Tables itinérantes postcoloniales : mémoires domestiques des migrants juifs maghrébins

Joëlle Bahloul, Indiana University, Bloomington, Indiana, USA

La gestion du quotidien des migrants dans les sociétés d’accueil est une question encore assez peu explorée dans l’étude sociologique et historique de l’expérience migratoire. Je me propose de centrer ma présentation sur cet aspect des migrations des juifs maghrébins dans la période postcoloniale. Comment les habitudes quotidiennes, notamment alimentaires, ont-elles été transformées par l’expérience de l’exil, de la perte des liens communautaires et familiaux, des saveurs, odeurs et gestes répétés de l’univers intime de la maison et du quartier ? Comment la notion même de « maison » a-t-elle été modifiée par le voyage ? Comment ces représentations de l’univers domestique quotidien et ses rites, religieux ou ordinaires, ont-ils été reconstitués ou transformés après l’installation des juifs maghrébins en France ? Comment la mémoire des migrants a-t-elle écrit l’histoire de leur décolonisation, autour des tables et des fourneaux ? Ma présentation se limitera à la période des migrations massives qui ont accompagné ou suivi la décolonisation du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie), entre le milieu des années cinquante et le début des années soixante. Je laisserai volontairement de côté les migrations de la fin des années soixante jusqu’au milieu des années quatre-vingt (Tunisie et Maroc) qui relèvent de processus géopolitiques quelque peu différents. Je me concentrerai aussi sur les vagues migratoires vers la France. Ma présentation est basée sur des recherches ethnographiques conduites depuis plus de 30 ans auprès de juifs maghrébins vivant en France depuis environ 5 décennies.