Du portable du chef retentit une petite mélodie ; un nouveau message arrivait. Il se saisit de celui-là et lu :
"Vite, on est dans la mouise totale ! Il y a la bande de Sergio qui a prévu de faire une déscente chez Robert et de liquider toute l'équipe ! On a besoin de toi ; au sec...."
"Chacun ses petits soucis, c'est la vie !" pensa-t-il lorsqu'après l'impulsion de son pouce sur le clavier, on pouvait lire "MESSAGE EFFACE" sur l'écran du téléphone sorti tout droit de Matrix.
"Tiens, un autre... Ca a l'air sérieux cette fois ci !"
En effet, ça venait de Zebigboss.
"Hello Mr H. Vous n'êtes pas sans savoir que nous avons une importante commande en Slovénie. Suite à certains retards, le client est furieux. Il va falloir aller là bas, user d'ingéniosité et de tact, pour mettre les machines en service et revenir à Besançon. Bien sûr, si vous même ou l'un de vos agents était capturé ou tué au cours de cette mission - ce qui a de grandes chances de se produire - le département export nierait avoir eu connaissance de vos agissements dans le cadre de ce projet et dirait que c'est le BE qui a tout fait. Ce message s'autodétruira automatiquement dans deux ans avec votre téléphone, comme celui d'Alex. Bonne chance, Mr H..."
Cette mission n'était pas à prendre à la légère. Il lui fallait choisir un minimum de coéquipiers pour l'accompagner, au cas où ils ne reviendraient pas, mais il lui fallait les plus talentueux. Les membres de son équipe étaient tous des professionnels de renom. Il décida néanmoins de n'en prendre qu'un ; le spécialiste des situations inexpugnables : LE CHINOIS.
Le sac PR était à ses pieds. A la main, la sacoche du PC portable, à la ceinture, le téléphone. Les rayons du soleil Bisontin (le plus rare de tous !) se reflétaient dans ses fines Ray-Ban malaysiennes ("I sware ; original copy my friend !"). En costume noir, chemise et cravate bordeaux, le Chinois attendait la voiture qui devait l'emmener à l'aéroport.
Le chef eu quelques minutes de retard, venant d'un entraînement sportif intensif. "Il est important de conserver une forme optimale pour se préparer aux conditions extrêmes, comme celles que nous allons vivre...". Cela ne les empêcha pas d'être largement à l'heure à Bâle. "On pourrai peut être manger quelque chose avant le décollage ?" souffla ce dernier.
Les ennuis allaient déjà commencer au cours de l'escale à Milan. De quart d'heure en quart d'heure, leur second avion était inexorablement retardé. Le Chinois commençait à s'impatienter. Il arpentait la salle d'embarquement de l'aéroport de long en large. Il y avait évidemment quelque chose de louche qui se tramait là dessous. Son chef soudain décolla l'oreille de son téléphone portable et lui dit : "Depuis deux heures qu'on attend ici, on pourrait peut être aller voir à l'étage au dessus ? On trouvera peut être quelque chose à manger ?"
Le boeing de la Japan Airline roulait à vive allure pour rejoindre sa piste de décollage. Le bus néanmoins tenta de forcer le passage, mais la tentative fut vaine. Le chauffeur renonça au dernier moment à accomplir sa mission kamikaze ; il pila, passa la marche arrière, et pu voir passer l'aile du mastodonte à quelques centimètres de lui au terme de sa manœuvre. Lorsqu'il arriva au pied de l'avion affrété par AirItalia, il tenta de séquestrer ses passagers jusqu'à l'arrivée probable des tueurs. Mais les malaises et mouvements de révoltes le firent une fois de plus céder. Le chinois et son supérieur montèrent dans le coucou, tandis que les grues et véhicules de pompier s'en séparaient. Les messages pseudo-sécurisant du personnel d'équipage au visage contorsionné et transpirant à grosses gouttes confirmèrent leurs appréhension. On a sûrement tenté de saboter le zinc. Mais la porte de l'avion se referma, et tandis qu'ils virent par le hublot le steward qui s'éloignait de l'appareil en courant, l'aéronef s'avança en grinçant vers sa piste. Un virage serré claqua la porte de la cabine de pilotage, dans lequel la vaillante hôtesse tentait de déchiffrer le manuel d'utilisation des commandes.
Ils arrivèrent finalement à Triestre à minuit passé. Ils tombèrent dans leur lit à l'hôtel, d'où ils allaient ressortir quelques cinq heures plus tard. Ils prirent leur petit déjeuner sur le coup des six heures, puis embarquèrent dans le véhicule. "Nous devons passer la frontière avant la relève de sept heure !" leur confia le chauffeur. "Ceux là sont fatigué et nous laisseront passer la marchandise sans problème !"
Le voyage fut assez serein. Ils découvrirent un paysage riche depuis l'autoroute à la chaussée neuve et impeccable, tandis que les Mercedes et autre Audi ou BMW les doublaient. Beaucoup de villas neuves ou en construction. La Slovénie est un pays jeune et un pays riche, semble-t-il..."mais d'où vient l'argent ?". Le chauffeur ne répondit pas à la question du chef. Maffia et investisseurs étrangers devaient se tailler la part belle du gâteau.
En quelques heures, ils avaient atteint l'autre extrémité de ce petit pays de deux millions d'habitant et arrivèrent à Lendava.
Ils étaient dans le bureau, face aux clients. "Ils", c'étaient le Chinois et son chef, le distributeur et un de ses techniciens. En face, deux hommes les sourcils froncés leur faisait connaître leur vif mécontentement. "Jusqu'ici tout va bien..." disait une voix off dans le film "la Haine" ; "... le plus dur ce n'est pas la chute, c'est l'atterrissage". En effet, tout seuls face au client, sans autre support commercial que celui d'un distributeur efficace, ils s'attendaient à ce genre d'accueil. Mais l'atterrissage eut lieu lorsque, tel sorti d'un saloon où il avait descendu froidement deux pied-tendres, un homme au cheveux noirs, de taille moyenne, avec un large visage découpé par une épaisse moustache fit son apparition dans la salle. Il balaya les locaux puis dévisagea les nouveaux arrivants des ses petits yeux bruns et sévères. Alors que les médiations diplomatiques venaient de détendre un peu l'atmosphère, il renversa le ton de la conversation en leur lançant :"Puisque vous n'avez pas les rouleaux de papier thermiques correspondant, ce n'est pas la peine d'installer vos machines... vous reviendrez avec !"
Voici nos héros en Slovénie, après de nombreuses péripéties pour satisfaire au mieux leur client, en train de se faire renvoyer ? Peu décidés à se laisser faire, ils se firent confirmer à plusieurs reprises que les pieds étaient déjà installés, et le Chinois décida fermement : "nous sommes venus installer ces machines, nous les installerons !" Les clients étant moins motivé, le compromis fut d'installer et de tester les machines avant de les redémonter provisoirement. Quelques minutes plus tard chacun s'affairait pour commencer l'installation de la première machine ; et c'est à ce moment là qu'arriva une camionnette, à la fenêtre de laquelle nous pouvions voir les pieds en question, empaquetés dans leur carton d'origine, couchés derrière les sièges avant.
Ce fut bien entendu la croix et la bannière pour rassembler les écrous, les clés, et autres pièces qui avaient été éparpillées à leur réception, et qui étaient indispensables pour une mise en service. Les fondations pour la machine avaient bien entendu été réalisées au mépris des instructions qui leur avaient été envoyées, mais l'installation provisoire de la machine commença. A la température hivernale se mêlait une pluie glaçante qui tombait drue sur notre Chinois affairé. Il était bientôt deux heures de l'après-midi lorsque la machine semblait prête à démarrer. Cependant, les pieds trempés, les mains gelées, le Chinois continuait à tourner autour de la machine, comme s'il cherchait quelque chose. "Chef, je crois qu'il manque un toron..." "On peut tout de même faire fonctionner la machine ?". "Je crains que non ; nous avons une 'cashless', les cartes privatives ne sont pas prêtes et le-dit toron est celui qui relie le lecteur de billet à sa carte interface... il a dû être oublié à la livraison..."
Faussement confiant, son supérieur répondit : "Oh, il doit être dans leur zone de stockage... on va vérifier et puis après, on pourrait aller chercher quelque chose à manger ?"
Depuis plus de neuf heure qu'ils n'avaient rien ingéré, le chef et son chinois se jetèrent sur le repas de midi. Moi même je ne saurai plus vous dire ce qu'il y avait dans les assiettes.
Le passage à l'entrepôt avait été infructueux ; les torons avaient bien été oubliés. "Nous sommes vraiment dans une très mauvaise situation..." avait dit le Chinois. Mais son chef avait remarqué l'étincelle malicieuse qui perçait dans le gris de ses yeux. "Tu as une solution ?" Demanda-t-il. "Après tout, un toron, ce n'est que quelques fils de connexion... en sachant quelle point doit être connecté à quel point, en trouvant une petite boutique ad hoc, on devrait parvenir à effectuer un petit bricolage pour la démonstration de demain !"
Mais c'est Borugj, le technicien du distributeur, qui les sauva complètement : "si vous voulez faire la connexion vous même, je connais une boutique, dans une ville de la région, qui nous fournira le matériel nécessaire. Que faut-il exactement ?" Il ne restait plus qu'à passer un coup de fil à Besançon. La rigueur et l'efficacité allemande firent encore leur preuve puisque Jörg les rappela dans les cinq minutes : "connecteurs 14 points cablés PIN 1 - PIN 1. Longueur du câble : ébauche 140 mm ; préparé hors tout 110 mm..." Ils purent même récupérer la référence pour en obtenir au plus tôt de Besançon par la poste.
Comme les pieds finalement n'étaient pas montés, l'installation provisoire des machines pu se faire l'après-midi dans le local. Assemblage des machines, installation des nouvelles eproms, puis initialisation et tests des lecteurs après assemblages des torons à l'aide du cutter de Borugj et de la pince de plombier rangée au fond de la caisse à outil du Chinois. C'est le père de celui là qui avait fait l'aller retour pour leur ramener les composants électroniques. "Tout à l'air de marcher... on peut aller se coucher !".
Nos héros arrivèrent alors dans un hôtel qui servait également de cures thermales pour une clientèle assez âgée. Et comme pour rappeler à celle-ci sa jeunesse, le décors semblait tout droit issu d'un nouvel épisode "d'Austin Power". Tapisseries aux couleurs criardes avec des ressorts fluorescents en relief, canapés mousse dans les couloirs, mannequins de polystyrène lamés de papier aluminium, et - le meilleur de tout - exposition de carrelages de salle de bain encadrés dans la salle à manger... pardon, de mosaïques d'un goût décalé.
Le distributeur, usant de diplomatie autant que faire se peut, avait invité un employé de la mairie, moins agressif que les autres, à partager quelques bières avec eux au bar de l'hôtel. Mais chacun avait hâte de s'étendre et de se réchauffer dans un lit bien douillet. La voix du chef proposa néanmoins : "ils servent peut être à manger, ici ?"
Plusieurs groupes s'étaient formés dans le hangar. Les intéressés étaient arrivés les uns après les autres. Cravates et blousons de cuir, regards en coin, et vives discussions donnaient un air lugubre à l'atmosphère. Par les petites fenêtres en hauteur, on voyait les flocons de neige ballottés par le vent. Des traces de pas se détachaient en blanc sur le parquet, en raison de la poussière qui s'échappaient des sacs de poudre entreposés dans le fond du local. L'homme à l'épaisse moustache était là, critiquant à qui voulait l'entendre la marchandise proposée.
Encore quelques hommes firent leur entrée. Il s'agissait de membres d'une autre municipalité slovène, qui semblaient intéressés par le produit.
Une machine montée là, devant les sacs de ciment, allait avaler des billets, imprimer des tickets, et leur pondre des rapports de collecte exhaustifs en information. Le distributeur fit la démonstration, avec Borugj expliquant les aspects techniques à quelques agent municipaux peu réceptifs, trop occupés à cuver leur probable cuite de la veille.
"Tout s'est bien passé... ils ont l'air assez convaincu... on passe un petit peu moins pour des branquignoles ! Si on arrive à leur livrer le papier thermique rapidement, ça passera. Maintenant, fonce, Igor, on s'arrache !"
Un petit passage pour récupérer une CP de système Flexio à Ljubjana, et nos compères passent la frontière pour rentrer à Triestre le soir. Demain, retour sur Bâle ! Espérons que le trajet sera moins épique, et l'attente à Milan moins interminable !
Bien sûr, sur le chemin de l'aéroport, le distributeur leur confiera que les torons sont arrivés... mais il ne s'agira pas des bons, et ils auront été livrés à une mauvaise adresse.
Triestre est vraiment une ville fabuleuse. Quel dommage de n'avoir pas le temps de la visiter. Les lumières du port que l'on aperçoit depuis les hauteurs où ils prirent un dernier verre avec leur distributeur semblent chanter telle la Lorelei. Et l'on ne demande qu'à descendre par ces petites rues admirer cette ville portuaire, cette ville italienne, bref cette ville au mille promesses...
Il faut déjà repartir ; point de répit ! Mais déjà le Chinois hâte le pas, espérant trouver une bonne bouteille de Bowmore au Duty Free ; bouteille qui sera sans doute relativement plus chère que dans une grande surface de Besançon, mais bouteille que l'on ne dénichera pas facilement.
"Mais n'est-il pas déjà fortement à découvert, pour encore s'offrir une bouteille de Whisky ?", me direz vous. Vous avez entièrement raison mes amis, mais bon, la gloire d'un héros n'a point besoin de fortune... et puis comme disait Kipling par la voix de papa "ce qui vaut mieux que la fortune et la gloire ; tu seras un Homme, mon fils" !!!
Meïo Wenti
Nota Bene :
Il est évident que toute similitude entre cette fiction et des faits réels serait tout à fait fortuite