Fiche Résolution de Conflit : Le Processus de paix d'Aceh
Par Iris Poiré Hernandez, FIFE 3A
Au lendemain de la guerre froide, une ère de transformation s'est ouverte, marquée non seulement par des réalignements géopolitiques, mais aussi par l'émergence d'une nouvelle génération de conflits caractérisés par des griefs ethniques et de ferventes revendications d'autodétermination. Néanmoins, aucun État n'aime voir une partie de son territoire faire sécession ; en effet, les mouvements séparatistes se heurtent souvent à la réticence du gouvernement central à entendre leurs revendications. En outre, la communauté internationale, lorsqu'elle se penche sur les mouvements sécessionnistes, fait preuve de plus en plus de réserves et se montre réticente à soutenir les cas, en particulier ceux liés à des soulèvements violents. Si des cas comme la sécession du Sud-Soudan en 2011 peuvent bénéficier d'un soutien international, il existe d'autres scénarios, notamment celui de la défaite militaire des groupes séparatistes, comme cela s'est produit lors de la chute de la Crajina serbe face aux forces croates en 1995. Dans d'autres cas, les entités séparatistes peuvent opter pour une réintégration pacifique par le biais d'accords négociés avec l'État d'origine, en particulier lorsque le conflit semble atteindre un niveau tel qu'une victoire est impossible, mais qu'aucune des deux parties ne domine l'autre.
Le mouvement séparatiste d'Aceh en Indonésie est un exemple de ce nouveau type de conflit, avec des griefs ethniques et religieux, qui nécessite un processus de résolution de conflit englobant pour espérer transformer le conflit et de parvenir à un accord. Ce cas est l'un des rares exemples de réintégration pacifique du territoire séparatiste dans l'État d'origine. Néanmoins, ce succès est attribué non seulement à la diplomatie, mais aussi à des facteurs externes influençant le processus de règlement de la paix, ce qui souligne leur importance dans l'issue des négociations.
Aceh est une province située à l'ouest de la péninsule de Sumatra. Bénéficiant d'une position géographique particulièrement intéressante dans la région, elle est rapidement devenue un point stratégique pour les flux internationaux, entre l'Asie du Sud-Est et le Moyen-Orient, servant également de point d'entrée de l'Islam en Malaisie et en Indonésie. Elle est devenue un protectorat de l'Empire Ottoman, une période qui a catalysé la formation d'une identité distincte de l'ensemble de Sumatra et de l'Indonésie, et a ensuite connu des périodes d'influence britannique et néerlandaise, qui ont culminé avec le début de la guerre d'Aceh et l'annexion au territoire néerlandais.
Vue détaillée de Sumatra et Aceh
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le paysage a de nouveau évolué lorsque le Japon a envahi le territoire d'Aceh. La déclaration d'indépendance de l'Indonésie en 1945 a symbolisé la fin de l'occupation de la péninsule. Cette proclamation a ouvert la voie à la création de la République des États-Unis d'Indonésie en 1947, qui s'est ensuite transformée en République d'Indonésie lors de son admission aux Nations unies en 1950.
Malgré les promesses d'autonomie après la période d'indépendance, Aceh s'est retrouvée intégrée dans une autre région administrative, évolution considérée par certains comme un "transfert illégal de souveraineté", passant des "anciens colonialistes hollandais" à ce qui était perçu comme les "nouveaux colonialistes javanais". Le ressentiment d'une partie de l'Aceh à l'égard du gouvernement central s'est amplifié, sur fond historique de politiques répressives comprenant l'exploitation des ressources, la violence à l'encontre des civils acehnais et des politiques nationales laïques globales qui ont eu des répercussions négatives sur les Ulama acehnais. Ce contexte historique a jeté les bases d'un mécontentement durable dans le territoire de l'Aceh à l'égard de la gouvernance indonésienne.
De 1953 à 1959, les Acehnais se sont rebellés contre le gouvernement central et se sont érigés en province distincte. Cependant, certains problèmes persistaient, incluant des griefs séparatistes, la position religieuse plus conservatrice de l'Aceh par rapport au reste du territoire indonésien, une présence croissante de Javanais (le groupe ethnique le plus important en Indonésie) dans le territoire, et des désaccords politiques et économiques soutenus avec le gouvernement central.
En 1976, le Mouvement pour l'Aceh libre (GAM) a initié un soulèvement armé, auquel le gouvernement central a répondu par des mesures anti-insurrectionnelles taisant l'opposition. Dix ans plus tard, les hostilités ont repris et Aceh s'est retrouvée sous un régime militaire de facto. Malgré un soutien limité, l'intérêt s'est renforcé lorsque le gouvernement indonésien a accordé au Timor oriental un référendum sur l'indépendance, sans tenir compte des revendications séparatistes de l'Aceh.
L'approche adoptée pour parvenir à la paix et à un accord entre les parties en conflit a d'abord été celle de la négociation. Avec un soutien extérieur sous forme de médiation, les deux parties se sont engagées volontairement dans ce processus. Les deux parties avaient un intérêt commun à mettre fin au conflit qui les opposait, reconnaissant que la répression d'une partie intensifiait les actions de l'autre. Néanmoins, l'objectif du GAM, à savoir l'indépendance de la région d'Aceh, s'opposait au souhait du gouvernement central. Comme indiqué précédemment, ce processus de négociation s'est déroulé dans le contexte d'une longue histoire de répression de la part des Acehnais.
À ce stade, plusieurs facteurs pouvaient influencer la trajectoire du processus de négociation. En particulier, il existait un déséquilibre de pouvoir important, le groupe séparatiste étant opposé à l'armée nationale et au gouvernement. L'intensité du conflit était élevée, à l'image des enjeux. Les parties avaient des objectifs incompatibles - l'une cherchait à se séparer, l'autre à conserver son intégrité territoriale - bien que les deux parties souhaitaient œuvrer à la résolution du conflit pour mettre un terme aux dommages et au nombre de victimes déjà importants. En termes de dynamique de négociation, les négociations collectives se sont déroulées de manière bilatérale. En outre, le contexte situationel était particulier et choisi, puisque les négociations se sont déroulées dans des territoires neutres tels que la Finlande et le Japon. Ce choix visait à fournir un environnement équilibré et impartial pour les discussions. Cependant, la dynamique interactionelle a été marquée par une relation de concurrence, influencée par les tensions historiques entre Aceh et l'Indonésie. La nature de l'interaction tendait vers la distribution, reflétant une approche compétitive de la prise de décision. Des barrières structurelles étaient apparentes, dues à la réticence de l'État parent à reconnaître officiellement les revendications des groupes séparatistes, ce qui a créé un obstacle important au processus de négociation. Compte tenu de tous ces facteurs, on pouvait s'attendre à ce que la négociation (et la médiation) soit d'abord difficile, mais qu'elle permette d'obtenir un accord commun et satisfaisant pour les deux parties.
Le processus de négociation a abouti à un accord : les deux parties ont accepté de réduire leurs activités militaires et des discussions ont été engagées en vue d'une autonomisation de la province d'Aceh au sein du territoire indonésien. Cependant, des accusations de violation des termes de l'accord sont apparues de part et d'autre. À la suite d'une dernière réunion à Tokyo, le gouvernement a décidé d'interrompre les négociations et a lancé une nouvelle campagne militaire pour réprimer l'insurrection. Au fur et à mesure que les pertes se multipliaient pour le mouvement pour l'Aceh libre, la possibilité de parvenir à une victoire semblait de plus en plus lointaine.
Cependant, un événement imprévu a radicalement changé le cours du conflit qui durait depuis trois décennies. Le 26 décembre 2004, un tremblement de terre colossal, le troisième plus important jamais enregistré, a frappé la côte d'Aceh. Ses conséquences dévastatrices ont coûté la vie à 250 000 personnes, dont 170 000 Acehnais, et un demi-million de personnes se sont retrouvés sans abri. À la suite de cette calamité, la poursuite du conflit armé est devenue insoutenable, d'autant plus que la moitié des forces avait déjà été perdue dans la campagne militaire. Dans ces circonstances, le Mouvement pour l'Aceh libre a choisi d'entamer de nouvelles négociations. Le gouvernement disposait ainsi d'une occasion unique de mettre un terme à l'insurrection de longue date.
À la lumière de ces événements tragiques, en 2005, une nouvelle initiative de paix a vu le jour grâce aux efforts de médiation menés par Martti Ahtisaari, l'ancien président de la Finlande et l'un des principaux facillitateurs du processus de négociation. Il a été envoyé par l’oganisation Crisis Management Initiative, une ONG dont il a été le président et fondateur. Les négociations, menées en Finlande, ont abordé des aspects critiques et divers tels que les droits de l'homme, les accords de sécurité, la participation politique et le développement économique. En août 2005, ces efforts ont abouti à un accord de paix global, qui a mis fin à la quête d'indépendance : "Les parties s'engagent à créer les conditions dans lesquelles le gouvernement du peuple acehnais peut se manifester par un processus équitable et démocratique dans le cadre de l'État unitaire et de la constitution de la République d'Indonésie" citait le texte signé. L'accord établissait en outre une large autonomie à l'Aceh, notamment en matière d'affaires économiques. Le Mouvement pour l'indépendance de l'Aceh devait rendre les armes, des mesures d'amnistie devaient être mises en œuvre, les troupes indonésiennes devaient se retirer de l'Aceh et un tribunal des droits de l'homme devait être créé. Pour garantir la mise en œuvre intégrale de ces dispositions, des mécanismes de contrôle ont été mis en place, impliquant l'Union européenne (UE) et l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE). En cas de litige concernant la mise en œuvre de l'accord, le chef de la mission de suivi jouerait un rôle central, faisant office de médiateur.
En analysant la gestion des négociations sur l'Aceh, il est évident que le processus de résolution du conflit a été confronté à des défis complexes caractéristiques des conflits ethniques et des mouvements sécessionnistes de l'après-guerre froide. Ainsi, le succès de la réintégration pacifique de l'Aceh dans l'Indonésie est remarquable, mais ne peut être attribué uniquement à la diplomatie et au processus de négociation mis en œuvre ; des facteurs externes, en particulier le tremblement de terre inattendu de 2004, ont joué un rôle central, soulignant leur importance dans la résolution des conflits. Le processus de négociation a été marqué par des déséquilibres de pouvoir, des objectifs contradictoires et des dynamiques concurrentielles, face à des barrières structurelles qui ont entravé les progrès. L'accord éventuel, bien que prometteur, a succombé aux accusations et à l'escalade militaire. Le tremblement de terre inattendu est devenu un tournant, provoquant une réévaluation des stratégies et conduisant à un nouveau processus de négociation en 2005. Il a également donné aux deux parties une échappatoire pour mettre fin au conflit armé et se tourner vers une issue plus conciliante, à savoir la suppression du groupe séparatiste d'Aceh. L'accord de paix qui en a résulté, facilité par la négociation mais aussi par la médiation extérieure, a non seulement répondu aux préoccupations immédiates, mais a également jeté les bases d'une autonomie étendue à Aceh et d'un système de prévention des tensions potentielles futures, ce que je considère comme très important et pertinent dans ce type de conflit profondément enraciné.
Le cas d'Aceh souligne donc la complexité de la résolution des conflits, où les efforts diplomatiques se heurtent à des griefs historiques et à des événements extérieurs imprévus. Ce succès démontre la capacité d'adaptation nécessaire pour naviguer dans ces complexités et le rôle crucial des facteurs externes dans l'élaboration des résultats.
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