Voilà des textes pas très faciles à comprendre et qui semblent bien éloignés de nos vies actuelles. Des textes qui parlent d'une façon ou d'une autre de la mort et l'opposent à son contraire, la vie.
L'apôtre Paul fait très fort en nous annonçant la révélation d'un "mystère". Il prétend dire aux Corinthiens comment se passera le retour du Christ. Retour qui, pour lui et les premières communautés chrétiennes, était imminent. Une question de quelques mois, quelques années tout au plus. Ce retour, victorieux bien sûr, aurait donc lieu du vivant de Paul et des Corinthiens à qui il adresse sa lettre. Paul, qui a ici beaucoup d'imagination, pense que les chrétiens morts se relèveront et que les vivants seront, dit-il, "transformés", devenus "incorruptibles", immortels, victorieux avec le Christ. Nous savons que tout cela ne s'est pas réalisé comme prévu par l'apôtre. Nous reste cependant la force de son message : "nous serons transformés, tous", par Dieu, qui "nous donne la victoire par Jésus le Christ". Une victoire sur la mort.
La mort dont il est ici question n'est pas la mort physique qui relève d'un processus naturel inéluctable. Et il n'est évidemment pas question de fantasmer sur une éventuelle immortalité dont nous n'avons nulle expérience ni témoignage. Paul n'est pas dans la science-fiction. C'est un homme de foi qui nous délivre un message de foi. Comme lui, nous savons bien ce qu'est notre être mortel, notre "être corruptible" et parfois corrompu. C'est tout ce qui fait que nous ne sommes pas totalement, parfaitement humains. Quand nous regardons dans nos profondeurs intimes, quand nous avons ce courage, quand nous nous efforçons de ne pas nous étourdir dans trop d'activités ou dans l'alcool ou je ne sais quelle drogue, ou encore dans l'abrutissement par la télé, la musique ou internet, alors nous découvrons, nous pouvons découvrir l'inhumain qui veille en nous, prêt à resurgir, prêt à nous envahir, à nous submerger et à nous détruire. Cela peut nous effrayer, nous pousser au dégoût de nous-mêmes, au désespoir et à la tentation d'en finir – et cela arrive autour de nous. Ou au contraire, cela peut nous faire replonger dans nos étourdissements et divertissements pour ne plus voir ce difficile à voir – et cela arrive autour de nous. Et pourtant, si nous y réfléchissons sagement, nous découvrons que tout ce fond d'inhumanité en notre humanité est le lot de tous et de chacun.
Ce le fut aussi pour Jésus lui-même. Rappelons-nous le récit de ses trois tentations, tentations auxquelles il aurait pu succomber comme n'importe qui. Envie de la toute puissance qui s'érige comme sa propre loi, comme son propre Dieu ; envie d'écraser les autres en les manipulant avec mépris et orgueil ; envie de pouvoir et de richesse sans limite, quelles qu'en soient les conséquences pour les autres. Oui, comme nous le dirons encore tout à l'heure dans le Credo, Jésus "est descendu aux enfers". Paul qui ne craignait pas les formules choc ira jusqu'à dire : "Dieu l'a fait péché pour nous". Disons autrement : Jésus s'est montré solidaire de notre pauvreté, de notre vide, de l'en-bas de notre humanité. Il a traversé cet en-bas jusqu'en ses tréfonds, allant même sur la croix jusqu'à douter de Dieu : "Pourquoi m'as-tu abandonné ?" crie-t-il. Mais au cœur de ce doute, dans l'en-bas de ce doute lui reste une petite espérance, une petite foi inébranlable et il s'y accroche en disant : "Mon Dieu ! mon Dieu !".
C'est ainsi que s'est accomplie la parole rappelée par Paul : "La mort a été engloutie dans la victoire". En allant jusqu'au bout de ce qu'il avait perçu comme la mission de sa vie, en allant jusqu'au fin fond de son humanité, jusqu'au plus bas de l'en-bas de notre humanité, en étant fidèle à Dieu qu'il appelle Père, Jésus nous a donné salut de la part de Dieu. Sa résurrection au petit matin de Pâques est la signature de Dieu qui authentifie la vie, la parole et la mort de Jésus le Christ. Celui qui était mort et mis en terre porte beaucoup de fruit. Celui qui avait perdu sa vie comme un misérable et un blasphémateur sur la croix, le voilà glorifié dans une "vie éternelle", comme dit l'évangéliste Jean.
Si l'on en croit Paul, cette traversée des enfers, cette traversée de l'en-bas et ce relèvement pascal de Jésus nous concerne. Ecoutons-le à nouveau : "Grâces soient rendues à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus le Christ". La solidarité du Christ Jésus avec nous dans le malheur, dans le mal-être, dans le péché entraîne la solidarité dans le relèvement par-delà la mort, la solidarité dans la vie nouvelle, dans la résurrection. La mort, au sens physique sera toujours au bout du chemin, bien sûr. Comme pour Jésus. Mais ce qui nous est donné, c'est la possibilité de mener une vie nouvelle. Dès aujourd'hui. Car nous est rendue l'assurance de la victoire sur les forces obscures de l'inhumain en nous. Nous est rendue notre dignité inaliénable de filles et fils de Dieu à la suite du Christ le Premier-Né d'entre les morts que nous sommes. En chacun de nous est rétabli notre être véritable : nous sommes l'image de Dieu et sa ressemblance. Par-delà et malgré nos insuffisances, nos manques et par-delà nos fautes elles-mêmes. "L'aiguillon de la mort, c'est-à-dire le péché", comme dit Paul, est toujours là mais en Jésus nous savons qu'il n'a pas le dessus sur nous, qu'il n'est pas notre être véritable, qu'il n'est pas notre avenir.
Alors "Que devons-nous faire ?" demandait-on à Pierre à la Pentecôte. Les lectures d'aujourd'hui nous suggèrent, me semble-t-il, deux attitudes.
D'abord être dans le merci, l'action de grâces envers Dieu qui nous donne la victoire, qui transforme nos vies en Jésus Christ notre Seigneur. Cela demande que nous maintenions en nous la joie, le bonheur d'être sauvé. Et que nous aidions les autres à vivre dans cette joie. Trop souvent encore, les chrétiens ont tendance à être négatifs, à se dévaloriser, à se reconnaître faibles et pécheurs. Et il y a une façon morbide de se reconnaître pécheurs. Bien sûr, nous crions : "Seigneur, prends pitié ! Seigneur, pardonne-nous !". Mais ces prières doivent rester des formes de merci et de reconnaissance. Des paroles de bonheur. Un peu à l'image de l'amoureux qui demande encore une fois à sa chérie "Est-ce que tu m'aimes ?" tout en se disant : "Je sais bien qu'elle m'aime mais c'est tellement bon de se l'entendre dire encore et toujours". Alors, "Seigneur, pardonne-nous ! Nous savons bien que tu nous pardonnes, nous n'en doutons pas, mais c'est tellement bon de se l'entendre dire à nouveau".
Action de grâces, donc. Et aussi engagement de notre vie à la suite du Christ. Il s'agit, selon Paul, d'être "toujours en progrès dans l'œuvre du Seigneur", ou, comme dit Jésus, de le "suivre et d'être son serviteur". Cette suivance est à la fois quelque chose de très simple et de très fort. Simple car il s'agit de mener notre vie là où nous sommes, de recevoir la vie qui est la nôtre, de la vivre le plus à fond possible, dans la banalité de notre aujourd'hui. Chacun doit s'efforcer de réaliser son humanité, de révéler le visage d'humanité unique qui est le sien. La suivance du Christ Jésus est en même temps quelque chose de rude. Nous savons par quelles épreuves il est passé, nous ne savons que trop combien être homme et être chrétien peut être exigeant. D'autant plus rude que cela se joue dans l'insignifiant, dans les petites choses de la vie quotidienne, dans les rapports les plus banals avec les autres. Mais toujours nous reste cette assurance et cette foi : la victoire de Jésus le Christ est notre victoire et transforme nos pauvres vies en fruits d'humanité et de vie éternelle en Dieu notre Père qui nous honore, qui nous rend notre honneur, l'honneur d'être ses enfants.