Covid-19

Nous sommes le mercredi 18 mars 2020, et ça y est, après un hiver pluvieux, gris et pas assez froid pour avoir de la neige, et néanmoins trop nuageux et humide, en bref trop long et bien déprimant, le printemps est enfin là!

En plus, les consignes de confinement me libèrent de toute obligation professionnelle, en tout cas psychologiquement.

Je peux donc faire ce que je veux et profiter pleinement du temps qui s'offre à moi.

Ce matin, j'ai donc enfourché mon vélo pour aller faire, une dernière fois, les magasins. Et puis, surtout, pour rouler sans but, sans raison ni justification.

Je me suis rendu jusqu'à l'ascenseur des Marolles et j'y ai apprécié un magnifique point de vue sur la ville. Libérée d'une bonne partie du trafic et du bruit qui d'habitude la congestionne.

Et cette après-midi, me voilà tranquille chez moi, sur ma terrasse, au soleil.

Un petit café, un carnet, un bic et c'est parti. Mon bonheur je le couche sur tes lignes, précieux petit carnet, et il est très simple.

Ah, quelle délicieuse invention que l'écriture...

Et puis, dans la cour intérieure du building où j'habite, les enfants des voisins jouent. Quelle douce musique à mes oreilles que ces voix enfantines. Rares et précieuses. Fallait-il nous confiner pour les retrouver?!...

Et mon coloc vient de ressortir la vieille guitare qui, dans un coin du salon, trônait, remplie de poussières, depuis des années.

Oh oui, aujourd'hui j'ai mille raisons d'être heureux.

Philippe

10' d'écriture - thème imposé

Le travail d'éboueur a changé d'image. Quand j'étais petite, combien de fois ai-je entendu "Si tu ne réussis pas à l'école, tu seras éboueur". Maintenant, depuis le covid, on est fiers des éboueurs et encore mieux que cette fierté collective : ils sont fiers d'eux-mêmes.

Fiers et heureux comme des baigneurs sur plage. Laissant leurs empreintes de pieds sur le sable mouillé et exhalant des arômes iodés.

Ces arômes me font penser aux côtes basques où j'ai passé ma jeunesse loin de la froideur de Bruxelles, où on peut sentir des arômes de curry, de la tomate, de la sauge ou encore de la friture, largement suffisant pour me faire apprécier Bruxelles multiculturelle autant que mon pays basque natal.

Angela, Mélanie et Jennifer

Texte écrit sur le principe du cadavre exquis

Geignardiseur-se ,

Le métier existe depuis longtemps. La geignardiseuse est chargée de mettre la discorde dans les ambiances un peu trop joyeuses. Geignardire auprès des couples en harmonie, permet à ceux-ci de réaliser leur folie. S’aimer sans jamais douter de l’autre est une grossière erreur que la geignardiseuse s’évertuera à rectifier. Elle aura de longs débats avec le plaintagore, qui arrivera à plaintardiser la situation mais n’empêchera nullement la geignardisation générale. L’être humain a besoin de la geignardiseuse , elle est à même de leur enseigner la bonne méthode. C’est tout un apprentissage auquel certains s’adaptent facilement. D’autres y seront rebelles mais la geignardiseuse pourra les mettre sur la bonne voie avec quelques geignementeries incontournables.

Le geignardisus est un virus encore mal connu mais qui dans ces temps de confinement se développera très rapidement.

Jeannine

10' d'écriture

consigne : inventez un métier inédit

Ils sont là, fidèles au poste, à ramasser nos déchets, nos ordures, nos impolitesses, particulièrement en ce temps de crise : gants de latex, masques jetés à terre, et…tant pis pour les autres.

Ils viennent de tous les pays, de chez nous aussi, obscurs, sans grades, oubliés et indispensables, les balayeurs de rue de nos grandes villes.

Je les apercevais de derrière les vitres du bistrot où j’allais prendre mon café et je les côtoyais l’hiver, quand ils y entraient se réchauffer un peu et déposaient sur les radiateurs leurs gants trop légers pour la saison.

Toujours présents, je les rencontre lors de ma promenade très matinale avant de me confiner pour la journée : Mamadou, venu du Sénégal, 22 ans peut-être, qui espérait tant trouver ici autre chose, mais content quand même, et qui me fait le cadeau de son sourire éclatant: « Bonjour Mama, ça va Mama? »; Ruffin, de la Guinée-Conacry, il gratte à longueur de temps les affichettes et les tags des poteaux de signalisation accompagné de son éternel alter ego, Mohamed : on s’arrête un moment pour bavarder. Je leur demande si ils n’en ont pas assez de faire ça: « Tu sais, on est content, on a du boulot, pourquoi on ne serait pas content ? »

Momo, arrivé d’Algérie, il y a bien longtemps déjà, installé, sans travail et puis…CPAS, article 60, il a ce boulot. Il a balayé les rues de Saint-Gilles 15 mois. Puis la peur s’est insinuée en lui : qu’allait-il advenir de lui après ces mois-là? Il partageait avec moi, ses « Petit Prince » au chocolat.

Puis il a disparu de ma vie. Quelques mois plus tard, on s’est rencontré : il ramassait les poubelles, puis quelques mois encore, et il m’a saluée de loin avec un sourire joyeux, au volant du camion de ramassage qu’il conduisait : la partie était gagnée.

Il y a Paolo aussi, Portugais, depuis 25 ans chez nous, charmeur, charmant et d’une méticulosité sans pareille. Jamais nos rues de Saint-Gilles n’avaient été si propres. Christian, Belge qui conduit ces drôles de petites voitures accompagné d’un acolyte pour changer les sacs des poubelles métalliques de nos rues.

Il y a quelques femmes aussi et chapeau, mais je ne les ai pas beaucoup rencontrées ici.

Ils sont souvent le sourire de ma journée, alors, pensons à les saluer, à remarquer leur travail, nous qui aurions tant aimé être remarqué-es dans le nôtre parfois: chacun de nous participe à cette chaîne, et aucun de nous, ni roi, ni prince, ni patron, ni employé ou ouvrier, ni femme au foyer, ni jeune entrepreneuse, ni étudiante ne peut survivre sans l’aide des autres.

Mona

10' d'écriture - thème imposé

Les bus circulent. Je les vois passer régulièrement près de chez moi. Des longs bus jaunes et gris, avec articulation en extension. Le terminus en correspondance avec le métro est proche. En temps normal, ces bus sont toujours bondés aux heures de pointe : à 8h bureaux et écoles, à 17h écoles et bureaux. Les chauffeurs parfois patiemment, parfois en haussant la voix, essaient de convaincre les passagers de se déplacer vers l’arrière. Ces chauffeurs, en fin de parcours, ont quelques minutes de répit pour se détendre, fumer une cigarette, passer un appel téléphonique ou juste quitter le siège du véhicule pour respirer, se dégourdir les jambes.

En temps normal tout se passe ainsi. Aujourd’hui nous sommes en confinement. – « Restez chez vous ! tout le monde à la maison».

Ces chauffeurs sont toujours au travail mais - chose étrange - les bus sont vides. Vides... désespérément vides. En les voyant passer, je pense à la solitude du conducteur dont la mission première est de transporter les personnes, de servir le public. Comment vit-il cette situation incroyable ? A qui parle-t-il ? Pas de cohue, personne ne lui dit bonjour. Personne ne lui fait signe à l’arrêt. Ce chauffeur de bus m’émeut, je compatis mais je suis rassurée pour lui, les contacts sont rares.

Restez chez vous, restez à la maison ! Et lui, il travaille.

Jeannine

10' d'écriture - thème imposé

Règlement de travail qui fut édité le 13 mars 2020, début du confinement général.

Le personnel de la firme SNIFNOC fut invité à suivre scrupuleusement le règlement de travail, affiché dans la valve bleue du long couloir jaune menant à la réception, guichet d’accueil client protégé par une vitre blindée et équipé d’un micro.

Le personnel fut obligé de se conformer immédiatement à ce règlement de travail incontournable. Des réactions d’étonnement suivirent dès que ce texte apparut blanc sur noir dans les locaux de la cantine. Ce local, lumineux et décoré de dessins naïfs d’enfants du personnel, fut propice à discussions et débats animés où chacun put prendre note de la nouvelle organisation de travail de la société SNIFSNOC.

Les personnes furent placées en trois catégories :

  • Poids plume : moins de 50kg,

  • Poids moyen, entre 50 et 90 kg,

  • Obèses, plus de 90kg

Les poids plume reçurent la responsabilité de cuisiner, en particulier des plats gastronomiques en sauce, des succulentes pâtisseries crème au beurre, choux à la crème fraiche, gâteaux au chocolat, tartes au sucre, etc.

Plusieurs pauses dégustations furent ordonnées dans cette catégorie privilégiée de poids plume ce qui les fit rapidement basculer dans la catégorie supérieure.

Les poids moyens, de taille plus développée que celle de leurs collègues, firent du télétravail tous les après-midis. Ils exécutèrent par contre avec modération des corvées ménage et intendance générale en début de journée. Les repas généreux et raffinés se partagèrent avec les poids plume, mais ces derniers eurent droit à deux desserts.

Les obèses par contre furent exonérés de télétravail mais reçurent la lourde tâche de faire les travaux de maintenance et d’entretien de la société SNIFSNOC. Les carrelages brillèrent comme jamais, les sanitaires rutilèrent de toute leur blancheur, les poubelles blanches, jaunes et bleues s’accumulèrent en vue de les transporter à bout de bras au fond du couloir jaune. Ils s’aperçurent à cette occasion combien ce couloir était de toute évidence anormalement long, même si joliment décoré de couleur vive. Les pauses repas des obèses n’eurent lieu que grâce à la récupération de quelques rations abandonnées par les collègues des deux premières catégories.

Ce règlement fut respecté scrupuleusement durant le temps interminable du confinement, mais le résultat ne se fit pas attendre. Le personnel de la société SNIFSNOC en sortit en pleine forme et approuva à l’unanimité la formule originale de ce règlement de travail éphémère qui prit court ce 13 mars 2020.

Jeannine

40' d'écriture - thème et genre imposés

Mon premier salaire vraiment à moi seul, tout fier indépendant parentalement et habitant enfin ma chère commune d’Ixelles , je m’en souviens parfaitement. C’était un beau chèque de la Poste de 18000 francs tout rond. Seulement, la Poste au logo bien rond en trompette était lente à l’époque ou du moins son administration un peu carrée. Qu’importe, influencé peut-être par le logo (pardon, le blason) arboricole de ma nouvelle commune, je me sentais fort comme un arbre (un aulne, pour être précis), prêt à résister à toute tempête.

Ma réserve ayant fondu comme mon arrogance juvénile, je dus humblement emprunter une somme oubliée mais accablante pour mon ego, à ma famille hilare, pour payer honteusement mon loyer, en attendant ce premier chèque tant attendu. Et ce ne fut que le début d’une incompatibilité réciproque , mon job était pénible et les conditions aberrantes. Je devais impérativement être à 6 heures au plus tard au poste. De 6 heures à 7 heures, pas de chauffage dans le bâtiment, le chauffage c’était pour les huiles. Il y avait bien quelques corvées matinales, qu’on faisait en manteau, bonnet et gants. Ah, elle était fière la Poste de cette époque dieu merci révolue. Les syndicats ? Abonnés absents à ce moment là mais ils se sont réveillés quelques mois après mon départ précipité. La Poste est passée d’un bond d’un système féodal du travail et de la communication à une société moderne branchée sur la rentabilité. Vous me demandez si je voudrais y retravailler au XXIème siècle? Pas une minute, merci bien! . Même l’idée est une lettre morte.

Mais finissons l’histoire du susdit chèque par sa livraison par la susdite Poste. A l’époque, je parle du XXème siècle , pas du Moyen-Age, le bureau de Poste dans lequel le courrier non distribué devait être récupéré dépendait du nom de la rue concernée par le pli. Ma rue d’habitat était à environ 100 mètres de mon lieu de travail, mais la poste qui gérait ma rue était à l’autre bout de la longue rue où je peinais, chargé de corvées. Ironie du sort, ce bureau n’était pas ouvert le samedi . Sans rire du tout, j’ai donc du prendre un demi-jour de congé pour aller chercher mon petit chèque à cette petite mini Poste que je ne connaissais d’ailleurs pas. Une chance que j’avais des jours de congés à prendre.....

J’ai bien essayé ensuite de faire arriver mes recommandés à la poste si proche de mon domicile mais ce fut lettre perdue, sans tambour ni trompette mais avec un sonore son de cor , la réponse resta un NON catégorique. Et dire que mon papa, lui, a tenu 40 ans dans ce corps, j’ai toujours sa casquette ornée d’un cor de chasse doré.

Sans regret, mais je lève mon képi en passant et en pensant à tous les ex-collègues en poste à la Poste 2020, car comme les forces de l’ordre, les transporteurs, les soignants et tant d’autres courageux , ils font leur travail à risque et je constate que corona ou pas j’ai eu mon courrier deux jours de cette semaine où tout semble pourtant immobilisé.

Daniel

40' d'écriture - genre imposé

De la fenêtre de ma chambre à coucher, je peux voir ma mini rue et une courbe d’une chaussée animée. Mais peut-être devrais-je dire une rue qui était animée avant le corona.

Désormais la rue est plus calme, mais deux circulations sont restées similaires. Les bus sont vides et tristes mais passent toujours et les camionnettes blanches sont toujours omniprésentes. Toutes marques confondues, je serais curieux de savoir combien de camionnettes blanches il y a dans les pays proches : dans le Benelux, en Allemagne et en France?

Elles doivent être moins chères que les autres couleurs car, à part les vieilles camionnettes brunes, survivantes d’un autre temps, toutes les camionnettes qui livrent les paquets semblent être obligatoirement soit blanches soit blanches avec des logos et/ou textes rouges. Elles ont souvent des coups, des griffes et montrent qu’elles en voient de toutes les couleurs......

Et les chauffeurs livreurs sont vraiment majoritairement noirs, mais d’une diversité de styles étonnantes. Certains portent bien leur gants et masques et sont très disciplinés quant à leur manière de livrer. Ils sonnent et déposent le ou les paquets devant la porte. D’autres les donnent à celui qui ouvre la porte, même si c’est quelqu’un qui sort par hasard au moment d’arrivée. J’en ai vu un seul qui parlait au client et qui a scanné le code-barre quand le client tenait la boite. Avant la crise du virus corona, certains sonnaient à toutes les sonnettes du bâtiment et aussi bâtiments voisins et le premier ouvrant une porte était l’ heureux élu bénéficiaire intermédiaire. J’ai ainsi découvert trois voisins que je n’avais encore jamais vus ni entrer ni sortir de chez eux. Seules les poubelles prouvent parfois que les maisons sont bien habitées. Certains livreurs courent, semblent danser, jongler avec leurs paquets, un vrai ballet à domicile!

Certains mettent des remerciements aux courageux livreurs et postiers et donnent sans hésiter la consigne de déposer tous les paquets devant la porte, sans même sonner. Des gens qui guettent les camionnettes blanches ou des gens qui vivent en toute confiance? Les grands sacs de courrier sont également déposés en toute confiance, les caméras ont-elles découragé les voleurs?

On remercie visuellement les gens qui soignent et c’est bien mérité mais des autres petites mains (et jambes) moins remerciées sont aussi importantes, les livreurs, les camionneurs, les gens dans les dépôts qui chargent les camionnettes et camions, mais donc ce jour je remercie particulièrement tous les livreurs, en véhicules blancs ou véhicules plus écolos, les vélos-livreurs qui deviennent vraiment de plus en plus nombreux et c’est très bien. La fleuriste locale a fermé mais livre gratuitement (en camionnette blanche) ses fleurs, le boucher local est moins généreux, gratuit à partir de 25 Euro (peut-être livraisons en vélo, je l’ignore). Les pizzas étaient déjà livrées gratuitement ,soit en motos soit désormais aussi à vélo.

Daniel

10' d'écriture - thème imposé

Un petit conte d'aujourd'hui

De retour chez elle, après avoir fait rapidement les courses comme elle le faisait une ou deux fois par semaine, Pénélope se retrouva seule, comme tous les jours désormais, "confinée" disaient-ils à la radio. Jusqu'il y a quelques semaines, elle n'avait jamais entendu ce mot étrange, qui ne lui évoquait strictement rien.... si ce n'est la première syllabe, bien plus familière à ses oreilles. Il est vrai que la langue française semblait souvent bien mystérieuse à Pénélope : elle avait appris à la parler dans la violence et la précipitation d'un exil forcé, lorsqu'elle avait dû fuir le "régime des colonels" de sa Grèce natale et trouver refuge en Belgique, il y a des décennies. De ce pays béni des dieux antiques, au ciel myosothis et à la vigne profuse, où la mer toujours semble encadrer la vie, elle gardait un accent tenace, des souvenirs de plus en plus confus et ce prénom qui, depuis son arrivée dans son pays d'adoption, avait toujours suscité une abondance de commentaires où il était invariablement question de patience, de tissage et de fil!

C'est par ce biais, si j'ose dire, que l'idée lui en vint : elle qui n'avait jamais cousu (ou si peu!) de sa vie, elle rassembla les quelques coupes de tissu oubliées dans un coin de son appartement, les fils et élastiques nécessaires, et puisqu'il n'était plus question que de masques, elle allait en coudre, à la main, bien entendu! Elle s'y appliqua avec un tel soin qu'elle ne vit plus passer le temps, elle qui, dans sa solitude, le trouvait si long depuis toutes ces semaines confinées. Ces masques, qu'on s'arrachait si je puis dire, lui valurent une belle considération dans le quartier en même temps qu'ils lui permirent de retrouver un peu le mythe de ses origines.... Jusqu'au jour où, dans la maison voisine, s'installa une famille chinoise, bien sympathique au demeurant, mais qui disposait d'une rutilante machine SINGER d'une redoutable efficacité. Ils s'adonnèrent à une fabrication tellement intensive qu'on oublia complètement Pénélope, désormais triste et désoeuvrée...

LA MACHINE AVAIT PRIS LE PAS SUR L'HOMME.

Christiane

30' d'écriture - dernière phrase imposée

Acte 1 scène 1

Les personnages : Bertrand, en costume cravate, debout, et Carole, assise devant une machine à coudre.

Bertrand. – Laissez moi vous lire, chère Carole, le règlement de travail relatif à notre atelier tout neuf de confection de masques.

Carole. – Oh je vous en prie, mon cher Bertrand, je suis tout ouïe.

Bertrand. – Article 1, les activités de l’atelier étant considérées comme indispensables et urgentes en ces temps de coronavirus, il est établit que le dit règlement aura une valeur supérieure à toute loi réglementant habituellement le droit du travailleur, aucune contestation ne sera donc acceptée.

Carole, confiante. – Mais c’est tout naturel mon cher Bertrand.

Bertrand, solennel. – Article 2, les ouvriers seront tenus d’arriver chaque matin à 7h, et de ne quitter l’atelier qu’à 18h.

Carole, étonnée. – Oh c’est bien tôt, et bien tard.

Bertrand, ignorant la remarque. – Article 3, les ouvriers seront rémunérés sur base des dons laissés au bon vouloir des clients.

Carole, inquiète. – Pas de rémunération fixe ?

Bertrand. – Ne m’interrompez pas Carole. Article 4, si les dons ne sont pas suffisants pour constituer un salaire correct, le travail de l’ouvrier sera considéré comme insatisfaisant, et une amende de 10 euros pourra lui être demandée (en dédommagement du matériel gâché).

Carole, gigotant et pleurnichant. – Mais Bertrand, les temps sont durs pour tout le monde !

Bertrand, à part. Cette petite idiote n’a pas encore compris à quelle sauce je compte la manger.

Carole, cherchant son téléphone. – Bertrand, puis je prendre le temps de réfléchir à cela ?

Bertrand, élevant la voix. – Non, madame, scélérate ! Malhonnête ! Le travail bien fait vous effraie-t-il tant que cela ?

Carole, hésitante. – Certes non mais…

Bertrand, criant – Alors signe !

Du bruit très fort se fait entendre de derrière la scène, apparaissent trois personnages grimaçant.

Bertrand, apeuré. – Mais qui êtes vous ? Dehors !

Les personnages, en chœur. - Nous sommes ta conscience, ta honte et la loi, et nous venons te faire passer un mauvais quart d’heure.

S’adressant au public : - « Qui c’est le profiteur malhonnête ? »

Le public. - « Bertrand ! Bertrand ! »

La scène prend des allures de Guignol, les personnages et Carole se mettent à danser autour de Bertrand, qui se recroqueville.

Bertrand. – Démasqué, me voilà tristement démasqué.

Rideau

Madeleine

60' d'écriture

Forme et thème imposés

La pièce dessine un carré parfait, pas très grand, 4 mètres sur 4 à vue de nez. Des bibliothèques presque sur tous les murs du sol au plafond qui concrétisent un rêve de petite fille amoureuse des livres. Un rêve exaucé à plus de 50 ans. Une grande bibliothèque avec des vitrines et des collections : celle consacrée aux romans, à la littérature, une armoire entière pour le yoga et la spiritualité, une autre dédiée au féminin, au féminisme, à la maternité et à la santé des femmes, celle pour contenir les livres de psychologie, l'hypnose et les thérapies et aussi les étagères fourre-tout avec la philosophie, les essais en tous genres et les inclassables. La poésie et les guides de voyage sont ailleurs, rangés dans ta chambre à coucher.

Lorsque vous avez acheté la maison, tu y avais installé ton bureau, avec un téléphone, fixe. Tu télétravaillais à une époque où cela ne portait pas encore ce nom, je crois. Pourtant, il y a moins de 20 ans mais les choses changent si vite, comme les enfants. Les jumelles avaient 2 ans et les garçons 5 et demi et 8 ans. Le bureau était en chantier, les murs n'étaient pas plafonnés, la cheminée, qui n'était plus en activité, était encore recouverte en partie de marbre noir et le sol, recouvert du dallage en damier noir et beige qui dépasse encore aujourd'hui de la moquette épaisse.

Il a fallu quelques années pour que tu décides et que tu affirmes que ce serait ta pièce à toi. Tu l'avais d'abord dessinée au pastel en saturant les jaunes pour figurer la lumière qui baigne la pièce toute la matinée quand il fait ensoleillé. Les mots de Virginia Woolf et le titre de son essai Une chambre à soi t'avaient aidée à mûrir ton projet. Ses mots étaient porteurs d'une promesse pas encore accomplie : "...une femme doit avoir de l'argent et une chambre à elle, au cas où elle serait appelée à écrire de la fiction."

Tu as engagé les travaux, plafonnage, peintures - du rose blush sur un mur et du rose pâle dragée sur les autres. Au plafond, vous avez accroché le lustre en verre soufflé parme de marraine qui a enfin trouvé sa place. Tu t'es offert une photo noir et blanc de Nicolas Springael, un guépard. Tu étais sûre que c'était une femelle et que son énergie t'inspirerait. Cela t'avait rappelé le film Catwoman avec Nastassja Kinski que tu avais vu plusieurs fois en salle à 20 ans.

Tu donnais déjà des cours de yoga à l'époque et tu gérais ton asbl mais la plupart du temps tu travaillais dans la cuisine. C'est une habitude que tu gardais de l'enfance et qui exaspérait ta mère. Elle se demandait toujours pourquoi tu ne faisais pas tes devoirs dans ta chambre. Avec le recul, tu sais que te retrouver seule en silence te mettait face à ton anxiété envahissante. Tu recherchais sa présence et à défaut de sa chaleur- une qualité qu'elle ne possédait pas - il y avait celle des fourneaux et les bruits rassurants des ustensiles et le bruit de fond de la radio.

Tu as apprivoisé l'espace quand tu as commencé à recevoir ta patientèle en thérapies brèves et hypnose. Pour l'essentiel des femmes enceintes et des couples autour de la naissance de leur enfant. Tu as choisi pour toi le petit fauteuil ancien que tu as fait rénover dans lequel tu es bien assise mais où on ne peut s'affaler. En face de toi, pour l'hypnose et le confort des femmes enceintes, tu as choisi le classique Poang d'Ikea qui a fêté ses 40 ans. Tu t'étais intéressée à son designer japonais à l'occasion de cet anniversaire.

Il y a quelques mois, quand le confinement a été annoncé, tu as eu une réaction immédiate qui t'a étonnée. Le jour-même, tu achetais un pied pour ton Iphone et un kit d'éclairage pour vidéo. Le lendemain, tu proposais un cours à l'essai en vidéoconférence et la semaine suivante, après l'essai concluant, tu donnais tes cours en ligne. Tu allais être confinée avec 3 adulescents - adultes ou enfants selon leurs humeurs. La décision était prise, cette pièce devenait ton refuge, ton antre, ton repaire, ta retraite, ton asile, ton abri.

Gina

Thème imposé