Depuis quatre dimanches, nous lisons dans l'évangile selon Jean des extraits du long discours en forme de testament de Jésus lors de son dernier repas. N'imaginons pas entendre là, dans ce discours très compliqué, intellectuel et mystique, les paroles même de Jésus mais plutôt la méditation de l'évangéliste Jean qui, dans la prière et la réflexion, dans la vie en communauté chrétienne, s'efforce de comprendre – comme nous le faisons nous-mêmes - ce qui animait Jésus son maître. Le comprendre et en vivre.
Et quand Jean écrit son évangile, voilà plus de 60 ans que Jésus est mort. Ceux qui l'ont connu et entendu sont morts eux aussi. Et pourtant… Pourtant, les chrétiens d'alors – comme nous aujourd'hui à leur suite – croyaient d'une conviction forte que Jésus le Christ était toujours vivant parmi eux. Ils croyaient non que Jésus avait ressuscité au matin de Pâques – dit ainsi c'est alors un fait passé déjà ancien – mais que Jésus est ressuscité – et c'est donc aujourd'hui. Ils connaissaient comme nous les récits étonnants des apparitions après Pâques. Ils connaissaient comme nous ce qu'avait écrit Luc dans son livre des Actes des Apôtres, livre des merveilles et des fragilités, déjà. Nous venons de l'entendre rapporter dans un langage plein de symboles et de merveilleux comment les disciples démoralisés après la mort de leur maître avaient retrouvé force et dynamisme, un souffle nouveau qui était le Souffle même du Dieu vivant. Mais ces chrétiens de la communauté où Jean écrivait son évangile ne vivaient pas dans le souvenir de l'expérience passée des premiers disciples et des Douze. Ils expérimentaient eux-mêmes la présence du Ressuscité, ils étaient animés, dynamisés par le même Souffle de Dieu qu'au jour lointain de la Pentecôte à Jérusalem.
Ce Souffle, l'évangéliste l'appelle, vous l'avez entendu, "le Défenseur" et "l'Esprit de vérité". Dans les bibles que certains de vous ont dans leur cellule, on trouve aussi, à la place du mot Défenseur, le mot savant Paraclet ou plus simplement Avocat. Voilà qui nous parle, dans cette prison. L'avocat a parfois bien mauvaise réputation : il coûte très cher, il n'est pas toujours très efficace et semble parfois peu sérieux dans l'approche de vos problèmes. Certains méritent sans doute le surnom qu'on leur donne en argot : le baveux. Celui qui parle mais ce n'est que du vent sans effet. Le Défenseur envoyé par Jésus ressuscité est tout autre. Il est "l'Esprit de vérité". Celui qui établit non dans la justice – existe-t-elle, cette justice ?- mais qui établit dans la justesse. Il y a là quelque chose de très rude pour chacun de nous. Etre dans la justesse, faire la vérité dans sa vie, accepter la vérité de sa vie dans sa triste réalité parfois, dans la lumière crue de nos actes passés ou de nos manquements, cela fait mal. Mais c'est libérateur. Et vous connaissez comme moi certains de vos compagnons qui passent leur temps à ne pas vouloir voir leur vérité, moyennant quoi, ils n'avancent pas dans leur humanité. L'un de vous, désormais libéré, a dit un jour en réunion d'aumônerie : "Eh, les gars, il faut arrêter ces discours ! On n'est pas ici pour avoir volé des bonbons !". Mais attention : la vérité de notre être que nous révèle l'Esprit de Jésus n'est pas le ressassement de nos misères petites et grandes, passées ou présentes. La vérité de notre être nous a été rappelée chaque dimanche depuis Pâques dans la première lettre de Jean. Ainsi, par exemple : "Le Père a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes. Bien aimés, dès maintenant nous sommes enfants de Dieu". Alors donc, nul mépris pour les autres, nul jugement ou méchanceté qui détruit. Et nul mépris de chacun pour soi-même : au contraire, soyons fiers de ce que nous sommes : "enfants de Dieu", fiers de ce que nous nous efforçons de faire et d'être. Fiers d'être chrétiens. Ce n'est pas toujours facile et Paul nous a donné la liste assez désespérante des tentations de ce qu'il appelle "la chair". Mais il y a aussi cette liste des fruits de l'Esprit de Dieu qui nous fait vivre : "amour, joie, paix, etc.". Tout cela n'est pas utopie et du domaine de l'impossible : n'oublions pas que Jésus lui-même a dû mener le même combat que nous contre l'esprit du mal pour vivre selon l'Esprit de Dieu. Nous ne sommes pas seuls mais forts de sa victoire, forts de sa résurrection.
L'évangéliste nous dit que cet Esprit de Dieu, cet Esprit de vérité "rendra témoignage pour Jésus". Commente percevoir ce témoignage ? Sans doute en étant dans la justesse dans notre relation à Jésus. Savoir lire les évangiles non comme des livres pleins de merveilleux et de miraculeux dans lesquels Jésus apparaît comme un surhomme capable de réaliser l'impossible. Mais découvrir en lui un homme fidèle à Dieu jusqu'au bout de ce qu'il a perçu comme sa mission et fraternel à tout autre, surtout le plus petit et le plus misérable. Découvrir en lui un homme rempli de dynamisme, qui vit dans le Souffle de Dieu, qui respire la vie de Dieu. Découvrir en lui un homme dont les paroles et la vie révèlent le visage de Dieu. "Il est l'Image du Dieu invisible" écrira un disciple de Paul aux Colossiens. Seul l'Esprit de Dieu peut nous amener peu à peu à cette découverte qui est une vraie révélation. Mais cela suppose que nous soyons disponibles, ouverts, capables de silence et de prière seul ou en communauté. Alors nous pourrons recevoir le témoignage de l'Esprit Saint et vivre le plus pleinement possible en disciples de Jésus le Christ.
Mais vous avez peut-être noté cette phrase étonnante : "L'Esprit de vérité me rendra témoignage et vous aussi vous êtes témoins". Nous voilà quasiment promus au même rang que l'Esprit Saint : "Vous aussi vous êtes témoins". Nous voilà investis d'une mission. Il ne s'agit pas, bien sûr, de devenir prédicateurs et de parler de notre foi, de l'Evangile, du Christ à tout venant et à toute occasion. On sait qu'il y a des méthodes d'évangélisation qui frisent le prosélytisme encore aujourd'hui. Non, il s'agit plutôt d'approfondir notre connaissance du Christ et de sa Bonne Nouvelle. Et nous n'en avons jamais fini. L'Esprit, dit Jésus dans l'évangile de ce jour, "reprendra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître". C'est dire que l'Evangile n'est jamais fini, jamais clos, jamais dans la répétition. Etre chrétien, c'est vivre du neuf, de l'inattendu dans notre aujourd'hui. C'est actualiser le témoignage de la parole et des pratiques fraternelles de Jésus dans le concret de nos vies. "Puisque l'Esprit nous fait vivre, laissons-nous conduire par l'Esprit" écrivait Paul aux chrétiens de Galatie. Et nous ne savons pas où cela nous mènera. Pensons par exemple aux sept moines de Tibhérine que leur foi, leur engagement fraternel, leur ouverture au Souffle dynamique de Dieu a conduit jusqu'à la mort. Pour nous, ce sera certainement plus simple. Mais pas forcément facile pour autant car c'est au jour le jour, dans la banalité et la morosité, dans la dureté de la vie ici que nous avons à vivre en témoins du Christ ressuscité, en témoins animés par le Souffle Saint. "Vivez sous la conduite de l'Esprit de Dieu" écrivait Paul. Et pour cela il nous indique et nous détaille des chemins à ne pas prendre et des actes à ne pas poser. Et aussi les fruits d'une vie selon l'Evangile : "amour, joie, paix, bonté, bienveillance". Ainsi la Bonne Nouvelle de Jésus portera du fruit autour de nous. Elle fera éclore de l'inédit, du neuf, du jamais vu.