Nous sommes en ce jour au 5° dimanche de Pâques. Dénomination qui peut paraître étrange mais qui veut signifier que Pâques n'est pas une affaire du passé. C'est bien au contraire aujourd'hui, notre aujourd'hui. C'est chaque dimanche, c'est même chaque jour que le chrétien vit dans la lumière de la résurrection du Christ Jésus. Et c'est ce que veut nous montrer l'évangile que nous venons d'entendre.
Ce texte n'est pas des plus simples à comprendre et le lien avec nos vies n'est a priori pas très évident. L'évangéliste Jean met dans la bouche de Jésus sa propre méditation. Il tente ainsi d'approcher le cœur même du Christ, ce qui l'animait au plus profond, ce qu'on appelle souvent son mystère. Et pour cela, il entrecroise les deux thèmes de la gloire et de l'amour.
La gloire, beaucoup courent après, quitte à écarter ou écraser les autres. Il n'y a qu'à regarder nos écrans : chaque jour on y voit des sportifs, des chanteurs, des acteurs, des politiques au sommet de leur gloire. Subrepticement, on nous les présente comme des modèles de réussite, un idéal à atteindre. Les voilà bientôt devenus des dieux : les dieux du stade ! Et chaque jour, on nous redonne la cote de popularité des sommités politiques et le hit parade des chanteurs. La gloire, c'est la réussite, c'est la popularité, la célébrité. Sans oublier l'argent...
Si l'on en croit les Ecritures, la Bible, c'est tout autre chose vu du côté de Dieu. Ne choisit-il pas Moïse le bègue pour révéler son nom et sa parole ? Et le petit dernier de la famille, David, pour être roi d'Israël et faire demeure au milieu de son peuple ? Et voilà Jésus, modeste charpentier, dont l'évangéliste écrira : "Il a habité parmi nous et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu'il tient du Père". Rien d'extraordinaire : il a habité parmi nous, nous avons partagé sa vie quotidienne au long des jours sur les chemins de Galilée. Et c'est dans ce quotidien somme toute assez banal que s'est révélée sa gloire, dans cette vie pleine de fraternité, dans ces épreuves, et finalement dans cette fin apparemment misérable. Ce que nous rappelle le passage d'évangile lu aujourd'hui. Car c'est au moment où Judas sort pour aller le trahir et le livrer que Jésus déclare : "Maintenant, le Fils de l'Homme est glorifié et Dieu en lui". Etrange paradoxe. Car l'évangéliste nous dit à demi-mots que la gloire de Jésus qui est aussi celle de Dieu lui-même a éclaté comme une évidence sur la croix au moment de la mort.
Mais cette mort trouve son accomplissement, son épanouissement pourrait-on même dire, en ce matin de Pâques : "Vous cherchez le Crucifié : il n'est plus ici, il a été réveillé". Il est ressuscité comme nous disons souvent. Et c'est alors, après ce matin de Pâques, que les disciples ont compris. Ils ont compris qu'ils avaient vu la gloire de Dieu révélée en Jésus au long des jours où il avait "habité parmi nous". Oh ! rien d'extraordinaire, pas d'exploits ou de succès à la manière de nos gloires nationales actuelles. Mais la gloire pleine d'humanité et de fraternité de celui qui remet debout le paralysé, qui réintègre le lépreux dans la communauté, qui révèle le pardon de Dieu à qui a fauté. Tout au long de son chemin, par ses paroles et ses actions, Jésus proclame et accomplit la gloire de Dieu. L'évêque Irénée de Lyon, au 2° siècle, disait que "La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant". En rendant ceux et celles qu'il rencontrait à leur vie pleine et entière, Jésus manifestait la gloire de Dieu. Et surtout, en étant plein de vie lui-même, plein du Souffle de Dieu dont il vivait, il était la gloire de Dieu vivante. C'est pourquoi la lettre aux Colossiens affirme : "Il est l'Image du Dieu invisible". L'évêque Irénée ajoutait : "La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant et la vie de l'homme, c'est la vision de Dieu". Ainsi donc, en vivant avec sérieux sa vie d'homme, en rendant chacun à sa pleine humanité, Jésus donnait à voir Dieu lui-même tant il est vrai, comme dit la Genèse, que l'homme et la femme ont été créés "à l'image de Dieu, comme sa ressemblance". En vivant à plein son humanité, Jésus était proche de Dieu au point de l'appeler familièrement Abba, Papa. A plusieurs reprises, les évangélistes signalent cette proximité entre Jésus et Dieu. Ainsi lors de son baptême par Jean ou encore lors de cette préfiguration de la résurrection de Pâques qu'est la transfiguration.
A ce point de notre méditation, une question se pose : si nous sommes chrétiens, disciples de ce Jésus image et gloire de Dieu, devons-nous nous aussi être la gloire de Dieu ? devons-nous manifester sa gloire et comment ? Peut-être la réponse nous est-elle donnée dans la suite du texte de l'évangile qui nous rapporte comment Jésus "donne un commandement nouveau". Et c'est simple : "Aimez-vous les uns les autres". Apparemment rien de neuf pourtant. Aimer autrui n'a rien de spécifiquement chrétien : c'est une valeur humaine universelle qui permet le vivre ensemble depuis les origines de l'humanité. Aimer, c'est être humain. Bien avant Jésus, la Bible prescrivait : "Ne te venge pas, ne sois pas rancunier. Tu aimeras ton prochain comme toi-même" (Lv 19, 18). Oui, mais Jésus ajoute : "Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés". Et ce "comme je vous ai aimés" nous entraîne loin. Car il a aimé les autres jusqu'au bout. Sans tenir compte de leur statut social, de leurs déficiences, de leur état de délabrement intérieur et de péché. Il a aimé au péril de sa vie. Envers et contre tout et tous, il a proclamé la valeur infinie de chacun et chacune. Car tous et toutes sont fils et filles de Dieu, frères et sœurs en humanité devant l'Unique Dieu et Père. La force de cette conviction et de son amour l'a mené à la croix. Alors cette mort devient la révélation et la manifestation ultime de la gloire de Dieu et de la gloire de l'homme.
Rude chemin pour nous. Car si aimer reste une exigence inscrite au plus profond de notre être, nous savons bien ce qu'il en coûte au quotidien. Que ce soit dans la relation amoureuse et conjugale, dans la relation parentale ou filiale ou dans les relations de voisinage journalier, rien n'est simple. Et sans doute encore plus ici pour vous qui n'avez pas choisi vos compagnons. "L'enfer, c'est les autres", a écrit Jean-Paul Sartre. Et parfois, on cède à cette affirmation tant les autres sont insupportables et nous rendent la vie difficile.
Et pourtant, l'exigence de Jésus reste là, devant nous, comme une direction pour nos vies si cahotantes parfois, si désespérément égoïstes ou même violentes ou pleines de haine. Le commandement de Jésus reste notre horizon. Nous avons peine à l'atteindre : l'horizon, d'ailleurs, est toujours au-delà, toujours plus loin. Mais si nous nous disons chrétiens, nous nous engageons dans cette direction. Péniblement parfois. Et petitement, car c'est toujours ou presque que cet amour se manifeste dans de petits gestes, de modestes partages, de minuscules signes. Ici et maintenant, dans la banalité du quotidien. Nous n'aurons sans doute jamais – et heureusement – à donner notre vie jusqu'à la mort comme Jésus. Mais bien plutôt à égrener l'amour au long des jours. En aidant les autres à vivre et à survivre, à se remettre debout. En les aimant. Dans la foi reçue de Jésus que là se manifeste la gloire de Dieu, dans "l'homme vivant".