Sidi Maklouf 4e Cie

Sidi Maklouf

Les marques au stylo bleu sont les trajets des opérations effectuées par le sergent-chef Louis de la CA en été 1959

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Sidi Maklouf occupé par la 4e compagnie du 4e RT est l'unité la plus au Sud du dispositif du secteur de Djelfa. Petit village planté dans une dépression à 900 m d'altitude, à cheval sur la RN 1, à 40 km au nord de Laghouat et à près de 80 km plus au nord de son PC installé à DJELFA . A l'ouest le Djebel El AZEREG culmine à 1491 m. dite la Montagne Bleue. Au sud se dresse le Djebel DAHOUAN (1060 m), au nord-est les djebels ZERGA (1050 m) et MERGUEB (1040 m)

Souvenir de X , sous-lieutenant au 4e RT, 1960 :

Jour de chance

Le Bordj de Sidi Maklouf est à mi-distance - cinquante kilomètres - d'Aïn El Ibel, au Nord et de Laghouat, au Sud. La Route Nationale n°1 qui relie Alger aux forages pétroliers, a une importance économique et stratégique. Elle frôle le Bordj.

Chaque matin et chaque soir, ont lieu "l'ouverture" et la "fermeture" de la route. Le matin, la circulation venant de Laghouat est bloquée au Bordj d'où un convoi d'une jeep et de deux camions "ouvre" la route vers le Nord.

Lorsque cette escorte est prête à l'heure, on lève le barrage et derrière nous, tous les véhicules suivent.

Il fait beau, je suis chargé d'une liaison sur Djelfa (au Nord d'Aïn El Ibel) et à bord de la jeep, je donne l'ordre du départ.

A peine quelques mètres franchis, un pneu éclate ! Escorte bloquée ! La consigne, dans ce cas, est de prévenir les véhicules et leur donner la possibilité, soit d'attendre que l'escorte redevienne opérationnelle, soit de poursuivre seuls, mais à l'heure, la route vers le Nord. Beaucoup démarrent, mon chauffeur s'active mais les minutes passent. Soudain, du Nord , nous parvient le bruit d'une forte explosion. Toutes les têtes se tournent à la fois. Un haut nuage de sable et de terre s'élève déjà à deux ou trois kilomètres de nous.

Les camions de l'escorte s'y rendent, je les rejoins dès que possible : un énorme camion de chantier saharien (ses roues mesurent 1,80m) gît sur le flanc. Le chauffeur est sonné mais réagit vite : "ça ira". Chacun peut voir sur la route un gros trou : une mine y a explosée au premier contact.

Et si ma jeep (traditionnellement en tête) n'avait pas été immobilisée ? Exit le chauffeur, le radio et le sous-lieutenant !

Et si, à notre place une voiture avait roulé la première ? Mais non , c'était un mastodonte!

Pour tous ces candidats au grand saut , c'était un jour de chance"

et de poursuivre avec une nouvelle anecdote :

Petite scène de la vie ordinaire

A bord d'une jeep et d'un camion nous sommes une quinzaine de militaires. Devant nous, voulant passer à gué un Oued encore en eau, un camion chargé de moutons patine et finalement s'embourbe. On pousse, en vain. Faisant passer notre camion par le côté, on dépasse l'embourbé, avec un cableton le tire, le voilà sauvé !!!

Le conducteur remercie tout notre groupe et j'entends chez mes hommes, les mots "mouton" et "méchoui" et de bons rires. Je demande au conducteur : "avez vous entendu à quoi pensent mes tirailleurs ?" Il me répond : oui, oui, j'ai bien compris, mais dans ces moutons aucun n'est assez bon pour un vrai méchoui. Puisque vous allez à tel endroit, j'y déposerai au poste militaire un beau mouton que je choisirai moi-même, et vos collègues vous en avertiront"."Saha" "Saha" (merci, merci). Tous les sauveurs se mettent à fantasmer sur le meilleur morceau.

Les jours passent, pas de nouvelle, moral faiblissant. Et puis un appel radio " un mouton vous attend". Le dimanche suivant, ils étaient tous volontaires , de bonne heure, pour creuser le foyer et allumer le feu.

C'est dans cette circonstance que j'ai appris ceci : le meilleur morceau, c'est la joue !!! "

Témoignage du sous-lieutenant Rouquier de la CP d'Aïn-el-Ibel.

J'admirais sincèrement le capitaine Alzieu, commandant la 4 ème Compagnie à Sidi Maklouf. C'était un Béarnais, petit, sec, aux yeux d'oiseau de proie, au nez busqué, mince comme une lame. Ses vêtements flottaient sur un corps maigre et brun; Il portait son képi bleu de ciel, sans le cache-poussière kaki alors à la mode qui le rendait moins voyant et faisait un peu penser au képi des légionnaires, et s'appuyait sur la mince canne des nomades, ornée de cuir tressé. Il était autoritaire, vif, spirituel, efficace. Il ne semblait vivre que par et pour ses hommes. Sa compagnie n'était pas une troupe mais une bande. Ses hommes, il pouvait tout leur demander et lui, paraissait tout leur donner, son temps, sa solde, sa vie. Il incarnait pour moi le chevalier féodal des anciens temps, maître incontesté de son fief et de tous les êtres vivants le peuplant, mais pleinement responsable de toutes ces terres, de toutes ces vies, et y consacrant entièrement la sienne. Il aurait pu être un des seigneurs des Corbières qui, bien que bons catholiques, défendirent jusqu'à la mort, dans leurs vertigineuses citadelles du Midi, leurs sujets cathares contre les croisés du Nord, le roi, le pape.

Je crois que ses collègues officiers d'active, de même que ses supérieurs, le craignait un peu. Il avait une telle personnalité ! Il incarnait absolument à mes yeux ce que devait être l'officier de métier en campagne.

Il était craint aussi pour sa manière d'être et pour ses exigences. Par exemple, être reçu à son mess était à la fois un régal et un véritable guet-apens ! Le repas ne commençait que lorsque la bouteille neuve d'apéritif était vide ; il ne s'achevait que lorsque la bouteille de digestif était achevée ! Par contre les repas eux-mêmes étaient toujours fastueux et les vins choisi. On disait que quasiment toute la solde des officiers et des sous-officiers de sa compagnie était consacrée à la bouffe !

Il conduisait lui-même sa jeep, toujours en tête du convoi ; et il fallait le voir arriver dans le bordj : entrée en trombe, dérapage savant, arrêt dans un nuage de poussière. Il roulait en cachabia et képi bleu, pare-brise baissé, son chauffeur à sa droite, tenant prêt son fusil de chasse. Car notre homme était un chasseur extraordinaire ! un chasseur né !

Je fis un jour une opération sous ses ordres avec deux sections de la CP qui lui avaient été adjointes. J'étais dans le 6X6 de tête, juste derrière sa jeep. Nous roulions à assez vive allure sur une piste rocailleuse. Tout à coup d'énormes oiseaux prirent leur essor et lui coupèrent la route, de gauche à droite, à deux ou trois mètres du sol ! Je vis alors une chose étonnante. Sans ralentir, Alzieu s'empara de son fusil, tira un premier oiseau devant lui puis, évitant la tête du chauffeur, tira le second sur la droite du véhicule ! Cela avec une facilité magique ! une rapidité fantastique ! et un succès parfait ! Un doublé d'outardes !

Le seul à ne pas apprécier pleinement cet exploit fut le radio que la deuxième détonation un peu trop proche, rendit sourd quelques minutes.

Deux chameaux massacrés :

Opération dans une zone interdite du Djebel Amour, au sud-ouest de Djelfa.

Deux compagnies sont engagées et ratissent consciencieusement un terrain immense, desséché, très accidenté, lunaire, vide d'hommes. Une zone interdite est une vaste étendue, très bien délimitée, où toute présence d'hommes ou de troupeaux est interdite par l'Armée ; où, donc, troupes à pieds et aéronefs peuvent tirer sans sommations sur tout ce qui bouge. Ceci a pour but évidemment de gêner tout mouvement et approvisionnement d'élément rebelle.

Toutefois ces zones présentent un attrait certain pour les pasteurs nomades de la région qui les connaissent parfaitement : les pâturages y sont intacts. Il nous arrive donc assez souvent d'y rencontrer, au moins en bordure de zone, des troupeaux de moutons menés par un enfant. L'enfant ne risque pas grand' chose : je n'ai jamais vu de militaires tirer sur des gosses. Les nomades jouent là-dessus. Je n'ai jamais vu non plus d'extermination systématique de troupeau. Alors, qu'arrive-t-il lorsque nous découvrons un petit berger et ses ouailles en infraction ? Outre l'engueulade et les gros yeux, cela se solde généralement par la confiscation d'une ou deux brebis. C'est le tarif ! Le môme, content de s'en tirer somme toute à si bon compte, lance alors le reste de ses bêtes vers des pâturages moins verdoyants mais plus sûrs. Il reviendra dans trois, quatre jours.

"Chouffe, mon lieut'nant... des chameaux !"

En effet, au fond d'un talweg, deux dromadaires broutent quelques touffes vertes. Sans doute des bêtes échappées, perdues. Personne à l'horizon! J'en avise le capitaine qui m'ordonne de les abattre. Nous nous approchons et, à une centaine de mètres, je demande à Dahda de s'en charger. Il prend le MAS 49 d'un voltigeur, s'allonge et vise calmement. Pan ! Le chameau vacille brutalement mais ne tombe pas. Il reste sur place, sonné. "Et alors caporal... Tu l'as loupé ?" Dahda ne répond pas et tire à nouveau. La bête encaisse visiblement le coup mais ne tombe toujours pas. Troisième balle ! Même résultat ! Du coup, je m'énerve, sors mon mac 50 et m'approche pour l'achever. L'animal est debout mais visiblement pas pour longtemps. Il balance sa tête de gauche et de droite ; des flots de sang coulent de son cou. Tout à coup, il se fige, reste immobile un instant et s'écroule d'un bloc. Dahda arrive, un bou saadi à la main (1). Il finit de l'égorger en murmurant une courte prière. Je comprend enfin. Mon caporal, comptant bien profiter de l'aubaine et se tailler quelques bons morceaux dans cette bête bien nourrie, avait tout simplement voulu la tuer selon la règle imposée par sa religion.

L'autre animal est abattu plus radicalement et la section reprend sa progression. Dahda a récupéré son PM et rejoins son équipe, riant des plaisanteries de ses hommes.

(1) C'est le couteau à gaine des nomades de la région de Bou Saada. La Lame, affûtée à la manière d'une faux, coupe comme celle d'un rasoir. Couteau rituel, servant à raser le crâne des gosses, à égorger les animaux et les hommes.

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Caporal Alexis A...de la 4 ème compagnie - 1 ère section de 1960 à 1961

Le caporal pose devant l'école , sise près de la RN1 vers Laghouat, elle sert de poste avancé à 100 m du bordj où cantonne la 4e compagnie

Mes principales missions ont été d'effectuer des ouvertures et fermetures de route. Au début nous étions deux européens, à la mort de Mondolini, tué au combat, je me suis retrouvé le seul parmi les tirailleurs musulmans. Nous assumions la protection des voies routières depuis l'école de Sidi Maklouf jusqu'à Talmit en empruntant la RN 1. La partie sud jusqu'à Laghouat était assurée par des légionnaires. Nous n'étions pas pour autant exclus d'opérations, j'ai donc crapahuté sur le Djebel Bou Kahil, dans les régions de Talmit de Charef, puis dans l'Ouarsenis et parfois en maintien de l'ordre à Alger.

Pour la petite histoire : à l'occasion de l'opération du 02 février 1961, je crapahute avec un éclat dans le tibia alors que Mondolini à rendez-vous avec son destin.

D'autres photos dans la photothèque

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Sidi-Maklouf avril 1959 par le sergent-chef Louis de la Compagnie d'Appui de l'EMT1

Sergent la CA de l’EMT1, nanti de plusieurs fonctions car administratif, je suis néanmoins désigné pour effectuer une opération dans un secteur tenu secret. On m’adjoint deux groupes, avec leur armement de dotation, triés parmi les hommes aux diverses fonctions à la C.A. comme à l’EMT1. Pas bien solide tout cela, faut faire avec.

Départ de nuit dans des camions du Train pour un voyage interminable par la RN 1. On dépasse Djelfa, puis Aïn el Ibel, on ne s’y arrête pas. Chacun émet une destination : Sidi Maklouf, Laghouat, mais avant cela on peut aussi bien prendre le nord et aller en direction d’Aflou, cela s’est déjà fait.

D'Aflou, j’en garde un souvenir plutôt glacial, on avait eu de la pluie et de la neige fondue toute la durée de l’opération. Les routes empruntées étaient dans un état déplorable, voire par endroits très dangereux. Le ratissage à pied s’avérait éprouvant tant les pentes du massif étaient escarpées et glissants. Un brouillard tenace masquait les hauts. Les brodequins détrempés glaçaient les pieds, un vent piquant raidissait les tenues de combat qui collaient à la peau et pesait son poids d’eau imbibée. A voir mes compagnons, nous avions tous la face violette. On enviait un repas chaud ou à moins un Kawa et bien sûr un abri pour quelques heures, autour d’un bon feu. Mais rien de tout cela, c’est du rêve et les « pitonneux » n’en manquent pas. Dans ces conditions le bilan n’est pas assuré. Une seconde fois nous retournerons vers ce site montagneux pour prendre plus au sud en direction d'El Ghicha, au relief varié et aux nombreuses ravines. Cette fois le bilan est assuré.

En me remémorant ce séjour à Aflou, j’avais encore des frisons dans le dos. Bon c’est rassurant on n’en prend pas la direction. La surprise est totale, pas de froid mais une chaleur douce qui s’accentue au fur et à mesure que nous descendons vers le sud. C’est bon signe. Puis la route coupe un douar sans personnalité, de rares besogneux s’activent, indifférents au passage du convoi. Brutalement les véhicules de tête changent de direction et se dirigent vers un fort carré. C’est notre destination, ordre est donné de se rassembler par section, en ligne sur trois rangs pour le briefing du jour. J’entends le nom de Sidi-Maklouf, c’est le poste le plus méridional du régiment sis dans un banc de sable poussiéreux. Le cadre ne manque pas de charme, Les hommes de la 4e Compagnie qui l’occupent ont un teint hâlé, ils sont heureux d’avoir une visite qui agrémente leur quotidien. On n’a pas le temps de palabrer ni de faire connaissance, déjà on s’attelle pour l’opération organisée pour cette nuit.

La nuit a été courte, voire désagréable, un froid surprenant nous a tenu éveillé.

Embarquement vite fait, et direction sud- sud- est. Après un temps et avant le lever du jour, on prend les dispositions d’un ratissage assez serré. Peu à peu le froid s’estompe et au lever du jour un doux vent tiède nous oblige à quitter quelques vêtements superflus, on ne peut pas aller au-delà, même quand le soleil sera au zénith et cognera sans vergogne. Le paysage est féerique, une mer de sable en furie a figé des vagues d’une teinte éblouissante, la chaleur accumulée nous brûle la face et les bras nus. On marche bientôt sur des braises, les pieds sont douloureux, c’est l’inconfort total. Parfois le paysage semble plat et caillouteux avec de rares touffes d’alfa, on devine l’horizon, mais c’est un leurre, vite la mer de sable reprend forme en s’accentuant plus ou moins.

De temps à autre, en fonction des circonstances, les groupes de militaires se forment ou s’égaillent sur ordre et des officiers, aidés d’un interprète, fouillent les mechtas incongrues dans ce décor, ils tirent des renseignements auprès de la population présente. Mon élément sert de protection et d’encerclement de ces maigres habitations nettement séparées entre elles. Ces mechtas sont protégées par un fouillis d’épineux qui en interdit l’entrée. Cette enceinte sert aussi aux chèvres pour la nuit afin qu'elles ne soient pas la proie de prédateurs. En général les personnes présentes ne font pas d’histoire, elles ouvrent spontanément leur antre pour les contrôles d’usage. Rien de bien positif dans le recueil des renseignements ou de relevés d’identité, pas plus que d’armes saisies. C’est la routine. Faut dire aussi que les chiens, plus futés que nous, ont déjà averti les occupants des lieux de l’approche d’un danger, à ces derniers d’en tirer les conclusions. C’est aussi grâce à ces gardiens à quatre pattes que nous découvrions les habitations intimement mêlées au relief du terrain. Comme quoi ils rendent service à tous sans distinction ces braves toutous.

Le soir après une journée harassante, la mine cuite à point fait la risée des occupants du fort à notre retour. Une collation bien chaude et hop !, on embarque pour Les Ruines Romaines. Tout au long du long voyage vers notre fief, chacun rêvasse encore de cet éblouissement d’une nature ô combien variée.

J’y retournerai deux autres fois dans ces lieux insolites et enchanteurs. Mais aussi plus au sud à l’entrée de Laghouat par des accès particuliers et de nuit. Pas de quoi réveiller des souvenirs.

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Le ressenti de l'adjudant Grima, adjudant de compagnie à la 4e compagnie : "Une expérience forte de la solidarité dans des périodes difficiles. Baraque tenue en petit comité, restreint, pour assurer la pérennité et la sécurité."

De mon livret individuel j'extrais : « Rejoint le 4e RT le 06 octobre 1961 ; ce régiment est dissous le 31 mai 1962 ; néanmoins maintenu à l'organe liquidateur jusqu' au 15 juillet 1962. »

Je rejoins la 4ème Compagnie à Sidi Maklouf, alors que son activité principale s’est reportée sur les opérations de ratissage. Principalement locales, avec l’appui du 2ème REC. Sans accrochage avec les rebelles. La connaissance des lieux favorise à deux reprises la mise à jour de caches de ravitaillement.

Au quotidien la compagnie n’est pas sans pâtir d’une composition hétéroclite. Dans les sections, il n’y a plus de tirailleurs anciens. De cette génération et de cette trempe ne subsistent que l’adjudant C... et le sergent-chef D..., chefs de section. Les engagés, dont les sous-officiers, n’ont pas d’expérience militaire affirmée. A quoi s’ajoutent un important lot d’appelés FSNA. Et, bien entendu, des rebelles ralliés, regroupés dans la section de l’adjudant C... L’encadrement français des sections se limite à un sergent-chef et à un sergent anciens. Un aspirant sera présent pendant une période. Les appelés métropolitains occupent les postes spécialisés ou sensibles, transmissions et armurerie notamment. Au bout d’une quinzaine de jours, dans son bureau, je dis au capitaine : « Cette compagnie, c’est le merdier. » Sa réponse est directe : « Quand je commence, je vais jusqu’au bout ! » Du tac au tac : « Ok, mon capitaine, je reste. » De cet échange est née une entente tacite qui ne se démentira pas.

Une première occasion de la vérifier ne va pas tarder.

Impavide en apparence, le capitaine Alzieu est préoccupé par la sécurité des hommes placés sous sa responsabilité. L’incertitude n’est-elle pas en train de gagner une partie de nos troupes ? Alors, quand nous ne sommes pas sur le terrain, il fait traîner la soirée à la popote, comme si de rien n’était. L’adjudant de compagnie, lui, se permet quelques absences.

Les choses vont se gâter avec l’approche de Noël : cette sécurité, il ne faudrait pas qu’elle soit compromise par une célébration trop festive des appelés. Sur le coup, ceux-ci rejettent radicalement toute idée de restriction et vont jusqu’à envisager de se « rebeller », ce qui ne serait favorable à personne, eux en premier. D’où l’ébauche d’une solution moyenne consistant en une célébration modeste partagée avec les musulmans et, bien entendu, le respect absolu des dispositions de garde et de précaution. Le capitaine n’en veut pas. J’en prends le risque, contre l’assurance que les appelés respecteront rigoureusement le contrat. Veillée de Noël : à la popote, le capitaine, ses invités, l’ensemble des sous-officiers. A l’approche de minuit, une délégation d’appelés vient inviter le capitaine à mettre l’enfant Jésus dans la crèche. Tout le monde suit : en traversant la cour, « minuit chrétiens » à la radio. Sur place, il n’échappe à personne que les appelés et les tirailleurs font table commune. Le père Noël se manifeste : le capitaine me dit « A midi, pot de compagnie, on invite le garde champêtre. » J’avais une photo de ce pot : je regrette amèrement de l’avoir égarée.

Début 1962, la 4e compagnie rejoint le PC du Régiment à Berrouaghia. Elle est dispersée dans un cantonnement à tous les vents près du pénitencier. Ce n'est pas génial. Nos tirailleurs sont en contact ouvert avec la population, dont les marchands de gazouzes, ce qui facilite les échanges d'idées, voire peut-être des retournements par des infiltrés de l'ALN. Les désertions commencent.

C’est évidemment une question essentielle, susceptible d’être évoquée dans les unités, voire de faire l’objet d’un briefing-débriefing. À ma connaissance ça n’a pas été le cas. Mais le colonel Goubard a rassemblé le régiment et l’a harangué de belle manière : « Honte sur vous si vous désertez !... » J’ai eu alors le sentiment que la situation générale, comme on dit dans un cadre d’ordre, échappait au commandement. Nous n’étions plus au temps d’Abdel Kader pour revendiquer l’ « honneur » comme facteur commun : les familles des tirailleurs, à coup sûr celles des cadres, étaient travaillées par le FLN, je vais y revenir. Par ailleurs, il était souhaitable que notre remontée dans le nord ne conduise pas nos hommes à maintenir l'ordre : ils ne sont pas instruits pour cela. Je l’ai donc fait savoir par la voie hiérarchique, mon capitaine, et par le président des sous-officiers, chef du secrétariat du régiment. Sur le moment, ça se passe mal : il arrive qu’une hiérarchie soit susceptible. Il semble cependant que le colonel, avant le drame de la rue d'Isly, ait fait savoir à l’état major qu'il était impensable d'utiliser le 4e RT pour le maintien de l'ordre. Hélas, sans être suivi ! Quant au fait que les familles étaient travaillées par le FLN, c’était une évidence. Mais peut-être manquait-il dans nos unités de Tirailleurs du moment, faites de bric et de broc, cette relation de confiance qui procède de la solidarité du métier, de la « condition militaire » vécue sans artifice, et susceptible d’amener à la confidence. C’est ainsi que l’adjudant C... m’avait confié que dans sa villa de Médéa son Aronde était consignée au garage. Pouvait-il m’en dire plus ? Le sergent-chef D..., originaire du sud, au-delà de Laghouat, était moins disert mais pas moins préoccupé. Il évitait la discussion, levant les bras au ciel et disant : "Eh, les petits oiseaux !"

Revenons aux désertions : nous allons retrouver le colonel, mais également, j’y tiens, cette solidarité dont je conserve le plus vivace souvenir.

Jouant la mobilité, qui pouvait être une parade au travail de sape du FLN, nous nous retrouvons dans un autre village, dont j’ai oublié le nom, toujours dispersés, et suivi par un commerçant, sans doute de Berrouaghia. Or voici qu’un caporal déserte avec une MAT 49. La veille, j'avais contrôlé l'armement, que s'est-il donc passé ? Une liaison avait ramené une Mat 49 de l'ERM et le cahier des mouvements n'en faisait pas mention : l'arme n'avait pas été rentrée à l'armurerie. Le retour de réparation du PM n'était pas programmé. Occasion d’observer que le commandement d'une unité était devenu aléatoire compte tenu du décrochage d'une partie de ses éléments : devoir et loyauté n'étaient plus la norme pour tous. Le raisonnement du colonel étant des plus simples, il me fiche un motif. Que je décline. Le capitaine suit. Et le dimanche suivant m'appelle et me tend une lettre par laquelle Goubard, tout en lui écrivant qu'il est un officier brillant, lui enjoint de faire suivre le motif. Échange présent comme si c’était hier : - « J'ai apprécié votre position, mais maintenant mettez les pouces, mon Capitaine ! » Beau sourire de sa part. - "Grima, ça c'est mon affaire ! »

Depuis, sur ce site, j’ai appris que le colonel avait sanctionné deux commandants de compagnie pour n’avoir pas suivi ses instructions pour prévenir les désertions. Le capitaine Alzieu serait-il l’un d’eux ?

L’événement que je vais maintenant évoquer n’est évidemment pas un fait d’armes, néanmoins il démontre à quelle situation délétère nous étions réduits à cette époque. Tant mieux que ses conséquences n’aient pas été dramatiques. Sur la fin, avant la rue d’Isly, la 4ème Compagnie se trouve je ne sais plus où, hors agglomération, sous les tentes squad. Dans la tente qui abrite la section de l’adjudant C... les armes sont enchaînées. Au réveil, constat qu’une dizaine de ralliés ont déserté avec leur armement, dont une AA.52. On déclenche aussitôt une opération de recherche, qui dure jusqu'à la nuit, sans résultat. Quelle conclusion en tirer, sinon que le régiment, à tout le moins certaines de ses unités, donnaient des signes d’inaptitude. S’en est-on préoccupé ? Une fois encore j’évoque le cadre d’ordre, b.a.- ba du chef, et qui renvoie à connaître les forces et les faiblesses. Nous en sommes arrivés à faire prendre la garde sans arme : elles étaient toutes à l’armurerie, qui du coup était devenue une sorte de coffre fort.

Je n’irai pas plus loin dans mon évocation. Quelle fin cruelle le 4ème Régiment de Tirailleurs a donnée au 4ème Régiment de Tirailleurs Tunisiens, grand régiment parmi les plus grands :

- pendant la guerre 1914 – 1918, six fois cité à l’ordre de l’Armée et la légion d’honneur ; - pendant la seconde guerre mondiale, quatre fois cité à l’ordre de l’Armée !

Voilà qui confère du prix aux expériences fortes de solidarité que les uns et les autres nous aurons pu partager dans une époque moins glorieuse.

29 juin 2019,

Marcel Grima~

Carte postale ancienne. A droite en entrant, le bureau-chambre du capitaine, puis deux chambre réservées aux invités.

Lors d'une fermeture de route, des cadres étrangers au régiment occupaient ces deux chambres pour les quitter au petit matin lors de l'ouverture de route vers Laghouat ou Djelfa.

En képi le capitaine Alzieu dans sa tenue habituelle avec son apparente décontraction, "apparente", c'était un pro sans doute un peu désabusé à l'époque. On le serait à moins.