A nouveau ce matin, dans l'évangile selon Jean, l'auteur fait parler Jésus en un long discours compliqué lors de son dernier repas. Il y est encore question du Père et de sa relation avec son Fils. A quoi s'ajoute la promesse de l'envoi de l'Esprit. On a bien de la peine à comprendre. Pour corser l'affaire, nous sommes aujourd'hui dans le dimanche dit de la "Sainte Trinité" qui débute la reprise du "temps ordinaire" après le temps pascal.
La Trinité. Vous vous rappelez qu'au catéchisme, on nous a appris qu'il y a trois mystères auxquels il faut croire. Le mystère de l'incarnation : la Parole de Dieu se fait chair en Jésus. Le mystère de la rédemption : nous sommes sauvés par la vie, la mort et la résurrection de Jésus. Et le mystère de la Sainte Trinité : un seul Dieu en trois personnes. Grand mystère en effet ! Réflexe moderne : allons voir sur internet. Et voici la définition que j'ai trouvée sur un site chrétien : "La Trinité : Dieu est une seule essence et trois personnes : le Père – créateur- le Fils – sa Parole éternelle- et le Saint-Esprit – sa force intelligente et son efficacité". Nous voilà bien avancés !
Si l'on se tourne vers le Credo, le Symbole dit "de Nicée-Constantinople" que l'on récite à la messe et qui est un condensé de la foi commune à tous les chrétiens, ce n'est pas plus simple. Jésus y est reconnu "Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, engendré, non pas créé, de même nature que le Père". Quant à l'Esprit Saint, il y est dit qu'"il procède du Père et du Fils". Incroyable mais vrai : aux 4°-5° siècles, les chrétiens ont âprement discuté ces formulations, se sont copieusement insultés, se sont battus même pour maintenir tel ou tel mot et se sont séparés pour des siècles !
Et si l'on regarde le Nouveau Testament, on a la surprise de découvrir que le mot Trinité n'y figure nulle part. Sans cesse, Jésus parle de Dieu comme d'un Père, de son Père. Il se désigne lui-même par le titre un peu énigmatique de Fils de l'Homme. Et il promet à ses disciples que le Souffle Saint viendra les animer et les faire vivre. Mais pas la moindre allusion au mystère de la Sainte Trinité tel qu'on nous l'a enseigné. Il s'agit là d'une formulation théologique, intellectuelle, abstraite, apparue au 2° siècle et fixée au 4° lors des conciles de Nicée et Constantinople dans les églises d'origine grecque, férues de débat philosophiques et n'aimant que trop les joutes oratoires et les querelles de chapelles.
Alors, qui donc est Dieu ? et qu'en dire ? que croire ? J'ai trouvé dans "Prions en Eglise" quelque chose qui me plaît bien : un mot de saint Augustin d'Hippone, mort au 5° siècle, qui dit ceci : "Trinité, c'est la formule qu'ils ont employée, puisqu'ils ne trouvaient pas une meilleure manière de dire avec des mots. On dit "trois personnes" moins pour dire quelque chose que pour ne pas se taire". Autrement dit, les mots sont faibles et impuissants pour dire quelque chose sur Dieu et toute formule, même celle des conciles les plus autorisés, n'est que balbutiement. Nous ne pouvons faire autrement que de dire quelque chose sur Dieu mais ce que nous disons est bien pauvre.
C'est que Dieu est le Tout Autre, au-delà de nos mots et de nos belles formules. Dieu est ineffable : au sens propre, on ne peut rien en dire. Plusieurs récits de la Bible le montrent. Quand Moïse a la révélation de Dieu au désert, il ne voit qu'un buisson en feu qui ne se consume pas et il entend une voix lui dire : "Je suis qui je suis. Mon nom est : Je suis qui je serai avec vous". Voilà bien un nom qui garde le mystère, la distance : "Je suis qui je suis" et un nom qui est en même temps un engagement dans un compagnonnage fidèle avec le peuple des hommes : "Je suis qui je serai avec vous". Et quand ce même Moïse demande à Dieu : "De grâce, fais-moi, voir ta gloire", Dieu répond : "Tu me verras de dos ; mais ma face, on ne peut la voir !". Façon de dire que l'homme ne saurait mettre la main sur Dieu qui est toujours au-delà de nos mots et de nos images et définitions. Autre récit : au prophète Elie menacé de mort et qui a fui au désert, il est annoncé que Dieu va passer devant lui. Arrive un ouragan, puis un tremblement de terre, puis un feu. Mais Dieu n'est pas dans ces forces déchaînées. Et voici, dit le texte, que survient "le murmure d'un silence ténu". Alors Elie se prosterne car il reconnaît la Présence dans ce "murmure d'un silence ténu". Qu’ajouter à cette extraordinaire formule ? sinon remarquer que, dans ce "murmure d'un silence ténu", un espace est ouvert où Elie va pouvoir parler avec Dieu et Dieu avec Elie. Rien n’est clos, rien n'est figé et fixé, tout est possible, une parole peut surgir et être échangée, une rencontre est offerte. Si maintenant l'on se tourne vers notre Nouveau Testament, on lit dans la 1° lettre de Jean : "Dieu, personne ne l’a jamais contemplé". Et l'évangile selon Jean déclare : "Nul n'a jamais vu Dieu". Mais il ajoute quelque chose de neuf : "Le Fils, lui, l'a fait connaître".
Voilà notre foi chrétienne. Appuyée fermement sur la foi du peuple de la Bible, elle reçoit cette parole inattendue : "Le Fils, lui, l'a fait connaître", ce Dieu à la fois inconnaissable et totalement engagé aux côtés du peuple des hommes.
Comment Jésus nous fait-il connaître Dieu ? Non pas par des définitions et des déclarations théologiques sur la Trinité, pas même par les belles et compliquées formules que l'évangile selon Jean lui prête et que nous lisons avec difficulté depuis quelques dimanches. Mais bien plutôt par des histoires toutes simples : les paraboles. Il y montre Dieu comme un Père généreux même pour l'ouvrier de la dernière heure, miséricordieux pour le fils prodigue qui revient vers lui. Et surtout, Jésus nous révèle Dieu par sa pratique. Il libère celui qui est prisonnier de ses démons intérieurs, il relève celle qui n'a plus la force de vivre, il réintègre dans la communauté celui que l'on rejetait à cause de sa différence, que ce soit la lèpre ou autre tare, il appelle à sa suite des gens considérés comme peu recommandables, il se montre libre devant les exigences insensées de la Loi, il mange avec n'importe qui sans tenir compte des on-dit. Dit avec d'autres mots : Jésus est visage de Dieu parmi nous, il est dévoilement, révélation de Dieu. Le Dieu qui se donne à voir en Jésus est un Dieu qui donne à l'homme, à chacun de nous qui sommes là, de pouvoir vivre à plein son humanité. Un Dieu qui a foi en l'homme, qui espère en l'homme, qui aime l'homme.
N'oublions pas ce que dit la Bible en son début : l'homme est créée à l'image de Dieu, comme sa ressemblance. Or nous sommes des êtres de communication, de relation, de contact et d'amour. A l'image de Dieu. C'est donc que Dieu est un Dieu en qui existe communication, relation, contact et amour. Voilà sans doute ce que signifie le mot Trinité : Dieu est Un mais il n'est pas solitude. Il est partage et don.
Certains me diront peut-être : Tout cela est bien loin de notre vie. Est-ce si sûr ? L'image que nous nous faisons de Dieu et l'image que nous avons de nous-mêmes sont très proches l'une de l'autre. Relisons seulement ce que disait Paul aux Romains : "Dieu fait de nous –nous qui sommes ici - des justes par la foi…La détresse elle-même – et combien elle peut être grande ici - fait notre orgueil puisque l'amour de Dieu a été répandu en nos cœurs".