La guerre du Darfour
La guerre du Darfour
Par Anaelle Audrezet-Canivez, étudiante en 1ère année (FG)
Le 15 avril 2023, les affrontements armés ont repris au Soudan après l’attaque lancée par les rebelles contre la capitale Khartoum. Ces tensions opposant rebelles et forces gouvernementales soudanaises, trouvent leurs origines dans des conflits décennaux dont le point culminant a été la guerre survenue entre 2003 et 2020 au Darfour, une région de l’Ouest du Soudan, située entre le Sahara et le Sahel subsaharien. Ces conflits sont notamment dûs aux changements de régimes, empirique, puis colonial, jusqu’à l’indépendance officielle du Soudan en 1956. Ces changements politiques ont contribué à déstabiliser la région déjà bouleversée par les oppositions croissantes entre les différentes ethnies tribales. En effet, le Darfour est une région, historiquement instable, qui depuis 2012, est administrativement divisée en cinq : le Darfour-Central, le Darfour du Nord, le Darfour du Sud, le Darfour-Occidental et le Darfour-Oriental. Malgré le fait qu’il existe aujourd’hui environ une vingtaine de groupes et ethnies principales, divisées en plus de 500 groupes tribaux dans toute la région. De plus, la région, est sous-développée et marginalisée par le gouvernement soudanais, ce qui la rend d’autant plus vulnérable au changement climatique, qui accentue les tensions liées à la redistribution des ressources et aux déplacements de populations, débouchant ainsi sur de nouveaux conflits sur fond de tensions ethniques. L’apogée de ces multiples tensions débouche, en février 2003, sur la guerre du Darfour qui durera jusqu’au 3 octobre 2020, après la signature d'un accord de paix entre les belligérants. Ce conflit est tristement connu pour les exactions qui y ont été commises à l’encontre des populations locales. Dès 2005, une commission d’enquête sur le Soudan mise en place par les Nations Unies a publié un rapport qui conclut que les violences commises au Darfour constituent des « crimes contre l’humanité ». Aujourd’hui, on peut constater que la situation dans la région s’est aggravée puisque la conseillère spéciale des Nations Unies pour la prévention du génocide, Alice Wairimu Nderitu, alerte depuis 2023 sur le risque croissant de génocide dans la région en raison de « la persistance des violences identitaires ». En parallèle des avertissements signalés sur la scène internationale, l’ancien président du Soudan, Omar El-Béchir, fait encore aujourd’hui l’objet de deux mandats d’arrêt internationaux, délivrés par la Cour pénale internationale en 2009 et 2010.
A travers cet article, nous allons donc tenter de déterminer les causes, ainsi que la diversité des forces en présence dans ce conflit. Puis, nous analyserons la chronologie du conflit, en parallèle des violences commises et des interventions humanitaires qu’elles ont suscitées. Ainsi nous pourrons mesurer l’impact de la guerre du Darfour sur les populations locales.
La genèse du conflit : la multiplicité des acteurs impliqués et des causes du conflit témoignent de la complexité de bâtir une paix durable
Les acteurs du conflit
La guerre du Darfour est un conflit armé qui a opposé une diversité d’acteurs entre 2003 et 2020. Cette pluralité des forces en présence rend la compréhension et la résolution du conflit d’autant plus difficile. Cette guerre résulte de l’opposition des forces rebelles, qui ont entrepris une insurrection populaire, aux forces gouvernementales et leurs soutiens, qui y ont répondu par une répression massive. Le conflit est communément présenté comme opposant les tribus arabes aux tribus noires non-arabophones. Néanmoins, la réalité, loin d’être aussi binaire, nous montre que les camps ne sont pas figés et que les revendications divergent.
Tout d’abord, il y a les Janjawids. Ce terme est utilisé depuis le premier conflit du Darfour de 1987 à 1989 pour désigner les milices arabes en conflit contre les Fur. Ce groupe est soutenu par le gouvernement soudanais, ils seraient entraînés par l’armée et recevraient des armes du gouvernement. L’ampleur du contrôle qu’exerce le gouvernement sur les Janjawids n’est cependant pas claire, certains affirment qu’ils en ont perdu le contrôle. Néanmoins, leur complicité est avérée. Ce groupe armé est composé de combattants venant de nombreuses tribus arabes différentes. Le gouvernement aurait promis aux Janjawids de leur laisser récupérer le butin de guerre qu’ils auraient réussi à obtenir. Le problème étant que ces derniers ont plus combattus les civils que les rebelles pour obtenir ce butin, afin d’avoir plus de récompense en prenant moins de risques, ciblant et pillant par conséquent de nombreux villages, obligeant les populations locales à fuir. Aujourd’hui, malgré les engagements pris par le gouvernement soudanais, il peine à désarmer les Janjawids car ces derniers craignent les représailles des non-Arabes.
Ensuite, il y a la Sudan Liberation Army (SLA), qui représente le principal mouvement rebelle du Darfour, anciennement connu sous le nom de Darfur Liberation Movement. Elle est principalement composée de Zaghawa, de Fur, de Masalit, et d’autres ethnies moins connues. Fondée en 2001 au Tchad avec le soutien de la Sudan Peoples Liberation Army (SPLA), les rebelles de ce groupe contrôlent aujourd’hui une part importante de la région, essentiellement au Nord, à l’Ouest et au Sud. La SLA présente les régions qu’elle contrôle comme des “zones libérées”, qui sont actuellement peuplées de déplacés. Son but est de prouver qu’elle peut administrer des régions entières où le gouvernement a perdu tout contrôle. En parallèle de son combat armé contre le gouvernement soudanais, la SLA cherche à attirer l’aide humanitaire vers ces “zones libérées” afin de pérenniser son administration sur ces territoires, se protéger du gouvernement grâce aux aides extérieures mais aussi, entretenir une certaine reconnaissance sur la scène internationale. Les dirigeants espèrent profiter de l’aide humanitaire pour engager un développement dans leur région, qui jusqu’ici a été délaissée par le pouvoir soudanais. L’aide humanitaire sert ainsi à la fois aux civils et aux rebelles.
Du côté des rebelles également, il y a le Justice and Equality Movement (JEM). Il s’agit de la deuxième force rebelle la plus importante du pays. Ils ne contrôlent pas de zones importantes et combattent moins mais ils sont parvenus à acquérir un poids politique et médiatique non négligeable, notamment du fait de leur présence à la frontière tchadienne qui facilite leurs relations avec les médias internationaux. Parfois, ils se battent aux côtés de la SLA. Toutefois, leurs divergences idéologiques, avec d’une part une prédominance de l’Islam dans le JEM, et d’autre part, la promotion de la laïcité dans la SLA, a empêché jusque lors toute fusion entre ces deux mouvements rebelles.
Ensuite, le National Movement for Reform and Development (NMRD), constitue un mouvement dissident du JEM. Ce mouvement est soutenu par le service de renseignement tchadien. Ils ne sont, ni puissants politiquement, ni médiatiquement. Néanmoins, ils sont bien armés grâce au gouvernement tchadien et également efficaces au combat.
Pour finir, d’autres acteurs plus indépendants sont à mentionner dans ce conflit, comme les chefs traditionnels, c’est-à-dire les chefs des différentes tribus présentes au Darfour. Ils ont considérablement perdu en influence mais peuvent encore jouer un rôle dans la résolution du conflit, à condition qu’ils obtiennent le soutien du gouvernement. Cependant, ils sont aujourd’hui en proie aux pressions du pouvoir soudanais qui tente de se servir d’eux pour calmer les rebelles, inciter les déplacés à rentrer chez eux, et faciliter les migrations des Arabes à travers des zones non-arabes, ce à quoi la majorité des chefs résiste.
Au sein de ces différents groupes armés, les ethnies se rencontrent et s’allient. Néanmoins, une distinction persiste entre les combattants d’ethnies Arabes et d’ethnies non-Arabes qui ne se mélangent pas, se considérant souvent comme ennemis. Leurs revendications divergent depuis des décennies, et les tensions n’ont cessé de s’accentuer, aboutissant au déclenchement d’une véritable guerre au Darfour.
Les origines du conflit
Les origines du conflit sont multiples et il reste difficile de les identifier distinctement puisque chaque groupe ethnique a une lecture différente de la guerre et de sa genèse. La version communément véhiculée par les Occidentaux est celle selon laquelle, en 2003, les insurgés noirs non-Arabes sont entrés en rébellion contre le gouvernement soudanais afin de protester contre la marginalisation du Darfour. Ce à quoi le pouvoir central a répondu par une violente répression contre les civils non-Arabes, accusés de soutenir les rebelles.
Cependant, tous ne partagent pas la même version des faits. Du point de vue des Fur, des Masalit et de certains Zaghawa, la guerre a commencé bien avant 2003. En effet, les Janjawids, qui rappelons-le sont armés par le gouvernement, avaient déjà attaqué ces tribus. Pour ces 3 ethnies, la rébellion ne serait que la conséquence des persécutions commencées bien plus tôt et de l’incapacité du pouvoir central à résoudre les conflits sans prendre parti pour les Arabes. Pour les Fur, le conflit a débuté en 1987, durant le premier conflit du Darfour. Durant cette période, ils ont connu de violents affrontements avec les tribus arabes de la région, dont la milice, les Janjawids, a détruit de nombreux villages. Des milices armées ont donc commencé à se constituer pour défendre les villages qui ne bénéficiaient pas de la protection du gouvernement. Ces affrontements étaient essentiellement dus à la sécheresse. Elle a poussé des éleveurs Arabes nomades sur les terres des agriculteurs sédentaires, en particulier celles des Fur, ayant pour conséquence de les dégrader. Concernant les Masalits, le conflit est ouvert avec les groupes arabes de leur région, notamment les Mahamid, depuis les années 1994-1995, et de la même manière que pour les Fur, de nombreux villages Masalits ont été détruits, obligeant des dizaines de milliers de civils à fuir. De même, les Zaghawa ont connu des tensions avec les Arabes nomades depuis les années 1980, aggravées par la sécheresse. Enfin, pour deux autres ethnies, les Berti et les Meidob, le conflit n’apparaît qu’au commencement de l’insurrection et à l’envoi de troupes et des Janjawids dans leur région pour lutter contre la SLA. C’est également à cette période que les rangs des Janjawids se sont agrandis avec de nouveaux combattants Arabes, comme les Zeyadiya, venus porter leurs revendications et attaquer les Berti et les Meidob.
Le point de vue des responsables arabes quant à eux occulte totalement une partie des faits.
Pour prendre du recul sur les différentes interprétations faites du conflit par les acteurs, il faut étudier les différentes causes qui ont pu exacerber les tensions ethniques dans la région.
Tout d’abord, un facteur majeur du conflit au Darfour est la sécheresse. En effet, entre 1979 et 1985, la sécheresse touche fortement la région. De ce fait, il y a eu de nombreux déplacements de populations. Les Arabes du Darfour Nord et du Darfour Ouest sont descendus au Sud. La région des Fur, la plus riche et la plus épargnée par la sécheresse, est devenue un objet de convoitise pour les nomades Arabes des pays limitrophes, comme le Tchad ou la Libye, très touchés par la sécheresse et donc forcés de migrer. Ainsi, la sécheresse, corrélée à l’accroissement de la population et des troupeaux, a aggravé les conflits décennaux, entre les agriculteurs sédentaires et les éleveurs nomades, pour la terre et les ressources en eau.
Ensuite, la remise en cause progressive de l’équilibre entre les sédentaires et les nomades a exacerbé les tensions. Depuis l’époque coloniale, il existait un système pour organiser les relations entre les deux groupes pour éviter les conflits, le droit coutumier. Une délimitation était faite pour fixer des routes et des temps de passages pour les nomades. Mais la sécheresse et les migrations qui ont suivi ont érodé le système tribal. L’autorité conférée aux chefs traditionnels d’exercice du droit coutumier a été remplacée par la mise en place d’administrateurs de l’Etat, ravivant de ce fait les tensions entre Arabes qui se réfèrent au système moderne et noirs-Africains qui s’en tiennent au fonctionnement traditionnel. Un rapport de février 2005, émis par la Commission internationale estime que des administrateurs ont privilégié des tribus, créant une distinction dans la population entre tribus africaines et arabes. Les tensions entre sédentaires et nomades se sont accentuées et une forte opposition vis-à-vis des autorités centrales est apparue.
Enfin, des tensions sont survenues en raison de projets de développement. A titre d’exemple, la création de nouveaux points d’eau a tendance à attirer les éleveurs, qui empiètent plus régulièrement sur les terres des agriculteurs, faisant naître des conflits entre éleveurs et agriculteurs ou entre éleveurs concurrents. A l’inverse, il existe également des projets de développement de l’agriculture qui empiètent sur les pâturages, exacerbant encore davantage les tensions entre les deux groupes.
La terre est donc un sérieux objet de convoitise dans cette partie de l’Afrique, vulnérable aux aléas climatiques. Un autre facteur de différends entre les ethnies concerne donc l’appropriation de terres. Beaucoup de non-Arabes estiment que les Arabes veulent prendre leurs terres, pour les raisons évoquées précédemment comme la sécheresse, l’augmentation de la population et du bétail ou encore, la tendance à la sédentarisation des nomades. Ici aussi deux conceptions s’opposent. D’une part, les non-Arabes sont en faveur du maintien et de la réaffirmation du droit coutumier. Celui-ci prévoit que certains groupes ethniques ont des “dar”, des terres délimitées, accordées par un chef traditionnel de tribu, c’est l’équivalent d’un droit à la terre. D’autre part, les Arabes refusent de pérenniser ce système traditionnel et revendiquent un droit plus moderne. En effet, ils considèrent que tout Soudanais doit pouvoir posséder des terres où il le souhaite en s’adressant au gouvernement et non aux autorités traditionnelles tribales. La question des dar est donc un sujet sensible et le pouvoir central n’est jamais parvenu a trouvé un compromis et à stabiliser la situation. Ainsi, les vaines tentatives du gouvernement d’attribuer des terres à des Arabes pour les sédentariser, ont remis en cause les dar et se sont soldées par de nouveaux conflits avec les tribus. Les Arabes s’opposent au système des dars puisque la plupart des non-Arabes en possèdent, contre seulement 4 groupes Arabes. Les autres Arabes quant à eux détiennent uniquement des “damrat”, qui n’ont ni écoles ni centres de santé. La répartition inégale des territoires entre les différentes communautés pousse donc les Arabes qui n’ont pas de terres à s’engager auprès des Janjawids pour en obtenir. Du côté du gouvernement, la plupart estiment que les chefs traditionnels n’ont plus le pouvoir de distribuer des terres et que ce droit revient au pouvoir soudanais, qui souhaite assurer à tous les Soudanais le droit d’avoir des terres. Cependant, dans le contexte actuel, il est évident pour tous, y compris pour le gouvernement, qu’un consensus doit être trouvé afin de résoudre ce problème dont l’issue pourrait déterminer la paix ou la guerre.
Enfin, les divergences d’idéologies, qui se sont ancrées et multipliées dès les années 1970, représentent également un enjeu majeur dans la guerre du Darfour. Tout d’abord, “l’alliance arabe”, At-Tajamu ul-Arabiya, cherche à concurrencer un autre mouvement politique Fur, le Darfur Development Front. Pour se faire, l’alliance prônait en 1986 l’unité de tous les groupes arabes du Darfour. C’est eux qui sont à l’origine de la formation des premières milices Janjawids qui ont attaqué les Fur entre 1987 et 1989. Les pro-arabes ont donc tenté de s’unir, minimisant, pour se faire, leurs anciens différends et conflits. Dans le camp adverse, les non-Arabes ont également tenté de s’unir mais avec plus de difficultés, en raison également d’anciens conflits internes. Le seul point d’accord entre les Arabes et non-Arabes est que les Arabes du Darfour sont tout autant marginalisés que les non-Arabes, voire plus. Ils partagent l’idée que le Darfour est sous-développé, et les Arabes vivant dans la région, sont donc essentiellement nomades et n’ont pas de personnalités politiques pour les représenter auprès des institutions. C’est pourquoi une revendication commune aux groupes Arabes et non-Arabes concerne la représentativité politique. En effet, ils souhaitent voir apparaître une réelle représentativité de leur communauté au sein des institutions étatiques. Puisqu’ils souhaitent avoir un pouvoir relatif au poids démographique de leurs ethnies, une compétition subsiste entre les différentes communautés pour le contrôle des territoires. De plus, la population Arabe et nomade est illettrée à 90%, ils sont peu à aller à l’école puisque la préoccupation majeure est de trouver des pâturages. Les groupes sédentarisés sont parvenus à plus de stabilité, ce qui explique pourquoi les populations arabes qui souhaitent se sédentariser pour sortir de cette profonde marginalité convoitent autant ces terres.
La guerre du Darfour résulte donc de tensions décennales entre Arabes et non-Arabes exacerbée notamment par la sécheresse qui a impacté la région. Avec les deux guerres civiles qui ont frappé le Soudan (1955-1972 et 1983-2005) le président Omar El-Béchir n’avait plus les moyens de régler les conflits entre tribus. Il a donc fait appel à des tribus arabes pour l’aider à combattre la rébellion au Darfour. Les forces gouvernementales soudanaises au côté des Janjawids ont donc mené dès l’insurrection populaire des rebelles du Darfour le 26 février 2003, une répression terrible contre les populations non-Arabes et leurs tribus menant ainsi l’ONU à saisir la CPI sur la potentialité d’un génocide au Darfour.
Le déroulement du confit et ses conséquences humanitaires
Le déroulement du conflit
Pendant l’hiver 2002-2003, l’opposition au président soudanais Omar El-Béchir s’intensifie. En janvier, des attaques antigouvernementales sont revendiquées par la SLA. En réponse, le gouvernement laisse les Janjawids mener des représailles dans tout le Darfour et l’armée soudanaise bombarde des villages sous prétexte de combattre les milices armées non-Arabes. La région fait face à une escalade de violence, ce qui amène les observateurs humanitaires et diplomatiques à s’intéresser à la zone. Ces derniers accusent le pouvoir central d’avoir armé et payé les Janjawids.
Le mois suivant, le 26 février, la SLA et la JEM attaquent et occupent Golo, un village au Nord du Darfour. Leur objectif est alors d’attirer l’attention du gouvernement sur leurs revendications, souhaitant une meilleure répartition des ressources et des richesses du pays. Cet acte est reconnu comme le déclenchement officiel de la guerre civile du Darfour, menant à une succession de massacres sur les populations et à la destruction de villages. Dès à présent, le gouvernement ne se cache plus et arme ouvertement les nomades Arabes contre les agriculteurs sédentaires noirs en exploitant les anciennes tensions ethniques et les revendications pour le contrôle des terres. Le conflit est déclaré, menant chaque camp au combat. Ainsi, en avril, les rebelles attaquent l’aéroport d’El Fasher, tuant 70 soldats de l’armée soudanaise. Tandis que dès septembre, l’ONU dénombre 250 000 personnes déplacées, incitant l’organisation internationale à intervenir en arbitre du conflit, menant à un accord signé à Abéché, instituant une trêve de 45 jours. Cependant, dès octobre, les attaques reprennent et le mois suivant, l’ONU prolonge d’un mois l’accord et par conséquent la trêve, qui ne sera pas pour autant respectée par les milices armées. En décembre, le cessez-le-feu échoue et les combats s’intensifient, aboutissant à la déclaration de l’état d’urgence par le Soudan, le 19 décembre.
Début 2004, après un an de conflit, on estime déjà le nombre de morts à 3 000 personnes et celui de déplacés à 650 000 personnes. Le 8 avril, un nouveau cessez-le-feu de 45 jours, impulsé par le Tchad, est signé à N’Djaména. Il prévoit un accès humanitaire aux populations, le désarmement des milices et la libération de prisonniers. L’Union africaine et l’Union européenne s’engagent dans cet accord en envoyant des observateurs sur le terrain pour relater de l’application de l’arrêt des combats. Cependant, comme l’année précédente, le cessez-le-feu n’est pas respecté et les violences reprennent. Le mois suivant, tandis que certains voisins du Soudan s’impliquent dans la protection des populations locales, la Syrie, d’après le journal allemand Die Welt, aurait testé des armes chimiques au Darfour après avoir rencontré des représentants du gouvernement soudanais. Le pouvoir central aurait « conseillé de tester des armes chimiques sur la population » du Darfour. Dans ce contexte de grandes violences et de massacres, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 1547, qui aborde pour la première fois la guerre du Darfour et tente des négociations entre les belligérants. Ensuite, en juillet 2004, Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU, se déplace à Khartoum, capitale du Soudan et le gouvernement s’engage à désarmer les milices Janjawids accusées de viols, meurtres et pillages de villages du Darfour. De plus, ils s’engagent à faciliter le déploiement de l’aide humanitaire dans la région. Pour veiller au respect de ces engagements, le Joint Implementation Mechanism est mis en place jusqu’en octobre 2004. En même temps, cette année-là, les Nations Unies estiment à 30 000 le nombre de personnes tuées et plus d’un million de déplacés à cause des combats, dont environ 200 000 ont trouvé un refuge précaire dans des camps à la frontière tchadienne. Pour répondre à l’urgence humanitaire, de juillet à septembre 2004, l’Opération Dorca, déclenchée à l’initiative de la France, vise à envoyer 750 tonnes d’aide humanitaire aux réfugiés soudanais présents au Tchad.
Dès 2004, un risque de génocide est abordé. Le 16 septembre, un rapport est adopté par le Parlement européen, abordant la question des crimes contre l’humanité pouvant constituer des actes de génocides, c’est pourquoi un embargo sur les armes est immédiatement demandé. Du côté américain, le gouvernement parle d’actes de génocide dès le 1 septembre. Le 9 novembre, un nouvel accord humanitaire est signé entre le gouvernement et les deux principales forces rebelles, sous la supervision de l’Union africaine. Mais malgré de nombreuses tentatives pacifistes et diplomatiques de résolution du conflit, les violences s’intensifient au point que le nombre de déplacés s’élève à 1,6 million de personnes à la fin de l’année.
En 2005, la guerre bat son plein et le 31 janvier, la commission d’enquête sur le Soudan mise en place par la résolution 1564 du Conseil de sécurité des Nations Unies publie un rapport concluant que les exactions perpétrées au Darfour sont “des crimes contre l’humanité”. Pour donner suite à ces déclarations, une liste de 51 suspects de crime de guerre ou de crime contre l’humanité a été transmise au Secrétaire général de l’ONU et le rapport demande la saisie de la Cour pénale internationale. En mars, la résolution 1593 du Conseil de sécurité onusien s’en remet à la CPI pour qu’elle engage des poursuites contre les responsables des crimes perpétrés au Darfour. Entre octobre et décembre, des rebelles tchadiens attaquent des localités soudanaises et de même, les soudanais attaquent au Tchad, aboutissant le 23 décembre à la déclaration d’“état de belligérance” avec le Soudan par le Tchad. En parallèle de ces tentatives, peu fructueuses, de diplomatie et de dialogue, en juillet et août de la même année, l’OTAN apporte la force aérienne nécessaire à l'Union africaine pour déployer plusieurs régiments venant du Rwanda, du Sénégal, d’Afrique du Sud et du Nigéria au Darfour, permettant l'acheminement de 1 900 soldats. Cette même année, l’ONU, à la suite de la résolution 1590 adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité le 24 mars, a mis en place la Mission des Nations unies au Soudan (MINUS). A l’origine, la mission, visant à soutenir l’application de l’accord de paix signé en janvier 2005 entre le gouvernement soudanais et la SLA, ne devait durer que 6 mois. Finalement elle s’est achevée le 9 juillet 2011. Au total, 10 000 militaires ont été envoyés afin d’assurer une assistance humanitaire, la protection des civils et la promotion des droits de l’Homme. La Mission de l’Union africaine au Soudan, qui a commencé la même année à l’initiative de l’Union africaine, a permis de soutenir les forces onusiennes avec 7 000 soldats supplémentaires. Finalement, les 2 missions vont fusionner en 2007 sous le nom de la Mission conjointe des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour.
En 2006, la situation s’aggrave puisque la crise du Darfour s'étend au Tchad et à la République centrafricaine. Des cas d'attaques récurrentes dans les camps de réfugiés au Tchad sont rapportés. Les mêmes modes opératoires que ceux observés au Darfour sont employés par les milices armées. Viols de femmes et exactions commises sans distinction, notamment sur des enfants, sont à déplorer chaque semaine.
Ce résumé non-exhaustif de ce qui s’est passé dans les premières années du conflit est significatif de ce qui va continuer de se dérouler durant les quatorze années suivantes. Entre tentatives diplomatiques et interventions extérieures militaires et humanitaires, les rapports de l’ONU et des ONG continuent de déplorer de nouveaux morts, de nouveaux crimes commis contre les populations du Darfour et toujours plus de personnes forcées de fuir la région. Si bien que le 1er décembre 2006, au moment de la fin de ses fonctions, Kofi Annan déclara : « Soixante ans après la libération des camps de la mort nazis, trente ans après le Cambodge, la promesse du « jamais plus » sonne creux. Ils pourront avoir à répondre collectivement et individuellement pour ce qui est en train de se passer au Darfour ».
Finalement, la guerre du Darfour prend fin le 3 octobre 2020, à la suite de la signature d’un accord de paix entre 9 groupes rebelles soudanais, regroupés au sein du Front révolutionnaire du Soudan (FRS), et le gouvernement soudanais.
Face à cela, quelles conséquences humanitaires ?
Les Nations Unies rapportent un lourd bilan de 300 000 morts et plus d’un million de déplacés, dont 400 000 personnes au Tchad. Sur toutes ces victimes il semblerait que des minorités ethniques, essentiellement les Fur, Massalit et Zaghawa, aient été en particulier visées. Ce qui mène le Congrès des Etats-Unis à voter à l’unanimité, tôt dans le conflit, en juillet 2004, une résolution pour qualifier de génocide la guerre civile du Darfour. Le 1 février 2005, la commission d’enquête des Nations Unies sur les violations des droits de l’Homme perpétrées au Soudan parle de crimes contre l’humanité. Les Nations Unies ont ensuite renvoyé la situation auprès de la Cour pénale internationale. Ainsi, l'enquête menée par la CPI, ouverte en juin 2005, a mis en cause plusieurs responsables du gouvernement soudanais. Le 27 avril 2007, 2 mandats d’arrêts internationaux sont émis à l’encontre d’Ahmed Haroun, ancien ministre de l’Intérieur, et Ali Kosheib, un des principaux chefs des milices Janjawids, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Ensuite, le 4 mars 2009, un mandat d’arrêt est émis contre le président soudanais Omar El-Béchir, accusé de crime de guerre et de crime contre l’humanité. Enfin, le 12 juillet 2010, un deuxième mandat est émis à son encontre pour génocide dans le cadre de la guerre du Darfour. Finalement, les mandats d’arrêt contre l’ancien président soudanais n’ont jamais été exécutés et il n’a pas encore été remis à la CPI.
Les populations du Darfour ont été victimes de destructions, forçant les populations à quitter leurs terres. Tandis que certains villages ont été rasés, la tactique de la terre brûlée a détruit ce qu’il restait de leurs champs. Une majorité s’est réfugiée au Tchad, des centaines de milliers de personnes ont fui, dont beaucoup de femmes et d’enfants, qui ont rarement réussi à trouver un refuge en sécurité puisque même les camps de réfugiés ont été la cible d’attaques.
Ce conflit a vu se dérouler bon nombre de violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains commises par les forces gouvernementales soudanaises. Un rapport d’Amnesty International, intitulé “Terre brûlée, air empoisonné”, relate des bombardements ciblant les civils et les biens civils, des tueries d’hommes, de femmes et d’enfants tentant de fuir, tandis que d’autres enfants ont été enlevés. De nombreux témoignages ont relaté que les villages étaient pillés, détruits ou incendiés, ce qui a pu être confirmé par Amnesty International par images satellite, avec 171 villages détruits entre janvier et septembre 2016, la période étudiée par le rapport. D’autres témoignages dénoncent aussi une hausse des violences sexuelles et notamment des viols. En effet, ces violences sont caractéristiques de cette guerre. Des auteurs dénoncent des viols, utilisés comme arme de guerre et de nettoyage ethnique contre les populations noires africaines du Darfour car les femmes, mais aussi les enfants, sont concernés et les mutilations sexuelles sont fréquentes. La majorité sont commis par les forces gouvernementales et les Janjawids. Eric Reeves, un professeur américain ayant mené des recherches sur la situation des droits de l’Homme au Soudan estime que plus d’un million d’enfants ont été « tués, violés, blessés, déplacés, traumatisés ou ont subi la perte de leurs parents et de leurs familles ».
En parallèle des violences directes, il y a les violences indirectes. En effet, de nombreux civils sont morts de faim, de déshydratation ou de froid après avoir été forcés à fuir leurs villages. Amnesty International en conclut que “L'objectif de la quasi-totalité des attaques semble avoir été de s'en prendre à la population tout entière.” De plus, ils remarquent que “Dans l'immense majorité des villages visés, aucune présence officielle de l'opposition armée n'avait été relevée au moment de l'attaque.”, ce qui présuppose des attaques délibérées ciblant les populations locales et ne visant pas les rebelles comme l’affirmait alors le pouvoir central soudanais. Enfin, le rapport fait référence à des allégations d’attaques chimiques. Toujours dans la période de janvier à septembre 2016, des témoignages ont rapporté de la “fumée toxique” pendant les attaques des forces gouvernementales. Des preuves photographiques ont été envoyé à l’ONG avec les symptômes survenus pendant ou après les attaques, à la suite de quoi deux spécialistes des armes chimiques consultés par Amnesty International, ont conclu que tous les éléments mis à disposition tendent “fortement à indiquer que des armes chimiques ont été utilisées lors des attaques dont il est question”. D’après les témoignages, plus de 230 personnes dont au moins 105 enfants sont mortes à cause de l’utilisation de ces armes chimiques.
La guerre du Darfour, qui s’est déroulée entre 2003 et 2020, a été le théâtre de scènes de violences inouïes à l’encontre des populations locales, incluant des méthodes de viols systématiques, des attaques à armes chimiques, le pillage ou bien encore, la destruction de villages. L’illusion d’une paix durable, née de l’accord de paix signé en 2020, a été de courte durée puisqu’en 2023 les combats et les exactions ont repris avec une forte intensité, laissant sur leur passage ruines, famines et déplacements massifs de populations. Depuis le début du conflit jusqu’à aujourd’hui, environ 11 301 340 personnes ont été déplacées, selon les chiffres récents de la matrice de suivi des déplacements de l’Organisation Internationale des Migrations (OIM). Les combats continuent actuellement, le 20 mars dernier, le Bureau des droits de l’Homme de l’ONU s’est « inquiété » de la mort de dizaines de civils dans des bombardements et a, encore, signalé une escalade de violence contre les civils à Khartoum. Ainsi, nous pouvons retenir les mots de M. Refaat de l’OIM : « Près de deux ans de conflit [2023-2025] incessant au Soudan ont entraîné d'immenses souffrances, déclenchant la crise humanitaire la plus importante et la plus dévastatrice au monde, avec plus de 30,4 millions de personnes – soit plus de la moitié de la population – dépendants de l’aide humanitaire, dont 16 millions d'enfants. Les récentes coupes budgétaires de l'aide humanitaire internationale aggravent la crise et accentuent les souffrances ». Ainsi, dans le contexte international actuel où Donald Trump a décidé de fermer fin janvier l’agence américaine au développement international, l’USAID, supprimant par conséquent plus de 90% des financements humanitaires à l’étranger des Etats-Unis, soit 41 milliards d’euros par an, représentant 42% du budget de l’aide humanitaire mondiale, on peut se demander quel espoir et avenir reste-il pour ces populations, prisonnières depuis plusieurs décennies de conflits successifs, violents et meurtriers, qui semblent sans fin et dépendant plus que jamais de l’aide internationale.
Bibliographie:
https://www.amnesty.fr/presse/soudan-du-sud.-malgre-laccord-de-paix-les-forces
https://www.monde-diplomatique.fr/publications/l_atlas_un_monde_a_l_envers/a53980
Délimitation des faits à l’origine de la crise du Darfour - Persée
Soudan : que faut-il savoir sur la crise actuelle ? | ONU Info
John Hagan, Wenona Rymond-Richmond et Patricia Parker, « The Criminology of Genocide: The Death and Rape of Darfur », Criminology, vol. 43, no 3, 2005, p. 525–562
https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/etats-unis-les-ong-du-monde-entier-mises-a-mal-par-la-fin-de-l-aide-americaine_7117695.html
Samuel Totten, Genocide in Darfur: Investigating the Atrocities in the Sudan, Routledge, « Chronology: The Darfur Crisis »
[1] Délimitation des faits à l’origine de la crise du Darfour - Persée
[5][5] https://www.memoireonline.com/03/15/8980/m_L-enjeu-geostrategique-dans-l-instabilite-au-Soudan-du-sud13.html
[6] John Hagan, Wenona Rymond-Richmond et Patricia Parker, « The Criminology of Genocide: The Death and Rape of Darfur », Criminology, vol. 43, no 3, 2005, p. 525–562
[7] Samuel Totten, Genocide in Darfur: Investigating the Atrocities in the Sudan, Routledge, « Chronology: The Darfur Crisis »
[8] https://www.iom.int/fr/news/premiere-diminution-du-nombre-de-deplacements-enregistree-depuis-le-debut-de-la-crise-au-soudan-dans-un-contexte-de-crise-humanitaire-qui-perdure