Argumentaire

الهجرات والهوية والحداثة في البلاد المغاربية

Migration, Identity and Modernity in the Maghreb

L'histoire des migrations, musulmanes et juives au Maghreb a été certes en partie écrite, mais elle n'a pas forcément toujours été correctement ni complètement contextualisée.

S’agissant des migrations juives à partir du Maghreb, les deux périodes qui ont cristallisé la mémoire du judaïsme, au point de faire partie intégrante de son identité, sont l'exil de l'Andalousie et les départs massifs des années 1950 et 1960. Mais trop rares sont les historiens et les traditions académiques qui ont associé par exemple l'expulsion des Morisques à celle des Juifs, ou relié ces faits et les trajectoires qui les ont accompagnés, à l’émergence douloureuse de la modernité en Europe.

Focalisés sur les dimensions politiques et idéologiques que la conjoncture historique avait mises en avant, les historiens sont encore moins nombreux à avoir exploré les rapports qu’il pourrait y avoir entre les migrations juives du Maghreb vers l'Europe, les Amériques ou Israël et les grandes vagues migratoires toutes origines confondues qui ont marqué la période post-coloniale.

Cette exploration est l'objet central de notre colloque : considérer les flux migratoires non pas seulement en eux-mêmes, mais aussi en les inscrivant dans la conjoncture socio-économique mondiale de grands mouvements qui, tels des lames de fond, ont entraîné la mutation et les mouvements de l'ensemble des sociétés du Maghreb. Déplacements forcés, sédentarisation et entrée dans une économie-monde dominée par l'Europe à l'époque de la conquête coloniale, exportation de main-d'oeuvre à une époque de bouleversement des structures productives en Europe et dans les pays émergents ; prolétarisation de ruraux rendus improductifs par la modernisation de l'agriculture et des transports ; mise en mouvement de classes moyennes fragilisées dans leurs statuts et leur identité par l'irruption de masses marginalisées par le système colonial sur la scène sociale et politique.

Si l'on cherche à replacer l'histoire des migrations dans un contexte et un cadre multidimensionnels où le confessionnel et le politique ne seraient plus les seuls à être considérés, la spécificité des migrations juives s'estompe sans disparaître, au profit d'une condition partagée de migrant constitutive de la modernité de nos sociétés. En ce sens, ce colloque d’Essaouira s'inscrit dans les recherches engagées depuis deux décennies sur l'histoire des migrations maghrébines. Il y rencontre l'action du CCME tendant à représenter, au Maroc, la voix des absents et celle de l'ensemble des communautés marocaines présentes dans le monde entier.

La mémoire préservée de toutes ces communautés migrantes est aussi celle du Maroc et, plus largement, du Maghreb, à différents moments de son histoire ; le maintien de liens sous forme de pèlerinages, de visites familiales ou touristiques, les multiples actions de préservation du patrimoine sont le témoignage que le choix du retour peut être aussi la marque d'une citoyenneté riche de la pluralité de ses régimes d'historicité : tous migrants, parce que tous de passage sur cette terre, que nous investissons chacun différemment de notre mémoire, de nos affects et de nos espérances.