Par Tanguy Lesnard, étudiant en 1ère année de master - Paix, Action Humanitaire et Développement (PHD) - à Sciences Po Lille
La mer de Chine méridionale (MCM), s’étendant du Sud de la Chine à l'Indonésie et bordée par les nations de l'Asie du Sud-Est, se présente comme un révélateur des ambitions et des tensions géopolitiques en Asie. S'étendant du détroit de Taïwan au nord à Singapour au sud, et de la péninsule indochinoise à l'ouest, à l'archipel des Philippines et à la Malaisie insulaire à l'est, cette mer couvre une superficie d'environ 3 500 000 km2. Elle abrite des centaines d'îlots et de récifs, parfois regroupés en archipels qui sont au cœur de revendications de souveraineté concurrentes émanant des nations riveraines : Chine, Taïwan, Philippines, Malaisie, Brunei, Indonésie et Vietnam. La dynamique des rapports de forces dans cette zone met en relief comment les prétentions territoriales, souvent ancrées dans des interprétations historiques divergentes, entrent en collision avec les principes et les usages du droit maritime international. L'évolution du cadre juridique, et son interprétation par les États de la région, ajoutent une couche de complexité au tableau déjà dense des relations internationales en mer de Chine du Sud.
Plus encore, la MCM se présente comme un miroir reflétant la complexité géopolitique de la région. Elle centralise autour d'elle la vaste région Asie-Pacifique, un moteur indéniable de l'économie globale, détenant déjà 45 % du PIB mondial, et engendrant 60 % de la croissance économique globale, tout en hébergeant les deux tiers de la population mondiale. La stabilité de cette zone et la garantie de la libre circulation maritime sont des enjeux cardinaux pour l'Asie et le monde entier.
De ce fait, les différentes dynamiques multiformes en MCM transcendent la sphère régionale pour devenir un enjeu global. De plus, la montée en puissance de la Chine manifeste une remise en question du système international basé sur le droit, privilégiant une politique du fait accompli et une reconfiguration du multilatéralisme à la chinoise, favorisant les dialogues bilatéraux. Les ambitions chinoises conduisent à se pencher sur le droit international dans la zone, en particulier dans le domaine de la souveraineté maritime.
Ainsi, en tentant de discerner les enjeux et dynamiques complexes à l'œuvre, cet article vise à explorer comment les ambitions nationales, les rivalités régionales et les impératifs globaux se mêlent et se démêlent dans le théâtre maritime de la mer de Chine méridionale.
https://www.alternatives-economiques.fr/spratly-paracel-archipels-litige-0109200970932.html
La zone Asie-Pacifique, caractérisée par sa forte dynamique économique, est destinée à demeurer le moteur de l'économie globale dans les décennies à venir. Englobant des États et organisations majeures telles que la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l'Australie ou encore l'ASEAN, cette région représente 45 % du produit intérieur brut global, et est responsable de près de 60 % de la croissance économique mondiale. Les enjeux économiques sont primordiaux au sein de cet espace, ce qui conduit à des interrogations sur la bonne gestion des flux maritimes.
Au cœur de cette région de l’Asie-Pacifique se trouve la MCM, carrefour entre l'océan Indien et l'océan Pacifique. Il s’agit d’un axe stratégique crucial pour le commerce mondial, canalisant 30 % du commerce maritime global. Entre 1970 et 2000, le volume du trafic maritime a connu une augmentation de 67 %, franchissant la barre des 7 milliards de tonnes en 2008, jusqu’à atteindre entre 14 et 15 milliards de tonnes en 2020. Le détroit de Malacca, en particulier, voit le passage quotidien de près de 200 navires marchands, illustrant ainsi l'importance stratégique et économique de cette voie maritime.
La MCM est un carrefour crucial pour les enjeux halieutiques globaux. Les revendications territoriales dans cette région déterminent qui peut réglementer et bénéficier des ressources halieutiques abondantes. En 2016, elle contribue à 50 % de la production halieutique mondiale, avec la Chine dominant le secteur, représentant environ 38 % de la pêche mondiale. Le Japon, en tant que second producteur mondial, pêche également en masse dans ces eaux, soulignant l'importance halieutique de la MCM pour l'Asie-Pacifique, devenue la première zone de pêche en 2017.
La liaison maritime entre l'Asie et le Moyen-Orient est d'une importance capitale, notamment pour l'Asie qui importe 65 % de son pétrole en provenance de cette région. Une interruption des approvisionnements, qui transitent via la MCM, aurait des répercussions majeures sur la région. Les détroits de Malacca et de Lombok sont vitaux notamment pour l'économie japonaise, avec 80 % de ses importations d'hydrocarbures traversant cette voie maritime. En ce qui concerne la Chine, le détroit de Malacca est le passage principal pour 90 % de son commerce extérieur. Ainsi, en raison de la centralité de la route maritime de la MCM, les tensions croissantes dans cette zone peuvent avoir des ramifications globales.
Parallèlement à la libre circulation maritime, les litiges en MCM soulèvent également la question de la libre circulation aérienne. Selon la réglementation internationale, un espace aérien national correspond à la colonne d'air s'élevant au-dessus du territoire de l'État concerné à partir de ses eaux territoriales. Actuellement, en mer de Chine du Sud, l'espace aérien au-dessus de la mer est partagé sans égard aux litiges maritimes, sous la supervision de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI). Toutefois, la Chine a déjà menacé de remettre en question cette liberté de circulation aérienne en instaurant une zone d'identification aérienne (Air Defense Identification Zone - ADIZ), notamment en réaction à la sentence arbitrale du Tribunal de La Haye en 2016, qui, en substance, refusait la prétention chinoise à établir des ZEE à partir des îles Spratleys. Nous examinerons ces aspects juridiques plus en détails par la suite. Dans un tel scénario, la Chine imposerait des procédures de contrôle aux aéronefs en transit au-dessus de la mer de Chine, similaires à celles appliquées aux aéronefs pénétrant dans son espace aérien, avec des avertissements supplémentaires adressés aux contrevenants potentiels. Cette menace n'est pas purement théorique, car la Chine a déjà adopté une telle mesure en 2013 au-dessus d'une grande partie de la mer de l'Est, entre Taïwan et la Corée du Sud, afin d'affirmer ses revendications territoriales dans son litige avec le Japon concernant les îles Senkaku, en violation manifeste de la liberté de circulation aérienne internationale.
https://www.liberation.fr/planete/2016/07/12/dix-questions-pour-comprendre-le-conflit-en-mer-de-chine-meridionale_1465463/
De plus, la militarisation des îles artificielles dans la MCM suscite des inquiétudes, en particulier car les installations militaires chinoises provoquent une augmentation des efforts militaires des autres États riverains, et entraînent une présence renforcée des navires de guerre américains. Cette militarisation accrue augmente le risque d'une escalade militaire, dont les conséquences pourraient être sévères pour le commerce maritime international. Passons rapidement en revue les différentes revendications des acteurs de la région, afin d’éclairer les différents rapports de forces. La MCM est effectivement le théâtre d'un enchevêtrement de revendications territoriales portées par différents acteurs régionaux. Chacun avance des arguments historiques, juridiques et géographiques pour soutenir ses prétentions.
La “ligne à neuf traits”, établie en décembre 1947, constitue la base des revendications chinoises, englobant une grande majorité de la MCM. Pékin revendique la souveraineté sur les archipels des Paracels et des Spratleys, en s'appuyant sur des preuves historiques de présence et d'administration chinoises dans ces zones. Le Vietnam revendique de son côté les archipels des Paracels et des Spratleys en se basant sur des documents historiques, des cartographies anciennes et une présence administrative continue depuis plusieurs siècles. Hanoï souligne également les accords coloniaux qui reconnaissaient sa souveraineté sur ces îles. Les Philippines avancent des revendications sur certaines parties des Spratleys et du récif de Scarborough. Les arguments philippins sont principalement fondés sur la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), qui établit des zones économiques exclusives (ZEE) basées sur la proximité géographique. La Malaisie, quant à elle, revendique une portion des Spratleys basée sur la proximité géographique et les droits économiques exclusifs établis par la CNUDM. Elle conserve également une présence militaire sur certaines îles pour étayer sa revendication. Brunei avance des revendications modestes basées sur son droit économique exclusif, conformément à la CNUDM. Enfin, bien que politiquement isolée, Taïwan maintient des revendications similaires à celles de la Chine, en se fondant sur l'héritage historique et géographique. Taïwan occupe également l'une des plus grandes îles des Spratleys, Itu Aba, renforçant ainsi sa revendication.
Ces différents enjeux que nous survolons traduisent d'ores et déjà la centralité que représente la MCM dans l’équilibre des relations internationales à l’échelle régionale et globale. Les enjeux économiques, commerciaux, juridiques et de souveraineté s’entrechoquent, faisant de la MCM un laboratoire d’analyse des relations internationales dans la zone de l’Asie-Pacifique. Il semble nécessaire de s'attarder sur l’aspect juridique, permettant de cerner au mieux les différentes dynamiques et rapports de forces en jeu dans cet espace géostratégique.
https://www.questionchine.net/mer-de-chine-meridionale-le-fait-accompli-se-pare-de-juridisme
La problématique juridique en MCM se manifeste clairement à travers l'enchevêtrement des prétentions maritimes émanant des divers États. Ces ambitions sont ancrées dans les droits perçus par les États concernant leurs ZEE, en liaison avec la souveraineté proclamée sur certains territoires. Elles nécessitent une analyse minutieuse à la lumière de la CNUDM, également appelée Convention de Montego Bay, signée en 1982 et mise en vigueur en 1994, qui énonce clairement ces droits spécifiques.
La Convention de Montego Bay, en établissant des normes précises pour l'assertion de la souveraineté maritime des États, présente une exception quand les contraintes géographiques ne permettent pas l'application rigide de la règle des 200 milles nautiques. En effet, rappelons que la haute mer commence là où s’arrêtent les zones de souveraineté et les ZEE des États, à 200 miles nautiques (370 km) des côtes au maximum. Dans de telles circonstances, les nations sont appelées à concourir, via des négociations, à une résolution équitable. Il est pertinent de mentionner que tous les États riverains de la MCM ont ratifié cette convention : les Philippines en 1984, le Vietnam en 1994, et la Chine, la Malaisie et Brunei en 1996. Toutefois, les prétentions territoriales, notamment sur les îles Paracels et les îles Spratleys, complexifient davantage ces négociations.
En effet, certains États, notamment la Chine, appliquent aux îles Spratleys et Paracels les dispositions de la Convention de Montego Bay relatives aux États archipels (article 46), ce qui leur permet de tracer les lignes de base, marquant l'initiation du calcul de la ZEE, en reliant les points extrêmes des îles les plus distantes de l'archipel, considéré comme engendrant des droits maritimes dans son intégralité, indépendamment du statut juridique des éléments le composant. Selon la Convention de Montego Bay, un archipel est défini comme « un ensemble d'îles, y compris des parties d'îles, les eaux attenantes et les autres éléments naturels qui ont les uns avec les autres des rapports si étroits qu'ils forment intrinsèquement un tout géographique, économique et politique, ou qui sont historiquement considérés comme tels ». Il est généralement admis que les Spratleys et les Paracels entrent dans cette catégorie. Cependant, les clauses de la Convention de Montego Bay s'appliquent uniquement aux États archipels, et ni les Spratleys, ni les Paracels ne sont des États archipels, rendant cette interprétation incompatible avec le droit maritime international.
En somme, la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer établit des règles claires pour déterminer les espaces maritimes auxquels les États sont en droit. Mais elle n'offre pas de solution en cas de chevauchement de ces espaces, et de revendications contradictoires. Dans ce cas, la seule recommandation est le recours à la négociation ou à l'arbitrage. En l'absence de progrès sur cette question de souveraineté territoriale des îles, et faute de mécanisme satisfaisant de règlement des différends, la détermination juridique des zones maritimes des pays riverains de la mer de Chine méridionale demeure une impasse.
Concentrons-nous désormais sur la revendication territoriale de la République populaire de Chine (RPC) sur la MCM. La position chinoise est un point déterminant des conflits territoriaux de cet espace. Les aspirations de la Chine sont symbolisées par la "ligne en neuf traits", une démarcation historique émanant initialement du Comité d’inspection des cartes de la terre et de l’eau du Kuomintang en 1933, et officialisée sur les cartes de l'administration nationaliste en 1946. La zone définie par cette ligne englobe 80 % de l'espace maritime de la MCM, incluant l'intégralité des archipels Spratleys et Paracels, ainsi que le récif de Scarborough et Taïwan. Cette prétention entre en conflit avec les revendications maritimes de tous les pays de la région. Avec la fondation de la RPC en 1949, cette démarcation fut adoptée comme illustration des aspirations territoriales chinoises. Cette ligne symbolise une revendication de souveraineté notamment sur les archipels des Paracels et des Spratleys, justifiée par des activités historiques de pêche et de navigation chinoises dans les eaux adjacentes.
Toutefois, la non-divulgation des coordonnées précises et de la méthode de délimitation de cette ligne engendre une ambiguïté juridique notable. L'examen de l'authenticité et de l'exactitude des revendications historiques chinoises est une entreprise complexe. Le droit international requiert plus que la simple découverte et occupation sporadique pour légitimer des revendications souveraines. Du point de vue de la RPC, les conventions maritimes contemporaines et accords internationaux ne devraient pas éclipser l'histoire millénaire du pays avec ces îles ni annuler les revendications territoriales antérieurement reconnues. Cependant, l'absence d'engagement juridique formel de la part de la Chine pour valider ses revendications le long de la “ligne en neuf traits” soulève des questions sur la légitimité et l'acceptabilité internationale de ces prétentions. Par ailleurs, la Chine ne reconnaît, pour le règlement des différends maritimes en MCM, que la négociation. Cela l'a amenée à rejeter tout recours à l'arbitrage par un tiers afin de régler le différend. Elle a notamment refusé de participer à la procédure juridique initiée en 2013 par les Philippines devant le tribunal arbitral de La Haye, visant à établir le statut juridique de certains éléments de la MCM. La sentence prononcée en 2016 a été favorable aux Philippines, qui cherchent à contenir l’influence de la Chine dans le secteur : le tribunal de La Haye a déterminé que la majorité des éléments en question étaient des rochers ou des hauts-fonds, qui ne confèrent donc pas de ZEE, comme nous l’avons vu précédemment à l’appui de la Convention de Montego Bay. En effet, dans sa décision, la Cour déboute les revendications chinoises quant à la notion de droits historiques et estime qu’aucune formation insulaire des Spratleys ne constitue une île au sens de l’article 121, ce qui ne leur permet pas de générer de ZEE ni de plateau continental. Sans surprise, la Chine a rejeté cette sentence.
Caricature représentant l’animosité de la Chine face au jugement de la cour.
https://redtac.org/asiedusudest/2021/12/23/conflits-en-mer-meridionale-de-chine-malaisie-sa-strategie-zero-risque-face-a-la-chine/
Dans le contexte stagnant des négociations juridiques, les nations ont donc opté pour la matérialisation de leurs revendications souveraines par l'occupation des îles et atolls de la région. Étant donné la nature inhospitalière de plusieurs de ces formations géographiques (souvent partiellement submergées ou de superficie limitée), des travaux de transformation ont été entrepris afin d'en augmenter la viabilité. Une accélération notable des constructions a été observée de la part de la Chine depuis le début des années 2010. La Chine a procédé à une transformation et militarisation massives des territoires sous son contrôle dans les archipels des Paracels et des Spratleys : édification de pistes d'atterrissage, hangars, infrastructures logistiques, installation de radars, ainsi que de batteries de missiles anti-aériens. Bien que la Chine ait antérieurement réfuté l'idée de militariser les îles artificielles en mer de Chine du Sud, elle invoque désormais son droit à l'autodéfense, faisant référence à une fortification des îles principalement face à la menace américaine.
Actuellement, la Chine déploie des moyens considérables à travers la MCM, impliquant principalement l'Armée populaire de libération et, en particulier, une marine chinoise en ascension rapide depuis 2014. Outre les forces militaires, la Chine mobilise également des milices de pêcheurs et des garde-côtes, témoignant d'une appropriation accrue de cette étendue maritime. L'emploi de ces forces paramilitaires a pour dessein de modérer les risques d'escalade lors des confrontations quotidiennes en mer, notamment avec les garde-côtes et pêcheurs des nations riveraines.
En synthèse, il est plausible que la conquête d'îles supplémentaires par des moyens militaires soit peu probable à court terme, en l'absence d'affrontements militaires depuis 1988 (conflit entre la Chine et le Vietnam au sujet des îles Spratleys). Il est néanmoins probable que la transformation et la militarisation des territoires occupés continuent de s'intensifier.
Il est nécessaire de se pencher sur les raisons d’une telle activité de la Chine en MCM. Les différents enjeux économiques et territoriaux sont naturellement conséquents. Mais la relation sino-américaine en MCM est éclairante sur les dynamiques géopolitiques en présence. Cet espace se trouve inscrit dans un contexte de quête de prédominance géopolitique entre les États-Unis et la Chine, transcendés par des enjeux d'accès aux ressources cruciales. L'échiquier géostratégique de cette zone est fondamentalement altéré par la dynamique de militarisation engagée par la Chine, qui se considère agissant en réaction à la menace de la présence américaine dans cet espace. Le déséquilibre stratégique où se trouve la Chine vis-à-vis de son rival américain, exacerbé par les contraintes géographiques et le tissu des alliances américaines, détermine une grande partie de son comportement dans cette région.
La situation géographique de la Chine, en premier lieu, permet de cerner les motivations chinoises en MCM. Disposant d’une vaste étendue maritime, la Chine est toutefois encadrée par des espaces sous influence américaine. Les États-Unis, avec ses positions stratégiques en Corée du Sud, Japon, Philippines, Singapour et Thaïlande, contrôlent les détroits cruciaux, restreignant l'accès de la marine chinoise aux Océans Pacifique et Indien, et projetant ainsi un sentiment d'encerclement sur la Chine. La puissance maritime des États-Unis se manifeste au travers de leurs “Freedom of Navigation Operations” (opérations de liberté de la navigation). Ces manœuvres stratégiques se sont déroulées aux quatre coins du globe, partout où Washington perçoit des tentatives d'expansionnisme maritime qui, selon eux, violeraient le droit international. Depuis 2015, la mer de Chine méridionale est devenue l'un des principaux théâtres de ces FONOPS, en particulier en raison des îles artificielles érigées par divers acteurs régionaux. Bien que ces opérations soient présentées comme neutres, ne ciblant aucun pays spécifique, il est incontestable qu'elles se concentrent fréquemment sur les installations chinoises, témoignant ainsi des tensions sous-jacentes entre Pékin et Washington. Ces manœuvres militaires stratégiques sont utiles pour les États-Unis. Elles leur permettent non seulement d'affirmer leur présence dans cette région sous tension, mais aussi de souligner leur adhésion au respect du droit international.
De plus, Pékin s'emploie activement à réduire l’influence militaire américaine en Asie-Pacifique, cherchant un équilibre stratégique. La consolidation chinoise en MCM s'inscrit dans un dessein plus vaste de Pékin de s'établir comme une puissance prééminente. Le projet des Nouvelles Routes de la Soie (Belt and Road Initiative) est une autre illustration de l'ambition chinoise de redéfinir l'ordre mondial, en contournant l'encerclement américain par le biais d'une projection de soft power à l'échelle globale, juxtaposée à l'expression du hard power en MCM. La question de Taïwan reste par ailleurs un enjeu majeur dans cette rivalité, avec les États-Unis soutenant fermement l'île, et la Chine n'excluant pas le recours à la force pour une réunification. Les États-Unis, pour leur part, discernent clairement dans l'ascension chinoise un défi stratégique majeur, voire une menace. L'assurance renouvelée des États-Unis envers leurs alliés dans la région, combinée à une présence militaire accrue, témoigne de la détermination américaine à contrer l'influence chinoise.
Ainsi, nous avons observé les divers enjeux et dynamiques qui se concentrent autour de la MCM. L’importance géostratégique de cette zone traduit sa centralité dans le domaine d’analyses des relations internationales et des rapports de forces. De plus, du fait de son importance économique notamment dans un contexte d’accroissement des flux commerciaux, la mer de Chine du Sud présente de nombreuses revendications territoriales, articulant différentes interprétations du droit international et de prétentions historiques, montrant toute la complexité des enjeux de souveraineté dans cet espace. Reflet de la rivalité sino-américaine, la MCM doit concentrer nos regards et nos analyses : l’intensification des tensions et des rapports de force au sein de la MCM en fait un des terrains géopolitiques les plus cruciaux pour le monde contemporain, et pour les années à venir.
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