Des faits divers dramatiques comme ceux arrivés à Jérusalem et rapportés par Luc, nos journaux et nos écrans en sont remplis. Quotidiennement. Et c'est accablant. Désespérant parfois. Au point que l'on se prend à dire ou qu'on accepte d'écouter : "Si Dieu existe, pourquoi laisse-t-il cela arriver ?". Et l'idée traîne encore dans beaucoup d'esprits que tous ces malheurs nous tombent dessus comme une punition envoyée par Dieu pour punir les péchés des hommes. Rappelons-nous les trop fameux et très discutables "messages" de la Vierge lors des apparitions comme à Fatima : "Dieu va punir le monde de ses crimes par le moyen de la guerre, de la faim et des persécutions contre l'Eglise". Ou encore à La Salette : "Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis forcée de laisser aller le bras de mon Fils qui est fort et puissant". Dieu serait-il donc un juge inexorable sévissant contre les déviants que nous sommes tous plus ou moins ? "Eh bien non, je vous le dis" affirme Jésus. Voilà qui clair et définitif. "Eh bien non, je vous le dis". Il n'y a pas de lien entre nos malheurs petits ou grands – et ils sont parfois très grands et durs à supporter – et ce que notre vie porte de mal, de péché comme dit le langage chrétien.
Alors qui donc est Dieu ? Les textes de ce jour nous proposent quelques pistes. Mais avant tout, il nous faut garder sans cesse à l'esprit cette phrase de la première lettre de Jean (4, 12) : "Dieu, personne ne l'a jamais contemplé". Et ce passage du 1° Livre des Rois où le prophète Elie perçoit la présence de Dieu dans "le murmure d'un silence ténu". Gardons-nous donc d'un discours tout fait et trop dogmatique sur Dieu. Un sage et spirituel du 20° siècle, Marcel Légaut, disait : "Si nous ne percevons pas la présence de Dieu, ce n'est pas parce qu'il est trop lointain mais parce qu'il nous est trop proche". Et en effet, n'est-ce pas ce que laissent entendre d'une part le récit merveilleux et quelque peu mythique de Moïse devant le buisson brûlant sans se consumer et d'autre part la parabole inventée par Jésus ?
Dans le passage du livre de l'Exode, Moïse découvre la présence de Dieu dans le feu, c'est-à-dire dans l'insaisissable, l'inatteignable. Comme le vent, le feu ne peut être possédé, soumis aux mains de l'homme comme le sont les statues des idoles… Mais c'est surtout dans la Parole entendue que Moïse découvre qui est Dieu. Et là encore, c'est l'insaisissable. Car Dieu se nomme d'un nom intraduisible : "Je-suis-qui-je-suis" ou encore "Je-suis-qui-je-serai-avec-vous". Mais la voix précise : "Je suis le Dieu de vos pères, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob". Autrement dit : Je suis proche de vous de générations en générations. Je suis engagé dans une histoire avec vous. Je ne suis pas un dieu lointain et indifférent. - Alors Moïse perçoit cette proximité de Dieu comme celle d'un sauveur. Le peuple est dans la misère et l'esclavage : Dieu en est tout retourné, Dieu en souffre, Dieu compatit. Et il s'engage à délivrer son peuple.
On peut se dire : Tout cela est très beau mais… Mais moi, mais nous ici et plus largement nous, le peuple immense des hommes, nous subissons encore et toujours l'oppression. L'esclavage, la domination des forts, l'exploitation de l'homme faible par le puissant : tout cela sévit toujours malgré les belles Déclarations des Droits de l'Homme et les belles organisations sociales et politiques de l'ONU. Malgré 20 siècles de christianisme. Tout cela est vrai. Mais ne serait-ce pas que nous ne savons pas voir car nous avons trop peu de foi. Peu de foi en nous-mêmes, peu de foi dans les autres, peu de foi en Dieu. Nous lisons souvent le récit de notre vie personnelle comme celui d'une suite d'échecs, de manques, d'erreurs, et finalement une litanie de mal-être et de malheur. Et si au contraire nous changions de regard pour voir tout le positif, tout le beau et le bien, tous les petits bonheurs qui s'obstinent à brûler sous la cendre ! Si nous cherchions à lire nos existences comme le long et discret compagnonnage du Dieu libérateur qui se nomme lui-même "Je-suis-qui-je-serai-avec-vous", tout serait transfiguré. Un peu comme pour les disciples qui découvrent dans Jésus crucifié celui qui est ressuscité et vivant et vivifiant.
L'évangile nous donne un second éclairage sur Dieu avec la parabole du figuier. Ceux d'entre nous qui jardinent retrouvent là une expérience vécue : à quoi bon garder un arbre fruitier qui, malgré les années, ne donne toujours rien ! Seule solution : la tronçonneuse et le feu dans la cheminée. Et puis il y a nos expériences de vie très douloureuses : quand on a dit de nous : "Rien de bon en lui, rien à en tirer. Inutile de s'épuiser pour lui". Certains ont vécu cela en famille de la part de leurs parents, d'autres à l'école de la part d'enseignants. Et puis vous avez en tête la violence de quelques déclarations dans l'enceinte du tribunal. "Tu n'es qu'un bon à rien, pire même : tu es toxique et dangereux". Face à ce mépris perçu comme définitif, face à ce rejet, la parole du vigneron – c'est-à-dire de Dieu – dans la parabole : "Peut-être donnera-t-il du fruit à l'avenir". Toujours reste une petite espérance. Obstinée. Et Jésus nous dit que c'est l'espérance obstinée de Dieu. Dieu est un grand têtu : il persiste à croire en nous, il persiste à avoir confiance en moi, il maintient envers et contre tout, envers et contre moi-même que j'ai un avenir, que je suis plein de possibilités de vie. Alors même que je n'y crois pas toujours, alors même que parfois je m'égare et m'enfonce encore, alors que ma vie est stérilité et sclérose, Dieu maintient : "Du fruit, à l'avenir, tu peux en donner". Et nous le savons bien en lisant l'évangile dimanche après dimanche, Jésus a inlassablement mis en actes cette foi de Dieu en l'homme.
Reste cette parole dans toute sa force et même sa violence : "Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous comme eux". Parole qui semble contredire la révélation de Dieu comme celui qui est toujours avec nous, miséricordieux et compatissant. Parole qui peut être comprise comme une menace. Mais cela irait alors à l'encontre de tout l'Evangile. Il nous faut garder la force et la rudesse de cette parole mais la comprendre comme un avertissement et un appel. En voir le positif. Se convertir, se retourner, mettre à l'endroit ce qui, dans nos vies, va de travers : voilà qui mène à la vie, à la vraie vie. Au bonheur. A plus d'humanité en nous. Rappelons-nous encore une fois les béatitudes qui nous engagent vers un monde à l'envers du monde comme il va mal. Avec Jésus qui redresse les courbés et les affligés, qui déclare aux pécheurs qu'ils sont pardonnés, "Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez" est à entendre ainsi : "Si vous vous convertissez, vous découvrirez la vie qui vient du Dieu- avec-vous".