De Tombouctou à Conakry. Musulmans et Juifs du Maroc dans l'espace de la relation Maroc-Afrique noire au tournant du dix-neuvième et du vingtième siècle.

Rita Aouad, lycée Descartes, Rabat

Les échanges transsahariens du Maroc ont donné lieu à une tradition séculaire de circulation et d’expatriation de commerçants marocains vers le bilad es Sudan. Au dix-neuvième siècle, ces derniers sont présents des relais sahariens aux villes sahéliennes où ils forment des communautés dynamiques, proches des pouvoirs en place, bénéficiant d’un prestige souvent attribué à leur statut de « représentant » de la civilisation arabo-musulmane : ils sont, en effet, dans leur grande majorité, musulmans et leur histoire semble indissociable de la diffusion, du rayonnement de l’islam dans cet espace. Cette relation forte entre islam et commerce n’ a pas fait occulter, dans l’historiographie de ces échanges, la présence active des juifs du Maroc au sein des réseaux du négoce transsaharien. Mise en évidence pour les périodes anciennes et à partir de leur rôle sur la rive nord - des chapelets d’oasis du Tafilelt, du Draa du Bani jusqu’à Essaouira - celle-ci est restée plus méconnue outre-Sahara pour les périodes plus récentes. Or cette présence vient confirmer la thèse d’un continuum social et culturel de l’espace transsaharien jusqu’à la colonisation française dans lequel intervient le jeu subtil des relations intercommunautaires.

Cette contribution voudrait donc interroger, à partir de la restitution de quelques profils migratoires et du contexte dans lequel ils évoluent, certains aspects de la présence marocaine dans l’espace de la relations Maroc-Afrique noire dans sa double dimension musulmane et juive. Ceci au moment où la domination coloniale dans le nord-ouest de l’Afrique redistribue les mobilités dans cet espace : de la boucle du Niger aux villes de la côté, suivant la littoralisation des territoires , leur « renversement » sur leurs franges maritimes, leur inclusion dans les circuits de la mondialisation. Des héritiers du grand commerce caravanier confrontés à la présence coloniale française sur la boucle du Niger aux migrants rejoignant les territoires coloniaux de l’AOF, de Tombouctou à Dakar et Conakry, il s’agit de mettre en évidence comment se redéfinissent la place et le statut des Marocains d’Afrique sub-saharienne au cours de ce moment particulier de l’implantation coloniale française dans le nord-ouest de l’Afrique. Ce travail se base principalement sur le dépouillement des archives coloniales françaises sources de données factuelles et prisme à travers lequel se devine la fabrique de nouvelles hiérarchies dans ces sociétés coloniales.