Juifs italiens de Tunisie au XIX° siècle : de la revendication identitaire à l’organisation sociale et culturelle de la collectivité italienne

Silvia Finzi, Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités La Manouba

Au lendemain du Congrès de Vienne et jusqu’à la proclamation de l’Unité italienne, les libéraux, les républicains, les libres penseurs et les patriotes italiens vont être sujets à une dure répression et pour la plupart vont devoir émigrer. Une des destinations privilégiées sera Tunis.

Parmi cette population un nombre important de juifs patriotes constitueront l’élite culturelle et économique de celle qui sera, à partir de la deuxième moitié du 19° siècle, la collectivité italienne.

Nous entendons par collectivité italienne non pas la simple présence d’italiens sur le territoire tunisien mais un groupe d’individus organisés grâce à un réseau associatif complexe qui va de l’organisation d’un système bancaire au profit des émigrés au système scolaire et culturel en général, en passant par la création d’un dispensaire et enfin d’un Hôpital italien.

Le rôle des juifs italiens sera central puisqu’ils seront présents majoritairement dans l’ensemble des conseils d’administration du réseau associatif.

D’autre part et ce au lendemain de la proclamation de l’Unité(1861), le gouvernement italien, trahissant les attentes du peuple italien en particulier dans le Sud de la péninsule (la questione meridionale,les fasci siciliani..) vont déclencher une émigration massive de leur population qui en l’espace de 20 ans va se chiffrer autour de 10 millions d’individus. Des milliers d’italiens de la Sicile, de la Sardaigne et de la Calabre vont affluer sur les cotes tunisiennes. Criminalisés en Italie (le gouvernement italien ne voulant pas reconnaître le phénomène), marginalisés en Tunisie au lendemain du Protectorat français(1881) ils ne trouveront assistance qu’auprès des institutions italiennes présentes sur le territoire par le biais des associations.

En tant que représentants des instances italiennes en Tunisie, les juifs italiens ( génériquement appelés livournais quelque soit leur région de provenance) vont se trouver très vite assimilés aux défenseurs des intérêts de leur pays d’origine face à l’autorité française mais aussi face aux italiens eux-mêmes.

Statut ambigu dans la mesure où ils sont à la fois l’expression de l’italianité officielle et sa contre expression.

Ceci étant, ils ont façonné la collectivité toute entière autour de cette identité libérale, unitaire républicaine et laïque.

Organisation, modernisation, rapport au pays d'origine soit en termes de perpétuation ou de vecteurs de l'italianité (par ex à travers l'organisation d'un réseau scolaire et hospitalier) et rapport au pays d'accueil à travers l’élaboration d’une pensée réformiste seront les caractéristiques des juifs italiens du XIX° siècle.

Confrontés aux mouvements ouvriers et aux visées coloniales de la jeune Italie de la fin du XIX° et du début du XX°, ils vont se trouver vite déchirés entre la revendication d’une italianité de modèle garibaldien et celle de l’affirmation d’une suprématie italienne. La naissance au sein de la collectivité de mouvements anarco- syndicaliste et socialiste vont ultérieurement compliquer leur manière de se rapporter à leur italianité.