Commandant Genet

Le chef de bataillon Genet Henri à Djelfa le 11 novembre 1959 lors de la remise de la croix d'officier de la Légion d'honneur.

Témoignage du lieutenant Latournerie, commandant adjoint de la 2e Compagnie du 4e RT :

« Le commandant Genet est une figure remarquable de l' E.M.T.1.

Je ne connais pas le détail de sa carrière, cependant je sais qu'il avait servi longuement dans les Chasseurs Alpins. Il en avait gardé ses valeurs: l'esprit d'équipe, l'allant, l'allure, le chic. Il avait fait partie de la Résistance dans l'Armée des Alpes: le père du lieutenant Ducrettet avait été sous ses ordres, arrêté puis fusillé en accomplissant la mission qu'il lui avait donnée.

Il avait commandé le Bat' d'Af' « bagne militaire » de Tunisie à Tataouine. Il avait connu là le sergent-chef Mackel . Il avait emmené le monument aux morts construit par les bagnards et l'avait placé au centre du Poste des Ruines .

Avant toute mission, il convoquait le chef de détachement, donnait personnellement des ordres très détaillés : équipements, points dangereux, contrôles radios, comptes rendus. Il restait près du poste radio jusqu'à ce que tous ses « enfants » soient à l'abri.

Cette discipline nous a prémunis des embuscades : la seule que je connaisse est celle qui nous est contée par le sergent Roger Louis*. La réaction a été rapide.

Lors des opérations , il aimait être avec tous les moyens de la compagnie d'appui, la section de muletiers en particulier. Il marchait en tête, de son pas rapide des chasseurs, sur les crêtes, si bien que les tirailleurs, au flanc des thalwegs, marchaient au pas de gymnastique pour rester à sa hauteur !

Avant tout départ des permissionnaires, en particulier le dimanche matin ( liaison pour la messe ou des activités moins catholiques), il vérifiait personnellement la tenue : nos tirailleurs devaient avoir fière allure.

Malgré ses installations sommaires, le Poste des Ruines Romaines était un modèle d'ordre, de propreté, d' accueil pour les troupes de passage ou les invités.

Pour son départ, le Commandant Genet fit une grande prise d' armes et reçut de nombreux invités.

Les fells lui ont fait une autre fête : vers neuf heures du soir, le pont de la voie ferrée situé un kilomètres au sud a sauté. Le commandant Genet prit lui-même le commandement du détachement pour faire la patrouille autour du pont en pestant contre ces maudits fells.

Par la suite, lieutenant-colonel, affecté au 2° bureau de la Zone Sud Algérois à Médea, exploita un renseignement avec un groupe de fantassins. Marchant en tête comme d'habitude, il prit en main l’intervention pour neutraliser les rebelles, il reçut une grave blessure. Bien soigné par le médecin capitaine Thomas (*) de l' hôpital, il survécut mais perdit un bras. Ce médecin l’a suivi de très près pour l’aider dans sa réadaptation.

Je l'ai, par la suite, rencontré à Médéa . Il était fier de montrer ses progrès en écriture de la main gauche et montrait une grande volonté dans la reprise du service.

Il finit sa carrière comme commandant la garnison de Nice.

L'exemple du commandant Genet m'a beaucoup aidé pendant toute ma carrière.

(*) Le médecin capitaine Thomas était un chirurgien extraordinaire, il sauvera plus tard le tirailleur Foudi Mohamed de ma section qui, en dormant dans le camion, avait arraché la goupille d'une grenade : les trois grenades offensives en sacoche sur son ventre avaient sauté. Comme miraculé, six mois plus tard, Foudi rejoignait la compagnie et reprenait sa place dans les opérations.

J'ai connu plus tard ce médecin qui a terminé sa carrière comme médecin-chef des Ecoles de Coëtquidan. Il n'avait plus le droit d'opérer parce qu'il n'avait pas les diplômes requis !... Cependant, quand il y avait un grand blessé, il était appelé comme "assistant" à l'hôpital de Rennes par ses confrères. L'opération de Foudi avait été sa réussite la plus mémorable. Il avait conservé le ceinturon en cuir déchiqueté de FOUDI en souvenir".

* Dans son livre « Moustache kaki » édition Thélès.

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Témoignage du Mdl-chef A…alors chef de section à la 270e Compagnie de Circulation

Routière cantonnée dans une ferme à 1 km de MEDEA.

« Détaché avec ma demi- section de 18 hommes du contingent auprès du Chef de Bataillon Genet, commandant d’Armes de la place de Médéa, baroudeur né, il l’avait prouvé pendant la seconde guerre mondiale. Il me fit mettre nos équipements blancs de policiers militaires au placard et nous transforma en unité d’intervention. Personnellement cela m’allait beaucoup mieux car pendant quatre ans je fus affecté aux contrôles des habitants de Médéa, aux embuscades, aux renseignements et aux interventions pour retrouver Si Andam, Amirouche et bien d’autres encore. J’appartenais à la 11ème D.I.L. commandée par le général AILLERET.

Médéa et sa région ont toujours été un secteur particulièrement mauvais, je ne dévoilerai jamais les exactions qui ont eu lieu entre 1958 et 1962…malheureusement à cette époque la vie d’un homme ne valait pas celle d’un bourricot et la loi du talion prévalait sur toutes formes d’humanité.

Le 14 avril 1961, vers dix heures du matin, j’ai entendu des explosions et des rafales d’armes automatiques. J’ai rassemblé mes hommes et nous sommes partis en camion en direction des coups de feu. A peine sur les lieux, nous avons été accueillis très sévèrement par des tirs d’armes automatiques des rebelles. Le commandant Genet était sur les lieux avec quelques tirailleurs et parlementait en arabe avec les rebelles retranchés dans une mechta devant l’entrée du couvent des sœurs. Il me fit signe de me placer avec mon élément en couverture, pour éviter leur fuite dans le Djebel. De ma position, je restais en vue du chef de bataillon qui avait repris les pourparlers sans succès, les rebelles continuaient à l’arroser de rafales de PM. Soudain une grenade fusait à ses côtés, afin d’éviter une hécatombe dans ses rangs et la saisit et la projeta en avant, elle exposa dans sa main.

Une compagnie d’infanterie en opération dans la région nous dégagea de cette nasse en employant l’intervention des T6 venant de Ben Chicao. Bilan amis : 2 blessés graves dont le commandant Genet, bilan ennemi : 7 morts et 7 armes automatiques récupérées.

Les rebelles venaient souvent au couvent des sœurs pour faire soigner leurs blessés sous la contrainte de leurs armes. Le commandant Genet l’ayant appris, décida de tendre une embuscade et c’est nous qui sommes tombés dedans. »

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Témoignage du sergent Panteix de la 2e cie :

"Le Commandant GENET, fidèle aux traditions "chasseurs", ne se contentait pas seulement de l'aspect du cadre. Il pourvoyait aussi à la détente. Nous eûmes droit à une soirée animée par François DEGUELT (qui faisait son service militaire aux théâtre aux armées) entouré de jeunes femmes. Cela se passait aux Ruines Romaines. Le "fakir" de service exécutait des tours de magie et pratiquait le piercing. Pour certains se fût la joue ou les oreilles, pour moi, se fût la langue, sans douleur bien sûr.

Aux douces heures de la sieste un fond musical animait le camp, les cadres détenteurs de disques en vinyle assuraient la variété. Au foyer des films étaient projetés pour l'ensemble des militaires. Le vaguemestre les percevait auprès du service des autocars à Djelfa, une fois par semaine. Jugeant utile que cela ne suffisait pas, il se débrouillait auprès des autres régiments pour des échanges de bon aloi. Tout le monde y trouvait son compte sans nuire aux obligations administratives imposées par la division."

Témoignage du sergent Louis de la Compagnie d'Appui :

Bou Kahïl début 1959

"Récemment nommé vaguemestre en titre aux Ruines, et accessoirement chef de section « armes lourdes » en l’absence du titulaire muté, je prends aussi le commandement du peloton muletier qui lui est subordonné. Ce peloton est fort bien tenu par un musulman, sergent ancien par l’âge mais pas par l’ancienneté.

Assis au 1er plan : Le sergent A..., chef du peloton muletier auquel il m'est subordonné.

Dans les périodes critiques de l’EMT1 où le manque de sections de combat fait souvent défaut, car la Compagnie d’appui n’a pas cette vocation, le chef de bataillon Genet, grand maître des lieux, fait flèche de tout bois. Il puise allègrement chez les cadres administratifs en leur associant des hommes venant de tous les bureaux et services. Il se garde bien de ne pas trop puiser dans son Etat-major, (sous-officiers anciens) alors il ordonne au capitaine Le Bourhis commandant la CA de pourvoir, à l’aide de quelques éléments disparates, aux missions imparties. Pour ce dernier, c’était plus aisé de tirer sur le vaguemestre étant donné qu’il était fort bien secondé mais nullement mandaté pour la fonction.

- Tu régulariseras au retour, me disait-il.

L’adjudant de compagnie Ballard, comme à son habitude s’engouffre dans mon bureau et je me jette à la face :

- T’étais pas au rapport, une fois de plus ! Cette nuit tu pars en opé ! Passeras au bureau pour les modalités. Fissa !

- Ben oui ! J’étais en ouverture de route et de voie ferrée, vous devriez le savoir, mon Adjudant, c’est vous qui programmez l’emploi du temps.

Sur ce, il pousse un grognement en guise de réponse, piétine sur place et d’un coup de talon pivote prestement pour disparaître.

J’apprends que ma mission est auprès du commandant de l’EMT1, directement sous ses ordres, avec deux groupes de grenadiers-voltigeurs, sans appui feu, ni carte, ni transmissions. L’embarquement en véhicules du Train se fait de nuit pour une destination inconnue, nous traversons Djelfa pour ramasser un autre convoi. Puis c’est la longue errance à travers une campagne à peine esquissée. Au bout de deux heures, c’est enfin l’arrêt, l’ordre est donné de quitter les véhicules pour prendre les dispositions de combat à pied.

- Tu me suis à vue ! dit mon commandant.

Une longue marche à travers un terrain difficile, encombré d’obstacles rocheux. Plus d’une fois je perds mon contact et je vais droit devant espérant le retrouver. La sûreté en pâtit, il faut accélérer. Je prends alors la tête de mes hommes et allonge le pas quand soudain devant moi surgit une ombre à peine perceptible. C’est le commandant qui dans une colère mal contenue m’apostrophe et me reproche ma lenteur. J’ai beau argumenter les précautions d’usage, rien n’y fait.

- Pas d’excès de zèle, tu suis, un point c’est tout !

A un moment donné, je suis à ses côtés, et lui lance :

- Vous avez une sacré chance, mon commandant, que c’était moi qui était en tête. Si j’avais conservé le dispositif, il est certain que l’éclaireur de tête vous aurait abattu.

- Ça va, ça va ! dit-il calmement.

Enfin, au petit jour, on arrive au point de rassemblement où attendaient les autres chefs de section qui avaient au préalable dispersé leurs hommes. Après la distribution des rôles, c’est le mien. Le commandant m’indique ma position dans des éboulis en retrait d’une centaine de mètres du pied d’un piton abrupt.

- Tu me surveilles ce piton, et tu interdis toutes descentes d’éventuels rebelles. Fais gaffe, on en a repéré pas mal, ça va cracher. Pour mon compte je vais plus à droite avec les autres sections pour un bouclage aéré.

Me voilà seul avec mes hommes, tous inconnus. Pas eu le temps de me familiariser. Après un temps d’observation, je les place en les égayant le plus possible et leur indique ma position. Je leur rappelle de bien mettre en vue leur foulard d’identification. Cette mission me change des précédentes où nous jouions les rabatteurs parcourant des dizaines de kilomètres pour emmener le gibier dans la nasse tendue par les légionnaires appuyés par leurs automitrailleuses.

Ce piton qui nous domine de plus d’une centaine de mètres est assujetti à un autre. Cet ensemble a la forme d’un boomerang relié par les sommets. L’un et l’autre ont la même végétation rare rabougrie et d’une somme considérable de rochers plus ou moins imposants qui peuvent masquer un homme.

Après une heure d’observation, ce piton n’a plus de secrets pour moi, j’en connais tous les recoins. J’ai mal au cou à force de lever la tête.

Puis sur ma gauche un bruit, un ronronnement qui s’amplifie, qui devient plus assourdissant, cognant l’air azuré. Un mammouth survole le sommet de mon piton, jette quelques rafales de mitrailleuses lourdes et disparaît. D’autres hélicoptères se dessinent sur le sommet de gauche et posent des chapelets de combattants courbés qui se regroupent dans l’instant puis se précipitent vers le sommet mitraillé... Les hélicos s’évaporent, plus un bruit… Au bout d’un temps interminable on entend des rafales de PM, des claquements secs de grenades à main, puis plus rien. Je préviens mes hommes d’être très vigilants, on risque en effet d’avoir sur le dos des fuyards qui vont dévaler la pente. Rien… Le temps s’écoule, incalculable, la tension monte, toujours rien… Au bout d’un temps apparaît le commandant avec son staff et ses moyens radios.

- On remballe ! Tu me suis !

Je n’en saurai pas plus …"

Médéa fin juin, début juillet 1962 (par le Sergent-chef Louis de la CA)

Rencontre insolite :

A la dissolution du 4e RT le 30 mai 1962, muté précédemment à la 1 ère compagnie à la suite de la dissolution de la Compagnie d’appui à laquelle j’appartenais depuis début 1959, je reçois ma mutation au 117e RI stationné à Hussein-Dey. Auparavant, fin juin, j’apprends que je quitte la 1ère compagnie restée en post curseur pour une affectation provisoire à Médéa avant de rejoindre le 117e RI le 17 juillet.

A Médéa, je suis à la disposition d’un commandant chancelier qui a pour mission la vérification de la comptabilité des unités des Territoires du Sud dissoutes. Vaste travail rébarbatif auquel il m’associe. Nous occupons un bureau donnant sur l’entrée du quartier qui elle-même s’ouvre sur une vaste place de la ville. Pour m’évader un peu de cette routine, j’observe les allées et venues du personnel du poste de police et du bureau de garnison. Le soir je rejoins ma chambre en empruntant cette sortie. Elle se situe en dehors de la caserne dans un bâtiment la longeant. Il m’arrive de rôder dans les rues et ruelles pour marcher un peu.

Malgré les élections pour l’Indépendance et le jour même de la liesse, aucune inquiétude, pourtant je circule en tenue de tirailleur.

Un matin rejoignant mon poste, un officier qui marche à ma rencontre m’interpelle. J’écarquille les yeux car la silhouette ne m’est pas inconnue ainsi que la voix. Son avant-bras droit manque et de suite je reconnais mon ancien chef de bataillon Genet, commandant l’EMT1 du 4e RT. Je connais l’origine de sa blessure car on en avait abondamment parlé à l’EMT1, mais malgré la proximité des lieux, il est hospitalisé à Médéa et je n’avais jamais eu l’occasion de lui rendre visite. Il faut savoir que lors de ma blessure de novembre 1959, lui et le capitaine Le Bourhis étaient venus à mon chevet. Je le lui rappelle et exprime mes regrets de ne pas avoir eu l’occasion de lui rendre visite à mon tour. D’un geste il écarte l’excuse en me précisant qu’il en avait eu son compte.

S’ennuyant lui aussi dans son rôle d’officier supérieur de garnison, nous nous retrouvons fréquemment et discutons à bâtons rompus. Tout comme moi, il est vêtu de sa tenue du 4e RT ce qui nous soude d’avantage tout aussi bien que les affres d’anciens blessés mais néanmoins rescapés.

Que d’événements d’une rare intensité avions-nous vécu en commun au 4e RT, dans un temps relativement court !

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