Special Providence: American Foreign Policy and How It Changed the World
Special Providence: American Foreign Policy and How It Changed the World
Walter Russell Mead, Speical Providence: American Foreign Policy and How it Changed the World, 2002
5 novembre 2024, 77 millions d’électeurs américains ont fait le choix du “Make America Great Again”, again pour les quatre prochaines années. À peine investi, le 20 janvier, le président fraîchement réélu signe deux décrets marquants : retrait des États-Unis des Accords de Paris et de l’Organisation mondiale de la santé. Des décisions choc, mais sans surprise, qui confirment une ligne diplomatique déjà bien ancrée. De quoi annoncer la couleur de ces prochaines années !
Cette continuité politique soulève une question essentielle : existe-t-il une logique sous-jacente et des traditions durables qui structurent la politique étrangère américaine, au-delà des clivages partisans et des personnalités présidentielles ? C’est précisément ce que propose d’explorer Walter Russell Mead dans son ouvrage Special Providence: American Foreign Policy and How It Changed the World, paru en 2002.
Walter Russell Mead est un historien, analyste et professeur de relations internationales, reconnu pour ses travaux sur la politique étrangère des États-Unis et son influence sur les dynamiques géopolitiques mondiales. Ancien membre du Council on Foreign Relations, il a enseigné à Yale, Bard College, et est actuellement professeur à Hudson Institute. Il écrit régulièrement pour Foreign Affairs, The Wall Street Journal et The American Interest, où il propose des analyses stratégiques influentes sur la diplomatie et la politique mondiale.
Dans Special Providence, Mead déconstruit l’idée d’une diplomatie américaine incohérente ou erratique, souvent perçue comme oscillant entre isolationnisme et interventionnisme selon les administrations. Au contraire, il soutient que la politique étrangère des États-Unis repose sur des dynamiques historiques bien établies, organisées autour de quatre traditions majeures. Plusieurs questions viennent alors à nous : Quels sont ces écoles si influentes ? Quel est leur impact sur la politique étrangère américaine à venir ? Et surtout comment ont-elles permis au candidat républicain de remporter 2 élections ?
Pour décrypter tout cela, MRI te propose aujourd’hui un déchiffrage de la thèse de Walter Russell Mead sur le sujet !
Les quatre écoles traditionnelles : une boussole pour la politique étrangère américaine
Selon Mead, tout président américain qu’il en soit conscient ou non, s'inscrit dans l’une ou plusieurs de ces traditions : l’hamiltonisme, le jeffersonisme, le jacksonisme et le wilsonisme. Ces courants, bien que nommés d’après des figures emblématiques, dépassent les individus et structurent la politique étrangère américaine depuis plus de deux siècles. Leur combinaison, plus ou moins équilibrée selon les époques et les administrations, constitue le socle fondamental des choix diplomatiques, qu’ils soient républicains ou démocrates.
Pour comprendre l’orientation de la politique étrangère sous Donald Trump, il est essentiel d’examiner ces traditions et leur évolution historique.
L’HAMILTONISME : c’est la puissance par l’économie.
L’hamiltonisme prône une vision commerciale des relations internationales : il s’agit d’assurer la prospérité des États-Unis en les plaçant au centre du commerce mondial. Cette approche trouve son origine à la naissance de la démocratie américaine dans la pensée d’Alexander Hamilton, premier secrétaire au Trésor sous George Washington, qui voyait dans le développement économique et industriel un levier stratégique de puissance. L’hamiltonisme repose sur un équilibre entre protectionnisme et libre-échange, ajusté selon les besoins nationaux et le contexte international. Il privilégie une coopération avec les grandes puissances économiques et considère les intérêts commerciaux comme le moteur principal de la politique étrangère.
Le JEFFERSONISME : une politique extérieure minimaliste.
À l’opposé, le jeffersonisme défend une vision prudente et non-interventionniste des relations internationales. En effet, Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis, considérait que son pays devait éviter les conflits et limiter son engagement dans les affaires mondiales (autrement dit un isolement quasi total vis-à-vis du reste du monde). Cette approche était motivée par la volonté de protéger la jeune république américaine des rivalités coloniales européennes. Le doctrine Monroe (1823-1917) découle directement du jeffersonisme : elle affirme que les Amériques (Nord et Sud) doivent rester sous l’influence exclusive des États-Unis, tout en garantissant leur neutralité dans les conflits européens. Jusqu’au début du XXᵉ siècle, cette politique d’isolationnisme domine la diplomatie américaine.
Le JACKSONISME : l’exceptionnalisme national et la priorité aux intérêts américains.
Le jacksonisme repose sur une vision nationaliste et populiste de la politique étrangère. Il est inspiré par Andrew Jackson, septième président des États-Unis et premier à se présenter comme un adversaire des élites politiques traditionnelles. Ce courant est marqué par l’exceptionnalisme américain, c’est la croyance idéologique selon laquelle les Etats-Unis seraient une nation supérieure aux autres nations du monde par son histoire, ses institutions et son modèle politique. Pour les jacksoniens, la politique étrangère doit être subordonnée aux intérêts nationaux immédiats. Ainsi, seule la politique intérieure au service de la satisfaction électorale nationale compte, et la politique extérieure est quasiment absente des programmes jacksonistes, sauf lorsque les intérêts américains sont directement remis en cause.
Le WILSONISME : la puissance par les valeurs
Le wilsonisme défend une approche idéaliste des relations internationales, où les États-Unis ont pour mission de répandre la démocratie et l’État de droit. Woodrow Wilson, 28ᵉ président américain, marque une rupture en entrant dans la Première Guerre mondiale en 1917, mettant fin à un siècle d’isolationnisme et de la doctrine Monroe.
Pour l’accomplir, l’idéalisme wilsonien se découpe alors en 2 sous-écoles qui se confrontent sur la manière dont il faut diffuser la démocratie libérale à l’américaine :
L’institutionnalisme libéral, version wilsonisme “soft”, qui privilégie la diplomatie et le multilatéralisme (tel la Société des Nations, puis l’ONU).
Le wilsonisme militariste, version wilsonisme plus forte qui cherche à imposer la démocratie par la force et l’interventionnisme (comme la guerre d’Irak en 2003).
L’idéologie wilsonienne repose sur la notion de destinée manifeste, qui confère aux Américains la mission divine de répandre la civilisation, non seulement à l’Ouest comme depuis 1845, mais désormais dans tous les confins du globe.
Isolationnisme versus internationalisme
Mead classe ces quatre courants en deux grandes catégories opposées :
L’isolationnisme, dominant le XIXᵉ siècle à travers le jeffersonisme et le jacksonisme.
L’internationalisme, qui s’impose progressivement au XXᵉ siècle avec l’essor du wilsonisme et le retour de l’hamiltonisme.
L’isolationnisme domine la politique étrangère américaine au XIXᵉ siècle, principalement à travers le jeffersonisme et le jacksonisme. Après une période de transition d’environ un demi-siècle, l’internationalisme s’impose progressivement dans la seconde moitié du XXᵉ siècle, porté par l’essor du wilsonisme et le retour de l’hamiltonisme.
Cette évolution accompagne la montée en puissance des États-Unis sur la scène mondiale : d’abord avec la création d’un nouvel ordre international après la Seconde Guerre mondiale, puis par un interventionnisme actif durant la Guerre froide. Enfin, dans les années 1990 et 2000, l’hyperpuissance américaine atteint son apogée, incarnant pleinement la notion de "gendarme du monde" et renforçant l’idée d’une "destinée manifeste" appliquée à l’échelle globale.
Le schéma historique classique de la politique étrangère étasunienne
Contrairement à ce que l’expérience contemporaine pourrait laisser croire, Mead souligne que l’interventionnisme américain est une exception historique. Pendant une grande partie de son histoire, la politique étrangère des États-Unis a été marquée par un certain pragmatisme isolationniste, où les interventions extérieures étaient l’exception plutôt que la règle. Au contraire, malgré les apparences données par l’expérience contemporaine, la tradition diplomatique américaine a longtemps été marquée par un certain non-interventionnisme.
Une classification pragmatique, mais critiquée
Il est à noter que si le modèle de Mead est largement reconnu dans le champ des relations internationales, il n’est pas exempt de critiques. Certains spécialistes considèrent que son approche repose sur une vision trop schématique de l’histoire.
En effet, une critique récurrente est que ces traditions ne sont pas nécessairement connues des présidents eux-mêmes, et que leur influence dépend de nombreux facteurs, comme la conjoncture internationale, la pression des élites politiques et économiques, ou encore l’évolution de l’opinion publique. D’autres estiment que cette classification surestime la cohérence des politiques étrangères américaines, alors qu’elles sont souvent marquées par des compromis et des ajustements en fonction des crises et des événements.