Expulsion et retour des juifs d'Espagne

Jean-Pierre Dedieu, CNRS, LARHRA, Université de Lyon

L'histoire des rapports de l'Espagne à la judaïté est exemplaire. Elle est en outre assez bien connue pour que l'approche mise en oeuvre puisse servir de référence à d'autres études.

Les juifs ont été matériellement éliminés d'Espagne à la fin du XVe siècle, par conversion ou expulsion. Ils ont également été niés en tant que partie prenante de l'histoire espagnole par le phénomène de la pureté de sang, qui se développe vraiment à partir du milieu du XVIe siècle. Dorénavant, il n'est plus possible d'occuper un rang élevé dans la société espagnole sans prouver que l'on n'a pas de sang juif dans les veines. La "pureté de sang" est intimement liée à l'affirmation d'une conscience espagnole commune aux différents royaumes de la péninsule, qui communient dans le mythe de leur éternelle fidélité à l'Eglise. Il est lié au refus de la Réforme et à l'implantation d'une emprise forte du religieux sur la société civile qui se produit à la même époque.

L'effondrement de l'Ancien Régime conduit, au XIXe siècle, l'Espagne à une relecture en profondeur de sa mémoire historique. Les groupes ci-devant marginalisés, notamment les morisques et les juifs, voient leur statut revalorisé. Les partisans du nouveau système politique considèrent le sort que leur a réservé l'ancien comme l'exemple même de ses vices. Juifs et morisques deviennent partie intégrante de la nation espagnole, et l'expulsion est présentée comme une automutilation. Les milieux conservateur maintiennent au contraire l'interprétation traditionnelle, mais sont obligés de donner au thème, ne serait-ce que pour des raisons apologétiques, une importance considérable. La réintégration est parachevée par la "transition démocratique" de la fin du XXe siècle, qui balaye les dernière réticences. Il est désormais chic en Espagne de se trouver une ascendance juive.