Atelier pour le personnel de La Fonderie

Chère audiothèque,


Au risque de te briser le cœur, je le sais, je dois prendre de la distance - peut-être définitivement. Depuis le début, j'avais l'impression de savoir à quoi je m'engageais : se voir en soirée, grappiller des moments ensemble, penser à toi quand je suis à l'autre et vice-versa. Mais c'est devenu trop dur et je ne m'y retrouve plus.

Nos projets, nos rêves et nos efforts m'ont porté, et on a accompli tant de belles choses. D'autres personnes nous ont rejoints, et on s'amuse tellement tous ensemble. Mais c'est aussi beaucoup d'énergie et de travail pour définir vers où on va ; parfois des déceptions au regard des attentes énormes générées par les brainstormings et autres séances de gouvernance.

Évidemment, j'ai un peu peur de te lâcher, de te voir poursuivre sans moi, réussir avec quelqu'un d'autre ce que toi et moi n'avons pas pu accomplir. Mais j'ai besoin de concret et pas de projets. J'espère que tu le comprendras. Je te souhaite la suite que tu mérites.

Arnaud

20 minutes d'écriture - lettre de rupture à un travail

GRH

La Grande Rectrice Hirsute m'impose de suivre toute une série de formations.

Françoise

La Grande Responsable des Hélicoptères m'impose de suivre toute une série de formations.

La Gentille Reine de Hongrie m'impose de suivre toute une série de formations.

Emilie

Je me suis sentie inutile quand je travaillais comme animatrice de centre de vacances à la mer du Nord. Je m'occupais pendant une semaine de petits bouts de quatre ans ayant traversé des choses très difficiles que même en tant qu'adulte, parfois, on ne peut imaginer.

C'était les vacances de Noël... ils ne les passaient pas en famille. Dans leurs valises, alors que c'était l'hiver, il y avait bien peu d'affaires, parfois un slip pour sept jours. Toutes les nuits, je devais me lever pour calmer des cauchemars.

J'ai mis toute mon attention à leur apporter quelques petits moments de bonheur mais je me sentais inutile car quelque chose en eux était cassé. Leurs yeux ne brillaient pas sur les manèges. Les glaces et biscuits n'avaient pas de saveur. Les chansons se chantaient sans sourire. Leur petite pépite d'insouciance était éteinte.

J'ai mis beaucoup d'énergie, ce que j'ai pu mais je savais qu'il faudrait beaucoup beaucoup de temps et d'amour pour se reconstruire. Je me suis sentie inutile mais j'espère que ce moment avec moi leur a été doux.

Emilie

10' d'écriture - Je me suis sentie inutile quand je travaillais...

C'est une pièce et c'est plusieurs pièces... C'est toujours la même configuration, dans des salles différentes. Quatre murs, une porte, des fenêtres avec quelque chose à regarder si on a de la chance. Il y a des tables et des chaises, ou des sièges à tablettes. Enfin, un truc pour s'asseoir et un truc pour écrire. Et on est plusieurs, dans notre attitude collective et singulière. Toutes et tous (tiens... surtout des garçons ?), le regard tourné dans la même direction : un type individuel, lui - encore un homme, statistiquement.

Et dans cette direction matérialisée par la ligne de nos regards : un mur, qui est un support de savoir. L'individu y projette, écrit ou trace, à la craie, au marqueur ou au rétroprojecteur : Le Savoir. Des formules aussi belles esthétiquement que par leur sens. La représentation de l'accès à la signification des choses.

Et parfois cependant, l'ennui est palpable et fait partie de la pièce ; parfois c'est l'enthousiasme qui électrise.

Ce local est une salle de classe.

Arnaud

10 minutes d'écriture - description d'un lieu de travail

Chaque fois que je fais la lessive, c'est une épreuve physique et mentale.

Le chemin de croix commence dans la salle de bain où trône, rarement vide, le panier à linge. Non loin les mannes dans lesquelles j'amasse le linge destiné à la lessive du jour : couleur, clair, 60°...

Et puis il y a les marches... de mon premier étage jusqu'à la cave... mais jusque là, tout va bien, le chemin est simple, dégagé... Je m'y rends assez sereine, quoique désespérée par cette besogne répétitive.

Tout bascule lorsque je pénètre dans la cave : mon univers se rétrécit, se referme sur moi. Caisses, vieilles chaussures, litière des chats, aspirateur, raquettes, palmes, produits de nettoyage... semblent de jour en jour gagner du terrain et prendre possession de la cave en criant victoire !

Mais tels des résistants à l’envahisseur, ma machine à laver et mon séchoir m'attendent, hublots grand ouverts.

Françoise

10 minutes d'écriture - description d'un lieu de travail

Aujourd'hui, le train vers la mer n'est pas rempli comme d'habitude, et ce n'est pas sûr qu'il y aura une course à l'hippodrome. La tribune paraîtra bien vide, et la pelouse bien triste, même sous le timide soleil de ce matin. Eddy songe à son salon de barbier qu'il a confié à Amane pour la semaine. Il va s'en tirer comme un chef, il a l'habitude de gérer la boutique. Évidemment, une semaine, c'est un peu exceptionnel, mais Eddy avait besoin de ce temps pour penser un peu.

Bientôt 20 ans qu'il s'était posé dans ce coin tranquille de Jette. Un retour aux racines après quelques années de vadrouille en aventure. Qu'est-ce qu'il s'était marré quand même, après ce départ sur un coup de tête avec son pote Mich ! Les petits boulots, les beaux petits coins de France, c'était l'insouciance... Mais toute une vie à faire les saisons ou porter des sacs de ciment, ce n'était pas envisageable. Alors le fils prodigue avait repris l'établissement contre toute attente. Et contre toute attente, il avait aimé ça. D’une certaine façon, l'aventure est au coin de la rue, un jour n'est pas l'autre chez un barbier. Les clients défilent, causent - ou pas, et on devient leur confident, ou peut-être juste un rituel sympa. Eddy s'est pris au jeu et est devenu une figure du quartier. Et quelle figure : grand, fort, bien habillé dans son costume trois pièces, sa boutique marche bien et ça se voit à son embonpoint. Et au fil des années, c'est comme s'il avait toujours été là.

Mais aujourd'hui, dans le train qui l'emmène à Ostende, Eddy pense au pactole qu'il a gagné aux courses...

Arnaud

30 minutes d'écriture - personnage

Pourquoi un bureau a-t-il quatre pieds ?

Pour que je puisse glisser mes jambes entre ses pieds

Pour que je puisse m'appuyer dessus, voire dormir dessus

Pour prendre de la hauteur

Pour qu'il puisse marcher dans la pièce

Pour lui mettre des chaussures

Françoise

Pour ne pas se casser une jambe

Pour tenir au bout de la journée

Pour avancer

Pour jouer au football la nuit

Pour y accrocher des draps blancs et faire une cabane

Emilie

Cher projet,

Cela fait déjà un moment qu'on vit ensemble et que nous partageons de longues heures et des moments intenses.

Intenses, c'est le mot... Tout a été intense. La première fois que je t'ai vu, tout ce que tu m'as fait découvrir, ce nouveau regard sur le monde que tu m'as offert.

Depuis quelques temps, je m'interroge beaucoup sur moi-même et je fais une sorte de bilan. Comme tu le sais, j'ai déjà vécu pas mal de projets comme toi et j'ai un peu peur aujourd'hui de ne plus retrouver l'énergie, la force d'engagement nécessaires à faire de toi un "beau" projet.

Car tu mérites de devenir un "beau" projet, mais ce sera sans moi. Une autre le fera mieux que moi, te consacrera le temps, l'énergie et la passion que je redoute de ne plus avoir en suffisance.

C'est à regret mais je quitte le projet, je te quitte "projet" et te souhaite bonne chance.

Françoise

20 minutes d'écriture - lettre de rupture

Fernand a 55 ans et 55 kilos, c'est une femme "homme à tout faire". Tout un programme ! Elle aurait voulu devenir artiste et aller à l'académie mais ses parents n'étaient pas pour. Son père lui a dit : "Ma petite Fernand, tu deviendras homme à tout faire comme moi. Je vais tout t'apprendre". Elle a commencé par de petites réparations dans son quartier d'Etterbeek. Et elle est très vite devenue très populaire dans tout Bruxelles. Les voisins, les voisines, le fritkot "Chez Jules", l'AFSCA, l'Institut du Patrimoine Solanacéen, elle dépanne tout le monde avec passion et précision. Au fil des années, elle a appris à connaître tout Bruxelles. Faut dire, la Fernand, on ne peut pas l'oublier ! Grande et mince, avec ses cheveux blancs, son grand front, sa voix rocailleuse, ses lunettes, son jeans et son col roulé. Entre deux interventions dans le quartier, elle aime retaper des luminaires trouvés sur les brocantes et discuter au café du coin. Fernand par-ci, Fernand par-là ! Fernand peux-tu me réparer ci ? Me réparer ça ? Ses journées sont un tourbillon de choses à répare, régler, dépanner, déboucher, accrocher, décrocher, peindre, repeindre, fixer. Le soir, épuisée, elle rentre dans son appartement auprès de sa sœur et de ses très gros chats bien nourris. Elle se dit souvent en regardant la pièce qu'il y aurait des travaux à faire mais elle n'a pas le temps.

Fernand par-ci, Fernand par-là.

Fernand, la femme homme à tout faire du quartier, est là pour les autres. Elle s'endort dans son canapé avec la quiétude, la satisfaction du devoir accompli, avec en pensées ces petites choses décoincées, remises en place, réparées.

Demain, c'est dimanche, enfin. Elle regardera le grand prix de moto puis enfilera ses chaussures pointues pour aller dans le centre, chiner place du Jeu de Balle.

Emilie

30 minutes d'écriture - personnage

Virginie De Latour, un nom prédestiné pour une peintre. Virginie peint plus particulièrement des toiles monumentales comme on en trouve dans les églises.

Si aujourd'hui, Virginie vit de son art, il n'en a pas toujours été ainsi. Elle est née dans une famille modeste qui a débarqué à Bruxelles en 1843, venant de Séville.

Depuis son plus jeune âge, elle est passionnée, aussi curieux que cela puisse paraître, par la boucherie. Mais comment devenir garçon boucher lorsque l'on est une fille... Seule solution : se déguiser, enfiler un pantalon, cacher sa poitrine derrière un tablier ample et emballer sa longue chevelure blonde dans un bonnet pour se faire engager comme apprenti à la boucherie "Le roi du boudin" au coin de la Petite rue des bouchers. Et ça a marché, le boucher n'y a vu que du feu. Faut dire que Virginie est costaude. Plus de 80 kilos pour 1 mètre 73, elle a la carrure. Porter les carcasses, hacher, couper, tailler dans le lard, cela ne lui fait pas peur. Calme, silencieuse et concentrée, elle "abat" le travail d'un homme.

Jusqu'au jour où, lassée des boudins, entrecôtes et autres andouillettes, Virginie se mit à rêver d'autre chose. Glissant ses doigts dans les flaques de sang encore chaud qui couvrait le billot de la boucherie, elle se mit à tracer des formes, des angles, des cercles et puis apparurent une bouche, des yeux, un nez...

Là, dans le sang, Virginie se dessinait un nouvel avenir : elle serait peintre.

Adieu le déguisement, adieu les tabliers tachés de sang : ils seront à présent tachés de peinture.

Encore fallait-il un peu de technique : elle connaissait un vieil artiste, un peu fou, éleveur de doryphores et mondialement reconnu pour ses sculptures en tubercules. Artiste complet, il pratiquait également la peinture à l'huile. Il fut son maître et l'élève était particulièrement douée. Son premier client fut le curé de la paroisse très ami de notre sculpteur de tubercules. Et la première toile de Virginie fut la tête décapitée et sanguinolente de Saint Jean Baptiste...

Françoise

30 minutes d'écriture - personnage

Nous sommes à la Bibliothèque Royale de Belgique. Nous ne sommes pas n'importe où, nous sommes dans la salle des chercheurs et chercheuses. Une salle avec des grandes tables en bois foncé où - extase pour les chercheurs - on a le droit de garder les livres commandés pour plusieurs jours dans une étagère à soi. Le silence y règne en maître. Les piles de livres s'accumulent. Certains arrivent dès l’ouverture et partent à la fermeture. D'autres passent furtivement chercher une information. Je suis assise à la place qui m'a été attribuée, la 27. J'ai les yeux rivés sur une petite lampe rouge incrustée dans le bureau qui m'avertira quand mes livres arriveront. C'est l'hiver. Il est 16 heures mais il fait déjà noir. Les néons de la bibliothèque s'allument. Chercheuses et chercheurs allument la petite lampe verte sur leur bureau. Je me lève et je vais voir les grosses encyclopédies en attendant que mes livres arrivent.

Il est 16 heures 20. Je vois la petite lampe rouge qui clignote au loin. Je réceptionne une pile de 15 bouquins au comptoir. Je les dépose sur le bureau. Je regarde autour de moi des visages concentrés, parfois amusés. Chacun est dans un monde, un univers, une autre dimension spatiale et temporelle.

Je regarde la moquette orange et me dit que c'est une drôle de couleur pour une moquette. Je regarde ma pile de 15 gros livres. Il est 16 heures 23. Je me plonge dans le premier. La bibliothèque n'existe plus.

Emilie

10 minutes d'écriture - description d'un lieu de travail

Se sentir inutile, voilà un sentiment particulièrement désagréable qui peut vous pourrir la vie et le moral. Encore plus lorsque vous pensez que le travail que vous faites sera utile... utile aux autres.

Eh bien, j'ai malheureusement ressenti ce sentiment accablant après un certain nombre d'expositions que j'ai coordonnées. Des mois de travail, à chercher du sens au projet, à rassembler des pièces, à écrire, relire, interviewer, organiser... Pour aboutir à un résultat, ma foi, dont je me félicitais modestement avec les équipes... Il n'y avait plus qu'à attendre les visiteurs... Et là, patatras, une journée avec trois visiteurs, c'était Byzance, le firmament, l'apothéose...

Et pourtant, pourtant, le sujet est intéressant, on apprend, on s'interroge, on vit une expérience dans cette expo...

Inutile, ce travail a-t-il été complètement inutile ? Ne peut-on pas faire passer un dirigeable au-dessus de Bruxelles avec sa banderole "Venez à La Fonderie, il y a une super expo !" ?

A un moment, au milieu de cette expo vide, je me suis dit que même si l'expo reste inhabitée, elle ne sera pas inutile... Elle est utile parce qu'elle m'envoie des signaux pour faire mieux la prochaine fois.

Alors, finalement, l'inutile peut devenir utile, non ?

Françoise

10' d'écriture - Je me suis sentie inutile quand je travaillais...

Cher nettoyage des toilettes,

Je ne sais pas encore comment je vais procéder pour la suite car j'ai la certitude que tu occupes une place centrale et essentielle dans ma vie mais je pense que c'est mieux pour tous les deux qu'on se quitte. J'en ai marre de devoir toujours mettre des gants et d'essuyer les erreurs et accidents que je n'ai pas commis.

Parfois, sérieusement, je ne sais plus comment m'y prendre pour continuer cette relation en prenant le moins de risques sanitaires possible.

Avant de partir et en guise de cadeau d'adieu, je t'offre ce petit canard WC à l'eau de javel.

J'espère que tu me comprendras. N'essaye pas de me joindre, j'ai changé de numéro de téléphone.

Emilie

20 minutes d'écriture - lettre de rupture