvés dans mon jardin. Ce qui comptait c’était l’enthousiasme, l’intention, l’innocence. C’était ça qui donnait sa force à mon personnage.
Je balayais le pinceau blanc sur mon visage pour me transformer, modifiait ma voix d’enfant pour avoir l’air sérieuse, saisissais une cartouche d’encre pour prétendre que je fumais une cigarette : « C’est que pour le jeu (souffle), je fumerai pas vraiment quand je serai plus grande ! ».
J’ai été une sorcière qui fabrique des potions de boue, un monstre qui mange des yeux, Jane de Tarzan, une dentiste pour mes frères, critique littéraire pour mes peluches, médecin légiste spécialisée en mouches, pilote de Formule 1 téméraire et directrice de cirque même.
J’ai eu mille métiers et mille vies avant même de ne savoir correctement faire mes lacets.
Je ne me suis jamais demandé enfant si j’étais légitime à faire tous ces métiers, si j’avais le droit, si je le faisais bien. Je faisais juste. Tout était évident parce que je n’avais rien à penser, juste à vivre.
Je ne dis pas que j’étais qualifiée pour être pilote ni même dentiste, mais j’étais capable de m’imaginer l’être, parce que rien dans la vie ne m’avait dit le contraire à cet âge-là. Les chemins possibles étaient infinis et je n’avais aucune crainte de les considérer tous.
Quand j’étais petite, je travaillais mon personnage. Aujourd’hui je le construis, je crois. Avec moins d’innocence, plus de peur, de doutes aussi. Peut-être que je devrais recommencer à jouer pour y croire, une cartouche d’encre entre les doigts : « (souffle) je suis anthropologue ».
Dounia Largo
10 minutes d'écriture - Début de texte imposé
Ma mère travaillait dans l’ombre : dans celle de mon père surtout, dans la nôtre aussi, et puis dans l’invisibilité que la société toute entière impose aux femmes discrètes, pourtant gardiennent du maintien de l’ordre familial, et, j’ose le dire, de l’ordre social même.
Quand j’étais petite je ne savais pas ce qu’elle faisait en dehors des murs du foyer familial. Pour moi elle était maman et c’était déjà énorme.
Quand on me demandait ce que je voudrais faire plus grande, je disais : « maman ». On me répondait que ce n’était pas un métier.
Il faut vraiment ne pas être maman pour dire que ce n’est pas un métier.
En grandissant, j’ai compris qu’elle n’était pas que ça.
Je me suis demandé comment elle faisait, comment elle avait fait toutes ces années.
Aujourd’hui, j’aimerai qu’elle se pose, qu’elle se repose, mais elle ne peut pas, ou elle ne veut pas, ou elle ne sait pas.
Ma mère travaille au passé, au présent et au futur, elle n’arrête jamais, pas de temporalité, juste un flux continu d’efforts.
Je crois qu’elle se dit que si elle arrête, elle risque de s’éteindre. Elle existe dans le mouvement.
Ou elle croit qu’elle n’existe que dans le mouvement.
Il n’y a qu’avec nous que réellement elle relâche. Assise au bout de la table, elle nous contemple tous les quatre, fruit de son dur labeur de son métier premier qui soi-disant n’en est pas un.
Dounia Largo
10 minutes d'écriture - Début de texte imposé
Abondammentateur, nom masculin singulier, qui désigne la profession de chargé d’abondance dans l’Univers. Lorsque toute personne spirituelle new age aligne correctement ses cristaux, allume sa sauge divine et fais sonner le gong de son bol de méditation, l’abondammentateur reçoit alors un signal cosmique, lui signalant qu’un individu a réclamé recevoir abondance de l’Univers. Celle-ci peut être demander dans différents domaines de la vie : argent, travail, amour.
À ne pas confondre avec « le bon menteur », qui est celui chargé d’écrire les livres sur la spiritualité new age susmentionnée.
Dounia Largo
10 minute d'écriture - Inventer un métier à partir d'un mot tiré au hasard
Ce que j'aime, quand je travaille ...
C'est les pauses. J'aime m'arrêter après avoir couru partout. Les pauses avec les collègues c'est bien mais ce que je préfère c'est m'arrêter toute seule au soleil. Quand je peux avec un café et une clope.
Le plaisir de l'après midi
Quand la vie se passe bien et que l'angoisse s'est dissipée. Je profite de ce jardin que j'ai tant désiré.
Si seulement ça pouvait toujours être comme ça.
Que l'on pourrait chanter à te-tête, conquérant le monde alentours... Siffler... musique légère... Qui me charme, moi, au réveil... entendre ces quelques notes évidentes s'immiscer en douceur dans mon chez-moi... La joie, un peu étrange, d'une voix inconnue d'un visage qui l'est tout autant... Une fulgurance sonore...
Mais il est beau aussi ce sentiment d'inconnu, terrifiant, un peu, mais aussi beau. Puis, parfois, il faut juste plonger dedans, se laisser porter, pas forcément faire confiance, mais y aller malgré tout. Alors je plonge !
Cadavre exquis - Adela, Dounia, Marie et Tanja,
Le travail c'est la santé ! Enfin...
La mauvaise santé ! La santé qui se dégrade, qui fait mal, parfois on tousse, aïe mon genoux, la mutuelle, puis celle dont on ne parle pas, la santé mentale, et tous les maux invisibles et honteux.
Quels sont-ils ? Ils sont nombreux, tapis dans l'ombre de nos angoisses. parfois, ils nous terrassent, arrivant à nous faire douter même de la légitimité de notre existence... Elle avait dit ces mots : "je n'étais qu'un bébé-pulsion, pour que maman se prouve qu'elle était capable d'être mère, elle aussi."
Elle a toujours hésité quand il s'agit de maternité. Qui veut vraiment mettre au monde un être qui n'a rien demandé. Quel égoïsme au fond, de voir avoir quelqu'un pour s'occuper de nous quand on sera vieux.
Plus on grandit, plus on devient indépendant mais en vieillissant c'est l'inverse. Mon grand-père a perdu en mobilité, puis il a perdu la tête et jusqu'à sa langue. Il a perdu la vie la semaine dernière.
Cadavre exquis - Adela, Dounia, Marie et Tanja
Ça fait des jours que je suis au bord de craquer. Je n’en peux plus.
Le plus dur ce n’est pas le travail, c’est de faire semblant. Porter ce masque pour rassurer les autres que tout va bien. Comme si quoi que ce soit pouvait aller bien.
C’est votre confort qui est dérangé par mon histoire, votre routine, vos petites habitudes ridicules, morceaux de quotidien qui font tenir ensemble une fragile image de pseudo stabilité.
Moi je viens bouleverser tout ça, quelle indécence de ma part. Oh pardonnez-moi, cher.ère.s collègues, d’avoir osé apporter ce fardeau au sein des murs jaunis de notre bureau à l’odeur de tabac froid.
Comme si le tableau d’avant moi était joli. Comme s’il faisait sens.
Si vous y croyez, et bien vous êtes pathétiques, et sinon, c’est que vous mentez. Alors, vous préférez quoi ?
Le silence d’avant moi, il était gênant, mais il était connu, familier, pas trop lourd.
Le silence que j’ai amené, c’est celui de la honte, de la pitié, un silence un peu gluant qui nous colle à la peau même après 17h et dont on se sent obligé d’en ramener un morceau à la maison.
Mais si pour vous c’est juste le silence qui a changé de texture, pour moi c’est tout. Et dans le fond de vos yeux plein de fausse compassion, je vous vois me juger.
Qu’est-ce que je les déteste vos petits yeux jugeant et fatigués.
Et vous aussi je vous déteste d’ailleurs, avec vos costumes mal coupés et ringards de toutes les teintes de gris possible, et vos chaussures bon marché qui couinent dans les couloirs quand vous allez chercher des verres d’eau à la machine, tout ça pour perdre 3 minutes d’un travail que vous détestez. Dites-le que vous détestez ce travail ! Dites-le que ce n’est pas à cause de moi au fond, que c’était déjà le cas avant.
Et puis même cette machine à eau qui goûte le fer je la déteste tiens, toujours trop froide. Et ce couloir qui semble plus long chaque fois que je le prends. Est-ce que quelqu’un rajoute des mètres en cachette ? Et ces fenêtres qui s’ouvrent mal, ce chauffage toujours en panne, cette chaise de bureau qui tombe vers l’avant et qui bloque, ce tiroir qui bloque, cette agrafeuse qui bloque, mon cerveau qui bloque.
J’aurai pu vous faire le plaisir de ne pas revenir. Ça vous aurait bien arrangé.
Et on en parle, de cette carte ridicule avec un ours bleu dessus, mal dessiné et d’un mauvais goût absolu ? Vos signatures apposées dessus, comme un témoignage d’une affection toute professionnelle : détachée, mais respectueuse.
Vous l’avez laissée dans mon casier, froidement, parce qu’aucun de vous n’a même eu le cran de me la remettre en main. Comme si mon contact était dangereux, comme si mon malheur était contagieux.
J’en peux plus de ce masque, j’étouffe à l’intérieur, et de toute façon ça ne préserve que vous, moi on s’en fout que je suffoque derrière, tant que je ne dérange pas les autres. Tant que je ne vous dérange pas.
Tant pis, je l’arrache, j’y laisserai un bout de ma peau tellement il y est collé, mais pour ce qu’il en reste.
Je cours à la fenêtre, j’ai dois forcer pour qu’elle s’ouvre, cette putain de fenêtre elle va s’ouvrir oui ?!
Hop ! Je le jette par-dessus et je le regarde dégringoler les 12 étages, dramatiquement. Il se retourne au vol et me regarde l’air de dire : mais t’es qui sans moi ?
Je me débrouillerai, je trouverai bien, je n’ai plus besoin de toi maintenant, je n’ai jamais eu besoin de toi.
Je lâche un soupir de rage et je me retourne.
Les yeux de mes collègues stupéfaits de découvrir mon visage, mon vrai visage, encore en sang. Dans ma tête, toute la musique est revenue.
Dans le bureau, tout le monde s’est tu.
Dounia Largo
30 minutes d'écriture - Fin de texte imposé
Le groupe d’hommes se tenait debout devant l’usine pendant que le reste de la foule de corps épuisés défilaient, la vapeur s’échappant de leur bouche marquant le froid de la saison.
L’un d’eux serrait fermement un papier au creux de sa main et jetait au-dessus de son épaule des regards inquiets.
-« Vas-y Robert, accouche, on se les gèle ! », dit l’un des hommes.
Pendant que certains se réchauffaient les bouts des doigts en soufflant dessus, d’autres faisaient des pas sur place pour éviter de laisser leurs pieds s’engourdir.
-« On est pas tranquilles pour parler de ça ici Pierrot ».
L’homme rangea alors brusquement le papier froissé qu’il avait dans la main dans la poche intérieure gauche de son manteau.
-« Tu proposes quoi alors ? Je peux pas vous avoir à la maison moi, ma femme va me tuer », dit l’un d’entre eux.
-« Allons à l’Estaminet de Jacques, on sera loin des regards curieux et des oreilles du Diable surtout ».
Le groupe d’hommes suivit Robert, l’homme au papier dans la poche intérieure gauche de son manteau, jusqu’au coin de la rue.
Le froid était glaçant, le bruit des pas dans la neige solennel, le ton était donné et la discussion qui allait suivre semblait sérieuse. Aucun mot ne fût prononcé sur le trajet séparant l’usine du café du coin.
Dans le brouillard de décembre, le panneau lumineux de l’établissement servait de point de repère au groupe pour se guider. Bien que le froid le fasse clignoter, sa couleur rouge vive brillait dans le noir comme un phare appelant les marins à l’appel, celui de la bière.
« Wiels, high quality beer », indiquait le panneau.
Tous les hommes regardèrent un bref instant l’enseigne, pas certains de cette histoire de qualité, mais certains qu’ils y trouveraient en tout cas quantité, et, avec ce froid, c’est tout ce qui leur fallait.
Une fois à l’intérieur, les rires gras se mêlèrent aux voix fatiguées des hommes de l’usine.
Robert dirigea le groupe tel un troupeau au fond du bar et leur indiqua une table à l’écart du reste de la foule.
-« Ici, on sera bien ici ».
Une fois assis à la table, les hommes commencèrent à retirer doucement leurs gants et bonnets.
Bien installés, tous tournèrent leurs regards vers Robert, maître de la discussion à laquelle ils avaient été convié, dans l’attente d’en savoir plus.
-« Bon alors mon vieux, il parle de quoi ce petit papier si secret ? Tu vas nous le dire maintenant ? », demanda Pierrot.
Robert regarda une dernière fois autour de lui pour être sûr que le boucan du bar servirait à étouffer sa confession.
Il glissa sa main usée dans la poche, intérieure gauche, de son manteau et en sortit le papier froissé.
Du plat de sa main il en lissa les contours et le tenu ensuite du bout de ses doigts presque tremblants face au groupe d’hommes.
Il aperçut dehors que le panneau lumineux de la brasserie avait cessé de clignoter, comme un signe qu’il pouvait y aller. Ou en tout cas c’est comme ça qu’il l’interpréta.
Il pris un profonde inspiration et dirigea son visage vers le reste du groupe.
-« Ce papier, mes camarades, c’est une invitation. Une invitation à faire la grève ».
Dounia Largo
20 minutes d'écriture - Texte à partir d'un objet choisi dans l'exposition permanente
Le travail c’est un mot de 7 lettres, qui contient 7 heures d’effort, parfois moins et souvent plus, un truc un peu flou, parfois payé et souvent non, un truc un peu fou, où on échange notre temps contre autre chose et où on échange ensuite cet autre chose pour remplir le temps qu’il nous reste. Le travail ça vous isole, puis parfois ça vous connecte, le travail c’est un gros mot, et en même temps c’est une fierté, le travail c’est un continuum infini de tâches finies qui s’enchainent. Le travail je ne sais toujours pas ce que c’est, et sûrement que lui ne sait pas qui je suis, parce que je fais ce que je peux pour l’éviter, et pourtant chaque jour je lui parle.
Dounia Largo
10 minutes d'écriture - Début de texte imposé
Il y a deux chaises blanches aux pieds en bois, style scandinaves certain.e.s disent. Elles entourent une table en verre avec le socle en rotin. Je me demande si ça va bien ensemble, parfois ça me choque, la plupart du temps je m’en fous. Le frigo fait du bruit dans le coin de la pièce, la lumière du soleil tape de plein fouet et dessine, à mesure que les heures de la journée défilent, des motifs uniques et éphémères sur ma collection de bouquets de fleurs séchées, elles-mêmes placées dans ma collection de vases.
Je suis pas peu fière de mes collections, elles remplissent ma vie et définissent un peu qui je suis. Il y a la machine à café qui me nargue : « Encore un pour la route ? », et mon paquet de tabac qui me tente : « Petite pause clope ? ». Il y a mon chien qui dort à mes pieds et qui me rappelle de temps à autre que se lever c’est bon pour la santé. Il y a le plafonnier qui est un peu sale, je l’aime beaucoup. Il est basique, blanc, en métal. Il me donne l’impression que je suis dans un film d’auteur, surtout quand je fume à l’intérieur et que les volutes de fumée se mêle à la lumière faible de l’ampoule poussiéreuse.
Il y a des tâches sur les meubles blancs qui me donnent envie de procrastiner mon travail pour nettoyer la pièce. Mon bureau c’est ma maison. Ou ma maison c’est mon bureau. Parfois mon bureau c’est ce café du coin, de temps en temps cette bibliothèque, du coin aussi. C’est marrant tous ces coins de rue où je m’installe. Comme pour toujours avoir une vue d’ensemble sur les différentes directions possibles.
Mon bureau je peux l’installer un peu partout, tant que j’ai du jazz dans les oreilles, un bic et une feuille. C’est cliché le jazz, je sais. Mais c’est ma cloche, si j’étais le chien de Pavlov. Les premières notes donnent le ton : « On s’y met ». Je ne pourrai plus écouter du jazz dans d’autres circonstances d’ailleurs. Je crois que finalement mon bureau c’est le jazz.
Dounia Largo
10 minutes d'écriture - Décrire un lieu de travail familier
Ce café, cette clope, cette amie, ma mère, cet appel, ce regard, cette main, cette odeur, ce rayon de soleil, ce jeans qui tombe comme il faut, ce sms, ce sourire à un inconnu dans le bus, cette dame qui cueille de la lavande et sent ses mains, ce chien qui embrasse son maître, cette chanson que j’avais oubliée, ce croissant chaud, cette étreinte qui calme tout, ces oiseaux qui dansent dans le ciel, ces feuilles qui dansent au sol, moi qui danse dans ma chambre, mon frère, qui est mon meilleur ami, mes meilleures amies, qui sont comme mes sœurs, ces quelques lignes d’un nouveau livre, cette sieste de l’après-midi, ce chaï latté à la cannelle dans une tasse en forme de père noël, cette bière fraîche, cette clope encore, le tram qui arrive juste à temps, ce bébé qui rigole, ce couple qui se dévore du regard, le bruit des skateboards, les rires des gens au parc, cette pizza qui dégouline de fromage, mon chien qui me saute dessus de joie.
Certaines de ces choses sont des souvenirs, mais elles continuent de me rendre heureuse parce qu’elles ont existé et continuent de vivre en moi. Ces petites choses je les note, sur des petits papiers, que je mets dans un petit pot, et, de temps en temps, quand je doute, j’en pioche un : « Le coucher de soleil rouge pendant ma promenade ». Et comme du baume sur mon âme, je suis soudainement apaisée par ces petits bouts de beauté et ces fragments de joie, parce qu’alors je me souviens que les jolies choses existent, quand j’arrive à ouvrir mes yeux et mon cœur pour les voir.
Dounia Largo
10 minutes d'écriture - "Aujourd'hui j'ai mille raisons d'être heureuse... "
Les montagnes,
Diamants roses,
Mères généreuses,
Chanter la terre,
Danser le ciel,
Trouver la nuit,
Voir le jour,
Aimer la pluie,
Avant c’était moi pour lui,
Heureuse,
Maintenant c’est lui contre nous,
Seul,
J’y ai cru.
Les montagnes,
Diamants noirs,
Père fier,
Payer la terre,
Crier le ciel,
Prier la nuit,
Déplaire au jour
Comprendre la pluie,
Avant c’était bien,
Avant c’était avant.
Dounia Largo
1 heure d'écriture - Texte écrit à partir d'une liste de mot
Il était une fois, une couturière...
Elle passait ses journées courbée sur sa machine. Tandis que dehors le monde continuait de tourner.
C'est ça qui est super avec les manèges, ça tourne tout le temps. La musique ne s'arrête jamais.
Elle est, pour moi, un remède aux douleurs de l'âme. Notes légères ou mélancoliques, il existe toute une pharmacopée musicale...
Quel drôle de concept quand on y pense ! Et pourquoi pas après tout. Bon où j'en étais moi déjà ?
Ah oui, je dois aller chercher la petite à l'école... Elle était super chiante ce matin !
Je pense que ça ne se passe plus bien à la maison, elle a trop de travail ! Plus de vie de famille.
Je crains qu'elle n'arrive au burn-out d'ici la fin d'année. D'autant que ce n'est pas à son boss qu'elle peut s'ouvrir sur son sentiment de surmenage.. !
A ne pas confondre avec le sur-ménage, cette maladie qui rend les gens maniaques à la propreté !
C'est une maladie de notre temps, j'ai hate qu'on aille vivre sur une autre planète.
Cadavre exquis - Adela, David, Marie et Tanja
Il était une fois, un chaudronnier ...
Dans une contrée lointaine, il exerçait, mettant du cœur à l'ouvrage. Un jour, une vieille femme frappa à sa porte...
Elle s'empressa de lui ouvrir, les deux femmes se regardèrent longtemps avant d'ouvrir la bouche.
Sans savoir laquelle des deux tenait la cerise, il faudrait que quelqu'un tranche.
Ce n'est quand même pas à moi de décider ! Où alors il faut que j'ai le salaire qui va avec !
Parce que ce n'est pas rien toutes ses responsabilités qui empiètent sur mon temps de vie privée...
Si je pouvais, je passerais beaucoup plus de temps avec les enfants. Je partirais bien à la mer avec eux.
Ça me manque l'air salé et le soleil. Si seulement je pouvais vivre là-bas pour toujours.
Ce serait peut-être ça le bonheur finalement ? La paix intérieur, sans soucis ni tracas, sans peines...
En mode totale zénitude, relax max, détendu.e du slip... Espérer, même un jour, pouvoir dé-com-pres-ser !!
Cadavre exquis - Adela, David, Marie, Tanja