Emmanuel Kant, né le 22 avril 1724 à Königsberg en Prusse (aujourd’hui Kaliningrad en Russie) et mort le 12 février 1804 dans cette même ville, est un philosophe prussien, fondateur du criticisme et de la doctrine dite « idéalisme transcendantal ». Grand penseur de l’ Aufklärung (Lumières allemandes), Kant a exercé une influence considérable sur l’idéalisme allemand, la philosophie analytique, la phénoménologie, la philosophie moderne, et la pensée critique en général.
Parmi ses œuvres les plus célèbres, on trouve “Vers la paix perpétuelle”, un essai philosophique qui explore les possibilités d’une paix durable et universelle. Dans cet ouvrage, Kant propose un plan pour la paix perpétuelle dans le monde, basé sur des principes de droit international, de respect mutuel entre les nations et de démocratie. Il s’agit d’un texte fondamental pour comprendre la pensée kantienne et son influence sur la philosophie politique moderne.
Section 1: Articles préliminaires en vue d’une paix perpétuelle
Leges Strictae, à savoir les conditions nécessaires qui devraient être appliquées en toutes circonstance en vue d’une paix perpétuelle (Concerne les articles 1/2/3).
Article 1. "Aucun traité de paix ne doit valoir comme tel s’il a été conclu en réservant secrètement la matière d’une guerre future."
Les traités internationaux ne doivent pas avoir de réserves pouvant conduire à une guerre future. Sinon le traité ne sera qu'une trêve, une suspension des hostilités, mais pas la paix.
Article 2. "Nul État indépendant ne pourra être acquis par un autre État, que ce soit par héritage, achat, échange ou donation."
Selon Kant, un Etat c’est une société d'hommes que personne d'autre que l'Etat lui-même n'a le droit de commander ou de disposer. Mais l'incorporer dans un autre État, comme une greffe, c'est détruire son existence en tant que personne morale.
Article 3. "Les armées permanentes (miles perpetuus) seront en temps voulu totalement abolies."
Pour le philosophe allemand, la présence d’armées permanentes témoigne d'une menace pour les autres États qui voudraient rivaliser et constituer des armées encore plus grandes (concept de dilemme de sécurité). De plus, le fait de payer des hommes pour tuer ou pour être tués fait d’eux de véritables machines aux commandes de l’Etat.
Legis Latae, à savoir les conditions que nous devons tenter de respecter en vue d’une paix perpétuelle.
Article 4. "Les dettes nationales ne doivent pas être contractées en vue d'un conflit extérieur entre les États"
Pas d'imposition de dettes nationales pour les guerres extérieures.
Article 5. "Aucun État ne doit s'immiscer par la force dans la constitution ou le gouvernement d'un autre État"
Si un État, par suite d'une rébellion interne, se divisait en deux parties, dont chacune prétendrait être un État distinct se réclamant de l'ensemble. Prêter assistance à l'une d'elles ne peut être considéré comme une ingérence dans la constitution de l'autre Etat (car il est alors en état d'anarchie). Mais tant que les dissensions internes ne sont pas arrivées à ce point critique, une telle étrangères porterait atteinte aux droits d'un peuple indépendant luttant contre sa maladie interne ; Elle serait donc elle-même une offense et rendrait l'autonomie de tous les Etats incertaine.
Article 6. "Aucun État ne doit, pendant la guerre, permettre de tels actes d'hostilité qui rendraient impossible la confiance mutuelle dans la paix ultérieure : tel est l'emploi des assassins (percussores), empoisonneurs (venefici), violation de capitulation et incitation à la trahison (perduellio) dans l'État adverse"
Une certaine confiance dans le caractère de l'ennemi doit demeurer même en pleine guerre, car sinon aucune paix ne pourrait être conclue et les hostilités dégénérer en guerre d’extermination (bellum internecinum). La guerre, cependant, n'est qu'une triste recours en l'état de nature (où il n'existe pas de tribunal qui puisse juger avec force de loi) par lequel chaque État affirme son droit par la violence et dans lequel aucune des parties ne peut être jugée injuste (car cela supposerait une décision juridique) ; au lieu d'une telle décision, la question du conflit (comme s'il était donné par un soi-disant « jugement de Dieu ») décide de quel côté se trouve la justice. Mais entre états aucune guerre punitive (bellum punitivum) n'est concevable, car il n'y a entre eux aucun rapport de nature maître et serviteur.
Section 2: Articles définitifs pour une paix perpetuelle
La deuxième partie de "La paix perpétuelle" d'Emmanuel Kant présente trois articles définitifs pour parvenir à une paix perpétuelle entre les nations.
1. Constitution républicaine : Kant soutient qu'une forme républicaine de gouvernement, caractérisée par la séparation des pouvoirs, est moins susceptible de s'engager dans une guerre. En effet, la décision d'entrer en guerre appartient aux citoyens qui en supporteraient les coûts. Il ne faut pas confondre cette forme de gouvernement avec la démocratie telle qu'elle était comprise dans la Grèce antique, où les décisions étaient prises par la règle de la majorité, ce qui conduisait souvent à la suppression des minorités.
2. Les lois de la citoyenneté mondiale : Kant propose l'idée d'une "hospitalité universelle", ce qui signifie que chaque être humain a le droit de visiter et d'interagir avec n'importe quelle partie de la Terre. Cela ne signifie pas que chacun a le droit de devenir résident permanent ou citoyen de l'endroit de son choix, mais plutôt qu'il a le droit de ne pas être traité comme un ennemi à son arrivée dans un pays étranger.
3. Le droit des gens doit être fondé sur une fédération d'États libres : Kant propose que les nations forment une fédération ou une ligue de nations, dont chacune conserverait sa souveraineté. Cette fédération servirait à faire respecter le droit international et à prévenir les guerres. Il est important de noter qu'il ne s'agit pas d'un gouvernement mondial, mais plutôt d'une association volontaire d'États engagés dans le maintien de la paix.
Selon Kant, ces principes conduiraient à un état de paix perpétuelle. Toutefois, il reconnaissait également que la réalisation d'un tel état serait un processus graduel et non un résultat immédiat. Il considérait ces articles comme des principes directeurs vers lesquels les nations devaient tendre.